Série : Eglise conciliaire

Sédévacantisme : quelle est notre position à ce sujet ?

Ceux qui connaissent notre dossier sur l’église conciliaire (https://drive.google.com/drive/folders/1Yh__RTuVIQVjs1qWY95etZmonfhhEBAM?fbclid=IwAR2LjRMEfla7UCu-P-mSXBowYW9pkFwfFoS2V8mRly-KAkF4LfzXsifCpK8), se demandent sans doute si nous sommes ou non « sédévacantistes ». Le présent document est là pour répondre à cette question, et pour justifier cette réponse.

Voici le plan de notre document :

I) Sommes-nous sédévacantistes ?

II) Que signifie prier « una cum » ?

A) Non : prier « una cum » ne signifie pas prier « pour »

B) Les mots « una cum » ne sont pas liés à la personne du Pape mais à l'Église

1) L’analyse linguistique

2) Le jugement des Papes

3) Les liturgies anciennes

4) Les théologiens

III) L’impossibilité pour l’Eglise enseignée de tirer des conclusions théologiques

IV) L’Eglise enseigne une telle impossibilité

A) La nécessité de recourir au jugement pontifical même pour les « choses claires et certaines » et autres « affaires qui naissent au sujet de la religion, quoique simples et non douteuses »

1) Profession de foi de l’empereur Justinien

2) Approbation du Pape Jean II

B) Une question déjà tranchée par le Pape Martin V

1) La Bulle Ad Evitanda Scandala (1418)

2) Controverses sur l’interprétation de ce document

a) L'interprétation des plus grands théologiens, synthétisée par le Cardinal Jean de LUGO, S.J. (1583-1660), que « St. Alphonse de Liguori n'hésite pas à le classer immédiatement après Saint-Thomas d'Aquin, « post S. Thomam facile princeps », et Benoît XIV l'appelle « une lumière de l'Église », (Catholic Encyclopedia, vol. IX, article “Lugo, John de”, p. 419)

b) Quelques notes sur la Communicatio in Sacris

c) Argument de l’abbé CEKADA en faveur d’une portée limitée aux matières civiles et séculières

d) Réponse à ses arguments : la véritable portée de la constitution Ad Evitanda Scandala dans l'actuelle crise dans l’Eglise

1 – Remarque préliminaire sur l’impossibilité évidente de la thèse de l’abbé CEKADA

2 – Communication civile ou communication religieuse ?

3 – Un missionnaire consulte le Saint-Siège

4 – Le Saint-Siège ajoute un appendice

5 – Le pape Benoît XIV révise son texte

6 – Conclusions préliminaires

7 – Le Code de droit canon (1917)

C) A l’école d’un maître de l’antilibéralisme : Don Félix SARDA y SALVANY

1) Ce qu’il dit au sujet des rapports à entretenir avec les clercs libéraux dans son ouvrage Le libéralisme est un péché

2) Jugement laudatif de la Sacrée Congrégation de l’Index sur ce livre

3) Comment le libéralisme avait déjà été condamné à l’époque

V) Quand l’hérésie était évidente… mais que la communion ne put être rompue qu’après un jugement de l’Eglise

A) Les évêques du Concile de Rimini (359)

B) Saint Hormisdas affirme la nécessité d’envoyer à Rome ceux qui contredisent les définitions du Concile de Chalcédoine pour y être jugés

C) L’hérésie de Nestorius

1) Saint Hypace témoigne-t-il en faveur des sédévacantistes ?

a) Saint Hypace rompit immédiatement la communion avec Nestorius…

b) … mais resta en communion avec ceux ne faisant pas de même !

c) Applications aux sédévacantistes purs et durs

  • Ils ne peuvent pas utiliser cet exemple

  • Réaction d’un sédévacantiste devant l’évidence de ce fait : déclarer que ce fut une faute grave dont saint Hypace avait sans doute dû se repentir

2) D’autres saints s’abstiennent de toute décision avant le jugement romain

a) Saint Jean Cassien demande au Pape « comment les églises doivent croire en Dieu »

b) Saint Cyrille d’Alexandrie dit ne « pas rompre publiquement et ouvertement la communion avec Nestorius sans indiquer d’abord cette intention à Votre Sainteté »

3) Le Pape donna à Nestorius un délai de 10 jours qui aurait pu lui éviter toute censure

4) Formellement la sentence du Concile fut une soumission au jugement romain et non une dénonciation de l’évidence de l’hérésie

5) Nestorius ne fut chassé de l’Eglise qu’en vertu de « la lettre de Célestin Évêque de Rome, notre très saint Père »

D) Le cas de l’antipape Anaclet II

1) L’évidence de l’imposture

a) Un juif faussement converti

b) Une réputation d’ « Antéchrist » du fait de son comportement

c) La crainte de son élection fit prendre des mesures aux Cardinaux

d) Des menaces contre celui qui refusait d’occuper le Siège de Pierre à la place du futur usurpateur

e) Une élection frauduleuse grâce à la corruption

f) Anaclet II, meurtrier, voleur et destructeur d’églises pour sa cause « papale »

2) Ceux qui y voyaient clair ne prétendirent pas imposer un jugement privé, mais déployèrent tous les efforts pour faire rendre un jugement par l’Eglise enseignante

E) L’hérésie et le schisme des prêtres jureurs

1) Il était « impossible de ne pas saisir au premier coup d’œil » que plusieurs articles de la Constitution civile du clergé étaient « contraires au dogme, et destructifs de la discipline générale »

2) Les jugements de graves autorités avant le jugement définitif du Pape

a) La condamnation comme schismatique par 127 Évêques de France sur 131 (et les 4 dissidents étaient de profils hétérodoxes)

b) La réprobation des Docteurs en théologie de la Sorbonne

c) Un premier jugement du Pape « d’hérésie » sans pour autant « lancer les foudres de l’Église contre les auteurs de cette malheureuse constitution du clergé »

2) Le second jugement du Pape et tout ce qu’il implique

a) Le second jugement du Pape est celui qui déclare « impossible de ne pas saisir au premier coup d’œil » le caractère hérétique et schismatique de la Constitution civile du clergé

b) L’épiscopat français opposé à la Constitution demanda quand même au Pape une ligne de conduite

c) Pie VI avait prévenu Louis XVI qui signa quand même : il ne fut jamais condamné

d) Il rappelle l’absence actuelle de sanction et souhaite que cela puisse rester ainsi

e) Puis il conclut en donnant aux jureurs un délai de rétractation de 40 jours avant que leurs actes ministériels ne soient frappés d’irrégularité

f) A l’issue du délai les récalcitrants n’étaient même pas excommuniés mais « seulement » suspens a divinis

g) L’attitude du Bienheureux Noël PINOT envers son vicaire jureur avant le jugement du Pape

4) Application a fortiori à notre époque

F) La condamnation du Concile de Pistoie

1) Contexte

2) Des hérésies, elles aussi, visibles « au premier coup-d'œil »

3) Les grands moyens employés pour examiner l’affaire

4) Aucun ostracisme avant la condamnation romaine

a) Pie VI espère que « ceux qui enseignent de mauvaises doctrines soient guéris dans le sein même de l'Église par les soins des Pasteurs »

b) Pie VI donna même la possibilité au fauteur d’erreur de présenter sa défense

5) Tout cela malgré la grande gravité de l’affaire

G) Lorsque l’hérésie et le schisme ne fit même pas réprouver le ministre par le Ciel : le cas de sainte Jeanne d’Arc qui recevait les sacrements de prêtres unis à un évêque schismatique

1) Jeanne était en permanence guidée par le Ciel

2) Ses révélations ne lui ont jamais interdit de recevoir les sacrements de prêtres unis à un évêque schismatique

H) Lorsque l’hérésie et le schisme étaient évidents, que trois Papes ont parlé, mais que le recours aux ministres concernés n’en devint pas pour autant illicite : le cas de la Charte gallicane de 1682

1) L’hérésie de cette charte

2) Les condamnations romaines…

3) … n’entraînèrent jamais d’interdiction de recourir au ministère des clercs qui y adhéraient

VI) Autres exemples historiques de situations où des affaires graves et évidentes n’ont pu être réglées que par l’autorité du Pape

A) Le schisme des Corinthiens à la fin du Ier siècle

1) La gravité de la situation

2) L’évidence de la faute des Corinthiens

3) Le long délai de la réponse du Pape saint Clément

4) Saint Jean et saint Timothée, pourtant beaucoup plus proches, ne sont pas intervenus et n’ont pas été consultés

B) Le choix de l’évêque d’Antioche après la déportation de saint Ignace

1) Le siège d’Antioche est resté vacant

2) Saint Ignace d’Antioche témoigne de l’importance capitale du rôle de l’évêque…

3) … et confie le soin à la lointaine Eglise de Rome de pourvoir à ce manque…

4) … sans même penser à le confier à saint Polycarpe de Smyrne !

C) L’affaire des « lapsi »

1) La gravité de l’affaire

2) L’impossibilité de régler la question en absence de Pape

3) Malgré le fait que l’affaire ait déjà été débattue par une foule d’autorité…

4) … la seule conclusion est que la décision prise avec toutes ces autorités, y compris les évêques venus de loin, on ne pouvait qu’attendre

5) Toute l’Eglise fut bloquée jusqu’à l’élection d’un nouveau Pape

D) Le cas de l’évêque schismatique Marcianus d’Arles (vers 254)

E) L’affaire Paul Samosate

1) L’hérétique Paul de Samosate fut condamné par deux Conciles

2) Devant son refus de quitter les locaux de l'évêché, les chrétiens recoururent à la juridiction de l’empereur…

3) … qui jugea que seul l’évêque de Rome pouvait attribuer le bâtiment…

4) … alors qu’il existait beaucoup d’autres critères visibles à un païen d’attribution à l’Eglise catholique

F) Saint Basile le Grand et la nécessité de recourir au Pape pour pacifier l’Orient

G) Les évêques schismatiques d’Egypte se réconciliant avec saint Athanase durent recourir à Rome

 

H) L’attitude de saint Pierre II d’Alexandrie injustement chassé par les ariens

 

I) L’affaire de Bostra

J) Saint Jean Chrysostome et ses injustes dépositions

K) Lors de la division de l’Eglise d’Antioche saint Jérôme ne reconnaît que celui que reconnaît le Pape

L) La condamnation des pélagiens

1) Les Conciles de Carthage (juin 416) et de Milève (septembre 416) réclament l’approbation romaine

2) Le Pape saint Innocent Ier approuve cette attitude en comparant l’enseignement que le siège de Rome donne au monde aux « eaux qui jaillissent de leur source originelle et qui s’écoulent dans toutes les régions du monde par de purs ruisseaux venus de la source non corrompue »

3) Saint Augustin fit siens les propos du Pape

4) Saint Possidius de Calame témoigne que c’est le jugement romain qui déclara efficacement hérétiques les pélagiens

M) Saint Boniface : « les Eglises des Orientaux surtout, dans les grandes affaires qui rendaient nécessaire un débat de plus grande ampleur, ont toujours consulté le Siège romain et lui ont demandé aide chaque fois que cela était nécessaire »

N) Saint Pierre Chrysologue : « nous ne pouvons pas juger des questions de doctrine sans le consentement de l'Evêque de Rome »

O) Théodoret de Cyr qui se considère lésé accepte sa condition si le Pape le lui ordonne, faisant un parallèle entre la subordination des évêques envers le Pape avec celle saint Paul qui était pourtant « le héraut de la vérité, la trompette de l’Esprit Saint » envers saint Pierre

P) L’injuste déposition de Jean Ier d'Alexandrie, dit Jean Talaïa

Q) Appels relatifs au monothélisme

1) L’hérésie monothélite

2) L’appel au Pape de saint Sophrone de Jérusalem

3) L’appel au Pape de Serge de Chypre

4) La déposition de Pyrrhus, patriarche monothélite de Constantinople

R) Le IIIè Concile de Constantinople (680-681)

1) Malgré l’évidence, l’assemblée conciliaire ne vint à bout de l’hérésie que par les lettres romaines

2) L’Empereur laisse les hérétiques manifestes au jugement du Pape

S) Appel de saint Ignace de Constantinople, injustement déposé de son siège

T) Etude de John DALY : Hérésie dans l’histoire. Etude de dix-neuf leçons de l'histoire ecclésiastique pour servir à l'intelligence et à l'exercice de la foi et de la charité dans les temps actuels, dans l'espoir de remédier aux déviances sectaires de certains catholiques

1) Érasme de Rotterdam

2) Le cardinal John Henry NEWMAN

3) Les évêques « appelants » jansénistes

4) Le Père Alfred LOISY

5) Les personnes communiquant avec Loisy après sa condamnation

6) L’exclusion de l’Eglise tardive et conditionnelle des membres du Parti communiste

a) Le communisme condamné depuis toujours par les Papes comme une « peste mortelle » et « intrinsèquement pervers »

b) Le Saint-Office excommunie sous condition les membres de l’« Action catholique » schismatique tchécoslovaque

c) Pie XII fulmine en 1949 l’excommunication seulement conditionnelle des communistes

7) Michel De BAY

8) Catholiques fréquentant les services protestants, fréquentant les écoles protestantes et ayant des croyances protestantes

9) Saints Thomas MORE et John FISHER

10) Mgr Georges DARBOY

11) Bérenger de Tours

12) Jean CHARLIER de GERSON

13) Martin LUTHER

14) Les controverses sur la grâce et le libre arbitre

15) Saint Jean de BRITTO

16) Un cas hypothétique ?

Conclusion

I) Sommes-nous sédévacantistes ?

Ceux qui ont commencé ce document en pensant qu’ils le termineraient en ayant la preuve que François est, ou n’est pas, Pape, vont être déçus ! Cela ne sera pas notre propos. Si nous devions absolument répondre à la question de savoir si nous sommes « sédévacantistes », alors nous répondrions tout de go : non, nous ne sommes pas « sédévacantistes » au sens courant du terme. Nous affirmons que seule l’Eglise est maîtresse de vérité et que seule cette dernière peut trancher formellement et définitivement les questions théologiques. Aussi, si l’Eglise juge un jour que les successeurs de Pie XII n’étaient pas de vrais Papes, nous nous y soumettrons sans la moindre hésitation, mais en attendant nous présumons prudemment que ces derniers sont papes.

En attendant un jugement définitif de l’Eglise, nous manifestons notre sympathie pour la thèse de l’abbé GLEIZE, d’après laquelle les Papes actuels, étant modernistes et ayant ainsi annihilé leur volonté de poser des actes de Magistère, sont métaphysiquement incapables de faire passer le charisme d’infaillibilité dont ils sont revêtus de la puissance à l’acte. Nous ne leur devons donc aucune obéissance, et nous ne devons même pas accorder la moindre autorité avec leurs documents avec lesquels nous serions subjectivement en accord (tels l’encyclique Humanae vitae du 25 juillet 1968 sur le mariage et la régulation des naissances de Paul VI, ou la canonisation de Padre Pio)

Mais cela ne fait qu'effleurer notre sujet !

Le présent document n’a pas pour objet de démontrer que François est réellement pape ou que l’opinion contraire est fausse. Il s’agit seulement de montrer que le jugement, considéré comme obligatoire, affirmant qu’il n’est pas pape, et a fortiori l’ « anathème » jeté sur ceux qui pensent différemment, en particulier sur les Messes où son nom est cité au Canon lors de la prière du Te igitur, n’est pas légitime.

Nous précisons à toutes fins utiles que ce qui suit constitue tout aussi bien une réponse à la position (compréhensible en logique interne, nous en convenons sans difficulté) dite de la « Résistance » ou de la « Fidélité catholique », que certains appellent avec mépris les « williamsonistes », consistant à interdire sous peine de faute morale l’assistance aux Messes de la FSSPX.

Ce qui suit se veut en particulier être une réponse à l'opuscule Le Grain d’Encens : les sédévacantistes et les Messes Una Cum de l’abbé Anthony CEKADA, véritable « catéchisme » pour beaucoup de sédévacantistes. Cela s’appuie entre autres sur les études du britannique John DALY et de l’américain Griff RUBY, deux laïcs convaincus de l'actuelle vacance du siège de Pierre, mais qui en sont venu à écarter certaines conclusions ecclésiologiques sédévacantistes « classiques », telle que l’interdiction du recours au ministère des prêtres de la FSSPX, quand bien même ils auraient tort dans leur attitude vis-à-vis de la Rome moderne.

La thèse défendue est que seul un jugement papal futur pourra déclarer sacrilège a posteriori l’assistance aux messes de la FSSPX, et éventuellement pour l’avenir (nous disons « éventuellement » car le jour où cela arrivera, la FSSPX n’aura plus de raison de continuer à être en porte-à-faux avec les occupants de Rome).

Cette thèse est appuyée par un grand nombre de précédents historiques d’époque où il y avait des hérésies évidentes, mais qu’il fallut attendre un jugement romain pour pouvoir et devoir rompre la communion avec les concernés, le recours au ministère de ces derniers restant licite dans l’intervalle. Aussi l’application par analogie et même a fortiori à notre époque se fait d’elle-même : si à des époque où l’occupant du siège de Pierre n'était pas douteux il fallait attendre un jugement de l’Eglise anathématiser les hérétiques, alors à combien plus forte raison aujourd’hui où nous n’avons même pas de certitude quant à cet occupant.

Pour nous les cas historiques les plus probants sont ceux de la charte gallicane et des prêtres jureurs, ainsi que de leurs condamnations, qui n’ont, soit jamais, soit pas tout de suite, entraîné une interdiction de fréquentation des prêtres qui y adhéraient : ils sont des faits dogmatiques surpassant toute démonstration qu'il ne peut pas être illicite d'assister aux messes de la FSSPX tant qu'un Pape n'en a pas jugé ainsi, ce qui, pour un sédévacantiste, n'est pas le cas. Dans le cas contraire, cela veut dire que l’Eglise elle-même aurait permis des sacrilèges, ce qui n’est pas possible. Les précédents historiques établissent donc qu’il n’y a aucun scrupule de conscience à avoir pour un sédévacantiste recourir au ministère des prêtres de la FSSPX !

II) Que signifie prier « una cum » ?

Voici le texte latin de la fameuse prière du Canon de la Messe lors de laquelle le nom du Pape est cité :

« Te igitur clementissime Pater, per Jesum Christum Filium tuum Dominum nostrum, supplices rogamus ac petimus, uti accepta habeas, et benedicas haec † dona, haec † munera, haec † sancta sacrificia illibata, in primis quae tibi offerimus pro Ecclesia tua sancta Catholica ; quam pacificare, custodire, adunare, et regere digneris toto orbe terrarum : una cum famulo tuo Papa nostro N. et Antistite nostro N. et omnibus orthodoxis, atque Catholicae et Apostolicae fidei cultoribus. » (https://archives.laportelatine.org/prieres/messe/fidele/fidele.php)

Et en voici la traduction française :

« Père très bon, nous vous prions humblement et nous vous demandons par Jésus-Christ votre Fils, notre Seigneur, d’accepter et de bénir ces dons, ces présents, ces offrandes saintes et sans tache. Tout d’abord nous vous les offrons pour votre sainte Eglise catholique —daignez, à travers le monde entier, lui donner la paix, la protéger, la rassembler dans l’unité et la gouverner, — et aussi [en union avec/pour] votre serviteur notre pape N., pour notre évêque N., et pour tous ceux qui, fidèles à la vraie doctrine, ont la garde de la foi catholique et apostolique. »

Il existe une controverse pour savoir si les mots « una cum » signifient « en union avec » ou « pour ». Les sédévacantistes affirment que cela signifie « en union avec » et qu’en conséquence, citer un faux pape à cet endroit entraîne un sacrilège de la part du célébrant et des assistant en ayant conscience, étant donné qu’il ne faut pas citer d’hérétique au Canon de la messe. La thèse inverse voudrait que « una cum » signifie « pour », et qu’ainsi il ne soit jamais défendu de citer même un hérétique, étant donné qu’il ne saurait être défendu de prier pour lui.

La réalité est que « una cum » signifie bel et bien « en union avec », mais pas dans le sens que lui attribuent les sédévacantistes. Voyons cela.

A) Non : prier « una cum » ne signifie pas prier « pour »

La thèse que « una cum » voudrait dire « pour » est synthétisée par les dominicains d’Avrillé dans leur opuscule intitulé Le Sédévacantisme, pages 14 à 30. Ils font une démonstration linguistique et invoquent comme arguments d’autorité le sacramentaire gélasien, saint Thomas d’Aquin, le Missel Brepols, Dom Gaspard LEFEBVRE, le Chanoine GHIR et Mgr Marcel LEFEBVRE… mais Rome a parlé ! En effet, comme le rapporte Mgr Louis-Gaston de SÉGUR :

« Ces paroles, dona, munera, sacrificia, sont au pluriel et non au singulier ; car, bien que le sacrifice de Jésus-Christ, qui va être renouvelé sur l’autel, soit unique, il se présente néanmoins accompagné des innombrables sacrifices des membres du Sauveur, qui sont tous ses fidèles, et qui forment avec lui une seule personne morale, « Christus totus, le Christ tout entier, » comme dit saint Augustin. Les oblations, changées au Corps et au Sang du Sauveur, ont pour but final de passer, par la communion, dans les fidèles, et de consommer ce mystère d’union, cette unité du sacrifice.

