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COLLEGE AU CINEMA

PLAN ECOLE ET CINEMA 2012 / 2013

TOMBOY Un film de Céline Sciamma I 2011 I 1h25 I France

Arrivée dans un nouveau quartier où personne ne la connait,

Laure, 10 ans, « garçon manqué » (un tomboy en anglais) fait

croire à Lisa et sa bande qu'elle est un garçon. L'été devient

alors un grand terrain de jeu et Michaël un garçon comme les

autres mais suffisamment différent pour attirer l'attention de

Lisa qui en tombe amoureuse.

UN FILM EN LIBERTE

▪ Sous le signe de l’urgence :

3 semaines d’écritures, 3 semaines de casting, 20 jours de tournage.

Après Naissance des pieuvres (2007), portée par l’envie de se libérer de certaines contraintes

matérielles, temporelles et économiques, Céline Sciamma entreprend l’écriture et la réalisation

de son second long-métrage.

Dès sa genèse, Tomboy est pensé pour être tourné rapidement. Ecrit en trois semaines, le récit

tire le maximum de l’évidence de son découpage, de ses espaces naturels et de sa dramaturgie

élémentaire. Il en résulte une énergie folle qui entre en résonance avec le cœur du film :

l’enfance et son sentiment d’urgence.

Cette même urgence guide le casting, puisque l’androgynie du corps de l’actrice Zoé Héran

(Michaël/Laure), indispensable à la crédibilité du récit, est captée à la veille des grandes

métamorphoses. Pour constituer la bande d’enfants que son personnage va intégrer, Céline

Sciamma demande à Zoé de lui présenter ses amis. Ainsi Noah, Cheyenne, Ryan, qui portent

leur véritable nom dans le film, seront recrutés pour l’aventure.

Sur le plateau, un certain minimalisme est de mise : le dispositif est léger (le film est en partie

tourné avec un appareil photo Canon 7D), l’équipe de tournage réduite, le budget serré et des

décors préexistants (un appartement, une forêt, un lac, un terrain de foot). Tomboy est donc un

film à l’image de sa fabrication, vif, léger, lumineux et indépendant. L’urgence de sa construction

se transforme ici en dispositif de mise en scène par lequel la réalisatrice capte l’énergie et

l’éphémère de l’enfance.

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▪ Une mise en scène organisée autour du corps éphémère de l’enfance

Solaire, lumineux, enthousiaste, Tomboy est un film du dehors qui a le goût et la saveur des

grandes vacances. Tout comme L’Argent de poche de François Truffaut, il se compose de

saynètes, qui, cousues les unes aux autres, évacuent tout discours nostalgique ou

psychologique au profit de la pulsation de l’enfance, de son énergie.

Filmé à hauteur d’enfant, Tomboy épouse la temporalité de l’enfance, son onirisme, ses

revendications. Le film est ainsi rythmé par de nombreuses séquences ludiques : les jeux

extérieurs avec la bande (le jeu du béret, les parties de foot, les batailles d’eau, la baignade

dans le lac) ; les jeux d’intérieurs entre les deux sœurs (Jeanne et Laure) dont les mains sont

constamment occupées à faire de la pâte à modeler, à découper, à dessiner...

Malgré leur rôle clé dans la résolution de l’intrigue (la mère de Laure la contraint, en portant une

robe, à révéler son mensonge), les adultes restent bien souvent hors champ. Seul le corps

familial de Laure existe à l’écran. Ses parents incarnent un couple moderne, amoureux,

attentionné qui laisse à Laure une grande autonomie. Evacuant toute responsabilité parentale,

sociale, culturelle dans le trouble identitaire de son héroïne, Céline Sciamma place délibérément

son récit au sein d’une famille aimante. Laure se sent bien chez elle. Elle aime sa sœur, son

père et sa mère avec lesquels elle entretient des relations distinctes. Son mensonge est une

expérience, un désir, en aucun cas une fuite.

À la suite d’un quiproquo, Laure devient Michaël. Son corps androgyne est en partie la cause de

ce malentendu, entretenu par la suite. Mais si le corps de Laure est l’instrument du mensonge, il

en est surtout sa limite. « Quand on filme l’enfance, on filme quelque chose qui est sur le point

de disparaitre »1

. A la veille de l’adolescence, le corps est sur le point de trahir le secret. Ainsi,

tout au long du film, le corps de Laure ne manque pas de rappeler à Michaël certaines réalités

physiologiques : le match de foot doit violement être interrompu par l’envie soudaine d’uriner (et

donc de se cacher), une simple baignade nécessite des trésors d’inventivité.

