Les sources
SOURCES, ARCHIVES, DOCUMENTS, TRACES...
Le travail de l’historien
Son rapport au archive
L’histoire naît dans les archives
Un mot sur la manière dont ce livre se fit. Il est né du sein des Archives. Je l’écrivis six ans (1845-1850) dans ce dépôt central, où j’étais chef de la section historique. Après le 2 décembre, j’y mis deux ans encore, et je l’achevais aux Archives de Nantes, tout près de la Vendée, dont j’exploitais aussi les précieuses collections. Armé des actes mêmes, des pièces originales et manuscrites, j’ai pu juger les imprimés, et surtout les Mémoires, qui sont des plaidoyers, parfois d’ingénieux pastiches. […] Il est bon de la respirer, d’aller, venir, à travers ces papiers, ces dossiers, ces registres. Ils ne sont pas muets, et tout cela n’est pas si mort qu’il semble. Je n’y touchais jamais sans que certaine chose en sortit, s’éveillât… C’est l’âme.
Jules Michelet (1798-1874)), Histoire de la Révolution française, préface de 1868.
Jules Michelet (1798-1874)
Professeur au collège de France
L’historien(ne) et ses archives
Ainsi naît le sentiment naïf, mais profond de déchirer un voile, de traverser l’opacité du savoir et d’accéder, comme après un long voyage incertain, à l’essentiel des êtres et des choses. L’archive agit comme une mise à nu; ployés en quelques lignes, apparaissent non seulement l’inaccessible mais le vivant. Des morceaux de vérité à présent échoués s’étalent sous les yeux : aveuglants de netteté et de crédibilité. Il n’y a pas de doute, la découverte de l’archive est une manne offerte justifiant pleinement son nom : source.
Point-Seuil, 1989
La naissance de l’historien
à force d’examiner ces feuillets noircis d’une poussière multi-centenaire, à force de ficher un vocabulaire désarticulé, à force d’être un érudit-bricoleur dans les régions silencieuses d’Archives municipales ou départementales, à force d’habiter dans les salles de consultation de Bibliothèques, grottes où l’on « conserve » et véhicule les cadavres d’antan, à force de lire, mais sans jamais pouvoir les entendre, des paroles qui se réfèrent à des expériences, des doctrines ou des situations étrangères, je voyais s’éloigner progressivement le monde dont j’inventoriais les restes. Il m’échappait ou plutôt je commençais à m’apercevoir qu’il m’échappait. C’est de ce moment, toujours réparti dans le temps, que date la naissance de l’historien. C’est cette absence qui constitue le discours historique. La mort de l’autre le met hors de portée, et, ce titre même, définit le statut de l’historiographie, c’est-à-dire du texte historique.
Michel de Certeau, « Histoire et Structure : débat entre Michel de Certeau, Pierre Nora et Raoul Girardet » in Censure et liberté d’expression, Recherches et Débats, Desclée de Brouwer, 1970.
Le travail méthodique de l’historien
La trace | La méthode |
Le document (texte) L’archive (le lieu de conservation) La source (diversification) L’indice - la trace | La critique Les sciences auxilaires (paléographie, numismatique, etc.) |
La preuve (?) - raisonnement | |
La méthode critique
Les historiens à la fin du 19ème siècle
Pas d’histoire sans source
Les faits passés ne nous sont connus que par les traces qui en ont été conservées. Ces traces, que l’on appelle documents, l’historien les observe (...) ; il procède désormais par voie de raisonnement pour essayer de conclure, aussi correctement que possible, des traces aux faits.
Seignobos 1854-1942
Le document, c’est le point de départ ; le fait passé, c’est le point d’arrivée. Entre ce point de départ et ce point d’arrivée, il faut traverser une série complexe de raisonnements, enchaînés les uns aux autres, où les chances d’erreur sont innombrables ; la moindre erreur, qu’elle soit commise au début, au milieu ou à la fin du travail, peut vicier toutes les conclusions. La méthode « historique », ou indirecte (...) est la seule pour atteindre les faits passés, et l’on verra plus loin comment elle peut, malgré ces conditions défectueuses, conduire à une connaissance scientifique.
