Vivement les nouveaux OGM bio !
Toutes les plantes que nous mangeons depuis les débuts de l’agriculture sont différentes de celles existant à l’état sauvage. Elles ont, par exemple, des fruits plus gros, plus sucrés, des graines plus nombreuses, non toxiques et qui restent attachées à l’épi. Ces différences sont dues à des accidents génétiques variés dans leur génome : les mutations stricto sensu, mais aussi des insertions aléatoires d’éléments génétiques mobiles (comme chez les oranges sanguines) ou même des multiplications du nombre de chromosomes (comme chez le blé). Au cours des siècles, les humains ont d’abord sélectionné, dans la nature puis dans le contexte artificiel du champ, des plantes possédant des mutations spontanées avantageuses. Puis on a croisé des variétés de provenances éloignées et même des espèces différentes (comme l’abricot et l’amande ou le pomelo et la mandarine), qui n’auraient probablement jamais eu de descendance sans l’aide de l’homme. Depuis plus d’un demi-siècle, on utilise des agents mutagènes physiques (rayonnement) ou chimiques pour obtenir des variations intéressantes agronomiquement. On a ainsi créé des milliers de variétés dont le pomelos américain, une banane soudanaise ou une pomme française. Ces différentes méthodes (croisement et mutagenèse) introduisent de plusieurs milliers à plusieurs millions de mutations (les génomes des plantes comprennent de quelques centaines de millions (tomate) à plusieurs milliards de bases de l’ADN (maïs)). Toutes les plantes cultivées sont donc génétiquement modifiées et ont toujours été considérées sans risques sanitaire ou environnemental. Le terme « OGM » est une définition réglementaire, réservée à des plantes chez lesquelles est introduit de l’ADN étranger à l’espèce pour les rendre, par exemple, capables de produire leur propre insecticide bio (issu de la bactérie Bacillus thuringiensis) ou de résister aux virus (papayers sur les îles Hawaii). Ces plantes sont soumises en Europe à une réglementation extrêmement lourde basée sur leur méthode d’obtention (la transgénèse) qui rend leur culture quasiment impossible (mais pas leur importation).
Aujourd’hui, grâce aux techniques d’édition du génome (résumées par l’acronyme CrispR/Cas9), on sait introduire une poignée de variations à des endroits définis du génome. On fait toujours la même chose, insérer et sélectionner des mutations, mais de façon rapide et choisie, en se basant sur les connaissances scientifiques établies au cours des dernières décennies, plutôt que de trier parmi de nombreuses mutations aléatoires, spontanées ou induites. Les plantes issues de ces approches sont génétiquement bien plus proches de leurs parents que celles provenant de croisements entre variétés ou traitées aux rayons X. Les changements génétiques introduits étant identiques à ceux causés par la mutagénèse naturelle ou induite, rien ne permet même de distinguer s’ils sont apparus spontanément ou ont été créés par l’homme.
Ainsi, on sait produire des tomates ou des pommes de terre qui résistent par elles-mêmes au mildiou ou à certains virus. Cela permet de limiter considérablement les traitements antifongiques, comme la bouillie bordelaise qui contamine les sols en cuivre toxique ou les traitements insecticides permettant de détruire les pucerons qui sont les vecteurs de virus. Le potentiel de ces techniques est immense, il permet de modifier toutes les caractéristiques des plantes incluant l’adaptation aux températures croissantes.
Ces plantes sont qualifiées de « nouveaux OGM », ou « OGM cachés » pour agiter un chiffon rouge et créer de l’anxiété mais, une telle définition, prise au pied de la lettre, devrait conduire à bannir les « anciens OGM » produits par 9000 ans d’agriculture et à ne se nourrir que de pissenlits et d’ail des ours... Effrayer le public en prétendant que ces plantes vont nécessairement faire augmenter les intrants chimiques est un mensonge. La notion d’intrant génétique également utilisée pour inquiéter n’a elle aussi aucun sens. Produire une tomate plus riche en vitamine D ou une pomme de terre résistante au mildiou est un progrès pour le consommateur et pour l’agriculteur. Et une mutation obtenue dans un laboratoire et évaluée avant sa commercialisation ne présente pas plus de danger qu’une variation génétique aléatoire, observée et retenue par un agriculteur.
Exploiter le potentiel d’une telle technologie demande une législation pour évaluer les bénéfices et les risques comme cela se fait aujourd’hui pour les nouvelles variétés. Imposer sans raison une réglementation trop contraignante serait la garantie que ces avancées ne profitent qu’à un très petit nombre d’entreprises capables d’assumer le coût de l’homologation (une dizaine de millions d’euros), comme c’est le cas actuellement pour les plantes transgéniques. Cela priverait de la possibilité d’innover les quelque 80 PME qui, rien qu’en France, produisent des semences et créent de nouvelles variétés. On reproche aussi aux biotechnologies végétales de privatiser le vivant sous forme de brevets. Mais il existe une alternative à favoriser : c’est le certificat d’obtention végétale (COV) qui permet la libre réutilisation des variétés nouvelles tout en préservant le travail des entreprises semencières.
Loin de nous cependant l’idée que les nouvelles variétés issues de cette sélection végétale avancée vont résoudre tous les problèmes de l’agriculture liés au dérèglement climatique et à la nécessité de réduire les phytosanitaires tout en nourrissant convenablement une humanité en croissance. Ces nouvelles variétés resteront compatibles avec la sélection variétale « classique », qui devra toujours être largement utilisée, et avec les approches agroécologiques considérant les champs comme des écosystèmes incluant un cortège de microorganismes. Les habitudes alimentaires devront également évoluer pour augmenter la part de la production végétale destinée aux humains plutôt qu’aux animaux d’élevage. Sans sombrer dans une vision cornucopienne où la technologie suffirait à résoudre toutes les difficultés, l’enjeu est toutefois trop important pour refuser des solutions pour des raisons dogmatiques, en ne s’appuyant sur aucune base scientifique. Paradoxalement, ces nouvelles variétés seront plus adaptées aux pratiques de l’agriculture raisonnée ou de l’agriculture biologique que celles utilisées jusque-là et dépendantes des produits phytosanitaires.
Vivement qu’arrivent dans nos champs, nos jardins et nos assiettes, les nouveaux OGM bio !
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