 Le Prêtre prie nommément pour le Pape, pour l’Evêque du diocèse et pour tous les fidèles [renvoi à la note de bas de page], qu’il présente à Dieu comme ne faisant qu’un avec lui dans la charité. » (Des saints mystères, Chapitre XXIII « Des cérémonies du Canon de la Messe jusqu’à la Consécration » dans le Tome X de ses œuvres, 1887, pages 269 et 270)

La note est la suivante :

« En France et en quelques autres pays, on ajoute, par concession expresse du Saint-Siège, le nom du Souverain, après celui de l’Evêque. Mais il faut noter ici une observation importante. Jadis, quand la société était constituée régulièrement et catholiquement, le roi chrétien faisait officiellement partie de l’Église, à titre « d’Évêque du dehors » de bras droit, de défenseur-né et de fils aîné de l’Église dans son royaume ! A cause de cela, ou disait et on devait dire : « Una cum Papa nostro N. et Antistite nostro N. et rege (ou imperatore) nostro N. et omnibus catholicæ et apostolicæ fidei cultoribus. » Maintenant que l’ordre providentiel de la société est bouleversé, le Souverain ne fait plus partie officielle de l’Église qu’à titre de simple baptisé, et non plus à titre de hiérarque, surtout lorsqu’il n’est point sacré. Aussi, dans la concession Apostolique est-il ordonné d’ajouter avant le nom du Souverain une parole qui semble insignifiante à première vue, mais qui exprime parfaitement le changement de situation que nous venons de signaler. On doit dire « et pro rege (ou imperatore) N… » Ce pro suffit pour séparer le nom du Souverain moderne du nom du Pape et de l’Evêque, désormais seuls, hiérarques ou chefs ecclésiastiques. Le pauvre Souverain, déchu de son antique et sublime privilège, n’est plus considéré officiellement par l’Église que comme un simple chrétien, pour lequel il est expédient de prier nominativement, à cause de l’immense influence qu’il peut avoir pour le bien comme pour le mal dans les affaires de l’Église. Il est donc ordonné de dire à cet endroit du Canon : « Una cum Papa nostro N. et Antistite nostro N. et pro imperatore ou rege nostro N., et omnibus, etc. » Cette formule est obligatoire. Elle a été décrétée par la Congrégation des Rites. » (Note au bas des pages 269 et 270)

Il n’y a donc pas d’équivalent entre « una cum » et « pro », sinon la Congrégation des Rites n’aurait pas imposé de remplacer l’un par l’autre, surtout pour marquer la différence intervenue dans le rôle ecclésial du roi ou de l’empereur après la période révolutionnaire.

Il se peut toutefois que lesdites autorités aient eu raison de dire que « una cum » signifie « pour », suivant le sens qu’on attribue à cette traduction. En effet, s’il s’agit de prier pour la personne du Pape ou celle de l’Evêque, de la même manière que nous prions pour notre prochain, assurément cette traduction est fausse (elle est celle qui concerne les rois ou empereurs, raison pour laquelle la Congrégation des Rites imposa qu’on dise « pro » pour les séparer de ceux pour qui on prie « una cum »). Toutefois, il est vrai de dire qu’on prie pour eux en tant qu’ils sont les ministres de droit divin de l’Eglise pour laquelle on prie, puisque cette Église qui est « una cum » ces ministres :

« Il est bien juste qu'en priant pour l'unité de l’Eglise, on prie pour celui qui est le centre de la communion, qui préside à cette Eglise, dit saint Irénée, (Contre les hérésies, III, 3, 2) avec laquelle il faut que toute autre Eglise convienne. » (Père Pierre Le BRUN, Explication littérale, historique et dogmatique des prières et des Cérémonies de la Messe, Lyon-Paris, 1860, Tome 1, page 360). 

Mgr Louis-Gaston de SÉGUR que nous venons de citer pour réfuter que « una cum » soit équivalent à « pro », ne dit-il pas également comme nous l’avons vu que « Le Prêtre prie nommément pour le Pape, pour l’Evêque du diocèse et pour tous les fidèles, qu’il présente à Dieu comme ne faisant qu’un avec lui dans la charité » ?

B) Les mots « una cum » ne sont pas liés à la personne du Pape mais à l'Église

1) L’analyse linguistique

Mais contrairement à ce qu’on pourrait penser, cela ne valide pas la thèse « una cum péché mortel ». En effet, grammaticalement les mots « una cum » ne sont pas le complément des mots qui suivent (« famulo tuo Papa nostro N. »), au sens que le célébrant est personnellement uni au Pape, mais le complément du mot « Ecclesia », au sens que cela signifierait que l’Eglise est en union avec le Pape (c’est ce qui distingue l’Eglise catholique des églises schismatiques et hérétiques).

En effet : il semble que ce soit le même genre et le même cas. Et ensuite, on ajoute les personnes à mentionner, le Souverain Pontife, l'évêque du lieu, etc...

- Pour être précis, il y a lieu d'observer que la tournure latine « una cum » est une locution adverbiale, c'est-à-dire un groupe de mots qui assume la fonction d'un adverbe et qui sert à préciser le sens d'un mot ou d'une phrase.

- La locution adverbiale « una cum » signifie « de concert avec » (l'équivalent en langue anglaise est « together with »).

- Dans le contexte du Canon de la Messe, « una cum » sert manifestement à préciser la phrase qui précède en introduisant la phrase qui suit :

[1] Te igitur, clementissime Pater, per Jesum Christum, Filium tuum, Dominum nostrum,

supplices rogamus, ac petimus,

[2] uti accepta habeas, et benedicas

haec dona, haec munera, haec sancta sacrificia illibata,

[3] in primis quae tibi offerimus pro Ecclesia tua sancta catholica,

[4] quam pacificare, custodire, adunare, et regere digneris toto orbe terrarum,

[5] una cum famulo tuo Papa nostro N* et Antistite nostro N* et

omnibus orthodoxis, atque catholicae et apostolicae fidei cultoribus.

- La signification complète de la prière Te igitur s'induit de ses [cinq] composants sémantiques :

* [1] : proposition principale indicative (nous supplions et nous requérons)

* [2] : proposition subordonnée de but (afin que vous teniez pour agréé et que vous bénissiez), dépendant de [1]

* [3] : proposition subordonnée relative (que nous vous offrons), introduite par quae et se rapportant à haec dona .... illibata, qui précède dans [2]

* [4] : proposition subordonnée relative (que daignez pacifier ....), introduite par quam et se rapportant à Ecclesia ... catholica, qui précède dans [3]

* [5] : introduit par une locution adverbiale (de concert avec) pour conférer un sens instrumental aux verbes dans [4]

- Il est donc incontestable que Dieu est prié de vouloir bien pacifier, garder, réunir et diriger son Église dans tout l'univers et cela, de concert avec (una cum) son serviteur notre pape N* et notre évêque N* et tous ceux qui pensent juste (omnibus orthodoxis), et surtout (atque) cultivent la foi catholique et apostolique (catholicae et apostolicae fidei cultoribus).

- Le sens impétratoire général (établi par l'ensemble de la prière Te igitur et spécialement par la proposition subordonnée relative que daignez pacifier ...) est juxtaposé au sens de la médiation hiérarchique (una cum ...) elle-même expressément précisée par un contexte supposant, chez ceux dont les noms y sont cités, l'orthodoxie ainsi que la culture de la foi catholique et apostolique.

- Selon que l'on privilégie le sens étroit du contexte (la parfaite orthodoxie de ceux qui y sont mentionnés) ou bien le sens général (que Dieu daigne pacifier... de concert avec...) qui met en évidence le mode instrumental du gouvernement divin et implore son adéquation dans l'orthodoxie, on aura deux attitudes différentes qui, comme telles, ne relèvent évidemment ni du schisme, ni de l'hérésie.

Aussi c’est la communion avec l’Eglise qui est signifiée par la manifestation de l’union à l’occupant du siège de Rome. Qu’il y ait une éventuellement une erreur sur l’identité de celui-ci n’est ni hérétique, ni schismatique, ni sacrilège ! Il faut appliquer le principe canonique que « le siège plaide en faveur de celui qui l’occupe », laissant à l'Église le jugement de la légitimité des actuels occupants de celui de Rome.

2) Le jugement des Papes

Le Pape saint Hormisdas Ier (450-523) envoya à la cour impériale de Constantinople – qui l’avait sollicité pour mettre fin aux schismes qui déchiraient l’Orient – le 11 août 515, un document intitulé Libellus Fidei, ou encore Regula Fidei, ce qui peut se traduire par Programme de la foi, Opuscule de la foi, Règle de la foi ou encore Profession de foi, mais plus connu sous le nom de Formulaire d’Hormisdas. Tous les évêques d’Orient devaient y souscrire, et y souscrivirent, preuve qu’ils adhéraient à son contenu. Une des vérités impératives exprimées dans ce texte était que l’orthodoxie s’est toujours maintenue à Rome. D’après des rapports, 2500 Évêques ont souscrit à ce formulaire. Dans ce document, la signification de la citation du nom du Pape était donnée :

« La condition première du salut est de garder la règle de la foi juste et de ne s’écarter d’aucune façon des décrets des pères. Et parce qu’il n’est pas possible de négliger la parole de notre Seigneur Jésus Christ qui dit :  « Tu es Pierre, et sur cette pierre, je bâtirai mon Eglise » [Matthieu XVI ,18], ce qui a été dit est prouvé par les faits ; car la religion catholique a toujours été gardée sans tache auprès du Siège apostolique [autre version du texte : c’est seulement dans la chaire de Rome que les faits postérieurs ont correspondu à la parole du Christ]. Ne voulant donc nous séparer d’aucune façon de cette espérance et de cette foi, et suivant en toutes choses ce qu’ont décrété les pères, nous anathématisons tous les hérétiques […]. Comme nous le disions plus haut, suivant en toutes choses le Siège apostolique et prêchant tout ce qu’il a décrété, j’espère (donc) mériter de rentrer dans la communion avec vous que prêche le Siège apostolique, communion dans laquelle réside, entière et vraie (et parfaite) la solidité de la religion chrétienne. Nous promettons (je promets) aussi que (à l’avenir) les noms de ceux qui sont séparés de la communion de l’Eglise catholique, c’est-à-dire qui ne sont pas en accord avec le Siège apostolique, ne seront pas lus durant les saints mystères. (Mais si je tentais de dévier en quoi que ce soit de ma profession de foi, je confesse que, selon mon propre jugement, je serais un complice de ceux que j’ai condamnés.) Cette profession de foi je l’ai souscrite de ma propre main, et je l’ai transmise (envoyée) à toi, Hormisdas, le saint et vénérable pape de la ville de Rome. » (Règle de la Foi, dans Lettre IX à Jean Evêque de Népomucène, 11 août 515, PL 63, colonnes 393 et 394, MANSI tome 8, colonnes 407-408)

La citation des hiérarques lors de la Messe est donc une manifestation de l’ « accord avec le Siège apostolique », et non un jugement sur la légitimité de l’occupation de tel ou tel siège, laquelle n’appartient qu’audit Siège apostolique. Pour preuve : comme nous le verrons plus bas, c’est le même Pape qui ordonnait que les contradicteurs du concile de Chalcédoine lui soit déférés pour recevoir une sanction, et non qu’ils soient immédiatement châtiés du seul fait de leur hérésie !

Dans la même veine, le Pape saint Pélage Ier (vers 500-561) écrit :

« Avez-vous pu oublier les prérogatives du Siège Apostolique au point de me croire capable d’autoriser moi-même un schisme dans l’Eglise ? A Dieu ne plaise que la Siège de Pierre, établi pour garder le dépôt de la Foi, se laisse entraîner par le mouvement populaire selon les caprices de l’opinion ! […] Le très bienheureux Augustin d’illustre mémoire, s’appuyant sur les paroles de Notre-Seigneur, place le fondement de l’Eglise dans le Siège Apostolique. Il déclare schismatiques ceux qui repoussent l’autorité ou se séparent de la communion du Pontife Romain. Il ne connaît d’autre Eglise que celle qui a ses racines dans la pierre fondamentale. Comment donc pouvez-vous croire que vous n’être pas séparés de la communion d’avec le monde entier sans faire mémoire de mon nom dans la célébration des Saints Mystères, alors que quoiqu’indigne, c’est en mon humble personne que s’est transmise l’hérédité du Siège Apostolique par la succession de l’épiscopat et que se concentre à l’heure actuelle son immutabilité.

Cessez donc, vous et les fidèles confiés à votre direction, de soupçonner la foi que je professe. […] S’il vous reste sur ce point quelques difficultés à éclaircir, venez sans crainte me les exposer ; car, suivant la parole de l’Apôtre, nous sommes toujours prêt à rendre compte de notre Foi [I Pierre III, 16]. » (Lettre V [alias VI] aux Evêques de Tuscie, PL 69, colonnes 397 à 399)

Ici encore la citation des hiérarques est une profession de foi de l’identification de la pierre sur laquelle est fondée l'Église avec l’épiscopat romain. C’est ce que fera encore Pélage II, qui occupait le trône apostolique au sixième siècle de l’Église, et qui dans une lettre a laissé ceci par écrit concernant ce qui nous préoccupe :

« Je suis profondément stupéfait de votre séparation d’avec toute l’Église, et je ne peux pas la tolérer ; car – lorsque le bienheureux Augustin se souvenant des mots de Notre Seigneur qui placent le fondement de l’Église dans les sièges apostoliques, dit que celui qui se sépare lui-même de l’autorité ou de la communion de ceux qui président aux mêmes sièges, et qui ne professe pas publiquement qu’il n’y a pas d’autre Église que celle qui est établie dans les racines pontificales des sièges apostoliques, est en schisme – comment ne pouvez-vous pas estimer vous-mêmes être coupés de la communion de tout le monde, si vous omettez la mention de mon nom dans les mystères sacrés, comme telle est la coutume en celui en qui, bien qu’indigne, vous voyez la fermeté du siège apostolique par la succession de l’épiscopat ? » (Lettre VI aux Évêques de Tuscie ; LABBE, tome V, colonnes 794 et 795)

Benoît XIV :

« [Cette commémoration du pape est, de surcroît] la profession d’un esprit et d’une volonté qui épouse fermement l’unité catholique. C’était bien noté par Christianus Lupus dans son ouvrage sur les Conciles : « Cette commémoration est la principale et la plus glorieuse forme de communion » » (Bulle Ex Quo primum, §12, Bullarium 4:299)

Pie IX :

« Les noms de ceux qui sont séparés de la communion de l'Église catholique, c'est-à-dire qui ne sont pas en accord avec le Siège Apostolique, ne seront pas lus durant les Saints mystères. » (Encyclique Quartus Supra, 6 janvier 1873 – Aux Arméniens)

3) Les liturgies anciennes

[Les témoignages produits dans cette section, ainsi que la plupart de ceux produits dans la section suivante sont issus de l’étude l’abbé CEKADA, mais cette fois-ci à la lumière de leur réelle signification.]

Une des observations du Cardinal Ildefonso SCHUSTER vient confirmer ce point. Il dit que les plus anciens manuscrits du Canon ne comprennent que la pétition mentionnant le Pape, et non celles se référant à l’évêque diocésain et à tous ceux qui sont orthodoxes. Ainsi l’expression una cum (en communion avec) renvoie encore plus clairement au mot Ecclesia (Église) (The Sacramentary (Liber Sacramentorum) (Londres : Burns Oates 1924), 1:273).

Nous trouvons cela dans un Missel du IXème siècle, au temps de Charlemagne. Ici le sens de la phrase est clairement :

« pour Votre sainte Église Catholique, que vous daigniez lui donner la paix, la protéger, la conserver dans l’unité et la gouverner dans le monde, unie avec Votre serviteur N., notre Pape. » : « pro ecclesia tua sancta catholica quam pacificare custodire adunare et regere digneris toto orbe terrarum una cum famulo tuo papa nostro illo. Memento domine... » (H.A Wilson ed., The Gregorian Sacramentary under Charles the Great, Edited from Three Mss. of the Ninth Century, (Londres : 1915), 2. Une note de bas de page indique que l’un des manuscrits ajoute la phrase « et antistite nostro illo et omnibus orthodoxis atque catholicae et apostolicae fidei cultoribus, « qui apparaît au Canon du Missel de Saint Pie V)

4) Les théologiens

Le Cardinal Prosper LAMBERTINI, futur Benoît XIV (1675-1758) enseigne :

« Mais quoiqu’il en soit de ce point controversé de science ecclésiastique, il est suffisant pour nous d’être capable d’affirmer que la commémoraison du Pontife romain pendant la Messe, ainsi que les prières faites pour lui pendant le Sacrifice sont considérées comme étant, et sont un signe déclaratif certain par lequel le même Pontife est reconnu comme tête de l’Église, le vicaire du Christ et le successeur de saint Pierre, et devient une profession d’un esprit et d’une volonté adhérents fermement à l’unité catholique ; comme Christianus Lupus indique correctement, en écrivant sur les conciles (Tome 4 ; Edition Bruxelles ; p. 422) : Cette commémoraison est la plus haute et la plus honorable forme de communion. Cela n’est pas moins prouvé par l’autorité de Yves de Flavigny dans la Chronique p. 228, où on lit : Qu’il sache qu’il se sépare lui-même de la communion de tout le monde, celui qui ne fait pas mention du nom du pape dans le Canon, en raison de n’importe quelle dissension ; ou encore par l’autorité du très célèbre Alcuin, qui, dans son livre De Divinis Officiis (chap. 12) écrit ce qui suit : Il est certain, comme le bienheureux Pélage enseigne, que ceux qui en raison de n’importe quelle dissension, n’observe pas la coutume de mentionner le nom du Pontife apostolique dans les mystères sacrés, sont séparés de la communion de tout le monde. Ce fait est encore prouvé par la sentence plus importante du Pontife suprême Pélage II, qui occupait le trône apostolique au sixième siècle de l’Église, et qui dans une lettre gardée dans la Labbeana Collectio Conciliorum (Tome 5 ; col 794 et suiv. et col 810) a laissé ceci par écrit concernant ce qui nous préoccupe : Je suis profondément stupéfait de votre séparation d’avec toute l’Église, et je ne peux pas la tolérer ; car – lorsque le bienheureux Augustin se souvenant des mots de Notre Seigneur qui placent le fondement de l’Église dans les sièges apostoliques, dit que celui qui se sépare lui-même de l’autorité ou de la communion de ceux qui président aux mêmes sièges, et qui ne professe pas publiquement qu’il n’y a pas d’autre Église que celle qui est établie dans les racines pontificales des sièges apostoliques, est en schisme – comment ne pouvez-vous pas estimer vous-mêmes être coupés de la communion de tout le monde, si vous omettez la mention de mon nom dans les mystères sacrés, comme telle est la coutume en celui en qui, bien qu’indigne, vous voyez la fermeté du siège apostolique par la succession de l’épiscopat ? » (De Sacrosancto Missæ Sacrificio Appendix XVI ad Lib. II, §12)

Ce texte montre clairement que mentionner le nom du pape régnant n’est pas un simple geste amical, mais plutôt un test de communion avec l’Église catholique romaine, et que ne pas le mentionner est un signe certain de schisme envers l’unique et vraie Église. Tous les autres théologiens abondent dans ce sens.

Le Père Jérôme GASSNER, O.S.B., faisait observer à propos de la première prière du Canon :

« L’unité pour laquelle on prie est spécifiée avec l’addition des noms du Pape et de l’Évêque en tant que principe de cette unité. » (The Canon of the Mass: Its History, Theology, and Art (St. Louis: Herder 1950), 225-6)

De plus, selon un commentaire du Père Valentin THALHOFER :

« La prière est offerte pour ces instruments à travers lesquels Dieu guide et gouverne l’Église : d’abord le Pape en tant que la tête de toute l’Église et le garant suprême de l’unité ecclésiastique. » (Handbuch der Catholicshen Liturgie (Freiburg: Herderische Verlagshandlung), 164)

De plus, selon le commentaire de la Messe par le Chanoine Aug. CROEGAERT :

« Prier pour le Pape c’est témoigner qu’on vit en communion avec le Chef de la vraie Église. » (Les Rites et les Prières du Saint Sacrifice de la Messe (Paris : Casterman n.d.) 2:106)

Le Père Pierre Le BRUN, prêtre de l’Oratoire, écrit au XVIIIè siècle, au sujet des mots « in primis quae tibi offerimus pro Ecclesia tua sancta Catholica » :

« Nous offrons le saint sacrifice pour l'Eglise de Dieu, Ecclesia tua, pour cette Eglise sainte par Jésus-Christ, qui l'a lavée dans son sang, pour la rendre sainte et sans tache, (Ephésiens V, 27) sancta pour cette Eglise répandue par toute la terre, suivant les prophéties, Catholica. Dieu ne peut pas manquer de protéger cette Eglise, qui est son ouvrage. Mais Dieu veut que ceux qui la composent montrent l'amour qu'ils ont pour elle, en demandant les secours dont elle aura toujours besoin contre le monde et les puissances de l’enfer, qui ne cesseront de 1'altaquer jusqu'à la fin des siècles. » (Explication littérale, historique et dogmatique des prières et des Cérémonies de la Messe, Lyon-Paris, 1860, Tome 1, page 358 : http://www.liberius.net/livre.php?id_livre=388)

Et il écrit plus bas au sujet des mots « una cum famulo tuo… » :

« ... avec notre Pape N, votre serviteur. Saint Paul (Hébreux XIII, 7) nous recommande de prier pour nos Pasteurs. Nous nommons en particulier et en premier lieu l'Eveque du premier Siege, qu'on appelle seul par honneur et par distinction le saint Père, notre Pape, c'est-à-dire, notre Père. Il est bien juste qu'en priant pour l'unité de l’Eglise, on prie pour celui qui est le centre de la communion, qui préside à cette Eglise, dit saint Irénée, (Contre les hérésies, III, 3, 2) avec laquelle il faut que toute autre Eglise convienne. » (Explication littérale, historique et dogmatique des prières et des Cérémonies de la Messe, Lyon-Paris, 1860, Tome 1, page 360)

Prier « una cum » signifie donc prier « en union avec » le Pape, non pas en tant que tel, mais en tant qu’il est le centre de la communion de l’Eglise, afin de distinguer la véritable Eglise des communautés hérétiques et schismatiques. Comme nous le disions plus haut : c’est la communion avec l’Eglise qui est signifiée par la manifestation de l’union à l’occupant du siège de Rome. Qu’il y ait une éventuellement une erreur sur l’identité de celui-ci n’est ni hérétique, ni schismatique, ni sacrilège ! Il faut appliquer le principe canonique que « le siège plaide en faveur de celui qui l’occupe », laissant à l'Église le jugement de la légitimité des actuels occupants de celui de Rome.

