La guerre d’indépendance Algérie
Débats et enjeux historiographiques :
Archives - Chronologie - Mémoire - Torture - Femmes -
Pierre Vidal-Naquet
1958
2001
1989
Pour l'historien Benjamin Stora, autre spécialiste de la colonisation française, «Yves Courrière était un grand personnage, un pionnier, qui m'a ouvert la voie avec son ouvrage sur la guerre d'Algérie, comme à bien d'autres chercheurs. Il m'a donné le goût pour l'histoire de l'Algérie».
D'abord militaire, Yves Courrière, de son vrai nom Gérard Bon, a couvert le conflit algérien comme grand reporter pour RTL, de 1958 à 1962. Son travail sur le conflit lui a valu le Prix Albert Londres en 1966. Il sera condamné à mort par l'OAS, emprisonné et expulsé par Boumediene, le président algérien auteur d'un coup d'Etat contre Ben Bella. Intervenant à la télévision, il raconte aussi son expérience dans «La Guerre d'Algérie», un ouvrage en quatre volumes paru chez Fayard de 1967 à 1971.
« Courrière a écrit son livre à chaud, avec une restitution formidable de l'atmosphère de l'époque, une écriture puissante et un style romancé qui faisaient aussi la force de son témoignage et insupportera plus tard les historiens académiques», relève Stora qui a vécu jusqu'à l'âge de 12 ans, dans le Constantinois, en Algérie.
Yves Courrière décrit dans son ouvrage les complots, les arrière-pensées, les discussions enflammées dans les bars, l'état d'esprit dans les villes, les campagnes. «Il a été longtemps la référence principale sur la guerre d'Algérie», rappelle Benjamin Stora. Si son récit comporte des erreurs factuelles, des problèmes de chronologie, on y trouve aussi beaucoup d'indications très précieuses. «Après, Yves Courrière a été décrié parce que ce n'était pas historien, qu'il ne faisait pas partie du sérail, mais il avait su regarder l'Histoire en face».
http://www.leparisien.fr/politique/deces-du-journaliste-yves-courriere-specialiste-de-la-guerre-d-algerie-09-05-2012-1992159.php#xtref=https%3A%2F%2Fwww.google.fr%2F
1968-1971
Nommer l’événement
1992
Nommer les acteurs
1968
Les multiples expériences de la guerre
colloque de l'Institut d'histoire du temps présent [Paris, 1988]
Quand commence et finit la guerre d’Algérie ? (Le Monde Afrique, 11/4/2013)
La guerre d'Algérie n'a pas commencé le 1er novembre 1954, le jour où les indépendantistes du Front de libération nationale (FLN) ont commis leurs premiers attentats. Elle n'a pas pris fin le 19 mars 1962, avec le cessez-le-feu. Elle déborde les deux dates que lui assignent les manuels d'histoire et les monuments aux morts. En amont, elle remonte au 14 juin 1830, lorsque le corps expéditionnaire envoyé par Charles X a débarqué près d'Alger, espérant redorer son blason. En aval, elle dure encore, attisée par les équivoques de la mémoire.
En savoir plus sur http://www.lemonde.fr/idees/article/2013/04/11/guerre-d-algerie-le-choc-des-memoires_3158255_3232.html#FKLhmrQEfcImIvaY.99
Le cadre chronologique : 1954-1962
L’ouverture des archives (1992 / 2008)
La Vie des idées : La fermeture des archives coloniales a longtemps été un obstacle aux études sur la guerre d’Algérie. Qu’en est-il aujourd’hui ?
Raphaëlle Branche : 1962 est une date très importante pour les archives. En juillet 2008, la loi sur les archives a changé en France. Elle a enfin tenu compte des rapports remis au gouvernement de Lionel Jospin des années plus tôt, qui recommandaient la réduction des délais de communicabilité. Cette loi change beaucoup de choses pour la période de la guerre en Algérie, puisqu’elle rend accessible tous les documents cinquante ans après leur production. L’année 2012 coïncide donc non seulement avec le cinquantenaire de l’indépendance algérienne, mais aussi avec l’ouverture des archives de 1962. Cela entraîne de nombreux bouleversements : les inventaires sont en train d’être refaits au ministère des Affaires étrangères et à Aix-en-Provence. Priorité est donnée souvent aux fonds algériens. C’est un processus très important qui est en train de se mettre en place et on ne se rend pas encore bien compte de ses conséquences. On peut cependant en avoir une petite idée avec l’initiative récente de « Mémoires d’Algérie », un « musée numérique » lancé le 19 mars par El Watanet OWNI. Ce site rassemble, en plus de témoignages et d’archives personnelles, des documents photographiés aux archives, notamment dans les archives militaires françaises. La mise en ligne de documents photographiés pose bien sûr quelques problèmes, partiellement réglés par une anonymisation (qui n’est cependant pas systématique). Il y a là une réflexion à mener sur le souci de transparence, mais aussi sur les effets de ces pratiques en matière d’accès aux fonds d’archives. Les conservateurs peuvent avoir des craintes. S’ils sont désormais obligés d’ouvrir leurs fonds, il y peut toujours y avoir des moyens de ne pas communiquer : mettre en restauration, par exemple. Cependant, ce projet est intéressant à plus d’un titre, notamment parce qu’on a enfin le sentiment que l’histoire s’écrit avec des sources et des mémoires qui proviennent des deux rives de la Méditerranée. Cela est primordial.
