UN CAILLOU
DANS LA CHAUSSURE DE MA PSY
Ça va vous ? On s’est beaucoup parlé ces derniers mois… on commence à bien se connaître. Pourtant, je ne sais pas si je vous ai déjà parlé d’amour. Non parce que, j’y pense tout le temps… ça m’fait chier d’ailleurs… j’aimerais que ce soit dispensable.
J’ai parlé d’amour à ma psy. Ah oui ça y’est moi aussi j’ai ma psy maintenant. Ça fait pas si longtemps que ça qu’on se fréquente mais ça me fait vraiment beaucoup plus de bien que d’être allée chez le coiffeur là… Vous vous souvenez ? Quelle connerie ! Mais bref, elle m’a dit un truc qui m’a un peu flabergasté le cerveau. Je crois que c’est pour ça que je l’aime bien, elle dit des trucs pas attendus du genre régler tes contentieux avec tes parents ou écrire une lettre à ton violeur. C’était même assez drôle l’autre fois parce que c’est moi qui lui posais des questions sur comment ça marche en fait les relations amoureuses, le couple tout ça.
Je ne sais plus exactement ce que j’ai demandé quand elle m’a répondu « il ne faut pas tout dire à votre partenaire. » Ah bon ? Justement je pensais que c’était précisément la personne à qui tout dire…
« Non, il ne faut pas, parce qu’après, les gens deviennent vite malhonnêtes. Vous leur offrez une solution facile pour ne pas se remettre en question. Si quelque chose se passe mal entre vous, ils auront un boulevard pour se dédouaner de leur part et tout remettre sur le dos de vos traumas ». Bah merde… là c’était 120 balles bien investis !
J’ai bien envie de lui donner raison mais en même temps, être cruellement honnête sur qui je suis ou plutôt d’où je viens, par où je suis passée, ça permet de distinguer le bon grain de l’ivraie. Je les vois bien là, ceux qui font ça, qui vont essayer de me faire croire que je suis dysfonctionnelle pendant qu’eux se vautrent dans leurs certitudes en carton. Heureusement, je suis assez sûre d’être à mon bon endroit pour ne pas me laisser trop déstabiliser par ça et mettre de la distance entre moi et ces cons.
Je sais… j’ai belle allure d’affirmer ça comme ça devant vous maintenant. Et puisqu’à vous je dis tout,
sachez que plus d’une fois je me suis perdue dans ces batailles et l’espace-temps qui les entoure. Ça fait très longtemps que j’y pense beaucoup trop à l’amour. J’aime pas ça l’amour ça me rend débile. J’ai retrouvé des notes dans un carnet, ça date de 2014-2015. Vous allez voir, c’est vraiment con. Ça s’intitule : Éponger la vie à mesure qu’elle s’écoule. Devenir poreuse et voir ses contours devenir flous. (déjà le délire)
Dans la liste interminable des questions que je me pose parfois, il y a la suivante : quel objet te représente le mieux ? Un objet qui n’a pas une histoire particulière rattachée à la tienne. Pas ce bic bien précis avec lequel tu as signé ton premier contrat ou cette bouteille qui a participé à la gueule de bois qui marque ton passage à la trentaine. Mais juste un bic, juste une bouteille. Moi je serais une éponge, c’est certain. J’ai pu le vérifier à de nombreuses reprises que je ne vais pas énumérer ici. Je suis très réceptive, ou très sensible, ou très les deux. J’absorbe tout. Les expériences, les mots, les expressions, les accents même. Les tensions, les sentiments… et tout ça me constitue. Quand je ne prends pas garde, il m’arrive même de me perdre dans quelque chose qui, je pense, n’est pas moi. Et là, franchement, depuis un bon moment, je n’arrive pas à répondre à la question « C’est quoi moi ? »
C’est poreux c’est sûr, mais surtout c’est gorgé d’eau, prête à sortir dès qu’on la presse un peu trop. J’aime à croire quand même qu’en tant qu’éponge, j’ai un côté rugueux. Que je ne suis pas juste du mou. Ça la fait rire Marie quand je dis ça. Elle me répond « évidemment, t’es une petite Spontex, t’as le côté vert qui gratte ». Mais est-ce qu’un bic ou une bouteille peuvent comprendre une éponge, surtout lorsqu’elle est trop pleine de tout ? Aucune idée. Est-ce qu’un corps qui absorbe les expériences apprend ? On dirait souvent que non. Ça semble compliqué d’avoir la mémoire de ces choses quand on est constitué de plein de petits trous. Enfin, le pire, c’est quand une éponge ne sert qu’à nettoyer.
