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Linguistique française Licence 3

Introduction

à la linguistique analogique

CM Licence 3 SLIC/Lettres

Université de Bourgogne / 2014

Cours 6, 7, 8

Philippe Monneret

GReLiSC

(Groupe de Recherches Linguistiques en Sciences de la Culture)

EA 4178 CPTC

(Centre Pluridisciplinaire textes et Cultures)

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Introduction à la linguistique analogique

Rappel du plan du cours

Introduction : similarité et analogie

  1. Éléments théoriques
    1. Analogie binaire et analogie proportionnelle
    2. Analogie d’essence et analogie de représentation
    3. Analogie hétérogène et analogie homogène
    4. Fondements cognitifs des processus analogiques
  2. Analogie et catégorisation
    • Le modèle des conditions nécessaires et suffisantes
    • La sémantique du prototype
    • La question de la polysémie
  3. Analogie et iconicité
    • L’iconicité dans les linguistiques contemporaines
    • L’iconicité chez Peirce
    • L’iconicité comme problème analogique
  4. Analogie et régularité structurelle
    • Avatars de l’analogie proportionnelle
    • Les structures analogiques en morphologie et en syntaxe
    • Analogie et diachronie
  5. Analogie et image
    • Analogie et figuralité
    • La métaphore comme cas de l’analogie linguistique
    • La polarité icono-sémiotique

Conclusions : fonctions linguistiques de l’analogie

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3. Analogie et iconicité

3.1. L’iconicité dans les linguistiques contemporaines

Deux définitions :

    • Olga Fischer (Université d’Amsterdam). « Iconicity research project »

    • John Haiman (Macalester College, Saint Paul, Minnesota). Article « Iconicity » de The Encyclopedia of Language and Linguistics (1994)

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O. Fischer (2000)

“Iconicity as a semiotic notion refers to a natural resemblance or analogy between the form of a sign (‘the signifier’, be it a letter or sound, a word, a structure of words, or even the absence of a sign) and the object or concept (‘the signified’) it refers to in the world or rather in our perception of the world.”

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Iconicité = analogie hétérogène

Fondée sur une similarité entre 1) Forme et 2) Objet ou Concept

Forme du signe

similarité

Objet ou concept auquel réfère le signe (dans le monde ou dans notre perception du monde)

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The similarity between sign and object may be due to common features inherent in both: by direct inspection of the iconic sign we may glean true information about its object. In this case we speak of ‘imagic’ iconicity (as in a portrait or in onomatopoeia, e.g. ‘cuckoo’) and the sign is called an ‘iconic image.’”

Premier type d’iconicité : iconicité d’image. Ex. Portait ou onomatopée. Fondée sur des propriétés communes entre la forme du signe et l’objet du signe.

Analogie binaire

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“When we have a plurality of signs, the analogy may be more abstract: we then have to do with diagrammatic iconicity which is based on a relationship between signs that mirrors a similar relation between objects or actions (e.g. a temporal sequence of actions is reflected in the sequence of the three verbs in Caesar’s dictum “veni, vidi, vici”): in this instance, the sign (here the syntactic structure of three verbs) is an ‘iconic diagram.’”

Deuxième type d’iconicité : iconicité diagrammatique. Ex. Veni, vidi, vici. Fondée sur une similarité relationnelle entre signes et objets des signes.

Analogie proportionnelle

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“Obviously, it is primarily diagrammatic iconicity that is of great relevance to language and literary texts. Both imagic and diagrammatic iconicity are not clean-cut categories but form a continuum on which the iconic instances run from almost perfect mirroring (i.e. a semiotic relationship that is virtually independent of any individual language) to a relationship that becomes more and more suggestive and also more and more language-dependent.”