Dom Ernest GRAF, O.S.B. :

« Notons en premier lieu que le prêtre parle au pluriel. Comme le Sacrifice de la Croix, le Sacrifice Eucharistique est un sacrifice universel. La Messe est l’acte de l’Église, accompli au nom de l’Église – c’est-à-dire, pour les pasteurs et les brebis et les agneaux confiés à leurs soins. Ainsi nous faisons mention explicite du pape, le pasteur universel, de l’évêque diocésain, et finalement de tous ceux qui professent la foi catholique et apostolique. » (The Priest at the Altar, (New York: Joseph F. Wagner, 1926) p. 181)

Père Lucius FERRARIS, O.F.M. :

« Tout d’abord le prêtre offre le sacrifice pour l’Église, ensuite en particulier pour le Pontife de par une très ancienne coutume de l’Église, pour signifier l’unité de l’Église, et la communion des membres avec la tête. » (Bibliotheca Canonica etc. (Romae: ex Typographia Polyglotta, 1886), II, p. 50)

Père William J. O’SHEA, S.S., D.D. :

« Il existe un représentant officiel qui symbolise et représente l’unité de l’Église dans chaque diocèse, et qui a été placé là par le Saint-Esprit pour gouverner l’Église de Dieu : à savoir l’évêque. À l’origine seul l’évêque local était mentionné : papa signifiait autrefois n’importe quel évêque, mais fut plus tard restreint au pape seul. En dehors de Rome, les mots et antistite nostro N. furent ajoutés pour éviter la confusion ; notre Canon prie maintenant pour le symbole et centre de l’unité dans l’Église à la fois au sens large et dans chaque diocèse en particulier. Et omnibus… fidei cultoribus est un ancien ajout qui réfère non aux fidèles mais aux autres évêques à travers le monde qui sont vraiment des cultores fidei : gardien de la foi catholique, apostolique et orthodoxe. La foi est désignée par ses anciens titres : elle est catholique, pour le monde entier ; apostolique, venant d’eux [des apôtres] et reposant sur leur enseignement ; orthodoxe, la vraie foi. » (The Worship of the Church (Westminster, Maryland : The Newman Press, 1958) p. 393)

Tous les auteurs parlent de façon similaire. Il est donc vrai de dire que la mention du nom du pape régnant est une déclaration de communion ecclésiale avec lui en tant que tête de l’Église catholique, et non simplement en tant que simple catholique.

III) L’impossibilité pour l’Eglise enseignée de tirer des conclusions théologiques

Si on peut beaucoup débattre de la papauté ou de la non-papauté de François, il n’est en revanche pas possible de déclarer illicite et sacrilège l'assistance aux messes de la FSSPX, autrement l’Eglise elle-même aurait erré pendant des siècles comme nous allons le voir. Le fait est que l’Eglise enseignée n’a pas le pouvoir de tirer de conclusions théologiques contraignantes, si évidentes soient-elles, et que seule l’Eglise enseignante (ou dans le cas de ceux qui penseraient tout de même que François n’est pas pape : une hiérarchie rétablie) pourra juger a posteriori de ce qui était et n’était pas.

Nous n’allons pas développer un argumentaire théologique, mais historique. Nous allons montrer par des exemples historiques de clercs visiblement hérétiques, dont il ne fut jamais, même après un jugement explicite des Papes au sujet de leurs erreurs, obligatoire de se séparer d’eux, et encore moins de l’imposer aux autres.

IV) L’Eglise enseigne une telle impossibilité

L’Eglise a jugé directement ou indirectement à plusieurs reprises qu’un jugement tel que celui des sédévacantistes n’était pas légitime.

A) La nécessité de recourir au jugement pontifical même pour les « choses claires et certaines » et autres « affaires qui naissent au sujet de la religion, quoique simples et non douteuses »

L'Empereur Justinien envoya une Profession de foi au Pape Jean II. Celui-ci lui répondit dans une lettre qu'il l'approuvait entièrement. Ces deux documents témoignent abondamment de la foi de l'Eglise universelle en la Papauté. Dans le Code Justinien (Livre I, titre premier, point n°8), la Profession de foi de l'Empereur qui est antérieure à l'approbation du Pape, ne se trouve qu'au travers de la réponse du Pape Jean II qui l'approuve. En effet, Jean II commence par une introduction et une approbation de cette Profession de foi, puis la cite dans son intégralité, et reprend la parole pour conclure. En revanche dans la Patrologie latine, la Profession de foi de l'Empereur est entièrement extraite de la lettre de Jean II et placée avant elle, et la reproduction de la lettre du Pape renvoie au texte précédent à l'endroit où Jean II citait l'Empereur.

Dans sa profession de foi, Justinien disait qu’il n’osait rien décider sans en référer au Pape, pas même au sujet de « choses claires et certaines » ou d' « affaires qui naissent au sujet de la religion, quoique simples et non douteuses », et ce alors même qu'il avait le Patriarche de Constantinople à sa proximité immédiate. C’est dire s’il ne saurait en être différemment de la situation actuelle !

Laissons la parole aux intéressés.

1) Profession de foi de l’empereur Justinien

Voici les termes en question de la Profession de foi de l'Empereur Justinien Ier (vers 482-565) : 

« Honorant le siège apostolique et votre sainteté, pour laquelle nous n’avons jamais cessé de faire des vœux, que nous regardons comme notre père, nous nous sommes hâtés de lui donner connaissance de toutes les affaires qui concernent l’état ecclésiastique. Comme nous nous sommes toujours efforcés de maintenir l’unité de votre siège apostolique, et de maintenir les saintes églises de Dieu dans l’état où elles sont aujourd’hui, c’est-à-dire , dans la paix , et exemptes de toutes contrariétés , nous avons engagé tous les prêtres de l’Orient à s’unir et se soumettre à votre sainteté : mais à présent que de nouveaux doutes se sont élevés, quoique sur des choses claires et certaines, et conformes à la doctrine de votre siège apostolique, fermement gardée et professée par tous les prêtres, nous avons cependant cru nécessaire d’en instruire votre sainteté ; car nous ne souffrons pas que les affaires qui naissent au sujet de la religion, quoique simples et non douteuses, soient agitées sans que votre sainteté en soit instruite, elle qui est le chef de l’église, car nous nous efforcerons toujours, comme nous avons dit, d’accroître l’honneur et l’autorité de votre siège. [...]

§. 2. Tous les prêtres de la sainte église catholique et apostolique et les révérends abbés des saints monastères avant reconnu votre sainteté, approuvant l'état et l'unité des saintes églises qui dérivent de votre siège apostolique [...]

§. 3. Nous admettons, ainsi que votre siège apostolique l'enseigne et prêche, quatre saints conciles; 1°. celui des 318 saints pères qui s'assemblèrent dans la ville de Nicée ; 2°. celui tenu dans cette ville par les saints pères, au nombre de 150 ; 3°. celui tenu à Ephèse ; 4°. et enfin , celui de Chalcédoine. Tous les prêtres qui suivent la doctrine de votre siège apostolique croient, confessent et prêchent ces choses. [...]

§. 5. Nous demandons donc votre affection paternelle, afin que vous nous fassiez connaître par vos lettres, ainsi qu'aux évêques de cette ville et au patriarche votre frère (qui a écrit lui-même à votre sainteté, par les mêmes députés, qu'il suivait en toutes choses le siège apostolique de votre béatitude), que votre sainteté approuve tous ceux qui croient à ce que nous avons exposé ci-dessus, et qu'elle condamne la perfidie de ceux qui ont osé judaïquement nier la foi légitime. Ainsi l'autorité de votre siège et l'amour de tous pour vous augmenteront ; l'unité et la tranquillité des saintes églises seront assurées, quand les évêques apprendront des députés qui vous ont été envoyés, quelle est la vraie doctrine de votre sainteté. Nous demandons de votre sainteté qu'elle prie Dieu pour nous, et qu'elle nous obtienne sa bienveillance.

La souscription était ainsi : Que la divinité, ô saint et très-religieux père, vous donne une longue vie ! » (Lettre de l’empereur Justinien au Pape Jean II ; PL, tome 66, colonnes 14-17 ; Code Justinien, Livre I, titre premier, point n°8)

2) Approbation du Pape Jean II

Le Pape Jean II (470-533) approuva cette Profession de foi sans réserve. Voici les mots de son introduction :

« Outre les éloges mérités qu’on peut donner à votre sagesse et à votre douceur, le plus chrétien des princes, vous êtes distingué encore comme un astre radieux, par l’amour de la foi et de la charité ; et instruit, sur ce qui concerne la discipline ecclésiastique, vous avez conservé la doctrine de la prééminence du siège de Rome ; vous lui avez soumis toutes choses, et vous avez ramené l’unité dans l’Eglise. Le Seigneur a dit au premier de nos prédécesseurs, qui est aussi le premier des apôtres : "Gardez mes brebis" [Jean XXI, 15-17] ; siège que les institutions dès princes, les maximes des pères, et le témoignage de votre piété , déclarent le chef de toutes les églises. [...] Nous avons reçu avec le respect accoutumé les lettres de votre majesté, par nos frères et collègues, les très-saints évêques Hipatius et Démétrius ; nous avons appris d'eux que vous avez publié un édit adressé à vos fidèles peuples, dicté par l'amour de la foi, et tendant à détruire les hérétiques ; lequel est selon la doctrine apostolique, et a été confirmé par nos collègues et nos frères les évêques ; nous le confirmons de notre autorité, parce qu'il est conforme à la doctrine apostolique. » (Pape Jean II, Lettre à l'Empereur Justinien ; PL, tome 66, colonnes 17-18 ;  Code Justinien, Livre I, titre premier, point n°8)

Puis prend place la Profession de foi de l'Empereur.

Et voici les mots de sa conclusion :

« Les seuls qui soient opposés à votre profession de foi sont ceux dont l’Ecriture dit : "Ils ont mis leur espérance dans le mensonge, et ils ont espéré dans le mensonge" [citation libre de Isaïe XXVIII, 15-17] ; ou ceux qui, d’après le prophète, ont dit au Seigneur : "Eloigne-toi de nous, nous ne voulons pas suivre tes voies" [Job XXI, 14] ; ceux dont parle Salomon : "Ils ont erré dans leurs propres voies y et ils amassent avec leurs mains des choses infructueuses" [Proverbes IV]. C’est donc là votre vraie foi et votre vraie religion, que tous les pères, d’heureuse mémoire, comme nous avons dit, ainsi que tous les chefs de l’Eglise romaine, que nous suivons en toutes choses, ont décidé ; ce que le Siège apostolique a jusqu’à présent prêché et gardé fermement ; et s’il existe quelqu’un qui soit opposé à cette confession et à cette Foi du chrétien, il les jugera lui-même hors de la sainte communion et de l’Eglise catholique. [...] Observant ce que S. Pierre a établi à ce sujet, nous ne les recevons point dans notre communion, et nous ordonnons qu'ils soient exclus de toute église catholique, à moins que, condamnant leur erreur, ils ne suivent notre doctrine, et déclarent en faire profession ; car il est juste que ceux qui ne s'y soumettent point, soient déclarés exclus des églises. Mais comme l'église ne ferme jamais son sein à ceux qui veulent retourner à elle, c'est pourquoi, s'ils abandonnaient leurs erreurs et leurs mauvaises intentions, je supplie votre clémence, afin que vous les receviez dans votre communion, que vous oubliiez les injures qui ont excité votre indignation, et que, par notre intercession, vous leur pardonniez et leur accordiez votre bienveillance. Nous prions Dieu qu'il daigne vous conserver longtemps dans la vraie religion, l'unité du siège apostolique et le respect que vous avez pour lui, et qu'il vous conserve le commandement, en toutes choses, de l'empire le plus chrétien et le plus pieux. [...]

Fait à Rome, le 8 des calendes d’avril, sous le consulat de l’empereur Justinien, consul pour la quatrième fois, et de Paulinus. » (Pape Jean II, Lettre à l'Empereur Justinien ; PL, tome 66, colonnes 19-20 ; Code Justinien, Livre I, titre premier, point n°8)

B) Une question déjà tranchée par le Pape Martin V

1) La Bulle Ad Evitanda Scandala (1418)

La Bulle Ad Evitanda Scandala du Pape Martin V (1418) qui, à elle seule permettrait de régler définitivement l’affaire, est ainsi conçue :

« Afin d’éviter des scandales et de soulager les consciences timorées, par la teneur de ces présents nous accordons miséricordieusement à tous les fidèles du Christ que personne désormais ne sera obligé de s’abstenir de la communion de qui que ce soit dans l’administration et la réception des sacrements ni en tout autre acte, religieux ou non, ni d’éviter qui ce soit, ni d’observer quelque interdit ecclésiastique que ce soit, sous prétexte de quelque sentence ou censure ecclésiastique globalement promulguée par la loi ou par un individu que ce soit ; à moins que la sentence ou la censure dont il s’agit n’ait été spécifiquement et expressément promulguée ou déclarée par le juge contre une particulière personne, collège, université, église, communauté ou endroit. Ceci nonobstant toute constitution, apostolique ou autre, contraire à ces stipulations, sauf le cas de celui dont on sait si notoirement qu’il a encouru la sentence portée par le canon pour port sacrilège de mains violentes sur un clerc que ce fait ne saurait être caché par aucune tergiversation ni excusé par aucune défense juridique. Car de la communion d’un tel nous voulons qu’on s’abstienne, selon les sanctions canoniques, même s’il n’est pas déclaré. »

2) Controverses sur l’interprétation de ce document

Certains sédévacantistes proposent une interprétation allant dans leur sens de ce document. Cette interprétation n’est à notre avis pas mal honnête puisqu’elle se fonde sur un décret du Saint-Office. Toutefois ce décret est mal compris par eux. En voici une démonstration par un laïc britannique, lui-même convaincu de la vacance du Siège de Pierre, John DALY. En répondant aux arguments en faveur d’une application minimale, John DALY a écrit 4 articles qui confirment ce que nous avons dit et allons dire au sujet contre la thèse « una cum péché mortel ». Nous en reproduisons 3 (en anglais – traduction amateure [très mauvaise mais globalement intelligible !] en français ci-dessous) :

a) L'interprétation des plus grands théologiens, synthétisée par le Cardinal Jean de LUGO, S.J. (1583-1660), que « St. Alphonse de Liguori n'hésite pas à le classer immédiatement après Saint-Thomas d'Aquin, « post S. Thomam facile princeps », et Benoît XIV l'appelle « une lumière de l'Église », (Catholic Encyclopedia, vol. IX, article “Lugo, John de”, p. 419)

Traduction de cet article : https://romeward.com/articles/239752583/cardinal-de-lugo-on-communicatio-in-sacris

Jean de LUGO écrit sur la communicatio in sacris avec les hérétiques :

« Le deuxième doute principal est de savoir si nous pouvons communiquer avec un hérétique non déclaré uniquement dans les affaires civiles et humaines, ou même dans les choses sacrées et spirituelles. Il est certain que nous ne pouvons pas communiquer avec les hérétiques dans les rites propres à une secte hérétique, car cela serait contraire au précepte de confesser la foi et contiendrait une profession d'erreur implicite. Mais la question concerne des matières sacrées ne contenant aucune erreur, par exemple s'il est licite d'entendre la messe avec un hérétique, ou de célébrer en sa présence, ou d'être présent pendant qu'il célèbre dans un rite catholique, etc.

Cela est démenti par Basile de Césarée (?) […] Où il dit : « on ne peut célébrer en présence d'un hérétique pour aucun motif, même en raison d'une peur très grave », et il tient cela pour acquis et n'offre aucune preuve de sa prétention. Je suis étonné qu'un homme aussi savant n'ait pas remarqué que l'autorité de tous les docteurs est contre lui, et qu'ils sont suivis par Sanchez […], Suarez […], Azor […] et d'autres, suivis de Hurtado […], Et l'opinion opposée est certaine de ce qui a été dit, parce qu'un excommunié non déclaré qui n'est pas notoirement coupable, n'a pas besoin d'être évité même dans les rites sacrés, comme cela est établi par lesdites litterae extravagantes (Pape Martin V, Ad Evitanda Scandala, 1415), et le fait le fait qu'il soit hérétique n'est pas une raison particulière pour laquelle il devrait être illégal, sauf s'il existe, pour d'autres motifs, un scandale ou une irrévérence contre la foi, ou un autre facteur de ce type, qui sont tous extrinsèques et pas toujours trouvés. […]

              

Troisièmement, cependant, un objet de plus grand doute est de savoir si les catholiques peuvent recevoir les sacrements des hérétiques qui n'ont pas été déclarés comme tels. Cela est démenti par Azor. […] Bien qu'il ne soit guère cohérent quant à ses motifs, car en premier lieu, il dit que cela est dû non seulement à l'excommunication, mais aussi à l'hérésie ; mais en second lieu il dit que c'est à cause non de l'hérésie mais de l'excommunication, dans la mesure où tout excommunié, même occulte, n'a pas juridiction. Soto est d'accord avec lui […], mais pour des motifs différents, car il pense que tous les hérétiques et schismatiques sont réputés avoir été excommuniés de nom et être vitandi.

              

Mais le point de vue opposé est généralement partagé [communis] et est le vrai, à moins qu'il ne soit illicite dans un cas donné pour une autre raison telle qu'un scandale ou un déni implicite de la foi, ou parce que la charité oblige à empêcher le péché du ministre hérétique administrant indignement là où la nécessité ne l'exige pas. C'est l'enseignement de Navarro et Sanchez […], Suarez […], Hurtado […] et c'est ce que j'ai dit en parlant du sacrement de pénitence […] et du mariage et des autres sacrements […]. Il est également certain, en vertu desdites litterae extravagantes (Pape Martin V, Ad Evitanda Scandala, 1415), dans lesquelles la communication avec les excommunicati tolerati est concédée aux fidèles dans la réception et l'administration des sacrements.

Donc, comme ces hérétiques ne sont pas déclarés excommuniés ou notoirement coupables, il n'y a aucune raison pour que nous soyons empêchés de recevoir les sacrements de leur part à cause de leur excommunication, bien que pour d'autres motifs, il puisse souvent être illicite de le faire à moins que la nécessité devrait excuser comme je l'ai expliqué dans lesdits endroits. » (Tractatus de Virtute Fidei Divinae: Disputatio XXII, Sectio 1)

Note explicative ajoutée par John S. Daly

Le texte ci-dessus cité par l'un des plus grands théologiens de l'histoire de l'Église met en évidence une distinction importante souvent négligée par ceux qui font appel à la loi de l'Église contre la communicatio in sacris cum hæreticis pour interdire aux catholiques de nos jours d'aller à la messe de prêtres una cum.

Le Cardinal de LUGO soutient que la loi interdisant aux catholiques de participer au culte avec des hérétiques ou des schismatiques ne s'applique que si ceux en question ont été déclarés tels par l'Église ou appartiennent à une secte condamnée. Et LUGO montre également que la majorité des théologiens ont son avis sur ce sujet, contre une minorité qui n'est pas d'accord.

Cet enseignement est soutenu par Ad Evitanda Scandala du Pape Martin V qui autorise expressément la communion avec les excommuniés jusqu'à ce qu'ils soient condamnés par l'Église.

Naturellement, cela ne s'applique pas à ce qui est certainement interdit par la loi divine – comme le serait la participation à un rite qui contenait lui-même l'hérésie ou qui exposait soi-même ou d'autres à de graves scandales.

Il convient de noter qu'il n'y a pas eu de changement notable dans la loi ecclésiastique sur la communicatio in sacris depuis l'écrit de LUGO. La loi interdisant la communicatio in sacris avec les non-catholiques reste en vigueur (Canon 1258). Et la loi autorisant la réception des sacrements des excommuniés non condamnés (Canon 2261) reste également en vigueur.

b) Quelques notes sur la Communicatio in Sacris

Traduction de cet article : https://romeward.com/articles/239752455/communicatio-in-sacris-a-few-notes

Voici quatre faits concernant l'attitude de l'Église face à ce qui est techniquement connu sous le nom de communicatio in sacris cum acatholicis, c'est-à-dire la participation au culte religieux avec des non-catholiques.

 1. La constitution Ad evitanda scandala (1418) du pape Martin V autorise explicitement la communicatio in sacris avec ceux que l'autorité compétente n'a pas personnellement condamné ou déclaré avoir encouru l'excommunication. Cette autorisation en soi s'applique non seulement aux excommuniés qui sont toujours membres de l'Église, mais aussi aux hérétiques et aux schismatiques, à condition qu'ils ne soient pas condamnés. [cf. Prospero LAMBERTINI (futur Pape Benoît XIV), Tractatus de synodo diœcesana, lib. v, cap. 5 et Saint-Office, rescrit du 10 mai 1753, cité par le Cardinal Pietro GASPARRI, Fontes, vol. IV, p. 83.]

2. La constitution Ad evitanda scandala est toujours en vigueur aujourd'hui ; une partie substantielle de ses dispositions figure dans le Canon 2261 du Code de 1917 – un canon pour lequel il est nommé comme source – ; ce canon autorise les fidèles à recevoir les sacrements et les sacramentaux de toute excommunié non condamné, en particulier, mais pas exclusivement, si d'autres ministres ne sont pas disponibles. La réception des sacrements n'est pas seulement un acte de communicatio in sacris, mais il en est la forme la plus grave.

3. Tous les canonistes et moralistes sont unanimes pour dire que la prière privée entre catholiques et non catholiques est autorisée si la prière utilisée est elle-même catholique (cf. Wernz-Vidal, etc.).

4. Le Saint-Office a déclaré en 1949 que la récitation en commun par un groupe mixte de catholiques et de non-catholiques du Notre Père ou d'une prière approuvée par l'Église ne constitue pas un acte de communicatio in sacris interdit. [cf. 20 décembre 1949, Instructio ad locorum Ordinarios, “De Motione Œcumenica”, n°5]

Il ressort clairement de ces exemples qu'il n'existe pas de loi divine qui interdise absolument la communicatio in sacris avec tout hérétique ou schismatique même avant toute condamnation formelle.

Cependant, la loi divine ou naturelle interdit la communicatio in sacris si le ministre n'est pas validement ordonné, si le rite utilisé n'est pas entièrement catholique ou si les circonstances sont telles que la communion sacramentelle équivaut à une profession d'hérésie – ou pour cause de scandale. [En théologie, un acte est qualifié de « scandaleux », non pas parce qu'il choque, étonne ou attire désaccord ou désapprobation, mais lorsqu'il incite les autres à commettre le péché.]

Dans le cas des prêtres adhérant au schisme oriental, l'Église a toujours jugé « presque impossible » que tous ces obstacles soient absents. Pour cette raison, elle a toujours jugé illégale la communicatio in sacris entre catholiques et membres des corps schismatiques orientaux. [Saint-Office, rescrit du 10 mai 1753]

Le Code de 1917 déclare que « la participation active aux rites des non-catholiques » est illicite. [canon 1258] Mais aucun commentateur ne peut être trouvé qui étend cette interdiction à l'utilisation d'un rite catholique par un ministre dûment ordonné dans l'Église catholique qui tombe par la suite dans un acte personnel d'hérésie ou de schisme sans rejoindre une secte condamnée et sans être l'objet direct d'aucune condamnation.