Le point de vue algérien
« La lutte s’est engagée entre deux peuples différents, entre le maître et le serviteur. Voilà tout. Il est superficiel de parler comme le font les journaux d’un réveil de la conscience algérienne. C’est là une expression vide de sens […]. Les Algériens n’ont pas attendu le xxe siècle pour se savoir algériens. »
Mouloud Feraoun, l’instituteur et romancier plutôt francophile, 1955
« Enfin, ce pays s’appelle bien l’Algérie et ses habitants les Algériens. Pourquoi tourner autour de cette évidence ? […] Dites aux Français que le pays n’est pas à eux, qu’ils s’en sont emparés par la force et entendent y demeurer par la force. Tout le reste est mensonge, mauvaise foi. » (Emmanuel Roblès)
2011
Une justice d’exception
La prescription qui interdit l'accès aux archives étant progressivement levée, il est possible aujourd'hui de mieux connaître certains épisodes et domaines qui ont marqué la guerre d'Algérie, même si des dérogations nombreuses sont encore à demander. Ce livre de Sylvie Thénault s'efforce de lever le voile sur la justice civile et le rôle des magistrats entre 1954 et 1962. Très documentée, s'appuyant à la fois sur des rapports officiels et sur des notes personnelles ou des entretiens avec certains acteurs de cette période, son étude décrit l'effacement de la justice civile au profit de la justice militaire. Une des caractéristiques de la guerre d'Algérie, c'est justement que l'état de guerre n'est pas reconnu : les nationalistes algériens, qualifiés de « rebelles » et de « terroristes », ne sont pas reconnus comme soldats. L'Algérie étant partie intégrante de la République française, le droit de la guerre ne peut y être appliqué. Les décisions qui se veulent des réponses aux « événements » d'Algérie, comme on dit, sont donc des mesures d'ordre intérieur. En conséquence, la justice civile doit intervenir dans le déclenchement et l'instruction des procédures, ainsi que dans les garanties accordées aux inculpés. Or, tout au long de la période, on assiste à un dessaisissement de la justice civile au profit de la justice militaire. Les magistrats, le plus souvent issus de la communauté européenne d'Algérie, ne s'opposent guère aux dispositions prises par l'armée pour lutter contre le FLN ni aux exactions commises par les militaires français. Les internements abusifs, les exécutions sommaires, la torture lors des interrogatoires ne sont pas dénoncés, au nom de « l'efficacité » de telles procédures. Quant au pouvoir politique, il couvre ou se contente de protester symboliquement. Le livre décrit fort bien les responsabilités de certains officiers et ministres dans le développement de ces pratiques illégales et contraires aux droits de l'homme. Outre des apports très précieux concernant notamment des données chiffrées sur les disparitions et les exécutions, il constitue un témoignage éloquent sur le fonctionnement de la justice française en temps de crise.
2001
Les mémoires de l’événement
Au-delà des faits proprement dits, Raphaëlle Branche s’intéresse en effet à l’aura mémorielle qui a fait de cette embuscade un "événement" à part. A l’appui de sa démarche, elle cite un très beau texte d’Arlette Farge : “pour émerger, venir à la surface de l’histoire, l’événement se doit d’être perçu et caractérisé. Puisqu’il bénéficie dans son surgissement de deux visions du passé et du futur à venir, il s’accomplit à l’intérieur de perceptions extrêmement diverses et simultanées qui renvoient aussi au domaine des affects. Ce peut être la surprise de le voir survenir, l’indignation, ce peut être l’effroi qu’il suscite qui le constitue en événement. C’est l’indifférence qui va le dissoudre, ou encore la honte l’oblitérer. Sa temporalité est fabriquée par la manière dont se trouvent touchés les imaginaires [8]”. C’est précisément ce qui se passe à Palestro, où les mémoires passées et à venir s’entrechoquent pour créer l’événement.
http://ldh-toulon.net/Palestro-18-mai-1956.html
2010
L’utilisation massive de la torture
L'existence de la torture pendant la guerre d'Algérie ne peut être niée. Cette pratique de l'armée française sur le territoire algérien est une chose avérée. On s'attachera donc moins à la pratique, mais plus à la manière dont cette violence interdite par la loi, interdite par le droit a été considérée par les hommes politiques français pendant toute la période.