Continuum entre iconicité d’image et iconicité diagrammatique

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J. Haiman (1994 : pp. 1629-1630)

In his typology of signs, Charles S. Peirce drew attention to the existence of different kinds of icons. The most common icon is the image which, like a photograph, attempts to resemble its referent completely. Much more important than the image, however, in all sign systems, is the diagram. Although the component parts of a diagram may not resemble what they stand for, the relationships among those components may approximate the relationships among the ideas they represent. Onomatopoeic words like ‘moo’ – iconic auditory images – are of peripheral importance in languages. Word order patterns like Caesar’s ‘Veni, vidi, vici’, on the other hand, are diagrammatic icons, wherein the order of words corresponds to the order of events.

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Conclusion

Dans les linguistiques contemporaines, l’iconicité est fondée sur le principe d’une similarité entre formes et contenus (monde ou représentations). Il s’agit donc d’une analogie hétérogène.

Deux grands types d’iconicités sont distingués :

    • L’iconicité d’image : analogie binaire
    • L’iconicité diagrammatique : analogie proportionnelle

Remarques :

1) Cette analyse s’oppose au principe saussurien de l’arbitraire du signe (ou plutôt le complète)

2) Les recherches sur l’iconicité sont inspirées des travaux de Peirce

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3. Analogie et iconicité

3.1. L’iconicité dans les linguistiques contemporaines

3.2. L’iconicité chez Peirce

3.3. L’iconicité comme problème analogique

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3.2. L’iconicité chez Peirce

Le rôle de Jakobson

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Roman Jakobson (Moscou, 1896 - Boston, 1982). Membre de l'école des formalistes russes. Professeur de linguistique à New York (1942-46 ; Collaboration avec Claude Lévi-Strauss). Professeur à Harvard et au Massachussetts lnstitute of Technology (1950-1967)

À la recherche de l'essence du langage, 1965

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Peirce (1839 -1914)

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« Sachez que du jour où, âgé de 12 ou 13 ans, je mis la main, dans la chambre de mon frère aîné, sur une copie de la Logique de Whately, et lui demandai ce qu'était la logique, et que, ayant obtenu une réponse simple, je me jetai sur le plancher et m'enfonçai dans sa lecture, je n'ai jamais été capable d'étudier quoi que ce fût mathématiques, éthique, métaphysique, gravitation, thermodynamique, optique, chimie, anatomie comparative, astronomie, psychologie, phonétique, économie, histoire des sciences, whist, hommes et femmes, vin, météorologie, autrement que comme une étude de sémiotique » (Semiotics and Significs. Corr. Lady Welby)

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Les trois catégories fondamentales

The ideas of Firstness, Secondness, and Thirdness are simple enough. Giving to being the broadest possible sense, to include ideas as well as things, and ideas that we fancy we have just as much as ideas we do have, I should define Firstness, Secondness, and Thirdness thus:

  • Firstness (Priméité) is the mode of being of that which is such as it is, positively and without reference to anything else.
  • Secondness (Secondéité) is the mode of being of that which is such as it is, with respect to a second but regardless of any third.
  • Thirdness (Tiercéité) is the mode of being of that which is such as it is, in bringing a second and third into relation to each other. (CP 8.328)

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La triade sémiotique

Un signe, ou representamenest quelque chose qui représente à quelqu'un quelque chose sous quelque rapport (respect) ou à quelque titre (capacity). Il s'adresse à quelqu'un, c'est-à-dire, crée dans l'esprit de cette personne un signe équivalent, ou peut-être plus développé. Ce signe qu'il crée, je l'appelle l'interprétant du premier. Le signe représente quelque chose, son objet. Il représente cet objet, non sous tous les rapports, mais par référence à une sorte d'idée que j'ai appelée quelquefois le fondement (ground) du representamen. (CP 2.228)

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+ « point de vue » (Ground du representamen)

Signe

Objet

Interprétant

ou representamen

Objet Dynamique : l’objet tel qu’il est (comme signe potentiel)

Objet Immédiat : objet tel que le signe le représente. Instance de catégorie

Interprétant immédiat : interprétabilité

Interprétant dynamique : interprétation singulière

Interprétant final : résultat interprétatif ultime

(signification)