Le canon 2316 précise que quiconque participe à une communicatio in divinis [l'expression est équivalente à communicatio in sacris] avec des hérétiques « contrairement aux dispositions du canon 1258 » est « suspect d'hérésie ». Il est clair que cette peine n'affecte pas un acte qui ne s'oppose pas au Canon 1258 – par exemple la prière privée ou la communicatio in sacris avec des personnes qui n'ont ni été directement condamnées ni rejoint une secte condamnée. Elle ne s'applique pas non plus à la communicatio in sacris avec des schismatiques condamnés qui ne sont pas des hérétiques, ce qui est interdit par le canon 1258 mais est exclu des effets du canon 2316 par la formulation explicite de ce canon.

Dans ce contexte, nous pouvons nous tourner vers une question plus concrète : tout prêtre qui a accepté Vatican II, ou de la FSSPX, est-il nécessairement hérétique ou schismatique ?

Les remarques ci-dessus montrent déjà qu'« au pire » un clerc ayant accepté Vatican II, ou de la FSSPX serait un hérétique ou un schismatique non condamné et donc que la communicatio in sacris avec lui, s'il acceptait d'utiliser un rite catholique, tomberait sous l'autorisation d'Ad Evitanda Scandala et du Canon 2261, et non sous l'interdiction du Canon 1258.

c) Argument de l’abbé CEKADA en faveur d’une portée limitée aux matières civiles et séculières

L’abbé Anthony CEKADA écrit dans Le grain d’encens, les Sédévacantistes et les messes “una cum”, lors de ses réponses aux objections :

« A. Le Pape Martin V et le Cardinal de Lugo

              Objection : La Constitution “ Ad Evitanda ” du Pape Martin V et l’enseignement du théologien de Lugo autorisent les catholiques à assister en cas de nécessité à la Messe et à recevoir les sacrements de la part d’hérétiques et de schismatiques non déclarés lorsqu’un rite catholique est utilisé. Les prêtres qui offrent des Messes “ una cum ” n’ont pas été déclarés hérétiques et schismatiques par l’Église, et ils utilisent un rite catholique. Par conséquent, il est permis à un sédévacantiste d’assister à leurs Messes.

               L’extrait de Ad Evitanda (1415) qui est cité à l’appui de l’objection est le suivant :

“ ... personne désormais ne sera obligé de s’abstenir de la communion avec quiconque dans l’administration ou la réception des sacrements ou dans tout autre acte religieux ou non religieux quel qu’il soit,... sous le prétexte d’une quelconque sentence ou censure ecclésiastique promulguée généralement, que ce soit pour le droit ou pour un particulier ; à moins que la sentence ou censure en question ait été spécifiquement et expressément publiée ou proclamée par le juge envers ou contre une personne définie, un collège, une université, une église, une communauté ou un lieu... ” [J. Bancroft, Communication in Religious Worship with Non-Catholics, CUA Studies in Sacred Theology 75 (Washington: CUA 1943), 27-9]

               Mais ni ce passage ni le commentaire qu’en fait de Lugo n’abattent aucun des arguments présentés au chapitre III contre les Messes una cum.

1. Un Principe Inadéquat. Veuillez noter les mots de la citation que nous avons mis en gras : “ sentence ou censure ecclésiastique... ” Ils font référence à des jugements prononcés par un tribunal ecclésiastique ou à des censures telles que l’excommunication.

               Aucun de nos arguments contre l’assistance à des Messes una cum ne s’appuie sur les effets de sentences ou censures ecclésiastiques telles que l’excommunication. Face à ceci, la mention de Ad Evitanda est, alors, inadéquate dans cette discussion.

               Cela devient encore plus évident avec le contexte historique dans lequel le document fut publié.

               Martin V promulgua Ad Evitanda au Concile de Constance (1414-1418) qui mit fin au Grand Schisme d’Occident (1378-1417), une période agitée de l’histoire de l’Église avec de multiples prétendants à la papauté.

               Avant Ad Evitanda, le droit canon interdisait à un catholique de communiquer de quelque manière que ce soit – sur le plan religieux comme sur le plan séculier – avec quelqu’un d’excommunié. Ceux qui violaient cette interdiction encourraient eux-mêmes une censure, l’excommunication mineure, qui les privait des sacrements. Comme les divers prétendants à la papauté excommuniaient les partisans des autres prétendants, la perspective d’encourir l’excommunication mineure causait de grands tracas aux laïques de tous les côtés. Ad Evitanda supprimait cette seconde censure, sauf si la personne avec laquelle vous communiquiez avait été officiellement déclarée excommuniée par un juge ecclésiastique. [74]

               En ce qui concerne l’application actuelle de Ad Evitanda, le Code de 1917 ne le cite pas comme une source pour l’interdiction du culte commun avec les hérétiques et les schismatiques (canon 1258), mais simplement comme la source pour l’interdiction de recevoir les sacrements de la part d’un clerc ayant été excommunié vitandus [= “ doit être évité, ” c. à d., par d’autres catholiques. C’est le degré d’excommunication le plus sévère, et est imposé à un délinquant seulement par un décret spécial du Saint Siège.] (canon 2261.3). C’est la loi ecclésiastique sur la première question (culte commun avec les hérétiques et les schismatiques), et non la seconde (réception des sacrements d’un clerc excommunié), que nous avons utilisée pour baser certains de nos arguments au chapitre III.

2. Les Conditions de De Lugo. Mais quoi qu’il en soit de cela, le théologien jésuite de Lugo (1583-1660), entre autres, enseigne effectivement que la Constitution de Martin V permettait aux catholiques de recevoir les sacrements de la part d’hérétiques qui n’ont pas été déclarés excommuniés.

               De Lugo ajouta cependant deux conditions : (1) que le rite utilisé par les hérétiques soit un rite catholique et (2) que la participation par un catholique ne soit pas illicite pour quelque autre raison, telle que le scandale ou la négation implicite de la foi. [Disputationes Scholasticae et Morales (Paris : Vivès 1868) 2:86]

               Bien sûr, le scandale et la négation implicite de la foi constituent quelques une des raisons explicitement invoquées au chapitre III contre la participation active aux Messes una cum. Par conséquent, citer de Lugo abat l’objection plutôt que l’appuyer.

3. Rejeté par le Saint Office. En tous cas, le Saint Siège rejettera plus tard l’interprétation libérale que de Lugo et d’autres ont fait de Ad Evitanda à propos du culte commun avec des non catholiques.

               Dans un document de 1753 qui citait au Pape Benoît XIV, le Saint Office affirmait que Ad Evitanda permettait aux catholiques de communiquer “ uniquement en matières civiles et séculières ” avec les hérétiques qui n’ont pas été expressément et nommément déclarés tels. Toutefois :

“ Les catholiques par conséquent ne doivent pas penser qu’il est aussi permis de participer avec ces mêmes hérétiques aux actes de culte divin. ”

               Le décret en vint à nommer plusieurs théologiens qui avaient dit l’opposé, y compris de Lugo, et déclarait finalement :

“ En cette matière il est presque impossible que les catholiques qui se joindraient au culte sacré avec des hérétiques et schismatiques soient exempts de péché. Pour cette raison, les Sacrées Congrégations Romaines du Saint Office et de la Propagation de la Foi ont toujours considéré illicite une telle communion. ”

               Notez s’il vous plaît le langage fort : il est “ presque impossible... d’être exempt de péché, ” et le Saint Siège “ a toujours considéré illicite une telle communion. ” [Décret Tenos, Fontes 4:804]

               Pour les recours futurs, soit à Ad Evitanda, soit à de Lugo sur la question des Messes una cum, par conséquent, le décret de 1753 constitue le coup de grâce. »

d) Réponse à ses arguments : la véritable portée de la constitution Ad Evitanda Scandala dans l'actuelle crise dans l’Eglise

1 – Remarque préliminaire sur l’impossibilité évidente de la thèse de l’abbé CEKADA

Comme nous venons de le voir, l’abbé CEKADA affirme que les autorisations données par la Bulle Ad Evitanda sont valables « uniquement en matières civiles et séculières » en prétendant s’appuyer sur l’interprétation du document faite par le Saint-Office. Mais il n’est pas difficile de se rendre compte qu’une telle interprétation est impossible car elle ferait grossièrement mentir le document ! En effet, comment une autorisation donnée explicitement de ne pas « s’abstenir de la communion de qui que ce soit dans l’administration et la réception des sacrements ni en tout autre acte, religieux ou non, ni d’éviter qui ce soit, ni d’observer quelque interdit ecclésiastique que ce soit, sous prétexte de quelque sentence ou censure ecclésiastique globalement promulguée par la loi ou par un individu que ce soit », peut-elle devenir une autorisation valable « uniquement en matières civiles et séculières » !? On voit que cette thèse, malgré toute l’intelligence des arguments de l’abbé CEKADA, est tout bonnement impossible ! Aussi nous allons passer à la l’explication du sens réel de la Bulle de Martin V, du décret du Saint-Office et du traité du futur Benoît XIV.

Le retse de la réponse est une traduction de cet article : https://romeward.com/articles/239749959/the-true-scope-of-the-constitution-ad-evitanda-scandala

2 – Communication civile ou communication religieuse ?

Le 5 juillet 1729, la Propagande a publié une interdiction générale, excluant tout culte commun dans la plus grande rigueur. Le 10 mai 1753, le Saint-Office publia une autre interdiction générale, insistant sur le fait que le décret de Martin V Ad evitanda scandala ne s'appliquait qu'à la coopération civique et non à la communicatio in sacris. Il s’agit d’une réponse à un missionnaire du Péloponnèse qui apparaît sous le n°804 dans le vol. IV de Codicis Iuris Canonici Fontes du Cardinal Gasparri. Le même texte se trouve dans Collectanea S. C. de Prop Fide, vol. I, n°389.

3 – Un missionnaire consulte le Saint-Siège 

Le missionnaire présenta ces trois questions :

1 Les prêtres catholiques de rite latin (a) permettent-ils aux prêtres de rite grec schismatique et hérétique d'offrir la messe dans leurs églises et (b) de les admettre aux funérailles catholiques ?

2 Les catholiques de rite grec n'ayant pas d'église catholique du même rite peuvent-ils participer aux rites des schismatiques et des hérétiques grecs ?

3 Les prêtres catholiques de rite latin peuvent-ils admettre confesser les catholiques grecs qui en fait communiquent in divinis avec les schismatiques grecs ?

La réponse donnée à la requête 1(a) est Non. On dit que c'est pire s'ils nomment le patriarche de Constantinople ou utilisent des rites qui expriment leurs hérésies, mais même en dehors de cela, la pratique est hors de question car les catholiques entrant dans l'église pourraient participer ou être scandalisés. A la requête 1(b) la réponse est que les prêtres schismatiques peuvent être présents matériellement mais ne peuvent pas ajouter leurs propres rites ou prendre une part active aux rites catholiques.

La réponse à la requête 2 est Non – ils devraient s'adresser aux prêtres catholiques de rite latin, et non aux non-catholiques de rite grec.

Et la réponse à la requête 3 est qu'il n'est pas licite « en dehors du cas d'extrême nécessité ». (On peut supposer que « l'extrême nécessité » porte sur les circonstances de la communicatio in sacris avec les schismatiques, et non sur celles de la confession aux prêtres catholiques.)

4 – Le Saint-Siège ajoute un appendice

Cela aurait normalement été tout. Mais dans ce cas, la Sacrée Congrégation du Saint-Office a ordonné « pour une meilleure instruction de ce missionnaire et des autres missionnaires » qu'il soit ajoutée à la réponse une transcription d'un extrait substantiel à ce sujet du Tractatus de Synodo Dioecesana du pontife régnant, alors Benoît XIV (lib. V, c. 5). Cet ouvrage a été écrit par le pape avant son élection mais réédité sous son règne, avec ajouts et corrections. En tant que tel, il ne s'agit pas d'un acte pontifical et le fait que cet extrait soit annexé à la réponse du Saint-Office constitue une recommandation officielle du Saint-Siège, mais ne le transforme pas en texte magistériel.

Ce qui est particulièrement intéressant, c'est qu'entre ce décret et la fin de son pontificat (en 1758), Benoît XIV a profondément modifié le texte même que le Saint-Office a ordonné de joindre. Gasparri donne la nouvelle version dans une note de bas de page.

Voici la première version :

« Mais bien que selon la discipline actuelle introduite par Martin V dans les célèbres litterae extravagantes du décret Ad evitanda scandala dont il sera question ci-dessous, il est licite pour les catholiques de converser librement avec les hérétiques à condition qu'ils ne soient pas expressément dénoncés par leur nom et de communiquer avec en matière purement profane et civile [soulignement ajouté – JSD], les catholiques ne devraient donc pas juger qu'il leur est également permis de s'associer à des hérétiques dans des actes sacrés et religieux. En effet, Paul V, après une discussion mûre, a défini qu'il n'était nullement licite pour les catholiques du royaume d'Angleterre de fréquenter les temples des hérétiques et d'être présents aux rites qui y étaient exercés. »

5 – Le pape Benoît XIV révise son texte

Maintenant, ce texte est pour le moins surprenant car il semble en effet impliquer que Ad evitanda scandala ne concerne que la communication avec les hérétiques non condamnés en matière civile. Alors que le texte Ad evitanda scandala ne fait pas une telle distinction, faisant clairement référence à la communion « dans l'administration ou la réception des sacrements ou dans tout autre acte religieux ou non religieux que ce soit ».

Cette observation a sans doute été faite à l'époque, car la deuxième édition de l'œuvre du pape a vu ce passage retravaillé comme suit :

« Mais bien que par le Canon du Concile de Florence approuvé par Martin V qui commence Ad evitanda et qui est toujours resté en vigueur malgré les constitutions contraires subséquentes des conseils de Bâle et du Latran, un certain assouplissement a été fait dans la discipline concernant la conversation et même la communication dans les actes religieux avec les hérétiques qui sont tolérés et non expressément dénoncés comme vitandi, comme le montre longuement Cabassut dans son Theoria et Praxis Juris Canonici, lib. V, c. xi, n. 3 et suiv., Mais les catholiques ne devraient donc pas juger qu'il leur est permis de s'associer à des hérétiques dans des actes sacrés et religieux. En effet, Paul V, après une discussion mûre, a défini qu'il n'était nullement légal pour les catholiques du royaume d'Angleterre de fréquenter les temples des hérétiques et d'être présents aux rites qui y étaient exercés …

Cela rend maintenant justice au contenu réel de Ad evitanda scandala mais semble à première vue contradictoire, comme si Benoît XIV disait qu'Ad evitanda scandala permet la communicatio in sacris avec des hérétiques non condamnés mais que les catholiques ne doivent néanmoins pas penser que la communicatio in sacris avec des hérétiques non condamnés est autorisé. En fait, son intention est clairement exprimée par ce qui suit, car il continue en disant qu'il n'ignore pas les théologiens qui soutiennent que la communicatio in sacris avec des hérétiques non condamnés est légale à certaines conditions (il mentionne, avec des références complètes, de Lugo, Thomas de Jésus, Silvius, Albitius et Gottus), mais il souligne que leur enseignement n'est pas incontesté et n'est pas reconnu par tous comme sûr à suivre dans la pratique et qu'en tout état de cause les conditions requises par ces théologiens pour justifier la communicatio in sacris avec un hérétique non condamné sont extrêmement exigeants, à savoir :

 

1 une cause très grave et très urgente;

 

2 que le ministre hérétique soit valablement ordonné et utilise exclusivement des rites catholiques;

 

3 que la communicatio in sacris ne soit pas une protestation extérieure de fausse doctrine, car aller aux églises protestantes se faisait en Angleterre lorsque Paul V l'interdit (puisque, dit-il, le roi avait expressément ordonné à tous d'aller à l'église afin de montrer leur accord avec les protestants);

 

4 qu'il ne devrait pas faire scandale. »

Benoît observe que puisque, même en acceptant l'enseignement des théologiens les plus doux, toutes les conditions doivent être vérifiées simultanément et que cela se produit très rarement, «il est donc presque impossible qu'il se produise que les catholiques se mélangeant dans les rites sacrés avec les hérétiques et les schismatiques puissent être excusé du péché grave [flagitio].

Enfin, l'extrait du travail de Benoît XIV déclare que pour cette raison les congrégations romaines (Saint-Office et Propagande) ont toujours considéré une telle communication comme illicite et, alors qu'il n'était qu'un jeune clerc travaillant à ses traités théologiques et canoniques, ils ont rédigé une instruction chaque fois que cela était nécessaire aux missionnaires dans laquelle étaient expliquées les raisons pour lesquelles il ne peut pratiquement jamais arriver dans la pratique que la communicatio in divinis des catholiques avec les hérétiques soit innocente.

6 – Conclusions préliminaires

En résumé, cette réponse du Saint-Office maintient l'interdiction de la communicatio in sacris avec les hérétiques et les schismatiques et, tout en reconnaissant comme une opinion théologique autorisée que, dans certains cas très rares et exigeants, la communicatio in sacris avec les hérétiques et les schismatiques qui n'ont pas été excommuniés nommément peut être licite, elle insiste sur le fait que les conditions sont si rarement vérifiées dans la pratique qu’elles ne valent guère la peine d’être prises en compte dans l’ordre pratique alors rencontré. Là où les conditions ne sont pas vérifiées, une telle communicatio in sacris sera contraire à la loi divine et même le pape ne pourra pas se passer. Il est confirmé que telle est la politique de longue date du Saint-Siège.

Le texte annexé de Benoît XIV écrit en tant que docteur privé confirme, dans l'édition révisée, (a) que Ad evitanda scandala est toujours en vigueur et assouplit les lois qui interdisaient auparavant la communicatio in sacris ou in profanis avec tout excommunié, et (b) s'applique en soi aux hérétiques et aux schismatiques ainsi qu'à ceux qui ont subi une excommunication latae sententiae mais n'ont pas été condamnés par une peine déclaratoire.

Ainsi, depuis 1418, la loi de l'Église catholique interdit purement et simplement cette communication uniquement aux personnes excommuniées par leur nom. Cependant, il ne s'ensuit pas que lorsque les excommuniés non condamnés sont des hérétiques et des schismatiques notoires, une telle communicatio in sacris sera généralement licite. Au mieux, cela ne peut être licite que dans les rares cas où toutes les conditions que les théologiens enseignent sont exigées par la loi divine sont simultanément vérifiées – ce qui ne peut être que extrêmement rare, et même alors, la question de la licéité reste discutable.

Dans ce contexte, sur la manière dont l’abbé CEKADA interprète le décret  le 10 mai 1753, le Saint-Office, à savoir l’interdiction générale, insistant sur le fait que le décret de Martin V, Ad evitanda scandala, ne s'appliquait qu'à la coopération civique et non à la communicatio in sacris.

On voit maintenant que c’est une fausse compréhension. Ad evitanda scandala n'est mentionné que dans un extrait d'un ouvrage écrit par Benoît XIV en tant que docteur privé et ajouté en annexe au rescrit romain. La version originale du texte de Benoît semble donner à penser qu'Ad evitanda scandala ne concerne que la communicatio in profanis, mais ce n'est pas le point soulevé et encore moins la raison pour laquelle le Saint-Office a inclus l'annexe. Et cela aurait été une absurdité au regard du texte d'Ad evitanda scandala. D’où la correction ultérieure dans l’édition révisée de Benoît XIV.

La vérité, comme on peut le voir dans les deux dissertations de l'Université catholique d'Amérique sur la communicatio in sacris, est que Rome n'a jamais toléré la communicatio in sacris cum haereticis, mais a toléré l'opinion de certains théologiens qui, dans certains rares cas, étaient pratiquement impossibles à trouver la communicatio in sacris cum haereticis pourrait être licite.

Ad evitanda scandala a supprimé l'interdiction ecclésiastique de la communication dans les activités religieuses ou autres avec des excommuniés non condamnés. De toute évidence, il peut y avoir d'autres raisons extrinsèques dans certains cas où une telle communication est interdite par la loi divine. Lorsque les excommuniés sont des hérétiques ou des schismatiques notoires, le Saint-Siège juge que ces raisons extrinsèques existeront presque toujours dans la pratique. Par conséquent, alors qu'Ad evitanda scandala s'applique à la communicatio in sacris et n'exclut pas les hérétiques non condamnés des excommuniés dont il parle, ses relâchements ne s'appliqueront presque jamais à eux dans la pratique et, en particulier, les missionnaires dans les pays avec de nombreux schismatiques orientaux devraient se garder de permettre la communicatio in sacris. Cependant, l'avis de de Lugo, etc., n'est pas condamné et comme il est impossible d'exclure absolument le respect des conditions, le rescrit permet l'absolution de celui qui suit cet enseignement en pratique dans « le cas d'extrême nécessité ».

7 – Le Code de droit canon (1917)

Il convient de rappeler que les cas envisagés par tous les acteurs de la consultation du XVIIIe siècle concernaient des personnes dont le statut d'hérétique ou de schismatique était incontesté parmi les catholiques. Le problème n'était pas : cet homme est-il un hérétique ? Mais, peut-on participer au culte divin public avec lui bien qu'il soit hérétique ?

Tout à fait différent est le cas de celui qui encourt l'excommunication latae sententiae pour l'hérésie ou le schisme sans adhérer à aucune secte condamnée et dont l'hérésie ou le schisme est peut-être sujet à controverse parmi les savants. En effet Cabassut dans son Theoria et Praxis Juris Canonici - l'ouvrage que Benoît XIV reporte explicitement sur le sujet dans son édition révisée - déclare que la communion n'est pas interdite en cas de res ignorata, c'est-à-dire lorsque l'excommunication est inconnue.

Le Code de droit canonique de 1917 dispose au canon 1258§1 que la présence ou la participation active aux rites des non-catholiques est illégale [1], tandis que le canon 2261§2 [2] autorise les fidèles à demander les sacrements et les sacramentaux à un excommunié pour « tout juste ». cause, surtout s'il n'y a pas d'autres ministres disponibles »et suspend à cet effet l'interdiction de confectionner les sacrements qui est l'un des effets de l'excommunication. Laquelle de ces lois prévaut en cas de conflit, par exemple si un catholique souhaite recevoir la sainte communion à la messe d'un prêtre qui a subi une excommunication latae sententiae pour hérésie, mais dont l'excommunication n'a pas été déclarée publiquement ?

