En 2020, suite à la cérémonie des
Césars, Virginie Despentes a publié une tribune dans ce même journal :
“Désormais on se lève et on se barre”.
Aujourd’hui en 2024, à l'Hôpital,
nous affirmons “ Désormais on se relève et on reste, adieu
l’impunité”
Plus jamais il ne devra
être dit qu’on parle mais que vous n’entendez pas.
Nous tous⸱tes, médecins, infirmier⸱es, aides soignant⸱es, personnels administratifs travaillons et avons été formé⸱es à l’Hôpital et nous y
sommes attachés.
Pourquoi ?
Pour prendre soin de l’autre.
Travail visible ou invisible, qu'avons-nous en commun ? D’avoir découvert dès
notre premier pas dans ce tout petit monde que pour pouvoir nous former, pour
pouvoir exercer notre métier, nous allions devoir subir les violences sexistes
et sexuelles quasi institutionnelles.
De quoi parle-t-on ?
D’un système. Là aussi, comme au
cinéma, on rigole, ce n'est pas grivois c’est l’esprit carabin ! Il y aura donc
toujours une excuse aux comportements subis ! L’esprit carabin, cette
particularité soit disant folklorique des études médicales françaises
permettrait donc d’entendre quotidiennement des phrases comme : “Vas y
tiens l’écarteur comme t’écartes les cuisses!”, « Faut pas faire l’effarouchée!»,
« Ben quoi t’es belle et j’ai envie, tu devrais être flattée », “Ok, je te
prends comme cheffe de clinique si tu t’engages à ne pas tomber enceinte!”
Et plus récemment “maintenant
avec #metoo, on peut plus rien faire… ».
Pourtant si, vous faites.
Subir, être témoin et se
taire.
Cautionner et sourire.
Surtout ne pas passer pour des
victimes dans ce monde ou pour être respecté il faut être fort et dur.
Voilà les préceptes que nous
suivons tous⸱tes. Et c’est ainsi que les violences banalisées perdurent, s’aggravent et conduisent non seulement à des
agissements sexistes, à du harcèlement sexuel ou moral, mais aussi à
l’agression sexuelle : L’association “Donner des elles à la santé” a publié son
baromètre pour preuve : En 2023, sur 521 médecins interrogées, 20% d’entre
elles ont subi des pressions répétées pour obtenir des faveurs sexuelles et 17%
d’entre elles ont même subi des situations d’agressions sexuelles.
Et il est très probable que ces
chiffres soient sous-estimés devant la faible libération de la parole encore
aujourd’hui.
Pourquoi ces femmes ne parlent
pas ?
Mais parler à qui ? C’est parole
contre parole, et elles ne font pas le poids. Le peu de femmes qui parlent se
font dissuader : « mais quand même c’est un bon médecin...», “Oh tu sais ça
fait 20 ans qu’il est comme ça on va pas le changer”. A cela s’ajoute la peur.
Peur de l’exclusion, de la mise au ban de ce petit monde hospitalier où tout le
monde se connaît et se serre les coudes. Peur aussi de se voir empêcher dans sa
progression de carrière. Une des clefs du silence réside donc aussi sur la
confraternité imposée.
L’ampleur de la tâche est
immense. Certaines femmes pourront dire : «Moi, il ne m’est rien arrivé… »,
mais elles oublient ! Elles oublient qu’elles ont réglé leur conduite sur
l’évitement : ne pas aller dans tel service où le chef drague et tripote, faire
attention à ce médecin qui rentre sans frapper dans le vestiaire…
Comment fonctionne ce système, en
place depuis des décennies ?
Les hôpitaux sont structurés avec
un système hiérarchique patriarcal verrouillé. Plus de la moitié des employé⸱e⸱s sont des femmes. Pourtant elles sont totalement sous-représentées dans les postes décisionnels clés. Une femme médecin oui, une femme
cheffe de service, beaucoup plus rare. Il est fréquent que l’évolution de carrière d’une jeune médecin dépende du bon vouloir d’une seule
personne, LE chef de service. Archaïque, vous trouvez ? C’est un “boys club”
puissant et efficace.
Comment faire pour impulser des
changements ?
Il faut d’abord un état des lieux
et la reconnaissance de l’ampleur du problème. Il faut identifier les verrous
de parole, les faire sauter et sanctionner les personnes qui se considèrent
comme intouchables.
Les institutions ont un devoir de
protection et doivent réformer les systèmes qui permettent ces abus de pouvoir.
Elles doivent favoriser la prise de parole, la consignation des plaintes,
avertir, voire sanctionner, les personnes ciblées par des plaintes et non les
exfiltrer puis les déplacer dans une autre structure ou elles risquent de sévir
à nouveau. Pour protéger les étudiant·es en santé d’aujourd’hui et de demain,
il nous faut mettre les agresseurs face à leurs actes d’une part, et soutenir
les victimes qui doivent être épaulées et entendues d’autre part.
Pour cela, nous avons besoin et
demandons aux Universités de s’engager à une protection pédagogique
obligatoire pour les étudiant⸱es portant plainte ou témoignant afin de ne
pas être pénalisé⸱es dans leur cursus de formation. Sans cela, les victimes et les témoins ne
parleront pas!
Ce système ne pénalise pas que
les femmes mais n’importe quelle personne qui est sous la coupe de certains
supérieurs hierarchiques : ces supérieurs qui peuvent faire la pluie et le beau
temps en risquant peu par leur position perçue comme intouchable (notoriété
médiatique, académique, ou autres). Un mode de management horizontal et
participatif aiderait certainement à régler une partie du problème.
Il est donc grand temps
d’apprendre ! Apprendre à savoir être !
Les étudiant⸱es en médecine, par exemple, ont des études qui durent plus de 10 ans. Pendant cette dizaine
d’années, combien d’heures sont consacrées à la compréhension du système ? De l’institution ? Du comportement à adopter avec autrui
? Avec les femmes mais aussi les plus discriminé⸱e⸱s du fait de leur genre, leur origine, leur classe ou bien leur handicap ?
Trop peu en début de cursus et quasiment aucune lorsqu’ils et elles deviennent internes et vous soignent en première ligne au quotidien
!
La misogynie de notre société ne
s'arrête pas à la porte des hôpitaux. Soignant⸱es, administratif⸱ves, patient⸱es, relevons nous pour pouvoir dire ensemble : “Adieu impunité !”