(pour un « esprit scientifique »)

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Division des signes en trois catégories ontologiques :

  • Le signe comme priméité : le signe en lui-même (comme representamen)

Le representamen comme priméité : qualisigne

Le representamen comme secondéité : sinsigne

Le representamen comme tiercéité : Légisigne

  • Le signe comme secondéité : la relation du signe à son objet

La relation signe-objet comme priméité : icône

Le relation signe-objet comme secondéité : index

La relation signe-objet comme tiercéité : symbole

  • Le signe comme tiercéité : la relation du signe à son interprétant (pour tel objet)

La relation signe-interprétant comme priméité : rhème

Le relation signe-interprétant comme secondéité : dicisigne

La relation signe-interprétant comme tiercéité : argument

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Tableau d’ensemble des

aspects du signe selon les catégories ontologiques

HIERARCHIE DES CATEGORIES

Priméité

Secondéité

Tiercéité

Signe en lui-même

Relation signe-objet

Relation signe-representamen

Priméité

Possible, qualité

qualisigne

icône

rhème

Secondéité

Fait, existence, dimension spatio-temporelle

sinsigne

Index

dicisigne

Tiercéité

Loi, habitude

Légisigne

symbole

argument

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Tableau d’ensemble des

aspects du signe selon les catégories ontologiques

HIERARCHIE DES CATEGORIES

Priméité

Secondéité

Tiercéité

Signe en lui-même

Relation signe-objet

Relation signe-representamen

Priméité

Possible, qualité

QUALISIGNE

icône

rhème

Secondéité

Fait, existence, dimension spatio-temporelle

Tiercéité

Loi, habitude

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Tableau d’ensemble des

aspects du signe selon les catégories ontologiques

HIERARCHIE DES CATEGORIES

Priméité

Secondéité

Tiercéité

Signe en lui-même

Relation signe-objet

Relation signe-representamen

Priméité

Possible, qualité

icône

rhème

Secondéité

Fait, existence, dimension spatio-temporelle

SINSIGNE

index

dicisigne

Tiercéité

Loi, habitude

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Tableau d’ensemble des

aspects du signe selon les catégories ontologiques

HIERARCHIE DES CATEGORIES

Priméité

Secondéité

Tiercéité

Signe en lui-même

Relation signe-objet

Relation signe-representamen

Priméité

Possible, qualité

icône

rhème

Secondéité

Fait, existence, dimension spatio-temporelle

index

dicisigne

Tiercéité

Loi, habitude

LEGISIGNE

symbole

argument

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Les types de signes

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Donc trois types de signes ayant une dimension d’icône :

Qualisigne iconique rhématique

Sinsigne iconique rhématique

Légisigne iconique rhématique

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Les exemples de Peirce pour les dix classes de signes

Qualisigne iconique rhématique : un « feeling » de rouge

Sinsigne iconique rhématique : un diagramme en tant que fait singulier

Sinsigne indexical rhématique : un cri spontané

Sinsigne indexical dicent : une girouette

Légisigne iconique rhématique : un diagramme, indépendamment de sa singularité factuelle

Légisigne indexical rhématique : un pronom démonstratif

Légisigne indexical dicent : un cri de rue (« street cry »)

Légisigne symbolique rhématique : un nom commun

Légisigne symbolique dicent : une proposition

Légisigne symbolique argumental : un enchaînement de propositions

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AUTRES EXEMPLES

L’adverbe « enfin » est :

  • Un Légisigne en tant que mot de la langue française
  • Un sinsigne lorsqu’il est employé, à l’oral ou à l’écrit (donc en tant qu’occurrence du Légisigne)
  • Un qualisigne en tant qu’il possède des caractéristiques ou « qualités » sonores (intonation) ou visuelles (écriture du mot « enfin »)

Le verbe « meugler » est :