Traces matérielles et psychologiques
On peut distinguer deux espèces de documents. Parfois le fait passé a laissé une trace matérielle (un monument, un objet fabriqué). Parfois, et le plus souvent, la trace du fait est d’ordre psychologique : c’est une description ou une relation écrites. —Le premier cas est beaucoup plus simple que le second. Il existe, en effet, un rapport fixe entre certaines empreintes matérielles et leurs causes, et ce rapport, déterminé par des lois physiques, est bien connu. La trace psychologique, au contraire, est purement symbolique : elle n’est pas le fait lui-même ; elle n’est pas même empreinte immédiate du fait sur l’esprit du témoin ; elle est seulement un signe conventionnel de l’impression produite par le fait sur l’esprit du témoin. Les documents écrits n’ont donc pas de valeur en eux-mêmes, comme les documents matériels ; ils n’en ont que comme signes d’opérations psychologiques, compliquées et difficiles à débrouiller. L’immense majorité des documents qui fournissent à l’historien le point de départ de ses raisonnements ne sont, en somme, que des traces d’opérations psychologiques.
Extrait de Ch.-V. Langlois & Ch. Seignobos, Introduction aux études historiques, 1898 -réédition. Kimé, 1992
La critique historique des sources
D’abord, on observe le document. Est-il tel qu’il était lorsqu’il a été produit ? N’a-t-il pas été détérioré depuis ? On recherche comment il a été fabriqué afin de le restituer au besoin dans sa teneur originelle et d’en déterminer la provenance. Ce premier groupe de recherches préalables, qui porte sur l’écriture, la langue, les formes, les sources, etc., constitue le domaine particulier de la CRITIQUE EXTERNE ou critique d’érudition. —Ensuite intervient la CRITIQUE INTERNE : elle travaille au moyen de raisonnements par analogie dont les majeures sont empruntées à la psychologie générale, à se représenter les états psychologiques que l’auteur du document a traversés. Sachant ce que l’auteur du document a dit, on se demande : 1° qu’est-ce qu’il a voulu dire ? ; 2° s’il a cru ce qu’il a dit ; 3° s’il a été fondé à croire ce qu’il a cru. À ce dernier terme le document se trouve ramené à un point où il ressemble à l’une des opérations scientifiques par lesquelles se constitue toute science objective. Il devient une observation ; il ne reste plus qu’à le traiter suivant la méthode des sciences objectives.
Extrait de Ch.-V. Langlois & Ch. Seignobos, Introduction aux études historiques, 1898 -réédition. Kimé, 1992.
La problématique
Les historiens des Annales
Questionner les sources
Les données (data) d’un côté, et les principes d’interprétation de l’autre, sont les deux éléments de toute pensée historique. Mais ils n’existent pas séparément pour se combiner ensuite. Ils existent ensemble ou pas du tout. L’historien ne peut pas récolter les données dans un premier temps et les interpréter dans un second. C’est seulement quand il a un problème en tête qu’il peut se mettre à la recherche de données qui s’y rapportent. N’importe quoi n’importe où peut lui servir de données s’il est capable de trouver comment l’interpréter. Les données de l’historien sont la totalité du présent.
Robin G. Collingwood, The Philosophy of History, 1930, p. 14.
L’infinité diversité de sources
Du document à la source
L’histoire se fait avec des documents écrits, sans doute. Quand il y en a. Mais elle peut se faire, elle doit se faire, sans documents écrits s’il n’en existe point. Avec tout ce que l’ingéniosité de l’historien peut lui permettre d’utiliser pour fabriquer son miel, à défaut des fleurs usuelles. Donc, avec des mots. Des signes. Des paysages et des tuiles. Des formes de champ et de mauvaises herbes. Des éclipses de lune et des colliers d’attelage. Des expertises de pierres par des géologues et des analyses d’épées en métal par des chimistes. D’un mot, avec tout ce qui, étant à l’homme, dépend de l’homme, sert à l’homme, exprime l’homme, signifie la présence, l’activité, les goûts et les façons d’être de l’homme. Toute une part, et la plus passionnante sans doute de notre travail d’historien, ne consiste‑t‑elle pas dans un effort constant pour faire parler les choses muettes, leur faire dire ce qu’elles ne disent pas d’elles‑mêmes sur les hommes, sur les sociétés qui les ont produites —et constituer finalement entre elles ce vaste réseau de solidarités et d’entraide qui supplée à l’absence du document écrit ?
