Enseigner la mémoire
de la 2GM
L’historien face
« aux passés qui ne passent pas »
(H. Rousso)
Maurice Halbwachs (1877-1945)
La mémoire collective est une reconstruction du passé (...) elle adopte l’image des faits anciens aux croyances et aux besoins spirituels du présent.
(M. Halbwachs, La Topographie légendaire des Évangiles en Terre sainte. Étude de mémoire collective, 1941, p.7 )
1925
1950
Il existe une constante chez les historiens qui considèrent que les événements traumatisant du XXème siècle ne finissent pas, un passé qui ne passe pas. Nous vivons encore aujourd'hui dans l'écho de cette guerre qui n'a pas fini de poser des questions, des problèmes, de soulever des polémiques. L'historien a donc une tâche un peu différente de celle qui consiste à analyser l'événement, il doit se pencher sur la mémoire de l'événement. Comment la guerre (...) s'est perpétuée dans la conscience collective ? (H. Rousso)
2001
Une histoire de la mémoire de Vichy
1987
Le deuil inachevé
L’épuration : une histoire inachevée
H. Rousso (1992/33, Vingtième Siècle, Revue d’histoire)
2000
Les procès : Nuremberg (1945) et Tokyo (1946)
1995
1999
Premier rang : Göring, Hess, Ribbentrop,Keitel - Second rang : Dönitz, Raeder, Schirach,Sauckel
Le résistantialisme
1944-1970
Le mythe d’une France résistante unanime
"Sauf un nombre infime de malheureux qui ont consciemment préféré le triomphe de l'ennemi à la victoire de la France, la masse immense des Français n'a jamais voulu autre chose que le bien de la patrie."
Par ces mots prononcés à la radio le 31 décembre 1944, le général de Gaulle entretenait la fiction d'une France unanimement résistante
Les groupes porteurs de mémoires
Manuel de terminale L/ES, Vincent Adoumié et Pascal Zachary (dir.), Hachette, 2012
Guy Môquet Lecture écoles
fusillé par les Allemands (22/10/44) (2007)
"Ma petite maman chérie, mon tout petit frère adoré, mon petit papa aimé,
Je vais mourir ! Ce que je vous demande, toi, en particulier ma petite maman, c'est d'être courageuse. Je le suis et je veux l'être autant que ceux qui sont passés avant moi. Certes, j'aurais voulu vivre. Mais ce que je souhaite de tout mon cœur, c'est que ma mort serve à quelque chose. Je n'ai pas eu le temps d'embrasser Jean. J'ai embrassé mes deux frères Roger et Rino. Quant au véritable je ne peux le faire hélas !
J'espère que toutes mes affaires te seront renvoyées elles pourront servir à Serge, qui, je l'escompte, sera fier de les porter un jour. A toi petit papa, si je t'ai fait ainsi qu'à ma petite maman, bien des peines, je te salue une dernière fois. Sache que j'ai fait de mon mieux pour suivre la voie que tu m'as tracée.
Un dernier adieu à tous mes amis, à mon frère que j'aime beaucoup. Qu'il étudie bien pour être plus tard un homme.
17 ans et demi, ma vie a été courte, je n'ai aucun regret, si ce n'est de vous quitter tous. Je vais mourir avec Tintin, Michels. Maman, ce que je te demande, ce que je veux que tu me promettes, c'est d'être courageuse et de surmonter ta peine.
Je ne peux pas en mettre davantage. Je vous quitte tous, toutes, toi maman, Serge, papa, je vous embrasse de tout mon cœur d'enfant. Courage !
Votre Guy qui vous aime"
Mémoire officielle et commémoration
Construction publique de la mémoire de la 2GM
La commémoration officielle
Le dernier dimanche d’avril devient “Journée nationale du Souvenir des victimes et des héros de la déportation”. Des cérémonies officielles évoqueront le souvenir des souffrances et des tortures subies par les déportés et rendront hommage au courage et à l’héroïsme de ceux et celles qui en furent les victimes
Loi du 14 avril 1954 - article 2
Le mythe du bouclier
1954
« L'honneur qu'allègue le maréchal Pétain, c'est l'honneur d'un gouvernement qui a su maintenir les données de son indépendance et protège les populations ; en un mot, c'est l'honneur civique. Celui qu'invoque le générale de Gaulle, c'est l'honneur militaire pour qui s'avouer vaincu est toujours infamant. De ces honneurs, il se peut que l'un soit plus impérieux, plus instinctif, plus spontané. L'autre existe, sur un mode sans doute moins éclatant, mais il est pourtant réel. Le premier correspondait à l'aventure exaltante, mais d'apparence désespérée, dont Charles de Gaulle est l'annonciateur. Le second à l'épreuve lente et douloureuse dont Philippe Pétain ne prévoyait ni la durée ni la fin. Tous deus étaient également nécessaires à la France. Selon le mot que l'on prêtera à Pétain et à de Gaulle : « le Maréchal était le bouclier, le Général l'épée ».