Étant donné que le canon 1258 concerne explicitement le cas des non-catholiques, il semblerait qu'il prévaut dans le cas des membres des sectes non catholiques utilisant les rites de ces sectes, [3] et donc d'ajouter une loi ecclésiastique positive restreignant quelque peu la tolérance accordée par Ad evitanda scandala. D'autre part, étant donné qu'Ad evitanda scandala en tant que tel reste en vigueur et en soi ses dispositions s'étendent (comme nous l'avons vu) aux personnes excommuniées pour hérésie et schisme ainsi que pour toute autre cause, et puisque les doutes doivent être interprétés en faveur de liberté, [4] Canon 2261 peut être considéré comme prévalant dans d'autres cas, du moins si les quatre conditions reconnues énoncées ci-dessus sont vérifiées, à savoir : (i) motif grave ; (ii) le ministre est validement ordonné et le rite est catholique ; (iii) aucune protestation d'une fausse religion n'est voulue ou suggérée, (iv) le scandale est évité. Et cela prévaudra certainement s'il existe un doute raisonnable quant à savoir si le ministre est en fait un hérétique en premier lieu. 

Notes [english] :

[1] It footnotes the 1753 rescript among many other Roman sources.

[2] It footnotes Ad evitanda scandala.

[3] Cf. Mahoney, E.J., Priests’ Problems, No. 295. The 1917 Code of Canon Law nowhere appears to use the term “non-Catholic” to denote one who, having been Catholic, has fallen into notorious heresy or schism without joining a sect and in the absence of any declaratory sentence.

[4] Cf. Canon 19 and the well known regula iuris that odia convenit restringi, favores vero ampliari — i.e. canonical interpreters should be slow to impose burdens and prompt to alleviate them.

C) A l’école d’un maître de l’antilibéralisme : Don Félix SARDA y SALVANY

Il est particulièrement à propos d’appliquer dans la tempête moderniste actuelle ce qu’écrivait l’un des plus grands maîtres de l’antilibéralisme, Don Félix SARDA y SALVANY dans son célébrissime Le libéralisme est un péché, jugé positivement par la Sacrée Congrégation de l’Index

1) Ce qu’il dit au sujet des rapports à entretenir avec les clercs libéraux dans son ouvrage Le libéralisme est un péché

Dans Le libéralisme est un péché de Don Félix SARDA y SALVANY, au chapitre XXIX intitulé « Quelle conduite doit observer le bon catholique avec les ministres de Dieu ainsi infectés de libéralisme ? », il est écrit que lorsqu’une hérésie a été remarqué chez un prêtre par un laïc, il doit batailler sur le terrain des idées, tout en attendant la sentence romaine avant de se séparer du prêtre :

« De simples fidèles ont remarqué chez un ecclésiastique des doctrines opposées à celles communément enseignées comme exclusivement bonnes et vraies ; contre elles ils ont poussé le cri d’alarme dans leurs livres, de vive voix et dans leurs brochures, réclamant ainsi du magistère infaillible de Rome la sentence décisive. »

Ou encore :

« L’erreur est-elle évidente, il n’est pas néanmoins permis de se mettre immédiatement en révolte ouverte, et il faut se contenter d’une résistance passive à cette autorité, sur les points où elle se met manifestement en contradiction avec les doctrines reconnues pour saines dans l’Église. On doit conserver pour elle le respect extérieur qui lui est dû, lui obéir en tout ce qui n’est pas d’un enseignement condamné ni nuisible ; et lui résister pacifiquement et respectueusement en tout ce qui s’écarte du sentiment commun catholique. »

2) Jugement laudatif de la Sacrée Congrégation de l’Index sur ce livre

Et cette étude fut approuvée par la Sacrée Congrégation de l’Index qui déclara :

« non seulement elle n’a rien trouvé qui soit contraire à la saine doctrine, mais son auteur D. Félix Sarda mérite d’être loué, parce qu’il expose et défend la saine doctrine sur le sujet dont il s’agit, par des arguments solides, développés avec ordre et clarté, sans nulle attaque à qui que ce soit. » (Décret complet : https://archives.laportelatine.org/bibliotheque/liberalisme/le_liberalisme_est_un_peche_sarda/01.php#preface03)

3) Comment le libéralisme avait déjà été condamné à l’époque

Ce jugement de l’Index n’est pas anodin, puisqu’il qualifie ainsi un livre dans lequel Don SARDA indique d’observer cette attitude pratique envers les libéraux, tout en disant lui-même du libéralisme :

« Tout ce que vous venez d'exposer, nous dira-t-on ici, se heurte dans la pratique à une très grave difficulté. Vous avez parlé d'individus et d'écrits libéraux, et vous nous avez recommandé avec insistance de les fuir comme la peste, eux et leurs plus lointaines influences. » (Chapitre XXXVIII : S'il est indispensable, ou non, de recourir dans tous les cas à une décision spéciale de l'Église et de ses pasteurs, pour savoir si un écrit ou un individu doit être rejeté ou combattu comme libéral ?)

Ainsi, Don SARDA dit d’un côté qu’il n’est pas permis de se séparer d’un clerc qui n’a pas été condamné par un jugement de l’Eglise, et d’un autre côté il « recommande avec insistance de les fuir comme la peste, eux et leurs plus lointaines influences ». Comme un même auteur ne peut pas se contredire dans la même oeuvre, surtout lorsqu’il est  validé par l’Index, il faut conclure qu’il est conforme à la foi catholique de ne pas se séparer d’un clerc tant qu’il n’a pas été condamné par un jugement de l’Eglise, même s’il adhérait publiquement à une hérésie gravissime. Pour comprendre l’apparente contradiction, il faut lire l’intégralité du chapitre que nous venons de citer en cliquant ici.

De plus, à partir de la seconde édition de son livre, Don SARDA ajoutait à la fin du livre une lettre pastorale des évêques d’Equateur, rappelant que plusieurs Papes dont Léon XIII avaient surabondamment condamné le libéralisme en tant que tel, ou les erreurs de ce qui allait devenir le libéralisme :

« Si les souverains Pontifes Clément XII, Benoît XIV, Pie VI, Léon XII, dans leurs allocutions consistoriales, dans leurs encycliques, dans leurs lettres et constitutions apostoliques, condamnent, réprouvent, proscrivent toutes et chacune des erreurs et des hérésies que Pie IX, le dernier concile du Vatican (Vatican I, en 1870), et Léon XIII ont proscrites et réprouvées dans une multitude de documents pontificaux ; les catholiques libéraux opposent au poids écrasant d’enseignements si graves, si solennels, si infaillibles, la témérité de l’ignorance, ou la ténacité des préjugés, ou le silence de l’hypocrisie, ou les mille et mille dé­tours de l’astuce, afin de triompher par le juge­ment privé de l’autorité irréformable de l’Eglise. » (Texte complet de la lettre pastorale des évêques d’Equateur sur le libéralisme, publié le 15 juillet 1885, dans cette édition numérisée de 1955, à partir de la page 249 : http://liberius.net/livre.php?id_livre=1410)

On peut préciser que ce livre fut publié en 1884. C’est-à-dire que lors de cette approbation romaine de la pratique exposée par Don SARDA, le Pape Léon XII avait déjà eu l’occasion de se lamenter sur la « tête de damné » de l’abbé apostat Félicité ROBERT de LAMENNAIS, chantre et fondateur du libéralisme ; le Pape Grégoire XVI avait déjà condamné le libéralisme par les encycliques Mirari vos du 15 août 1832 et Singulari nos du 25 juin 1834 ; le Pape Pie IX avait déjà publié l’encyclique Quanta cura du 8 décembre 1864, et le Syllabus lui étant adjoint, et avait déjà pu décrire le catholicisme libéral comme pire que les Communards, pourtant décrit par lui comme des « démons sortis de l’enfer ». En effet, Pie IX dit au sujet des communards :

« Malgré tout cet homme s'obstinait à croire que c'était là la manière de gouverner sagement les peuples, et de les conduire à la civilisation et au progrès. La pauvre France a pu voir où aboutissent ces belles maximes, Paris surtout au milieu des horreurs des Communards, qui par les meurtres et les incendies se montrèrent semblables à des démons sortis de l'enfer ! » (Discours 59, 18 juin 1871, à la grande députation des catholiques de France au Vatican, menée par Mgr Théodore-Augustin FORCADE, évêque de Nevers ; in : Discours de notre très Saint-Père le Pape Pie IX - Adressés dans le Palais du Vatican aux fidèles de Rome et du monde catholique depuis le commencement de sa captivité, recueillis et publiés pour la première fois par le R. Père D. Pasquale de Franciscis dei Pii Operari. - Seule traduction française authentique faite et revue à Rome, dédiée à S. É. le cardinal Monaco la Valletta, tome 1, 1875, page 136)

Et les catholiques libéraux comme pires que les communards :

« Lorsque la France gémissait sous le poids de ses calamités, je réfléchissais souvent sur les causes de ses malheurs, et comme vous l'avez dit vous-mêmes, il n'est que trop vrai qu'il y en a. Vous savez combien j'aime la France : je puis donc vous dire franchement la vérité ; il est même nécessaire que je vous la dise.

L'athéisme dans les lois, l'indifférence en matière de Religion, et ces maximes pernicieuses qu'on appelle catholiques libérales, voilà ; oui, voilà les vraies causes de la ruine des états et ce sont elles qui ont précipité la France. Croyez-moi, le mal que je vous signale est plus terrible encore que la révolution, que la Commune même ! » (Ibidem, pages 134 et 135)

Et il déclara-même que le libéralisme serait encore condamné 40 fois par lui s’il le fallait :

« Ici le St.-Père se porta les mains au front ; et avec un mouvement qui indiquait un amer chagrin mêlé à une profonde indignation, il dit :  — J'ai toujours condamné le libéralisme catholique, — puis, levant les mains et les agitant, il ajouta précipitamment et avec force : — et je le condamnerais quarante fois encore s'il le fallait ! » (Ibidem, pages 134 et 135)

Mgr Louis-Gaston de SÉGUR publia un livre célèbre, Hommage aux jeunes catholiques libéraux (Œuvres de Mgr de Ségur, 1887, tome 10, page 347-348), dans lequel, en plus de sa critique du libéralisme, il colligea plusieurs Brefs antilibéraux de Pie IX (pp. 350-381), en qualifiant plusieurs de dogmatiques !

« Quelques semaines auparavant, le Pape avait adressé aux catholiques allemands un Bref Apostolique qui présente un caractère dogmatique encore plus explicite, s'il se peut, que ceux qui devaient les suivre » (Hommage aux jeunes catholiques libéraux, in : Œuvres de Mgr de Ségur, 1887, tome 10, page 363)

« Encore une fois, cinq Brefs, cinq Brefs dogmatiques, se succédant à de si courts intervalles, s'adressant à l'Allemagne, à l'Italie, à la Belgique, à la France, exposant des principes et donnant des directions qui regardent tous les enfants de l'Église : franchement, que faut-il de plus pour manifester jusqu'à l'évidence, chez le souverain Docteur et Pasteur de l'Église, l'intention formelle d'enseigner, et d'enseigner officiellement ? » (Hommage aux jeunes catholiques libéraux, in : Œuvres de Mgr de Ségur, 1887, tome 10, page 386)

Aussi, Pie IX félicita Mgr Louis-Gaston de SÉGUR pour l’ensemble de son œuvre en 1876, dans le Bref par lequel il couronne son opuscule L’enfer, dans cet article : Un auteur catholique à lire : Mgr Louis-Gaston de SÉGUR (1820-1881). On y lira aussi que Pie XI parlait de « Mgr Louis-Gaston de Ségur, prêtre d’une vie sainte, d’un profond savoir et d’une grande piété. » (Lettres apostoliques Quod ad conventus concédant des indulgences, privilèges, induits et dispenses aux Congrès eucharistiques, 7 mars 1924, Actes de S. S. Pie XI, tome 2 (année 1924), pages 36-37). Mais spécialement pour Hommage aux jeunes catholiques libéraux, particulièrement pour en pointant spécialement la mention faite de ces Brefs ! Voici les félicitations qu’il lui fit parvenir, telle qu’elle fut retranscrite dans l’édition des œuvres complètes de Mgr de SÉGUR, ou ce livre est précédée (tome 10, pp. 347-348) :

« N. T.-S. P. le Pape Pie IX, aux, pieds duquel j'avais déposé un des premiers exemplaires de cet opuscule, a daigné l'agréer et m'a fait répondre, par son Secrétaire des Lettres Latines, Son Excellence Révérendissime Monseigneur Nocella, quelques paroles de félicitation. Voici la partie de cette lettre qui concerné l'Hommage aux jeunes catholiques libéraux :

«... Devant les incessants témoignages du zèle qui vous distingue dans la défense de la vérité et de la Religion, Notre Très-Saint Seigneur le Pape PIE IX a pensé qu'il y avait lieu de vous envoyer une fois déplus ses félicitations. Sa Sainteté, en effet, a reçu votre opuscule intitulé : Hommage aux jeunes catholiques-libéraux ; et le Saint Père a vu par votre lettre que, dans ce nouvel écrit, mettant sous les yeux de vos lecteurs les Lettres Apostoliques, écrites par Sa Sainteté pour prémunir les fidèles contre les principes catholiques-libéraux et contre leurs fauteurs, vous vous êtes soigneusement appliqué à donner sur ce sujet aux jeunes gens de précieux avis, capables de les préserver fort heureusement de ce mal perfide.

Le Très-Saint Père a grandement loué votre zèle à cet égard. En attendant qu'Elle puisse lire et goûter votre travail, Sa Sainteté est persuadée que si, par d'autres excellents écrits, vous avez eu déjà le bonheur défaire du bien à vos concitoyens, vous avez acquis par celui-ci un nouveau mérite devant DIEU, et une fois de plus vous aurez été sérieusement utile à vos lecteurs.

Rome, le 1er avril 1874. »

Don Félix SARDA y SALVANY, à l’instar Mgr de SÉGUR,  après avoir cité ces Brefs infaillibles au début de son livre, en extrait plus loin ces quelques qualifications du libéralisme :

« Dans son bref (1er avril 1874) à Mgr de Ségur au sujet de son livre si connu l’Hommage : Titre complet : « Hommage aux jeunes catholiques-libéraux »., il l'appelle perfide ennemi ; dans son allocution à l'évêque de Nevers (18 juin 1871), la véritable calamité actuelle ; dans sa lettre au Cercle catholique de Saint-Ambroise à Milan (6 mars 1873), un pacte entre la justice et l'iniquité ; dans le même document, il le dit plus funeste et plus dangereux qu'un ennemi déclaré ; dans la lettre à l'évêque de Quimper (28 juillet 1873) déjà citée, un virus occulte ; dans le bref aux Belges (8 mai 1873), une erreur sournoise et insidieuse; dans un autre bref à Mgr Gaume (15 janvier 1872), une peste très pernicieuse. Tous ces documents peuvent se lire en entier dans le livre de Mgr de Ségur que nous avons mentionné, Hommage aux catholiques libéraux. » (Chapitre XI « De la dernière et de la plus solennelle condamnation du libéralisme par le Syllabus »)

V) Quand l’hérésie était évidente… mais que la communion ne put être rompue qu’après un jugement de l’Eglise

A) Les évêques du Concile de Rimini (359)

Au Concile de Rimini (359), des évêques parfaitement catholiques mais faibles ont cédé à la pression des hérétiques et ont signé une proposition hérétique. Lorsque les Papes Libère et saint Damase respectivement, ont dû faire face à la situation qui en a résulté, les évêques signataires n'ont pas été jugés comme ayant été déchus ipso facto de leurs fonctions, mais uniquement s'ils n'ont pas respecté l'ordre formel de rétracter leurs erreurs.

La crise arienne du IVème siècle est d’ailleurs intéressante dans la question de l’assistance au messes una cum. En effet, cette crise a engendré tant de degrés différents de complicité, réelle ou présumée, avec l'hérésie, que même les saints n'étaient pas toujours d'accord entre eux sur avec qui l'on devait être en communion ou pas. Saint Hilaire de Poitiers, pour sa part, a été accusé de clémence excessive à l'égard de ceux qui s'étaient, dans une certaine mesure, égarés, soit dans les formulations verbales, soit dans les permissions qu’il donnait à certains prêtres de dispenser les sacrements.

B) Saint Hormisdas affirme la nécessité d’envoyer à Rome ceux qui contredisent les définitions du Concile de Chalcédoine pour y être jugés

Le Pape saint Hormisdas fit dire à l’empereur d’Orient que ceux qui contredisent le concile de Chalcédoine ne doivent pas être châtiés « automatiquement » par les Évêques ou les autorités civiles, mais qu’ils doivent être envoyés l’Evêque de Rome pour recevoir un juste jugement. Dans la lettre d’instruction que le Pape saint Hormisdas remit aux légats qu’il envoyait à l’empereur byzantin Anastase, le Pape indique :

« [Vous direz à l’empereur] Les lettres du Pape Symmaque ne font que répéter la formule : Je suis les décrets de Chalcédoine ; j’admets la doctrine du Pape Léon ; ces lettres ne contiennent rien d’autre sinon l’exhortation à les observer. […]

Si [l’empereur] vous demande de quelle manière il conviendrait de rétablir l’ordre, répondez-lui en toute humilité : Votre Père [le Pape] a écrit une encyclique adressée à tous les évêques en général. Joignez-y vos lettres sacrées déclarant que vous souscrivez à l’enseignement du Siège Apostolique. Alors on reconnaîtra les orthodoxes, ceux qui n’ont jamais été séparés de l’unité du Siège Apostolique, et ceux qui leur sont contraire […]

Si l’on vous présente des requêtes contre des évêques catholiques, principalement contre ceux qui osent anathématiser le concile de Chalcédoine et rejeter les lettres du Pape saint Léon, recevez ces requêtes, mais réservez la cause au jugement du Siège Apostolique, afin qu’ils aient l’espérance d’être entendus, et que vous nous réserviez l’autorité qui nous est due. » (Lettre IV à l’empereur Anastase, 8 juillet 515, PL 63, colonnes 376 à 378)

Alors si nous ne pouvons même pas prendre l’initiative individuelle de porter des jugements à l’endroit de ceux qui nient directement une définition dogmatique d’un concile, qui plus est dans une époque où l’Eglise est dans une situation normale, alors comment pourrions-nous porter des jugements dans notre situation, la plus alambiquée de toute l’histoire de l’Eglise, où Rome elle-même est frappée ?!

Nous rappelons que c’est le même Pape qui imposait à tout l’Orient une profession de foi que nous citons plus haut, et qui définit la communion avec le Siège Romain comme critère ultime d’appartenance  à l’Eglise.

C) L’hérésie de Nestorius

1) Saint Hypace témoigne-t-il en faveur des sédévacantistes ? 

a) Saint Hypace rompit immédiatement la communion avec Nestorius…

Un autre exemple historique a été invoqué en faveur de la position de ceux qui condamnent tous les traditionalistes malavisés comme hérétiques ou schismatiques : le cas de saint Hypace. Ce moine bithynien insista pour que le nom de l'hérétique Nestorius soit omis des diptyques à partir du moment où il commença à prêcher son hérésie, niant l'unité de personne dans Notre Divin Seigneur. En effet, un sédévacantiste nous a écrit un jour :

« Voyons rapidement quel fut le comportement des catholiques lorsque les hérésiarques Arius, Nestorius, Luther et tant d'autres (qui étaient au départ des catholiques et même des évêques pour certains d'entre eux) ont enseigné leurs erreurs. Ont-ils attendu un jugement canonique de l'Eglise pour refuser de les suivre, pour renoncer à les citer au canon de la sainte Messe ? Non. C'est le cas pour Nestorius, qui était l'archevêque de Constantinople. Quand ce dernier commença avec pertinacité à publier ses hérésies, Saint Hypace, prêtre, n'attendit pas la condamnation officielle et canonique de l'Eglise, pour supprimer le nom de son évêque Nestorius au canon de la messe. Au regard des circonstances de l'époque, il fallut attendre 3 ans pour que les autorités de l'Eglise à Rome excommunie Nestorius. »

b) … mais resta en communion avec ceux ne faisant pas de même !

Mais en réalité, le cas de Nestorius pourrait a contrario apporter de l’eau au moulin des « una cum péché mortel » et contredit plutôt les sédévacantistes qui l’utilisent. Pourquoi ? Tout simplement parce que ceux qui dressaient le constat que Nestorius était hérétique, donc plus membre de l’Eglise, et donc plus évêque non plus, ne rompirent pas la communion avec ceux qui refusaient de rompre communion avec Nestorius tant que l’Eglise n’avait pas rendu de jugement !

En effet, saint Hypace (ou Hypathius), moine prêtre dans un monastère en Bithynie, crut devoir prendre ses distances de son patriarche Nestorius, dès que l'hérésie de celui-ci fut devenue manifeste. Il prit l'initiative d'omettre de citer son nom dans son église. Or, l'Évêque Eulalius, qui était le supérieur immédiat de saint Hypace et qui rejetait également l'hérésie de Nestorius, était néanmoins d'avis qu'il fallait continuer à le reconnaître, à prier pour lui et à citer son nom dans les offices liturgiques, tant qu'un concile n'avait pas condamné et déposé ledit patriarche. Et il reprocha au saint moine Hypace de s'être déjà retiré de la communion avec Nestorius. Mais saint Hypace répondit qu'il ne pouvait pas insérer le nom du patriarche dans le sacrifice eucharistique car ses erreurs christologiques le rendaient indigne du titre d'Évêque dans l'Église. Il insista sur le fait que rien ne l'inciterait à changer sa pratique, mais sa réponse est intéressante car il ne fait pas reproche à son Évêque de ne pas faire de même, lui disant de faire ce qu’il veut :

« En raison du fait qu'il a commencé à dire des insanités de Notre-Seigneur, je cesse de communiquer avec lui et de mentionner son nom dans l'action sacrée.... Faites ce que vous voulez. Je suis prêt à souffrir n'importe quoi. » (Callinicus, disciple de saint Hypace, De vita S. Hypatii liber)

On a pu penser que l'évêque Eulalius péchait par pusillanimité et qu'il scandalisait en restant provisoirement en communion avec Nestorius. Mais on n'a jamais soutenu qu'il avait de ce fait versé aussi dans l'hérésie ou le schisme, ni que les fidèles auraient dû s'abstenir d'assister aux célébrations de leur évêque dans lesquelles le nom de Nestorius était encore cité. Toujours est-il que saint Hypace ne rompit point avec son évêque Eulalius, même s'il était d'un avis différent au sujet du statut canonique du patriarche Nestorius et sur la question s'il fallait continuer à le mentionner dans les offices liturgiques. Finalement le concile oecuménique d'Éphèse (431) condamna et déposa le patriarche Nestorius de Constantinople, donnant ainsi raison à saint Hypace quant au fond, sans toutefois donner tort à son évêque Eulalius quant à la forme. Malgré leur attitude différente, il y avait du reste toujours eu cette belle concorde entre eux quant à la rectitude religieuse à promouvoir.