Lucien Febvre, « Vers une autre histoire », Revue de Métaphysique et de Morale, 1949. Repris dans L. Febvre, Combats pour l’histoire, 1953 (Réédit. Agora/Pocket, 1992).
Les sources à l’ère du numérique
Mise en ligne
Dématérialisation
Démocratisation de l’accès
Massification et diversification
La révolution numérique
Dématérialisation et circulation des archives numériques
La réflexivité des historiens à l’ère numérique ne peut se contenter d’être seulement attentive aux processus de domination symbolique et institutionnelle présents dans la production de la connaissance. Elle doit également s’intéresser à la manière dont la connaissance historique s’est construite en rapport avec ses instruments et ses outils.[…] L’explosion des archives et documents « à caractère de sources » accessibles en ligne amène à travailler sur des corpus considérables, dans des fonds nombreux et lointains, mais produit une rupture significative, qui consiste dans la déconnexion entre l’information et son support : le texte d’une archive n’est plus intrinsèquement lié au document matériel qui en assure la pérennité, mais peut voyager sur des supports variés, dont tout l’enjeu, pour les archivistes, est de garantir l’interopérabilité. De même, les historiens travaillent de plus en plus à partir de photographies, soit qu’ils ont prises eux-mêmes, soit qu’ils collectent sur Internet. Si l’archive matérielle est toujours assignée à résidence, les données qu’elle contient circulent sans nécessité d’être recopiées manuellement. Le travail de critique interne des sources peut dès lors s’avérer plus délicat, surtout si les règles de base de la méthode historique sont négligées. Le numérique n’est pas l’objet d’une nouvelle science auxiliaire de l’histoire. Il s’inscrit dans une mutation globale de l’information qui ne se limite ni à l’histoire, ni aux autres sciences sociales.
Nicolas Delalande et Julien Vincent « Portrait de l'historien-ne en cyborg », Revue d’histoire moderne et contemporaine 5/2011 (n° 58-4bis), p. 5-29.
La source objet d’histoire
La réflexivité accrue de la profession historienne depuis une trentaine d’années conduit aussi à repenser le document. Les sources sont alors de plus en plus interrogées pour elles-mêmes. La constitution des corpus documentaires et historiques devient l’objet de recherches et d’interrogation (voir les travaux de Yann Potin sur le Trésor des Chartes des rois de France). Les études mettent à jour les logiques classificatoires, les rapports de pouvoirs qui s’inscrivent dans la conservation documentaire, ce que disent les mises en série sur une époque etc. On évoque ainsi une « nouvelle érudition » soucieuse de faire une véritable histoire de la constitution du savoir historien, tant dans sa dimension diplomatique qu’archivistique. Jacques Le Goff et Pierre Toubert avaient mis en avant la notion de « document-monument », constitué par les sociétés, volens nolens, pour imposer une image d’elle-même pour les temps à venir (« Une histoire totale du Moyen Âge est-elle possible ? », 1977). L’enjeu de la production du document devient alors central dans l’analyse. La source est un objet produit, un point d’arrivée dont il convient de restituer le cheminement, non seulement pour mieux l’étudier au final mais aussi en lui-même en tant que témoin de pratiques.
Extraits de Nicolas Offenstadt, article « Archives, documents, sources » in Christian Delacroix, François Dosse, Patrick Garcia et Nicolas Offenstadt (dir.), Historiographies. Concepts et débats, Paris, Gallimard, Folio/Histoire, 2010.