  • Une icône en tant que formation d’origine onomatopéique (« meuh ! »)
  • Un index dans « Cette vache meugle » en tant que cet énoncé renvoie à la situation temporelle (au présent) du locuteur
  • Un symbole en tant que verbe régulier de la langue française (du premier groupe) devant être appris pour être connu

Le mot « ici » dans « Viens ici ! » est :

  • Une icône si l’on admet que « i » renvoie à la proximité (phonosymbolisme)
  • Un index parce qu’il renvoie à la situation spatiale du locuteur
  • Un symbole comme adverbe de la langue française devant être appris pour être connu

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3.3. L’iconicité comme problème analogique

Tension paradoxale dans la définition de l’icône puisqu’elle appartient à la catégorie de la priméité tout en impliquant une secondéité.

Cette tension est un aspect de l’icône comme cas dégénéré, c’est-à-dire comme cas-limite d’une catégorie. Mais si l’on illustre le concept d’icône par des exemples comme ceux du portrait ou de la photographie, il est difficile de percevoir cet aspect paradoxal de la définition de l’icône. Les exemples de ce genre, privilégiés dans la littérature linguistique sur l’iconicité, et cela dès Jakobson, rendent bien compte de la dimension « similarité » de l’icône, mais pas de sa dimension « priméité ». Pour percevoir cet aspect, il convient de s’appuyer sur d’autres exemples, qui apparaissent chez Peirce lorsqu’il tente d’expliquer ce que serait une icône « pure ». Une icône pure se caractérise par la « fusion » du signe et de l’objet

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The third case is where a dual relation between the sign and its object is degenerate and consists in a mere resemblance between them. I call a sign which stands for something merely because it resembles it, an icon. Icons are so completely substituted for their objects as hardly to be distinguished from them. Such are the diagrams of geometry. A diagram, indeed, so far as it has a general signification, is not a pure icon; but in the middle part of our reasonings we forget that abstractness in great measure, and the diagram is for us the very thing. So in contemplating a painting, there is a moment when we lose the consciousness that it is not the thing, the distinction of the real and the copy disappears, and it is for the moment a pure dream, - not any particular existence, and yet not general. At that moment we are contemplating an icon." (Peirce 1992 : 226 [1885])

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Icône et hypoicône

A sign by Firstness is an image of its object and, more strictly speaking, can only be an idea […]. But a sign may be iconic, that is, may represent its object mainly by its similarity, no matter what its mode of being. If a substantive be wanted, an iconic representamen may be termed a hypoicon. Any material image, as a painting, is largely conventional in its mode of representation; but in itself, without legend or label it may be called a hypoicon. (CP 2.276 [1903])

Hypoicons may be roughly divided according to the mode of Firstness of which they partake. Those which partake of simple qualities, or First Firstnesses, are images; those which represent the relations, mainly dyadic, or so regarded, of the parts of one thing by analogous relations in their own parts, are diagrams; those which represent the representative character of a representamen by representing a parallelism in something else, are metaphors. (CP 2.277 [1903])

L’icône des linguistiques de l’iconicité est donc une hypoicône

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L’iconicité comme type d’analogie

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Conclusions

1. La problématique linguistique de l’iconicité s’attache aux analogies binaires ou proportionnelles entre formes et contenus linguistiques

2. Elle est inspirée du concept peircien d’icône, mais ne rend pas compte de la subtilité de ce concept chez Peirce.

3. Dans le vocabulaire peircien, ce que décrivent les linguistiques de l’iconicité, ce sont des hypoicônes, pas des icônes.

4. L’iconicité linguistique peut être décrite par des structures analogiques impliquant minimalement trois éléments : signes, signifiants/ESM, signifiés/concepts

5. La dimension véritablement iconique du langage reste non traitée par les linguistiques de l’iconicité. Elle sera prise en charge par la fonction figurative de l’analogie

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Merci de votre attention !

(philippe.monneret@u-bourgogne.fr)

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