Et le jugement de l’Eglise ne donna ni tort à ceux qui rompirent la communion avec Nestorius, ni à ceux qui le refusaient, ni à ceux qui, ayant fait l’un ou l’autre choix n’ont à leur tour pas rompu la communion avec ceux qui fait le choix opposé. Et chacune des deux postures a son lot de saints. Nous n’en citerons que deux : saint Cyrille d’Alexandrie pour ceux qui ne rompirent pas la communion (nous le verrons plus bas), et saint Hypace pour ceux qui la rompirent.

c) Applications aux sédévacantistes purs et durs

  • Ils ne peuvent pas utiliser cet exemple

Ce cas ne fait donc qu'illustrer ce sur quoi tous les sédévacantistes sont d'accord : dans un cas où l'on voit clairement, en toute prudence, qu'un évêque ou un pape putatif est un hérétique public, on doit immédiatement se retirer de la communion avec lui. C'est bien sûr la position correcte à tenir à l'égard de François et de bien d'autres de nos jours.

Mais lorsque certains sédévacantistes se retirent de la communion avec d'autres catholiques traditionnels ou même avec d'autres sédévacantistes au motif que ces derniers restent en communion non pas avec Jorge-Maria BERGOGLIO mais avec certains clercs ou laïcs traditionnels que ces partisans de la ligne dure considèrent comme des hérétiques... ils ont tout à fait tort de citer le cas de saint Hypace en leur faveur. Car Hypace, s'il s'est retiré de la communion avec Nestorius, ne s'est manifestement pas retiré de la communion avec Eulalius, qui, bien qu'orthodoxe, a cru bon, à tort, de rester provisoirement en communion avec Nestorius jusqu'à ce que l'Église l'ait formellement déclaré hérétique.

  • Réaction d’un sédévacantiste devant l’évidence de ce fait : déclarer que ce fut une faute grave dont saint Hypace avait sans doute dû se repentir

Par conséquent, ceux qui condamnent aujourd'hui ceux d'entre nous qui rejettent François sans rejeter les traditionalistes malavisés devraient, de la même manière, condamner saint Hypace dont nous suivons l'exemple. Ils devraient soutenir qu'il n'aurait jamais dû être considéré comme un saint après un exemple aussi honteux de libéralisme et de dispositions schismatiques !

Cette position n’a aucun fondement documentaire, ce n’est qu’une déduction de sa part. Et la mise en relief avec tous les autres exemples ici présentés nous montrent que c’est une erreur.

2) D’autres saints s’abstiennent de toute décision avant le jugement romain

a) Saint Jean Cassien demande au Pape « comment les églises doivent croire en Dieu »

Informé des troubles causés dans l'Église par Nestorius, saint Jean Cassien (vers 360-vers 435) ne prit pas de position seul, mais il déclara :

« Mais si vous préférez l'autorité d'une personne plus importante (bien que vous ne deviez pas négliger l'autorité d'une personne de l'un ou l'autre sexe, à qui la confession du mystère confère du poids - car quelle que soit la condition d'une personne ou l'humilité de sa position, la valeur de sa foi n'en est pas diminuée pour autant), n'interrogeons pas un débutant ou un écolier non instruit, ni une femme dont la foi pourrait peut-être sembler rudimentaire ; mais le grand homme, le disciple des disciples, le maître parmi les maîtres, qui exerçait le gouvernement de l’Église romaine possédait l’autorité dans la foi et le sacerdoce. Dis-nous donc, Dis-nous que nous te prions, Pierre, prince des Apôtres, dis-nous comment les églises doivent croire en Dieu. Car il est juste que tu nous enseignes, comme le Seigneur te l'a enseigné, et que tu nous ouvres la porte dont tu as reçu la clé. Écartez tous ceux qui tentent de renverser la maison céleste et ceux qui s'efforcent d'y pénétrer par des trous secrets et des voies d'accès illicites, car il est clair que nul ne peut franchir la porte du royaume, si ce n'est celui à qui vous avez révélé la clef donnée aux Églises. Dites-nous donc comment nous devons croire en Jésus-Christ et confesser notre Seigneur commun. [...] Dis-nous donc, ô évangéliste, dis-nous la confession, dis-nous la foi du chef des apôtres : a-t-il confessé que Jésus n'était qu'un homme ou qu'il était Dieu ? A-t-il dit qu'il n'y avait en lui que de la chair, ou l'a-t-il proclamé Fils de Dieu ? Lorsque le Seigneur Jésus-Christ demanda qui les disciples croyaient et confessaient en lui, Pierre, le premier des Apôtres, répondit : un seul au nom de tous, car la réponse d'un seul avait le même effet que la foi de tous. [...] J'imagine que vous n'avez pas l'impudence de préférer votre propre opinion à celle du premier des Apôtres. Et pourtant, qu'y a-t-il que vous n'oseriez pas risquer ? » (Traité de l'Incarnation. Contre Nestorius, Livre III, Chapitre 12)

b) Saint Cyrille d’Alexandrie dit ne « pas rompre publiquement et ouvertement la communion avec Nestorius sans indiquer d’abord cette intention à Votre Sainteté »

Saint Cyrille d’Alexandrie (376-444) Saint Cyrille d'Alexandrie présida donc le Concile en ayant reçu mandat du Pape saint Célestin Ier. Mais le critérium suprême de la communion avec l'Eglise du Christ étant la communion avec l'Evêque de Rome, successeur de Pierre, Cyrille demanda à saint Célestin, qu'il appelle « Très Saint Père et patriarche de la grande Rome et l'archevêque de toute la terre » (Encomium in Deiparam, P. G., t. LXXVII, col. 1040),  le droit d'excommunier Nestorius :

« Cyrille vous salue [...] Si l'on pouvait, sans mériter de blâme, et sans danger de paraître suspect, garder le silence et ne pas informer votre piété de tout ce qui se passe, surtout dans des affaires si importantes où la foi orthodoxe est ébranlée, je pourrais dire en moi-même : le silence est bon et exempt de danger, mieux vaut rester tranquille que de vivre dans l'agitation. Mais puisque, en ces matières, Dieu exige de nous la vigilance, et que la longue coutume des Eglises nous engage à informer Votre Sainteté, je vous écris par nécessité [...] Nous n’irons pas rompre publiquement et ouvertement la communion avec Nestorius sans indiquer d’abord cette intention à Votre Sainteté. Daignez donc nous dire ce qu’il vous en semble, s’il faut toujours garder la communion avec lui ou au contraire proclamer librement que personne ne doit entrer en rapport avec quelqu’un qui pense et enseigne ces hérésies. En outre, le but de votre sainteté doit être communiqué par lettre aux évêques les plus religieux et les plus épris de Dieu de Macédoine, et à tous les évêques d'Orient, car nous leur donnerons alors, selon leur désir, l'occasion de se tenir ensemble dans l'unité d'âme et d'esprit, et les conduira à lutter sérieusement pour la foi orthodoxe qui est attaquée. » (Lettre XI à saint Célestin, n° 7 dans PG, 77/80, 83-86)

3) Le Pape donna à Nestorius un délai de 10 jours qui aurait pu lui éviter toute censure

Le Pape saint Célestin donna cette autorisation en l’assortissant d’un délai, comme dans le cas des prêtres jureurs :

« Si Nestorius, persiste, une sentence publique doit être prononcée contre lui [...] et donc, en vous couvrant de l'autorité de Notre Siège, et en nous représentant, vous exécuterez cette sentence avec une sévérité résolue, que soit il condamne par écrit, dans les dix jours, à compter du jour de votre avertissement, cette fausse doctrine. et qu'il promette de professer, touchant la naissance du Christ, la foi que l'Eglise romaine et l'Église de Votre Sainteté professe. S'il ne le fait pas, que Votre Sainteté sache qu'elle doit absolument le retrancher de notre corps et pourvoir à cette Église. Nous avons écrit les mêmes choses à nos frères et coévêques Jean, Rufin, Juvénal et Flavien, afin que l'on connaisse bien notre sentence ou plutôt la sentence divine de Jésus- Christ [...] S’il ne le fait pas, il saura qu’il est en tout point éloigné de notre corps [l’Eglise]. […]

Nous avons écrit la même chose à nos frères et Evêques Jean, Rufus, Juvénal et Flavien, afin que notre jugement sur lui, ou plutôt la sentence divine de notre Christ, puisse être connu. » (Lettre XI à Cyrille d'Alexandrie, n°4 et 5, PL tome 50, colonnes 463-464 ; ou dans la correspondance de saint Cyrille : PG, tome 67, colonne 93)

Le Pape mit également Nestorius en garde, le menaçant de sanction du Concile, sur son ordre et par sa délégation :

« Sache donc bien que voici notre sentence : Si tu ne professes au sujet de notre Christ Dieu la même foi que l’Église romaine, celle d’Alexandrie et l’Église catholique tout entière, foi qu’a très bien gardée aussi l’Église de la grande Constantinople jusqu’à toi, et n’as, dans le délai de dix jours à partir du jour de l’avertissement, condamné par une profession de foi claire et mise par écrit la perfide nouveauté qui entreprend de séparer ce que la Sainte Écriture unit (C’est-à-dire les deux natures du Christ unies en une seule personne), tu es rejeté de toute la communion de l’Église catholique. Cette forme de notre jugement sur toi, nous l’envoyons par mon fils le diacre Poséidon avec tous documents à mon coévêque Cyrille, chef de l’Eglise d’Alexandrie, qui nous a fait un rapporteur ce sujet, pour qu’il agisse en notre nom et porte à ta connaissance et à celle de tous les frères ce qui a été décidé par nous. Tous, en effet, doivent savoir ce qui se fait, toutes les fois qu’il s’agit d’un intérêt commun. » (Lettre XIII à Nestorius, n°11, PL tome 50, colonnes 483-484)

Et nous savons par sa lettre à Nestorius que saint Cyrille a complètement accepté cette croyance : que, faute d’abjurer ses hérésies dans les délais impartis par le pape saint Célestin, il devra être tenu pour excommunié et déposé et tous les fidèles devront l’éviter :

« Notez donc que conjointement avec le saint synode qui s’est réuni dans la grande Rome, sous la présidence de notre très pieux et religieux frère et confrère Evêque Célestin, nous vous conjurons et vous conseillons, dans cette troisième lettre également, de vous abstenir de ces doctrines malicieuses et perverses. […] Si vous ne vous acquittez pas de cette repentance, dans les temps indiqués et déterminés par la lettre de l’évêque de Rome, le saint et vénérable Célestin, notre frère et notre collègue dans l’épiscopat, soyez sûr que vous n’aurez plus rien de commun avec les évêques et les prêtres de Dieu […] et que vous n’aurez aucune place parmi eux. » (Lettre 17 à Nestorius, dans PG, 77/107)

4) Formellement la sentence du Concile fut une soumission au jugement romain et non une dénonciation de l’évidence de l’hérésie

En plus de saint Cyrille, saint Célestin envoya encore d’autres représentants de Rome auxquels il avait donné cette consigne :

« Nous vous commandons de sauvegarder l’autorité du Siège Apostolique. […] Si l’on en vient à débattre, vous devez juger les avis des pères, sans vous laisser mener par leurs débats. » (Lettre XVII, PL, tome 50, colonne 503)

C’est exactement ce qui se passa : le Concile fut une « chambre d’enregistrement » du jugement romain ! Selon les actes, saint Cyrille déclara ce qui suit au concile :

« tenant aussi la place du très saint et sacré archevêque de l’Église des Romains Célestin » (Mansi, IV, 1124 = Schwartz, I, I, II, 3)

Toute cette première séance est consacrée à examiner la doctrine de Cyrille et celle de Nestorius. La première est approuvée, la seconde est repoussée : on crie anathème à l’hérésiarque.

On lit ensuite la lettre de Célestin et du concile romain à Nestorius, où celui-ci est excommunié s’il ne vient à résipiscence, et pareillement la lettre de Cyrille et du concile d’Alexandrie qui notifie cette sentence. Puis deux des évêques égyptiens qui, de la part de Cyrille, ont notifié à Nestorius l’ultimatum romain, font le récit de leur mission. Lecture est ensuite faite de plusieurs extraits des Pères. Le tout se termine par la déposition de Nestorius. Celui-ci avait refusé de paraître à l’assemblée, prétextant l’absence de Jean d’Antioche et de son groupe d’évêques. La sentence était ainsi libellée (après les considérants) :

« Le Saint Synode a dit : ‘Puisque le plus impie Nestorius n’a pas obéis à notre citation, et n’a pas reçu les évêques les plus saints et les plus croyants que nous lui avons envoyés, nous avons nécessairement eu à nous livrer à l’examen de ses impiétés ; et ayant appris de ses lettres, et de ses écrits, et de ses récentes paroles dans cette métropole, qui ont été rapportées, que ses opinions et ses enseignements sont impies, nous sommes nécessairement forcés par les canons et par la lettre de notre saint Père et collègue Célestin, évêque de l’Église des Romains, nous en sommes venus avec larmes à porter contre lui (= Nestorius) cette triste sentence : Notre-Seigneur Jésus-Christ, qu’il a blasphémé, décide, par le très saint concile présent, que Nestorius est rejeté de la dignité épiscopale et de tout le corps des évêques.  » (Ière session, voir Schwartz, I, I, II, 54 22-23 = Mansi, IV, 1212 CD)

Même en l’absence des légats, et dans l’ignorance tant des instructions qui leur ont été données que des lettres adressées au concile lui-même, le jugement des Pères assemblés apparaissait un écho, une conséquence nécessaire du jugement de Célestin.

Les légats de Célestin arrivèrent en retard à cause des intempéries. Ils voulurent se conformer aux instructions reçues du Pape saint Célestin et avec l’approbation de tout le concile décidèrent de soumettre à leur approbation toutes les décisions qui avaient été prises en leur absence de première session :

« Le prêtre Philippe, légat du Siège apostolique : « Nous rendons grâce au saint et vénérable concile de ce qu’après avoir entendu la lecture de la lettre de notre Saint-Père le pape, […] vous y avez donné votre adhésion en poussant de saintes exclamations. Car Votre Béatitude ne l’ignore pas : l’apôtre saint Pierre est le chef de toute l’Eglise, et même des autres apôtres. Et puisque, dans notre petitesse, nous avons dû subir bien des intempéries, qui nous ont empêché d’arriver à temps voulu pour être présents dès le début  de cette assemblée, nous demandons de nous faire connaître ce qui s’est passé dans le concile jusqu’à notre notre arrivée, afin que nous le confirmions, comme le veut la décision prise par notre Saint-Père le pape et cette sainte assemblée ». » (Jean HARDOUIN, Conciliorum collectio regia maxima, 1715, Tome I, « Actes du concile d’Ephèse », acte 2, p. 1471 et sq.)

Ils contrôlent et approuvent alors les actes du concile. Suivant les instructions reçues, les évêques Arcadius et Projectus et le prêtre Philippe se joignent à Cyrille. Une session se tient le 1o juillet. C’est la seconde. Les légats demandent d’abord à lire la lettre du Pape au concile où celui-ci est invité à accepter la condamnation portée à Rome contre Nestorius. La lecture achevée, les deux cents évêques éclatent en acclamations unanimes :

« Et tous les évêques les plus vénérables en même temps ont crié : Ce jugement est juste. — Au nouveau Paul, Célestin. — Au nouveau Paul, Cyrille. — A Célestin gardien de la foi. — A Célestin d’accord avec le concile. — A Célestin, tout le concile rend grâces. — Un Célestin, un Cyrille, une foi du concile, une foi de l’univers. […] Arcadius a dit : C’est pourquoi nous désirons demander votre bénédiction, que vous confirmiez que nous avons enseigné ce qui a déjà été décrété par votre sainteté. […] Theodote a dit :  le Dieu de tout l’univers a rendu manifeste la justice du jugement prononcé par le saint Synode par les écrits du très religieux évêque Célestin, et l’avènement de votre sainteté. Car vous avez manifesté le zèle du très saint et révérend évêque Célestin, et son souci pour la sainte foi. Et puisque très raisonnablement votre révérence désire apprendre ce qui a été fait les procès-verbaux les actes concernant la déchéance de Nestorius, votre révérence sera pleinement convaincue de la justice de la sentence et du zèle du saint Synode, et de la symphonie de la foi que le plus pieux et saint évêque Célestin a proclamée avec une grande voix. » (IIè session, Lettre de Jean d’Antioche à Firmus de Césarée ; Voir : Schwartz, I, IV, 7 = P. G., LXXXIV, 579-581)

5) Nestorius ne fut chassé de l’Eglise qu’en vertu de « la lettre de Célestin Évêque de Rome, notre très saint Père »

Le jugement du concile fut prononcé par un légat du Pape devant tout le concile :

« Philippe, presbytre et légat du Siège Apostolique a dit : Il n’y a pas de doute, et en fait cela fut connu dans tous les âges, que le saint et très-heureux Pierre, prince et tête des Apôtres, pilier de la foi, et fondation de l’Eglise catholique, reçu les clés du royaume de Notre-Seigneur Jésus-Christ, le Sauveur et Rédempteur de la race humaine, et qu’à lui fut donné le pouvoir de remettre et retenir les péchés ; qui depuis le commencement jusqu’à aujourd’hui et pour toujours, vit et juge en ses successeurs. Le saint et très-heureux Pape Célestin, selon l’ordre est don successeur et tient sa place. [...] En conséquence, la décision de toutes les églises est arrêtée, car les prêtres des églises orientales et occidentales sont présents. [...] C'est pourquoi Nestorius sait qu'il est exclu de la communion des prêtres de l'Église catholique » (IIIè session)

Plus tard Evagre la Scholastique (vers 536-vers 594) rapporte la condamnation de Nestorius en mentionnant celle-ci comme s’étant faite, entre autres, en conformité avec « la lettre de Célestin Évêque de Rome, notre très saint Père » :

« Et après avoir reconnu tant par ses lettres, et par ses autres ouvrages qui ont été lus ; par les discours qu’il a tenus dans cette ville Métropolitaine, que par la déposition de plusieurs témoins, qu’il croit, et qu’il enseigne des erreurs, et après avoir versé des larmes en abondance, nous avons été contraints par l’autorité des Canons, et par la lettre de Célestin Évêque de Rome, notre très saint Père, et Collègue, de rendre la triste et fâcheuse Sentence qui suit. Jésus-Christ notre Seigneur, que Nestorius a offensé par ses blasphèmes, l’a déclaré par ce saint Concile, privé de la dignité Épiscopale, et exclus de toutes les assemblées des Ministres de l’Église. » (Histoire ecclésiastique, I, 4)

D) Le cas de l’antipape Anaclet II

Au début de son règne, le Pape Innocent II eut à affronter la « concurrence » d’un antipape : Anaclet II, qui avait initialement avec lui la majorité de l’Eglise. Ce cas est un bon exemple de l’impossibilité d’imposer un jugement par une autre autorité que celle de l’Eglise enseignante, malgré l’évidence des faits. En effet : l'imposture d'Anaclet II était évidente !

1) L’évidence de l’imposture

a) Un juif faussement converti

D’abord l’origine de sa « catholicité » était un mensonge ! Il était ce qu’on appellerait plus tard un « marrane ». L’abbé Joseph-Epiphane DARRAS écrit :

« Pierre de Léon n'était que trop connu par les missions importantes qu'il avait remplies, notamment en Angleterre. On fouilla dans sa vie privée, et les révélations, étaient écrasantes. Il ne nous convient pas de répéter ce qu'on disait de ses mœurs, soit pendant sa jeunesse, soit pendant l'âge mûr, et dans l'exercice même de ses hautes fonctions. On rappela l'origine de sa famille, on sonda les bases de son immense crédit et les sources de sa scandaleuse fortune. Son nom de Léon que le juif son grand-père avait pris du pape régnant Léon IX, quand il lui demanda le baptême, n'était qu'un artifice intéressé, une hypocrite flatterie. » (Histoire générale de l’Eglise, tome 26, page 325)

Et l’abbé René-François ROHRBACHER précise :

« Au temps du pape saint Léon IX, il y avait un juif à Rome qui s'était prodigieusement enrichi par l’usure et d'autres moyens judaïques. Il reçut le baptême, et, en l'honneur du Pape, prit le nom de Léon. Comme l'argent, suivant ce que dit un auteur du douzième siècle, Arnoulphe, évêque de Lisieux, règne sur le monde, donne la noblesse et la beauté [Dùm. genus et formam regina pecunia donat. Arnulph., apud d'Acheri, t. 1, p. 155, c. 3, in-folio], l'opulent Juif s'allia, par le mariage de ses nombreux fils et filles, tous les nobles de Rome. Un de ses fils, appelé Pierre de Léon, du nom de son père, augmenta encore ses richesses et ses alliances. Il servit même puissamment le pape Pascal II dans sa lutte contre l'empereur d'Allemagne, Henri V, touchant les investitures : ce qui augmenta singulièrement encore son crédit. Un fils de Pierre de Léon, portant le même nom, fut destiné dès l'enfance à l'état ecclésiastique, et intentionnellement à la papauté. » (Histoire universelle de l’Eglise Catholique, tome 15, 3è édition, Gaume Frères et J. Duprey, Paris, 1858, page 270)

b) Une réputation d’ « Antéchrist » du fait de son comportement

ROHRBACHER nous renseigne encore sur ses débauches :

« Envoyé en France pour ses premières études, il y mena une vie assez libertine pour être regardé par ses condisciples comme le futur Antéchrist et comme la ruine du monde.