Laure est acculée et sait que sa métamorphose, tout comme l’inévitable rentrée scolaire,

marqueront bientôt la fin de cette parenthèse enchantée.

UN PERSONNAGE DOS AU MUR

▪ Un récit à suspens

A l’issue de sa formation au sein de la FEMIS, Céline Sciamma applique son savoir faire de

scénariste à un récit qui développe une dramaturgie à la fois simple et implacable : une situation

initiale qui présente les personnages, l’avènement d’un élément perturbateur qui introduit le

conflit intérieur, la montée en tension autour de la révélation et enfin la résolution finale du

conflit.

La duplicité et le mensonge alimentent le suspens du film. Avant même Jeanne, la petite sœur,

le spectateur est tenu au secret. Il sait la révélation de l’imposture inévitable. La question n’est

donc pas de savoir si celle-ci sera découverte, car elle le sera pour sûr, mais plutôt quand,

comment et par qui.

1

Interview de Céline Sciamma, dossier de presse du film

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Véritable moteur narratif, le mensonge est d’abord source d’épanouissement pour Laure avant

de devenir cause d’angoisse et de conflit. La séquence de foot est à ce titre exemplaire : on y

voit Laure/Michaël intégrer la bande de garçons pour une partie. Elle quitte le mur auquel elle

était jusqu’alors adossée, et rejoint son genre. Le moment de grâce se poursuit jusqu’à ce que

son corps la rappelle à la réalité.

En filmant à hauteur d’enfant et en privilégiant le point de vue de Laure sur le monde, le film

favorise une identification forte avec son héroïne qui nourrit l’angoisse du spectateur, par

ailleurs lui aussi manipulé.

Dans la séquence inaugurale, Laure, qui n’est pas encore nommée, tient le volant de la voiture

familiale tandis que son père manœuvre boîte de vitesse et pédales. D’elle, le spectateur ne sait

rien d’autre que ce que son apparence permet de déduire. Céline Sciamma joue intelligemment

du trouble de cette apparence pour confronter le spectateur à ses propres clichés sur le

masculin/féminin : cheveux courts en bataille, corps flottant dans un tee-shirt trop grand, voici

donc, se dit-on, un petit garçon que son père initie à la conduite. Tout comme Lisa, le spectateur

est dupé pendant 15 minutes, jusqu’à la séquence du bain où le corps et le nom du personnage

révélent son sexe et son mensonge. Par ce jeu de révélation, Tomboy pose d’entrée la question

du regard : avant celui de Lisa, c’est notre regard de spectateur qui détermine le sexe du

personnage.

▪ Jeanne et Laure

Laure est un personnage à la lisière de deux genres et deux temps (l’enfance/l’adolescence).

Par contraste, comme pour révéler la part masculine de sa grande sœur, il y a Jeanne, pièce

indispensable du trio Jeanne/Michaël/Lisa. La sœur cadette porte la part de comédie du film tout

en incarnant une petite fille iconique : cheveux longs et bouclés, habillée en ballerine, poupine

et toute en rondeur, ce petit chat minaudant, qui veut devenir coiffeuse, est l’exact opposé de

Laure. Cette différence n’empêche pas une grande tendresse entre les deux sœurs. Leurs

moments d’intimité donnent d’ailleurs au film ses séquences les plus douces.

Mise au secret, Jeanne devient un adjuvant de taille. Elle coupe les cheveux de Laure, ment à

Lisa, dissimule le mensonge aux parents et se vante, à qui veut bien l’entendre, des exploits de

Michaël son grand frère. Tout ceci n’est qu’un jeu et Jeanne, interprétée par la remarquable

Malonn Lévana, l’incarne à la perfection.

À LA MARGE

▪ Etre à la lisière

La mise en scène de Tom Boy crée des espaces de flottement dans les corps, les décors et les

couleurs, comme pour mieux épouser le trouble identitaire de son personnage.

Le film s’organise autour de deux décors significatifs dans la banlieue parisienne : le nouvel

appartement de la famille et son environnement extérieur, terrain de jeu, de séduction et de

liberté des enfants. Ce décor n’est pas anodin. Tout comme son héroïne, cette ville nouvelle est

à la lisière, entre le bitume et les bois. De plus, ce choix permet d’exploiter le potentiel onirique

et initiatique de la forêt, berceau de toutes les expériences (intronisation dans le groupe,