Archive orale - Source orale
C’est dans la distinction fondamentale entre archive orale et source orale que réside le cœur des discussions. L’archive orale sera considérée comme un document sonore, enregistré par un enquêteur, archiviste, historien, ethnologue ou sociologue, sans doute en fonction d’un sujet précis, mais dont le dépôt dans une institution destinée à garder les vestiges des temps écoulés pour les historiens du futur, a été d’emblée sa destinée naturelle. La source orale est le matériau recueilli par un historien pour les besoins de sa recherche, en fonction de ses hypothèses et du type de renseignements qu’il lui semble nécessaire de posséder. Car, s’il s’agit pour un historien de travailler sur des documents enregistrés par d’autres, dans des contextes éloignés ou totalement différents de ses préoccupations, on se trouve dans un cas de figure identique à tout type d’archive sans qu’il y ait matière à débat. Ce ne devrait être là en effet que de simples archives sonores. Nous ne sommes pas encore arrivés au moment où les historiens utiliseront couramment des paroles enregistrées par d’autres, mais la pratique devrait s’en répandre, entraînant des nouveaux questionnements, qu’il est prématuré d’imaginer.
Danièle Voldman, « Définitions et usages » in Danièle Voldman (dir.) « La bouche de vérité ? La recherche historique et les sources orales », Les cahiers de l’IHTP, n°21, novembre 1992
La vérité par la preuve ?
Démarches et méthodes historiques
La preuve par la vérification
Prost (1996), Douze leçons... p.57
La note infra-
paginale
Le « droit de veto » des sources
Strictement parlant, une source ne peut jamais nous dire ce que nous avons à dire. Mais elle nous empêche, par contre, d’avancer des propositions que nous n’avons pas le droit de faire. Les sources ont un droit de veto. Elles nous interdisent de risquer ou d’admettre des interprétations que d’autres sources révèlent comme totalement fausses ou inacceptables. Des dates erronées, des séries de chiffres fausses, des motivations inventées, de fausses analyses psychologiques : la critique des sources permet de détecter cela et bien plus encore. Les sources nous protègent donc des erreurs mais ne nous dictent jamais ce que nous devons dire. Ce qui fait qu’une histoire devient l’Histoire ne se laisse pas simplement déduire des sources : nous avons besoin d’une théorie d’une histoire possible pour faire parler les sources.
Reinhart Koselleck, Le futur passé. Contribution à la sémantique des temps historiques, Éditions de l’EHESS, 1990 (1979).
Les preuves de l’historien
1 / La méthode historique et la preuve
Preuve établie par la critique historique des sources
2 / Des preuves partielles ?
Sources partielles pour des preuves partielles
Le principe de non contradiction - le consensus de la communauté
La preuve relative , “jusqu’à preuve du contraire” (Prost)
Le droit de veto des sources (Kosseleck)
3/ Preuve juridique vs preuve historienne
Le paradigme indiciaire
« Des traces même infinitésimales permettent de saisir une réalité plus profonde, impossible à atteindre autrement.
Des traces : plus précisément, des symptômes (dans le cas de Freud), des indices (dans le cas de Sherlock Holmes), des signes picturaux (dans le cas de Morelli). »
1989
Des bribes de vie éparses, jetées çà et là sur des feuilles: des morceaux de la vie de Joseph Daniel Bertrand, banquier à Lille dans l'entre-deux-guerres, autour d'un procès qui le voit condamné pour faux et fausse dénonciation d'un ex-gendre notaire. Celui-ci, divorcé de la fille de Joseph Daniel Bertrand, est accusé par une lettre "anonyme" d'être un margoulin en affaires. Cette lettre serait-elle de la plume du banquier Bertrand? Des graphologues, experts en écriture, archivistes paléographes pensent découvrir le pot-aux-roses. Le dossier tourne autour de cette histoire, il émane de Joseph Daniel Bertrand.
Cinq historiens en quête de personnage ouvrent le « Dossier Bertrand » et s'attachent, chacun à sa manière, à en élucider l'énigme. Leurs récits se nouent, se croisent et se répondent pour composer un cadavre exquis ; une histoire faite de multiples histoires, rendant sensible la pluralité des approches et des genres de l'écriture de l'histoire.
2008
Loi sur les archives (juillet 2008)
La polémique (voir)
Témoins et témoignages
L’histoire est-elle une science ?
Objectivité ? impartialité ?
(voir)