J’en deviens débile à me prendre pour une éponge. Alors que pendant ce temps, je devenais une pierre… un caillou. J’ai rencontré quelques bons gars. Vous savez, ces êtres dont on entend parler un peu comme si c’était des légendes urbaines. Bah j’en ai rencontré quelques uns. Faites pas cette tête, on dirait que je viens de vous dire que je connais personnellement la reine des licornes. OK c’est vrai, c’est toujours un peu étonnant. Peut-être même que c’est pour ça en fait que je panique… Non mais parce que, si j’étais en face d’une licorne je crois que je ne serais pas tranquille. « Je sais pas quoi en faire de ta putain de tendresse ! Je sais pas la recevoir, je sais pas la redonner. Je sais pas faire. » C’est ce que je lui ai crié au gars de juillet, entre mes larmes et nos corps nus, en plein dans sa tronche. Il s’est inquiété de savoir s’il avait fait quelque chose de mal parce que c’était un de ces bons gars. Du coup après, mes potes m’ont engueulée, elles ont dit que j’étais chiante. Que pour une fois que je tombe sur un bon gars, je panique.
Mais c’est parce qu’en fait je m’en contre-cogne de sa tendresse à lui. C’est pas celle-là que je veux apprendre. Certes, ça j’aurais pu me le dire avant. Parce que là je vais rester avec quoi ? Une putain de dette émotionnelle. J’veux pas de ça moi ! On dit toujours que les bons comptes font les bons amis alors je veux pas qu’on me donne une tendresse que je ne sais pas rendre. En fait c’est ça, j’ai le même problème avec l’amour que j’ai avec l’argent : j’aime pas y toucher et à la fois j’ai peur d’en manquer. J’vais dire ça à ma psy elle va être sur le cul.
C’est pas que je sais pas aimer hein, non, ça je sais faire. Pas bien peut-être mais aimer je sais faire. J’ai couru un marathon de l’amour pendant dix ans, j’ai même plus de chaussures et j’en ai les pieds écorchés. Oui et le cœur aussi. Pendant dix ans il a pris toute la place et j’ai eu beau essayer d’en faire un peu pour les autres, j’ai toujours eu l’impression que ce ne serait jamais assez. J’ai mal aimé trop de gens ; moi en premier. Je crois que c’est un peu dommage quand même. Et c’est comme ça que je suis devenu un caillou, un caillou dans la chaussure des autres. Mais j’essaie d’arrêter ça aussi. Je ne veux plus être une éponge tout mou, mais je ne veux pas être un caillou tout dur non plus.
Et là, depuis quelques semaines, je me sens plus lieu que chose avec certains. Ceux qui sont là parce que c’est chouette, puis c’est pratique aussi (?) Mais je serais quelqu’un d’autre, je crois pour eux ça changerait pas grand chose ; y’en a même qui préféreraient que je sois quelqu’un d’autre, mais là c’est pas possible alors bon. Fait que d’éponge à caillou, je suis aussi devenue une aire d’autoroute sur le chemin des vacances. T’es un peu obligé de t’y arrêter si tu veux atteindre la destination, sinon ton voyage tu le passes sur le bord de la route avec pas moyen de contacter Touring Secours et ça ça ne marche pas vraiment du coup.
Mais c’est sympa les stations essences. C’est un peu un monde parallèle, tu te permets des choses que tu fais pas d’ordinaire. Genre, jamais tu bouffes un sandwich triangle oeufs mimosa dans la vraie vie. Mais t’as la dalle, puis c’est un peu rigolo. T’es même à deux doigts de t’acheter un fanta cassis… mais faut pas abuser non plus. Tu vas plutôt fumer une clope là où c’est permis, remettre le plein ; enfin non, essayer d’arriver à 50€ pile mais ça va foirer alors bon, au début t’étais content de t’arrêter là mais ça ça te rappelle qu’il est temps de te casser.
Je ne me plains pas hein, je réfléchis, tout en essayant d’appliquer ce avec quoi les copains qui ont lu trop de bouquins de développement personnel n’ont cessé de me bassiner : être dans le présent. Ben j’y suis là. Je suis à règles jour deux et il a quand même envie de me baiser, ça c’est cool, c’est pas le cas de tout le monde. Thé, clopes, musique dans le canap, on s’agrippe, ça va reprendre. C’est intense. Il dira « je vais pas tarder à me perdre ». Quand on se mélange on n’est plus des choses, on est un moment et c’est déjà la fin de l’été.