 

Pour faire oublier l'infamie de sa première jeunesse, il se fit moine à Clugni. Revenu à Rome, il fut fait cardinal par le crédit de sa famille, et employé en diverses légations, où il scandalisa plus par ses débauches, qu'il ne put édifier par les règlements qu'il publiait. On prétendit qu'il menait avec lui une fille habillée en clerc, pour satisfaire sa passion avec moins de scandale. On l'accusa même d'un mauvais commerce avec sa propre sœur Tropea, et d'être en même temps le père de ses neveux et l'oncle de ses enfants. C'est ce que rapporte un auteur contemporain, Arnoulphe, alors archidiacre de Séez, et depuis évêque de Lisieux [Dùm. genus et formam regina pecunia donat. Arnulph., apud d'Acheri, t. 1, p. 155, c. 3, in-folio]. » (Histoire universelle de l’Eglise Catholique, tome 15, 3è édition, Gaume Frères et J. Duprey, Paris, 1858, page 270)

c) La crainte de son élection fit prendre des mesures aux Cardinaux

Aussi, les craintes quant aux manœuvres de Pierre de Léon pour accéder à la Papauté, firent deviser les Cardinaux, du vivant-même du Pape Honorius II sur ce qui se passerait après sa mort :

« Honorius [II] n'avait pas encore rendu le dernier souffle, que les cardinaux s'assemblèrent dans l'église de Saint-André pour aviser aux conséquences immédiates de sa mort. Tout annonçait de violents orages. L'ambition effrénée de Pierre de Léon n'était un secret pour personne, ni son indignité non plus. Les richesses et le crédit de sa famille constituaient un imminent danger, rendaient une surprise possible. Sans avouer leur motif, ils nommèrent une sorte de commission composée de huit membres, deux cardinaux évêques, trois cardinaux prêtres et trois diacres, auxquels on donna le droit de désigner le futur pontife, avec engagement de ratifier leur choix. Dans cette commission se trouvait Pierre de Léon lui-même, le prétendant redouté, et Grégoire de Saint-Ange, sur qui se portait déjà l'espérance des bons. Le cardinal-évêque de Préneste, un digne successeur du vaillant légat Conon, fit décréter la peine d'excommunication contre quiconque s'opposerait à cet arrangement. » (DARRAS, Histoire générale de l’Eglise, tome 26, pages 321-322)

Mais Pierre de Léon tenta de voler le siège pontifical dès avant la mort d’Honorius II :

« Les commissaires s'ajournèrent pour le lendemain ; mais deux y manquèrent, et l'un des deux était Pierre de Léon. Personne n'ignorait les menées et les intrigues auxquelles il se livrait pour arriver à la papauté. Dans son impatience, il fut au moment de forcer l'élection avant même qu'Honorius eût trépassé. Pour empêcher un tel sacrilège, le Pontife mourant fut obligé de se traîner à la fenêtre de sa cellule. Ces détails, dont l'importance historique frappe tous les yeux, par rapport au schisme qui va naître, inconnus jusqu'à ces derniers temps, c'est une lettre de l'évêque de Lucques à S. Norbert, archevêque de Magdebourg, qui les révèle. » (DARRAS, Histoire générale de l’Eglise, tome 26, page 322)

d) Des menaces contre celui qui refusait d’occuper le Siège de Pierre à la place du futur usurpateur

Dès la mort du Pape Honorius II, la gravité de la situation fit procéder très vite à une nouvelle élection, et à de graves avertissements adressés à l’élu qui ne voulait initialement pas être Pape :

« Le péril était imminent, il n'y avait pas un instant à perdre. Aussitôt que le Pape fut mort, à l'heure de tierce, neuf heures du matin, les électeurs désignés se réunirent, sur la convocation d'Aimeric, chancelier de l'Église Romaine, l'un des huit. Cinq seulement se trouvèrent présents à cette réunion ; c'était encore la majorité. Quatre se prononcèrent d'un commun accord pour le cinquième, Grégoire de Saint-Ange. Tous les cardinaux, tous les évêques, tous les membres du clergé, tous les laïques qui les entouraient, donnèrent à ce choix leur approbation spontanée.

Un seul protesta, mais de la manière la plus énergique : c'est le pontife élu. La chape rouge, dont on voulait le couvrir, il la repoussait avec une sorte de violence, si bien qu'elle fut déchirée. Il versait des larmes abondantes, il était suffoqué par les sanglots, il implorait la pitié de ses ces collègues ; succombant à l'émotion, il parut sur le point d'expirer. Quand il recouvra la parole, ce fut pour protester qu'il était absolument indigne et non moins incapable d'un pareil honneur, d'une aussi lourde charge, maintenant surtout qu'une furieuse tempête allait éclater. — Et voilà précisément pourquoi vous seriez sans excuse, lui fut-il répondu, si vous refusiez le fardeau que Dieu même vous impose. Le lion est prêt à se jeter sur sa proie ; il la convoite depuis son enfance. — On ne pouvait plus ouvertement désigner Pierre de Léon. — L'Eglise Romaine, le soutien des bons, la terreur des méchants, la reine du monde, la règle vivante de la foi, le guide immortel des consciences, sera foulée sous les pieds des Simoniaques et des apostats ? La désolation approche, le précurseur de l'Antéchrist se prépare à tout envahir. Ne voulez-vous pas défendre votre mère ? Ne parlez pas d'indignité ; indigne, vous le seriez, si vous pensiez être digne. Vous ne reculez pas assurément devant le danger. Si le glaive menace votre tête, nous irons au-devant des coups ; notre cause est inséparable de la vôtre. Nous aimons mieux aller demander au souverain Juge le prix de notre sang versé, que d'avoir à lui rendre compte du sang de l'Eglise répandu par ses ennemis, mais livré par notre faiblesse. Soyez notre chef, et nous marcherons sous vos ordres ; obstinez-vous, et nous vous frapperons d'excommunication, investis que nous sommes, quand le Pape est mort, de l'autorité pontificale. — C'est ici le résumé du discours qu'un prêtre de la Gaule, voyageant alors en Italie, met dans la bouche des cardinaux [Arnulf Lexov. De Schismate, cap. IV ; Patr. lat. tom. CCI, col. 185, 186]. Ce prêtre est Arnoulf, archidiacre de Séez et bientôt évêque de Lisieux, l'un des plus remarquables personnages de la période où nous entrons. Dans cette alternative, Grégoire n'hésita plus ; il estima, lui aussi, qu'il était préférable d'obéir à Dieu qu'aux hommes, de braver la vengeance de Léon que l'anathème de ses frères.

Il fut donc proclamé sous le nom d'Innocent II. Revêtu d'une nouvelle chape, entouré des cardinaux qui venaient de procéder à son élection, des autres dignitaires ecclésiastiques, de la majeure partie du clergé romain et d'un nombre considérable de pieux fidèles, il se rendit à l'église de Latran, monta sur le siège apostolique, reçut les hommages accoutumés, parmi des acclamations unanimes, prit possession du palais, et tous les insignes de l'autorité suprême lui furent régulièrement transmis. Rien ne manquait à son intronisation ; elle avait lieu à l'heure de tierce, nous l'avons dit. » (DARRAS, Histoire générale de l’Eglise, tome 26, pages 322 à 324)

e) Une élection frauduleuse grâce à la corruption

Et pourtant, Pierre de Léon se fit « élire pape » frauduleusement un peu plus tard :

« Ce jour-là même, à l'heure de sexte, à midi, Pierre de Léon est dénoncé pape par les deux électeurs restants, au milieu d'une foule tumultueuse, dont les meneurs sont soudoyés avec l'argent mal acquis de sa famille. Quelques membres du clergé, gagnés d'avance, poussés par la soif de l’or ou celle des honneurs, appuient cette élection de leurs voix et de leur présence vénales. C'est dans l'église de Saint-Marc qu'avait lieu cette scandaleuse scène, qui forme un contraste si complet avec la scène héroïque du matin, et qui sera la source de tant d'autres scandales. » (DARRAS, Histoire générale de l’Eglise, tome 26, page 324)

f) Anaclet II, meurtrier, voleur et destructeur d’églises pour sa cause « papale »

A peine élu, le marrane se fit persécuteur de l’Eglise :

« Le jour suivant, l'intrus se rend en armes à Saint-Pierre, pour s'y faire introniser ; il l'entoure de machines de guerre, brise la toiture et les murs, entre dans la basilique à travers les ruines et le sang, va sous de tels auspices s'asseoir sur la chaire pontificale en prenant le nom d'Anaclet II. Le lendemain encore, il accourt dans le même appareil à la basilique de Latran, dont il s'empare et pille les trésors. Il se tourne ensuite contre le palais où se trouve le Pape légitime, voulant en finir par un coup de main ; mais cette fois il est repoussé avec honte. Il porte ailleurs sa fureur, d'autres sanctuaires sont spoliés et profanés, le pillage s'étend aux maisons particulières, pour peu que les habitants soient soupçonnés d'être favorables à la cause d'Innocent ; la ville entière est saisie de terreur et plongée dans le trouble. On peut aisément prévoir qu'elle ne tardera pas à tomber sous la puissance du barbare conquérant. Le préfet de Rome et la plupart des autres magistrats abandonnent le parti de la justice et se prononcent pour l'usurpation. » (DARRAS, Histoire générale de l’Eglise, tome 26, pages 324 et 325)

ROHRBACHER donne plus de détails :

« Le lendemain, il se rendit en armes à l'église de Saint-Pierre, l'environna de machines, en brisa la toiture et les murailles, et, à travers le meurtre et le sang, entra avec ses satellites dans la basilique du prince des apôtres. Le surlendemain, il envahit de même, par le fer et le feu, l'église de Latran, brisa le trône pontifical, pilla le trésor de Saint-Laurent. Le jour d'après, il attaqua le palais où logeait le pape Innocent avec l'Église catholique ; mais il fut repoussé avec perte et avec honte. Bientôt on ne parla partout que des déprédations qu'il avait commises dans les églises, du trésor de Saint-Pierre qu'il avait pillé, des pèlerins de Jérusalem et de Rome qu'il avait dépouillés. » (Histoire universelle de l’Eglise Catholique, tome 15, 3è édition, Gaume Frères et J. Duprey, Paris, 1858, page 274)

Le contemporain Arnoulph dit :

« Lorsque même les mauvais chrétiens qui le suivaient refusèrent de détruire les calices et crucifix en or, pour les fondre, Anaclet fit exécuter ce plan par des juifs. Ces derniers anéantirent avec enthousiasme les vases sacrés et les gravu­res. Ces objets furent vendus et grâce à cet argent-là [...], Anaclet était en mesure de persécuter les partisans d’Innocent II. » (Maurice PINAY, Verschwonmg gegen die Kirche, Madrid 1963, p. 547)

Anaclet II se vantait aussi de « redonner à l’Église la pureté des premiers temps » en opérant des réformes (!).

2) Ceux qui y voyaient clair ne prétendirent pas imposer un jugement privé, mais déployèrent tous les efforts pour faire rendre un jugement par l’Eglise enseignante

Et malgré tout cela, quelle fut la réaction des saints et du vrai Pape Innocent II lui-même ? Anathématisèrent-ils automatiquement tous ceux qui ne se rangeaient pas au vrai Pape, malgré l’évidence ? Non.

Saint Bernard en France et saint Norbert en Allemagne ne prétendirent pas imposer des jugements par eux-mêmes, et excommunier ceux qui en disconvenaient, comme le font de facto les sédévacantistes « chimiquement purs ». Au contraire, ils tenaient à ce que la situation rentre dans l'ordre par un jugement de l'autorité, et ils allèrent pour cela chercher les évêques ayant reconnu Anaclet II (de bonne foi pour la quasi-totalité d'entre eux), afin de les faire changer d'avis.

Innocent II dut s’enfuir en France. Saint Bernard tenta de rallier à Innocent II les deux puissances majeures de l’Europe : la France et l’Allemagne. Il intervint au concile d'Étampes (1130), convoqué par le roi de France, Louis VI le Gros. Le roi soutint alors Innocent II. Saint Bernard fit échouer les tentatives diplomatiques d’« Anaclet II ».

Saint Norbert plaida la cause du pape légitime au concile de Wurzbourg. L’épiscopat allemand se rallia à Innocent II. Lors du grand concile de Reims en 1131, tenu par Innocent II et Saint Bernard, les évêques d’Angleterre, de Castille et d’Aragon reconnurent, eux aussi, le vrai pape. « Anaclet II » avait pour lui l’Italie et la Sicile normande. L’affaire se continua par deux Croisades qui furent deux échecs, et il fallut attendre la mort d’Anaclet II puis le ralliement de son successeur « Victor IV » à Innocent II.

E) L’hérésie et le schisme des prêtres jureurs

1) Il était « impossible de ne pas saisir au premier coup d’œil » que plusieurs articles de la Constitution civile du clergé étaient « contraires au dogme, et destructifs de la discipline générale »

En 1790, l’Assemblée nationale adopta le 12 juillet la Constitution civile du clergé, Louis XVI la signa le 24 août, et l’Assemblée constituante imposa en novembre 1790 à tout le clergé du royaume de France de prêter serment sur cette Constitution. Ce document est contraire à la foi catholique. Nous ne ferons pas de grand exposé sur lui, ce n’est pas le sujet. Nous nous limiterons à dire que le Pape Pie VI déclara qu’il était ce qui suit à son propos non seulement qu’il était hérétique et schismatique, mais que son hérésie et son schisme étaient de la première évidence :

« Malheureux ! Ne parlons point ici de ce qui concerne le gouvernement civil du royaume ; mais quelle est sa témérité d’entreprendre l’apologie des articles relatifs au clergé, que presque tous les évêques de France et une foule d’autres ecclésiastiques ont condamnés et combattus, comme contraires au dogme, et destructifs de la discipline générale, surtout par rapport aux élections et institutions des évêques ! Lui-même n’aurait pu dissimuler et déguiser cette vérité, qu’il est impossible de ne pas saisir au premier coup d’œil, s’il n’avait omis à dessein les décrets plus absurdes encore que l’Assemblée a portés en dernier lieu sur cet objet ; car, parmi les autres vices qu’ils renferment, on remarque surtout l’audace avec laquelle ils attribuent le droit d’institution et de confirmation à tout évêque sur l’indication arbitraire du directoire. » (Lettre apostolique Caritas, 13 avril 1791 - Condamnation de la Constitution Civile du Clergé et exhortation à la fidélité)

Cela suffit à rendre l’attitude de l’Eglise à son égard pertinente pour tirer une conclusion par analogie sur la situation actuelle de l’Eglise : le parallèle est pour ainsi dire parfait, puisque les sédévacantistes affirment que leur jugement privé les habilite à imposer leurs conclusions comme critères de catholicité. Aussi, quand bien même ils auraient raison dans leur jugement privé de vacance du siège de Pierre, et quand bien même les faits menant à cette conclusion seraient d’une évidence claire comme le Soleil à midi, cela ne les autoriserait pas à imposer ce jugement. Nous en avons une preuve par les faits avec l’affaire des prêtres jureurs.

En effet, après avoir dit ce que nous avons vu, la conséquence pratique de rupture de communion avec ceux qui adhéraient à la Constitution et d’interdiction de recourir à leur ministère, ne fut, comme nous allons le voir immédiatement, pas immédiate, bien au contraire !

L’application à notre époque est aisée : si une hérésie évidente sanctionnée comme telle par un Pape n’est pas susceptible de faire tirer des conclusions théologiques à des membres de l’Eglise enseignée, a fortiori une évidence qui n’a pour elle qu’un jugement privé, même véridique.

2) Les jugements de graves autorités avant le jugement définitif du Pape

a) La condamnation comme schismatique par 127 Évêques de France sur 131 (et les 4 dissidents étaient de profils hétérodoxes)

Dès le mois d'août, Mgr Jean-René ASSELINE, Évêque de Boulogne, publia une réfutation de la Constitution, à laquelle adhérèrent quarante évêques. Début octobre, Mgr Jean-de-Dieu-Raymond de BOISGELIN de CUCÉ, Archevêque d'Aix, publie ses Observations sur le serment prescrit aux ecclésiastiques et sur le décret qui l'ordonne. 127 Évêques de France sur 131 adhérèrent à ce texte, qui fut envoyé au Pape le 10 octobre.

Les quatre dissidents étaient tous de profils fortement hétérodoxes, ce qui rendait leur refus sans aucune valeur. Voici les concernés :

  • Charles-Maurice de TALLEYRAND-PÉRIGORD, Évêque d'Autun => sans commentaire !
  • Étienne-Charles de LOMÉNIE de BRIENNE, Archevêque de Sens, Cardinal de la Sainte Église Romaine, démis par le Pape => il a parfois été désigné comme incroyant (Claude MANCERON, Anne MANCERON, La Révolution française : dictionnaire général, Renaudot, 1989, p. 81) : à la mort de l'Archevêque de Paris, Mgr Christophe de BEAUMONT du REPAIRE, en 1781, il est écarté pour le remplacer par Louis XVI qui déclara : « Il faudrait au moins que l'archevêque de Paris crût en Dieu » (Cité par Jean-Denis BREDIN in Sieyes. La clé de la Révolution française, éd. de Fallois, Paris, 1988, p. 42 note de bas de page (Bredin cite à son tour Paul BASTID, Sieyès et sa pensée, Paris, 1939, rééd. Slatkine Reprints, Genève, 1978, p. 18 sq.). Cette accusation est sans doute fausse (Bernard PLONGERON, « L’Eglise constitutionnelle [gallicane] à l’épreuve du Directoire : réorganisation, liberté des cultes, papauté et concile national de 1797 » dans Hervé Leuwers (dir.), Du Directoire au Consulat : 2. L’intégration des citoyens dans la Grande Nation, Lille, Université Charles de Gaulle - Lille 3, 2000, p. 161), mais il n’y a pas de fumée sans feu : ce bruit n’aurait pas pu courir s’il n’avait manifesté de graves problèmes relatifs à la foi.
  • Louis-François-Alexandre de JARENTE de SÉNAS d'ORGEVAL de La BRUYÈRE, Évêque d'Orléans => démissionna rapidement de sa charge et se marie le 21 novembre 1793 !
  • Charles de La FONT de SAVINE, Évêque de Viviers, puis “évêque de l'Ardèche” =>

Louis XVI demanda à Pie VI de confirmer au moins provisoirement quelques articles de la Constitution. Pie VI assembla alors les Cardinaux et décida de demander leur avis aux évêques de France.

Les trente Évêques de l’Assemblée nationale répondirent à la Constitution lors de la séance de du 30 octobre 1790 via une Exposition des principes sur la constitution civile du clergé, affirmant que la Constitution était en opposition aux principes catholiques et la déclarèrent schismatique :

« Les évêques répondirent par une exposition des principes sur la constitution civile du clergé. L'auteur, Boisgelin, archevêque d'Aix, avait défendu les vrais principes de l'Église, sans plaintes, sans amertume, avec la juridiction essentielle à l'Église, le droit de fixer la discipline, de faire des règlements, d'instituer des évêques, et de leur donner une mission, droit que les nouveaux décrets lui ravissaient en entier. L'Exposition n'oubliait pas de se plaindre de la suppression de tant de monastères, de ces décrets qui fermaient les retraites consacrées à la piété, qui prétendaient anéantir les promesses faites à Dieu, qui apprenaient à parjurer ses serments et qui s'efforçaient de renverser des barrières que la main de l'homme n'a point posées. Les évêques demandaient en finissant qu'on admît le concours de la puissance ecclésiastique pour légitimer tous les changements qui en étaient susceptibles, qu'on s'adressât au Pape sans lequel il ne se doit traiter rien d'important dans l’Église, qu'on autorisât la convocation d'un concile national ou de conciles provinciaux ; qu'on ne repoussât pas toutes les propositions du clergé ; enfin qu'on ne crût pas qu'il en était de la police de l'Église comme de la police de l'État et que l'édifice de Dieu était de nature à être changé par l'homme. Cent dix évêques français ou ayant, en France, des enclaves de leurs diocèses, se joignirent aux trente évêques de l'assemblée, et l'exposition des principes devint un jugement de toute l'Église gallicane. Beaucoup d'évêques, notamment La Luzerne, évêque de Langres, publièrent des instructions contre le schisme. [L'abbé Barruel, qui a si bien mérité de l'Église par ses ouvrages, a publié en quatorze volumes, les instructions pastorales des évêques français contre la constitution civile. Quatorze, c'est, je pense, un jugement assez explicite de l'Église gallicane contre le gallicanisme parlementaire]. Des ecclésiastiques instruits les secondèrent par d'utiles et solides ouvrages. Des laïques mêmes entrèrent dans la lice et l’on fut étonné de voir jusqu'à des jansénistes repousser la doctrine de leur parti en voyant son terme se découvrir. Il était devenu évident pour tous les gens de bien que la constitution civile du clergé devenait le triomphe de l'impiété, la pierre d'attente de persécutions atroces, la mise à nu de la Révolution. » (Mgr Justin FÈVRE dans l’Histoire générale de l’Eglise (tome 40, pages 84 et 85), oeuvre célèbre pour avoir été initiée par l’abbé Joseph-Epiphane DARRAS ; le même Mgr Justin FÈVRE écrivit presque au mot près la même chose dans l’Histoire universelle de l’Eglise catholique (IIIè édition, tome 27, pages 480 et 481), célèbre pour avoir été initiée par l’abbé René-François ROHRBACHER, et qu’il acheva également)

Pie VI releva lui-même cette quasi-unanimité de l’épiscopat français à condamner de la sorte la Constitution :

 

« mettons maintenant l’Évêque d’Autun en parallèle avec ses collègues, et, pour ne pas trop Nous appesantir sur les détails, envisageons seulement la constitution même qu’il a juré d’observer sans restriction : cela suffira pour faire sentir combien sa croyance diffère de celle des autres Évêques. Ceux-ci, marchant sans reproche dans la loi du Seigneur, ont conservé le dogme et la doctrine de leurs prédécesseurs avec un courage héroïque ; ils sont restés fermement attachés à la Chaire de S. Pierre ; exerçant et soutenant leurs droits avec intrépidité, s’opposant de tout leur pouvoir aux innovations, ils ont attendu constamment notre réponse, qui devait régler leur conduite. Comme ils ont tous la même foi, la même tradition, la même discipline, ils l’ont tous confessée de la même manière, et leur langage a été uniforme. Nous restons immobile d’étonnement quand nous voyons l’Évêque d’Autun insensible aux exemples, aux raisons de tous les Évêques » (Bref Quod aliquantum, du 10 mars 1791 - Au sujet de la constitution civile du clergé décrétée par l'Assemblée Nationale)

 

« Nous apprîmes que la plupart des évêques de France, inviolablement attachés à leur devoir de pasteurs, enflammés de l’amour de la vérité, s’opposaient de leur propre mouvement à cette Constitution, et la combattaient avec courage dans tout ce qui avait rapport au gouvernement de l’Église. Nous eûmes encore un motif de consolation, lorsque pour s’opposer à de maux si nombreux et si considérables, Notre cher fils le cardinal de la Rochefoucault, Nos vénérables frères l’archevêque d’Aix, d’autres archevêques et évêques au nombre de trente, recoururent à Nous et dans une lettre datée du 10 octobre, Nous envoyèrent l’Exposition de leurs sentiments sur les principes de la Constitution du clergé, signée de chacun d’eux ; ils imploraient Nos conseils et Notre appui, et Nous demandaient comme au maître et au Père commun une règle de conduite qui fixât la leur. Nous avons éprouvé aussi une satisfaction bien sensible de la part des nombreux évêques qui, réunis aux premiers, ont adopté cette Exposition. Sur cent trente et un évêques de ce royaume, il ne s’est trouvé que quatre dissidents ; et si, à cette grande majorité des évêques, on ajoute les adhésions d’une foule de chapitres, de curés ou de pasteurs du second ordre, une exposition adoptée avec ce concours unanime ne doit-elle pas être réputée, et n’est-elle pas, en effet, la véritable doctrine de l’Église gallicane ? […]

Les faits ont répondu à ces déclarations honorables du clergé de France. Presque tous les évêques, la plus grande partie des curés ont refusé le serment avec une constance invincible. […]

Ne parlons point ici de ce qui concerne le gouvernement civil du royaume ; mais quelle est sa témérité d’entreprendre l’apologie des articles relatifs au clergé, que presque tous les évêques de France et une foule d’autres ecclésiastiques ont condamnés et combattus, comme contraires au dogme, et destructifs de la discipline générale, surtout par rapport aux élections et institutions des évêques ! » (Lettre apostolique Caritas, 13 avril 1791 - Condamnation de la Constitution Civile du Clergé et exhortation à la fidélité)

 

La conclusion de cette exposition est elle aussi très intéressante, puisque, comme le rappellera Pie VI, les évêques de France en référèrent ultimement au Pape pour connaître ce qu’ils devaient faire :

« [Les évêques de France] Nous envoyèrent l’Exposition de leurs sentiments sur les principes de la Constitution du clergé, signée de chacun d’eux ; ils imploraient Nos conseils et Notre appui, et Nous demandaient comme au maître et au Père commun une règle de conduite qui fixât la leur. » (Lettre apostolique Caritas, 13 avril 1791 - Condamnation de la Constitution Civile du Clergé et exhortation à la fidélité)

b) La réprobation des Docteurs en théologie de la Sorbonne

Louis XVI avait également consulté la Sorbonne sur la question de la Constitution civile du clergé. Ses docteurs avaient ainsi répondu :

« Ah ! Messieurs, après les maux incalculables que ce fatal serment a attirés sur la France […]

Nous déclarons, disent les docteurs, que le serment prescrit, contenant, comme il est manifeste, la constitution prétendue civile du clergé, notre conscience y répugne et y répugnera toujours invinciblement.