ADMP (Association de défense du maréchal Pétain)
Histoire critique des mémoires
« le miroir brisé » (1970)
Historien de la mémoire
L’historien conduit au moins deux réflexions : D’abord, il examine chacune de ces mémoires. Il en relève les oublis, il en met en évidence le discours et le projet, il en valide ou invalide les éléments par ce qui constitue la démarche critique historique c’est à dire la confrontation des discours aux faits que la recherche peut établir. C’est, par exemple, la contribution de Robert Paxton dans la révélation du rôle actif de Vichy dans la persécution des Juifs. (EDUSCOL, Histoire – Terminale – Séries ES et L, 4/2012)
Le résistancialisme (H. Rousso)
l'« abominable exploitation de la vraie Résistance au profit de certains partis politiques »
Abbé Desgranges
1948
Histoire et mémoire
Face à ce riche et complexe matériau, le travail des historiens doit être bien distingué de celui des acteurs des mémoires, quelles que soient l’intérêt de leur apports, comme Marcel Ophüls, in le Chagrin et la pitié, Claude Lanzmann, in Shoah.
(EDUSCOL, Histoire – Terminale – Séries ES et L, 4/2012)
D’un mythe à l’autre
Germaine Tillon : « De cet ensemble se dégage le profil d'un pays hideux. Ce profil n'est pas ressemblant. » Faisant état de sa propre expérience, elle juge que « la majorité silencieuse ne mérite pas un mépris si souverain. »
8 juin 1971 dans Le Monde une tribune libre
Pierre Laborie : Le succès du Chagrin et la Pitié en 1971 est totalement différent. Le film de Marcel Ophüls porte sur les comportements des Français devant des problèmes qui ont été les leurs pendant l’Occupation. Sans dire clairement qu’ils ont été tous collabos, ce film permet à un certain nombre de gens d’en tirer l’idée que la France était lâche. Alexandre Jardin y revient d’ailleurs dans son livre, il parle des millions de familles françaises dont les placards sont remplis de souvenirs de la collaboration. Le Figaro, qui défend Jardin, reprend aussi cette idée, et cela me semble complètement contraire à la réalité. La collaboration en France n’a jamais été soutenue par l’immense majorité de la population. C’est avéré aujourd’hui. Une convergence d’archives, même du côté allemand, ne laisse pas le moindre doute. À la suite du Chagrin et la Pitié, il n’y a absolument plus eu la moindre interrogation critique : en gros les Français ont été répugnants, indignes, c’est devenu une vérité d’évidence. La force de la «vulgate», dont j’ai essayé de reconstituer la genèse, s’est installée en laissant tomber toute volonté de s’interroger sur la crédibilité éventuelle de cette vérité-là. Depuis 2004, une leçon au programme des classes de terminale, « Mémoire de la Seconde Guerre mondiale », est une légitimation, sans le moindre esprit critique, de cette vulgate. J’ai écrit ce livre parce que je pense qu’il faut refuser cet enfermement dans la pensée conforme.
1969-1971
La collaboration d’Etat
1973
« La France de Vichy a proposé tout d'abord une interprétation globale du régime, de son idéologie et de son action concrète, qui a mis en lumière la profonde cohérence du projet vichyste. Celle-ci s'articule autour de l'idée centrale selon laquelle les élites dirigeantes du régime ont eu une assez claire conscience du lien qui existait entre les choix de "politique extérieure" et de politique intérieure, entre la collaboration d'Etat - un concept mis en avant par Stanley Hoffmann et consacré désormais par l'usage -, qui croyait redonner à la France une part de souveraineté perdue dans la défaite, et la Révolution nationale, une idéologie et une pratique qui visaient à la constitution d'un régime en rupture avec l'héritage républicain. La grande originalité de ce livre est d'expliquer de manière concrète et argumentée en quoi la collaboration d'Etat constituait une condition nécessaire (mais non suffisante) à la réalisation de la Révolution nationale". »
(Henri Rousso, extrait de Vichy. L'événement, la mémoire, l'histoire, Gallimard, 2001)
1976
2012
1975
2012 : mise à jour
Démontant les idées reçues, il démontre que l’opinion publique est rarement une et qu’elle ne peut être ramenée aux simplifications alors en vogue, telles que la formule de 40 millions de pétainistes (Henri Amouroux) pour qualifier les Français de l’an 1940. Ce faisant il définit la formation de l’opinion comme « le résultat de ramifications complexes entre les mentalités profondes, les expériences et les orientations idéologiques des groupes sociaux et il faut des circonstances particulières pour que ces divergences s’effacent au profit d’une expression plus large et plus homogène ». Ainsi la défaite est-elle un véritable traumatisme pour la population et joue-t-elle le rôle de catalyseur des représentations de l’imaginaire social.