Comment les hommes politiques français étaient informés de la torture et que savaient-ils exactement? Quelles ont été leurs attitudes et peut-on repérer une évolution au cours de la guerre ? Il faut se demander si l'armée, instrument dans les mains des politiques, a été incitée à mettre un terme aux violences illégales développées en son sein ou si elle a, au contraire, été encouragé à les continuer.
Source : https://www.canal-u.tv/video/universite_de_tous_les_savoirs/l_armee_la_torture_et_la_republique.1267
1972
2001
17 octobre 1961
(J.-L. Enaudi, Figaro, 2012)
Il faut se remémorer le cadre de ces événements. À l'époque, les négociations entre le gouvernement français et le gouvernement provisoire algérien ont été rompues. Pendant l'été 1961, les attentats du FLN ont repris. À la fin du mois d'août, dix policiers ont été tués par les groupes armés du FLN.
Parallèlement, au cours du mois de septembre, on trouve un nombre croissant de cadavres dans laSeine et les alentours. Des corps non identifiés mais de type nord-africain. Dans ce contexte, Maurice Papon, préfet de police, déclare aux policiers: «Pour un coup reçu, nous en porterons dix.» Il effectue ensuite une tournée des commissariats, une tournée interprétée par les forces de l'ordre comme un message de soutien inconditionnel. Le 5 octobre, Papon propose au gouvernement l'instauration d'un couvre-feu pour les Français musulmans d'Algérie. Ils ne sont plus autorisés à circuler à partir de 19 heures, en raison des attentats contre les policiers, justifie-t-il.
Que s'est-il passé le 17 octobre 1961?
En réaction au couvre-feu, le FLN appelle à une manifestation qui devait être pacifique. Elle est préparée dans le plus grand secret - les manifestations étaient interdites. La Préfecture de Paris, qui ne parvenait pas à infiltrer le FLN, ne l'a appris que la veille! Les Français musulmans d'Algérie eux-mêmes ne découvrent pour beaucoup l'organisation de cette manifestation que le jour même, en sortant des usines. Plusieurs lieux de rassemblement sont prévus: les Champs-Élysées, l'Étoile, les grands boulevards, le boulevard Saint-Germain. Les forces de l'ordre parviennent à faire reculer plusieurs cortèges, des hommes sont jetés par-dessus les ponts. Les bus de la RATP -avec leurs chauffeurs- sont réquisitionnés, les manifestants arrêtés transportés à la Préfecture de police, au Palais des sports de la porte de Versailles, notamment, où ils seront l'objet de violences extrêmes. Selon mes travaux, 170 personnes sont mortes le 17 octobre et après, 400 au total.
17 octobre 1961 : L’amnésie
Le 17 octobre 1961, à Paris, des « Algériens français » organisent une manifestation de protestation contre le couvre-feu qui leur est imposé. Elle est sévèrement réprimée par les forces de l'ordre. Elle fait quatre morts selon les sources officielles. 400 en réalité !
Au milieu de tout cela, Roger Thiraud, un jeune professeur d'histoire, croise l'un des cortèges sur les Grands Boulevards. Il est exécuté. Sa mort passe pour un des dommages collatéraux de la répression.
Vingt ans plus tard, à Toulouse, l'inspecteur Cadin enquête sur un homicide. Il s'agit de celui du fils du prof d'histoire...
Cadin devra se confronter à quarante années d'histoire non officielle de la France pour parvenir à élucider le mystère de ces deux assassinats.
1984
17 octobre 1961 : l’histoire polémique
Jean-Luc Einaudi en 1998 dans Le Monde: « En octobre 1961, il y eut à Paris un massacre perpétré par des forces de police agissant sous les ordres de Maurice Papon »
J.-L. Einaudi : 170 morts
J.-P. Brunet : 32 morts
1991
1999
La triple raison de l’occultation d’un massacre
(G. Manceron, 2011)
2011
Pourquoi la répression de la manifestation du 17 octobre 1961 a-t-elle été occultée pendant si longtemps ?
Il s'agit d'un événement d'une gravité exceptionnelle, dont le nombre de morts a fait dire à deux historiens britanniques [Jim House et Neil MacMaster] qu'il s'agit de la répression d'Etat la plus violente qu'ait jamais provoquée une manifestation de rue en Europe occidentale dans l'histoire contemporaine. (...) L'historien Pierre Vidal-Naquet a employé le terme d'"énigme". Je me suis interrogé sur les facteurs qui permettent d'expliquer comment ce massacre a été occulté de la mémoire collective.
En savoir plus sur: interview de G. Manceron, Le Monde, 2011 http://www.lemonde.fr/societe/article/2011/10/17/17-octobre-1961-ce-massacre-a-ete-occulte-de-la-memoire-collective_1586418_3224.html#Fowy5wcQJFym5ldC.99