Une loi scélérate et une infamie
     «Si la jeunesse n’a pas toujours raison, la société qui la méconnaît et qui la frappe a toujours tort.»
          -François Mitterrand, Discours à l’Assemblée nationale, 8 mai 1968.  
     “Lorsque dans le silence de l’abjection, l’on n’entend plus retentir que la chaîne de l’esclave et de la voix du délateur, lorsque tout tremble           devant le tyran, et qu’il est aussi dangereux d’encourir sa faveur que de mériter sa disgrâce, l’historien paraît chargé de la vengeance des peuples. C’est en vain que Néron prospère, Tacite est déjà né dans l’Empire.”
         -François-René de Chateaubriand, Mémoires d’outre-tombe.

Comme professeurs et professeures, historiennes et historiens, qui avons documenté, avec d’autres, l’histoire politique du Québec, nous affirmons que rarement a-t-on vu une agression aussi flagrante être commise contre les droits fondamentaux qui ont sous-tendu l’action sociale et politique depuis des décennies au Québec.

Le droit de libre expression, le droit de manifester, le droit d’association sont au cœur de notre démocratie. Ces droits civiques et politiques déterminent notre appartenance et notre participation à la vie de notre communauté politique. Ils permettent cette essentielle dissidence qui est au cœur de tout ce que le Québec a connu de changement dans son histoire, depuis les Patriotes jusqu’aux grandes luttes syndicales de la Révolution tranquille, en passant par les combats des femmes, des Autochtones et des autres groupes de citoyens pour leur reconnaissance politique. Sans l’exercice de ces droits garantis notamment par les Chartes, notre régime politique ne peut pas se réclamer entièrement de la démocratie. Une démocratie au sens fort du terme exige de ses citoyens et de ses citoyennes la capacité d’exercer pleinement leurs droits : c’est là l’assise de la primauté du droit en ce pays et l’objectif fondamental des luttes politiques au Québec depuis l’instauration du système parlementaire.

Le mouvement étudiant, par son action depuis trois mois, n’a fait que reprendre le flambeau de cette exigence démocratique. Il est odieux de voir un gouvernement l’utiliser comme cible de ses actions antidémocratiques, d’autant plus que la principale fonction de l’État démocratique est de garantir l’exercice de leurs droits et de leurs libertés.

Pis encore, le dernier geste de ce gouvernement, celui du projet de loi 78 (maintenant devenu loi), remet en cause le principe de la primauté du droit dans la résolution des conflits, comme le souligne le Bâtonnier du Québec dans son communiqué du 18 mai. En effet, dans sa forme actuelle, le projet de loi 78 limite clairement le droit de manifester pacifiquement de tous les citoyens et sur tous les sujets. Il entrave de manière importante la liberté académique dans un milieu universitaire. Il suspend des recours juridiques légitimes et renverse le fardeau de la preuve qui rend les associations d’étudiants et les syndicats responsables d’actes commis par autrui. Enfin, il sanctionne lourdement les citoyens ainsi que les associations étudiantes et syndicales qui ne se conformeraient pas aux dispositions de cette loi d’exception.

Dans sa forme actuelle, le projet de loi 78 en discussion est une loi scélérate et une infamie. Nous en appelons à tous ceux et celles qui, dans ce pays, ont à cœur les libertés politiques fondamentales de se mobiliser contre cette agression contre nos droits et nos libertés.


Note : À l’origine, cette lettre des historiens québécois fut soumise au journal Le Devoir où elle a été publiée le 19 mai 2012. Depuis, le public solidaire s’est élargi et des citoyens de tous les horizons se sont sentis concernés par le document. C’est ainsi avec plaisir que les historiens acceptent cet état de fait, qui témoigne de l’importance et de l’urgence de prendre position sur cette loi inacceptable.
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