1990
La Résistance au cinéma
1969
<-1959
1966->
1996
Globalisation et pluralité de la mémoire
Mémoire et commémoration
de la Shoah
de l’Holocauste
La mémoire de la persécution des juifs
2003
1979
Serge et Beate Klarsfeld
1985
1987
“La banalité du mal”
2014
1963
Procès en Israël
11 avril
1961
La responsabilité de la Shoah
1996
fr : 1997
“C’est une erreur de penser que les bourreaux n’ont agi que sous la contrainte d’un système totalitaire ou des pressions socio- psychologiques. La cause profonde dépasse Hitler ; elle tient dans l’antisémitisme dont la société allemande a été imprégnée depuis la fin du XIXe siècle ? et que Hitler a porté à son point d’incandescence.”
D.J. Goldhagen
Un passé qui ne passe pas
Les procès et commémorations
1987 : Klaus Barbie
1992 : Paul Touvier
1997-98 : Maurice Papon
1993 : journée de commération Rafle du Vel’d’Hiv (16/7) :
décret non voté par le parlement
1995 : discours de J. Chirac
«Faut-il ranger le devoir de mémoire au pupitre ? Non pas, mais que cesse ce rituel infantile consistant à s'indigner tous les six mois parce qu'un scoop révèle que des Français ont collaboré, ou que Vichy fut complice de la "Solution finale" : on le sait, on le dit, on l'enseigne et on le commémore. L'important aujourd'hui n'est plus de dénoncer ou de dévoiler des secrets. Il est de comprendre et plus encore d'accepter. Non pas se résigner, mais accepter que ce passé, et peut-être plus encore la manière dont il a été géré après la guerre par la génération qui l'a subie, est révolu. D'autant que l'insupportable avec "Vichy" ce n'est pas tant la collaboration ou le crime politique organisé que ce qui fut au fondement même de l'idéologie pétainiste et qui eut, un temps, les faveurs du plus grand nombre : la volonté de mettre un peuple tout entier hors de la guerre et le cours de l'Histoire entre parenthèses. [...]
Le devoir de mémoire donne-t-il le droit d'ouvrir un procès perpétuel à la génération de la guerre ? D'autant que, pour la nôtre, l'obsession du passé, de ce passé-là, n'est qu'un substitut aux urgences du présent. Ou, pis encore, un refus de l'avenir.»
1996
Le droit à l’oubli
« Notre pays, depuis un peu plus de trente ans, a été de drame national en drame national. Ce fut la guerre, la défaite et ses humiliations, l'Occupation, et ses horreurs, la Libération par contrecoup, l'épuration et ses excès –reconnaissons le ; et puis la guerre d'Indochine, et puis l'affreux conflit d'Algérie.. Alors, ayant été dénoncé par les gens de Vichy à la police allemande, ayant échappé deux fois à un attentat de l'OAS …je me sens le droit de dire ; allons-nous éternellement entretenir saignantes les plaies de nos désaccords nationaux ? Le moment n'est-il pas venue de jeter le voile, d'oublier ces temps où les Français ne s'aimaient pas, s'entredéchiraient et même s'entretuaient (…) »
Georges Pompidou en septembre 1972 s'exprime sur la grâce de Touvier ( Entretiens et discours , 1968-1974, Paris, Flammarion, 1984)
Responsabilité ou repentance
La reconnaissance de la responsabilité de l’Etat français
1990-...
Faire l’histoire du discours mémoriel
Ensuite, il examine la place même que ces mémoires prennent dans l’opinion publique et dans les discours des acteurs, tous les acteurs : politiques, intellectuels, artistes, leaders de groupes d’intérêt... Il explique pourquoi telle ou telle mémoire est sur le devant de la scène publique, avec tel ou tel discours et à tel moment. Il cherche quel rôle joue tel pouvoir ou tel groupe d’intérêt dans la construction des faits mémoriels, leur valorisation ou leur dépréciation ce sont, par exemple, les contributions de Henry Rousso (le « passé qui ne passe pas »), ou de Pierre Laborie (« le chagrin et le venin »). Pour le professeur, l’enjeu est de se dégager du jeu des pouvoirs, des groupes d’intérêt et des tendances qui, comme l’hypermnésie, agissent sur la construction des mémoires. C’est l’un des sujets sur lequel il pourrait être le plus sensible à l’influence de vulgates construites par un discours médiatique qui est rarement de l’histoire, mais plus souvent un nouvel avatar de mémoire.
Revenir à l’histoire ! C’est en effet à un travail de retour à l’histoire « face au poids écrasant du "mémoriellement correct" » à propos de la France sous l’occupation que nous invite Pierre Laborie dans son dernier livre consacré aux usages idéologiques de la mémoire « bien-pensante » qui survalorise le chagrin, « objet pieux [...], encombrant pour l’histoire distanciée qui se méfie du pathos » et distille le venin « qui endort, qui récuse ou qui dénigre l’exercice critique soupçonné de cacher des réhabilitations douteuses ». Existe-t-il un lieu historique plus surchargé de mémoire et de politique que la France et les Français des années noires dans la construction identitaire d’un pays où, depuis 2002, « les mémoires de la Seconde Guerre mondiale » s’enseignent dans les classes terminales ?
2011