Quoi ! nous jurerions de maintenir de tout notre pouvoir une constitution évidemment hérétique, puisqu'elle renverse plusieurs dogmes fondamentaux de notre foi ? Tels sont incontestablement l'autorité divine que l'Église a reçue de Jésus-Christ pour se gouverner elle-même ; autorité qu'elle a nécessairement comme société, et sans laquelle elle ne peut ni conserver ses prérogatives essentielles, ni remplir ses glorieuses destinées, son indépendance absolue du pouvoir civil dans les choses purement spirituelles ; le droit qu'elle a seule, comme juge unique et suprême de la foi ; et telle est encore la primauté de juridiction que le Pape, vicaire de Jésus sur la terre et pasteur des pasteurs, de droit divin dans toute l'Église, et qui se réduirait désormais à un vain titre et à un pur fantôme de prééminence ; la supériorité non moins réelle de l'évêque sur les simples prêtres que l'on voudrait néanmoins élever jusqu'à lui, en les rendant ses égaux et souvent même ses juges ; enfin la nécessité indispensable d'une mission canonique et d'une juridiction ordinaire ou déléguée, pour exercer licitement, validement les fonctions augustes du saint ministère.

Quoi ! nous jurerions, à la face des autels, de maintenir de tout notre pouvoir une constitution manifestement schismatique, qui bouleverse les titres, les territoires, tous les degrés et tous les pouvoirs de la hiérarchie ; qui, après une autorité purement séculière, et conséquemment incomplète, ôte la mission et la juridiction aux vrais pasteurs de l'Église, pour la conférer à d'autres que l'Eglise ne connaît pas et qui élève ainsi un autel contre un autel, rompt cette chaîne précieuse et vénérable qui nous unissait aux apôtres, et sépare avec violence les fidèles de leurs pasteurs légitimes, et toute l'Église gallicane du centre de la catholicité.

Nous jurerions enfin de maintenir, de tout notre pouvoir, à une constitution visiblement opposée à l'esprit du christianisme dans la proscription des vœux monastiques si conformes aux conseils de l'Évangile ; une constitution qui, sous prétexte de nous rappeler à l'antique discipline, n'introduit que le désordre et des innovations déplorables ; une constitution qui, sans égard pour les fondations les plus respectables, les supprime toutes arbitrairement, au mépris des lois canoniques ; enfin une constitution qui confie les élections indifféremment à tous les citoyens, fidèles, hérétiques, juifs, idolâtres, sans la moindre influence du clergé. Vit-on jamais un seul peuple abandonner ainsi la religion aux ennemis de la religion ?

Tels sont en abrégé, Messieurs, les principaux motifs qui nous ont fait repousser le serment loin de nous avec horreur. Oui, il n'eût été à nos yeux qu'un affreux parjure et une véritable apostasie. » (Cité dans : Mgr Justin FÈVRE dans l’Histoire générale de l’Eglise (tome 40, pages 85 et 86), œuvre célèbre pour avoir été initiée par l’abbé Joseph-Epiphane DARRAS ; Baron Mathieu-Richard-Auguste HENRION, Histoire générale de l’Eglise, tome XI, pages 587 à 589 ; Abbé Jean-Anselme TILLOY, Les Schismatiques démasqués par l'exposition raisonnée de la doctrine catholique sur les projets de schisme Église nationale, institution des évêques par les métropolitains, intrusion des sujets nommés aux évêchés vacants, etc., V. Palmé, 1861)

Que résulta-t-il de concret de cette consultation ? Rien. Les théologiens donnèrent leur avis qui, par chance, concordait d’avance avec ce qu’allait plus tard, comme nous le verrons, juger le Pape, et pourtant il n’en résulta rien pour personne, car l’avis des théologiens ne remplacera jamais la décision du Pape.

c) Un premier jugement du Pape « d’hérésie » sans pour autant « lancer les foudres de l’Église contre les auteurs de cette malheureuse constitution du clergé »

Le Pape Pie VI lui-même la condamna officiellement par deux documents. Le premier d’entre eux le Bref Quod aliquantum, du 10 mars 1791, dans lequel il jugea que :

« l’Assemblée nationale s’est attribué la puissance spirituelle, lorsqu’elle a fait tant de nouveaux règlements contraires au dogme et à la discipline ; lorsqu’elle a voulu obliger les Évêques et tous les Ecclésiastiques à s’engager par serment à l’exécution de ces décrets. [...]

le principe sur lequel cette constitution est fondée, ne peut être exempt de la note d’hérésie »

Mais il n’accompagna pas cette sentence sans appel d’une quelconque interdiction de recourir au ministère de ceux qui y adhéraient. Pie VI écrit d’ailleurs explicitement dans le même document :

« Nous n’avons point encore jusqu’ici lancé les foudres de l’Église contre les auteurs de cette malheureuse constitution du clergé ; Nous avons opposé à tous les outrages la douceur et la patience ; Nous avons fait tout ce qui dépendait de Nous pour éviter le schisme et ramener la paix au milieu de votre nation » (on notera que si le Pape a « évité le schisme », c’est que le schisme n’était pas consommé ipso facto)

Aussi, comme nous allons immédiatement le voir, un mois plus tard Pie VI censura ce ministère, mais il aurait pu ne pas le faire. Et cette sentence d’hérésie aurait pu demeurer éternellement sans aucune interdiction pratique, de la même manière que la condamnation qui frappa la Charte gallicane de 1682 ne fut jamais accompagnée d’une quelconque interdiction, malgré l'hérésie flagrante de chacun de ses quatre articles.

2) Le second jugement du Pape et tout ce qu’il implique

a) Le second jugement du Pape est celui qui déclare « impossible de ne pas saisir au premier coup d’œil » le caractère hérétique et schismatique de la Constitution civile du clergé

Nous rappelons la citation déjà donnée :

« Malheureux ! Ne parlons point ici de ce qui concerne le gouvernement civil du royaume ; mais quelle est sa témérité d’entreprendre l’apologie des articles relatifs au clergé, que presque tous les évêques de France et une foule d’autres ecclésiastiques ont condamnés et combattus, comme contraires au dogme, et destructifs de la discipline générale, surtout par rapport aux élections et institutions des évêques ! Lui-même n’aurait pu dissimuler et déguiser cette vérité, qu’il est impossible de ne pas saisir au premier coup d’œil, s’il n’avait omis à dessein les décrets plus absurdes encore que l’Assemblée a portés en dernier lieu sur cet objet ; car, parmi les autres vices qu’ils renferment, on remarque surtout l’audace avec laquelle ils attribuent le droit d’institution et de confirmation à tout évêque sur l’indication arbitraire du directoire. » (Lettre apostolique Caritas, 13 avril 1791 - Condamnation de la Constitution Civile du Clergé et exhortation à la fidélité)

b) L’épiscopat français opposé à la Constitution demanda quand même au Pape une ligne de conduite

Comme nous l'avons déjà rapporté plus haut, les évêques de france, pourtant déjà opposé à la Constitution, demandèrent au Pape des instruction, et ne condamnèrent pas eux-mêmes ceux qui y adhéraient, alors même qu’ils possédaient de droit un pouvoir d'enseignement et de gouvernement :

« Nous apprîmes que la plupart des évêques de France, inviolablement attachés à leur devoir de pasteurs, enflammés de l’amour de la vérité, s’opposaient de leur propre mouvement à cette Constitution, et la combattaient avec courage dans tout ce qui avait rapport au gouvernement de l’Église. Nous eûmes encore un motif de consolation, lorsque pour s’opposer à de maux si nombreux et si considérables, Notre cher fils le cardinal de la Rochefoucault, Nos vénérables frères l’archevêque d’Aix, d’autres archevêques et évêques au nombre de trente, recoururent à Nous et dans une lettre datée du 10 octobre, Nous envoyèrent l’Exposition de leurs sentiments sur les principes de la Constitution du clergé, signée de chacun d’eux ; ils imploraient Nos conseils et Notre appui, et Nous demandaient comme au maître et au Père commun une règle de conduite qui fixât la leur. Nous avons éprouvé aussi une satisfaction bien sensible de la part des nombreux évêques qui, réunis aux premiers, ont adopté cette Exposition. Sur cent trente et un évêques de ce royaume, il ne s’est trouvé que quatre dissidents ; et si, à cette grande majorité des évêques, on ajoute les adhésions d’une foule de chapitres, de curés ou de pasteurs du second ordre, une exposition adoptée avec ce concours unanime ne doit-elle pas être réputée, et n’est-elle pas, en effet, la véritable doctrine de l’Église gallicane ? […]

Les faits ont répondu à ces déclarations honorables du clergé de France. Presque tous les évêques, la plus grande partie des curés ont refusé le serment avec une constance invincible. […]

Ne parlons point ici de ce qui concerne le gouvernement civil du royaume ; mais quelle est sa témérité d’entreprendre l’apologie des articles relatifs au clergé, que presque tous les évêques de France et une foule d’autres ecclésiastiques ont condamnés et combattus, comme contraires au dogme, et destructifs de la discipline générale, surtout par rapport aux élections et institutions des évêques ! » (Lettre apostolique Caritas, 13 avril 1791 - Condamnation de la Constitution Civile du Clergé et exhortation à la fidélité)

c) Pie VI avait prévenu Louis XVI qui signa quand même : il ne fut jamais condamné

Pie VI avait écrit à Louis XVI dès avant l'adoption de la Constitution :

« Nous devons vous dire avec fermeté et amour paternel que, si vous approuvez les décrets concernant le Clergé, vous induirez en erreur votre Nation entière, vous précipiterez votre Royaume dans le schisme et peut-être dans une guerre civile de religion. » (Lettre du 9 juillet 1790)

Le 10 juillet, des brefs de Pie VI demandent au roi de refuser la Constitution. Ceux-ci sont remis à Louis XVI le 23 juillet. Or, la veille, celui-ci a annoncé qu'il accepterait les décrets. Croyant le Pape mal informé des affaires de France - celui-ci est en effet conseillé par le cardinal de BERNIS, fort prévenu contre le nouvel ordre des choses - et persuadé de l'urgence, Louis XVI sanctionne et promulgua les décrets le 24 août 1790.

Pie VI fit plus tard ainsi état de l’avertissement qu’il en fit à Louis XVI :

« Nous avons ensuite exhorté très instamment Notre très cher fils en Jésus-Christ, Louis, roi très-chrétien, par Notre lettre du 9 juillet 1790, à ne point accorder sa sanction à une Constitution civile du clergé, qui devait induire la nation en erreur, et amener un schisme dans son royaume. Car il était absolument impossible qu’une assemblée purement politique eût le droit de changer la discipline universelle de l’Église, de fouler aux pieds les autorités des Pères et les décrets des conciles, de renverser l’ordre de la hiérarchie, de régler arbitrairement les élections des évêques, de supprimer des sièges épiscopaux, et de substituer dans l’Église, à des formes anciennes et respectables, des formes nouvelles et vicieuses.

Pour graver plus profondément Nos exhortations dans l’âme au roi très chrétien, Nous avons adressé, le 10 du même mois, deux lettres en forme de bref à Nos vénérables frères les archevêques de Bordeaux et de Vienne, attachés à la personne du monarque ; Nous les avons avertis en père d’unir leurs efforts aux nôtres ; car si la sanction royale venait à prêter un nouvel appui à cette Constitution, le royaume deviendrait schismatique, ainsi que les évêques élus suivant la nouvelle forme ; et Nous serions obligé Nous-même de les déclarer intrus et privés de toute juridiction ecclésiastique. Et afin de prouver évidemment que Nos soins et Notre sollicitude avaient pour objet unique les intérêts de la religion et de fermer la bouche aux ennemis du Saint-Siège, Nous avons ordonné qu’on cessât provisoirement d’exiger le paiement des droits qui sont dus à la Chambre apostolique, d’après d’anciens traités et un usage constant, pour l’expédition des affaires de France. » (Lettre apostolique Caritas, 13 avril 1791 - Condamnation de la Constitution Civile du Clergé et exhortation à la fidélité)

Louis XVI signa quand même, mais loin de le condamner, Pie VI tint compte des circonstances, pris conseil auprès des Cardinaux, et fit le choix de la douceur :

« Sans aucun doute le roi très-chrétien n’eût jamais sanctionné la constitution ; mais, pressé, poussé par l’Assemblée nationale, il s’est enfin laissé arracher cette sanction, comme l’indiquent les lettres qu’il Nous a adressées le 28 juillet, le 6 septembre et le 16 décembre. Il Nous y suppliait aussi avec instance d’approuver, du moins provisoirement, d’abord cinq, ensuite sept articles, qui, peu différents pour le fond, renfermaient comme la substance et l’abrégé de la nouvelle Constitution.

Nous avons senti sur-le-champ qu’il Nous était impossible d’approuver et de tolérer ces articles absolument contraires aux règles canoniques. Ne voulant point cependant donner à Nos ennemis le prétexte de tromper les peuples, et de publier que Nous Nous refusions à tout moyen de conciliation ; désirant de plus marcher toujours dans les mêmes voies de la douceur, Nous avons déclaré au roi, par Notre lettre du 17 août, que Nous examinerions avec soin ces articles, et que Nous allions convoquer un conseil de cardinaux, pour peser de nouveau le tout en commun. S’étant assemblés deux fois, le 24 septembre et le 16 décembre, pour conférer sur les premiers et en suite sur les autres articles, d’après de sérieuses réflexions, leur avis unanime a été qu’il fallait demander aux évêques de France leurs sentiments sur ces articles, afin de connaître par eux, s’il était possible, quelque voie canonique que la distance des lieux ne Nous permettait pas de découvrir, comme Nous avions par d’autres lettres instruit le roi très-chrétien. » (Lettre apostolique Caritas, 13 avril 1791 - Condamnation de la Constitution Civile du Clergé et exhortation à la fidélité)

Ajoutons que dans son allocution du 17 juin 1793, connue tantôt sur le titre français de Comment Notre Voix, tantôt sous le titre latin de Quare lacrymæ, le Pape Pie VI exprima l'idée que le Roi de France récemment assassiné est mort en véritable martyr de la foi catholique et qu'il pourrait bien être un jour éligible à la canonisation. Il mentionna qu'un argument contre cela pourrait être tiré du fait que le roi avait scellé la constitution civile schismatique du clergé. Mais le Pape répondit immédiatement à sa propre objection en observant que l'approbation apparente en question semblerait avoir été obtenue contre la volonté du roi sous prétexte que le sceau n'indiquait que la conformité de la copie à l'original, et non l'assentiment royal, et que de toute façon le roi avait suffisamment expié toute faute contre la foi par sa mort pour la foi :

« D’après cette suite ininterrompue d’impiétés qui ont pris leur origine en France, aux yeux de qui n’est-il pas démontré qu’il faut imputer à la haine de la religion les premières trames de ces complots qui troublent et ébranlent toute l’Europe ? Personne ne peut nier que la même cause n’ait amené la mort funeste de Louis XVI. On s’est efforcé, il est vrai, de charger ce Prince de plusieurs délits d’un ordre purement politique. Mais, le principal reproche qu’on ait élevé contre lui, portait sur l’inaltérable fermeté avec laquelle il refusa d’approuver et de sanctionner le décret de déportation des prêtres, et la lettre qu’il écrivit à l’Évêque de Clermont pour lui annoncer qu’il était bien résolu de rétablir en France, dès qu’il le pourrait, le culte catholique. Tout cela ne suffit-il pas pour qu’on puisse croire et soutenir, sans témérité, que Louis fut un martyr ?

Mais, d’après ce que nous avons entendu, on opposera ici, peut-être, comme un obstacle péremptoire au martyre de Louis, la sanction qu’il a donnée à la Constitution, que Nous avons déjà réfutée dans Notre susdite réponse aux Évêques de France. Plusieurs personnes nient le fait et affirment que lorsqu’on présenta cette Constitution à la signature du Roi, il hésita, recueilli dans ses pensées, et refusa son seing de peur que l’apposition de son nom ne produisit tous les effets d’une approbation formelle. L’un de ses ministres que l’on nomme, et en qui le Roi avait alors une grande confiance, lui représenta que sa signature ne prouverait autre chose que l’exacte conformité de la copie avec l’original, de manière que Nous, à qui cette Constitution allait être adressée, Nous ne pouvions sans aucun prétexte élever le moindre soupçon sur son authenticité.

Il paraît que ce fut cette simple observation qui le détermina aussitôt à donner sa signature. C’est aussi ce qu’il insinue lui-même dans son testament quand il dit que son seing lui fut arraché contre son propre vœu.

Et, en effet, il n’aurait pas été conséquent et se serait mis en contradiction avec lui-même, si, après avoir approuvé volontairement la Constitution du Clergé de France, il l’eût rejetée ensuite avec la plus inébranlable fermeté, comme il fit lorsqu’il refusa de sanctionner le Décret de déportation des Prêtres non assermentés, et lorsqu’il écrivit à l’Évêque de Clermont qu’il était déterminé à rétablir en France le culte catholique.

Mais quoiqu’il en soit de ce fait, car Nous n’en prenons pas sur Nous la responsabilité, et quand même Nous avouerions que Louis, séduit par défaut de réflexion ou par erreur, approuva réellement la Constitution au moment où il souscrivit, serions-Nous obligés pour cela de changer de sentiment au sujet de son martyre ? Non, sans doute. Si Nous avions eu pareil dessein, Nous en serions détournés par sa rétractation subséquente aussi certaine que solennelle et par sa mort même qui fut votée en haine de la religion catholique ; de sorte qu’il paraît difficile que l’on puisse rien contester de la gloire de son martyre.

Appuyé sur cette raison, celle du Pape Benoît XIV, et voyant que la rétractation de Louis XVI, écrite de sa propre main et constatée encore par l’effusion d’un sang si pur, est certaine et incontestable, Nous ne croyons pas Nous éloigner du principe de Benoît XIV, non pas, il est vrai, en prononçant dans ce moment un Décret pareil à celui que Nous venons de citer, mais en persistant dans l’opinion que Nous Nous sommes formée du martyre de ce Prince, nonobstant toute approbation qu’il avait donnée à la Constitution Civile du Clergé quelle qu’elle eût été. » (Allocution Comment Notre Voix ou Quare lacrymæ du 17 juin 1793 - Martyre de Sa Majesté le Roy Louis XVI)

L'intérêt de cette défense considérée comme recevable par le Pape est que si Louis XVI n'avait pas l'intention d'exprimer son assentiment au document en y apposant son sceau, ce fait était tout à fait incertain au for externe de l'époque (cf. les signatures des Pères conservateurs du Concile Vatican II sur les décrets du Concile), et pourtant personne n'a jugé bon de considérer le Roi comme un hérétique ou un schismatique, même de manière présomptive, tant que le Saint-Siège ne s'était pas prononcé directement sur la question.

d) Il rappelle l’absence actuelle de sanction et souhaite que cela puisse rester ainsi

Parlant du serment sur la Constitution par le Cardinal Étienne-Charles de LOMÉNIE de BRIENNE, Archevêque de Sens, Pie VI écrit :

« Nous avons jugé à propos d’interrompre pour quelque temps Notre réponse aux évêques, qui était presque achevée, et de répondre sans tarder au cardinal en lui montrant l’erreur où Il était tombé au sujet du serment, et les peines canoniques qu’à la douleur de Notre âme Nous serions forcé de lui appliquer, même en le dépouillant de sa dignité de cardinal, si, par une satisfaction prompte et convenable, il ne réparait le scandale qu’il avait causé. » (Lettre apostolique Caritas, 13 avril 1791 - Condamnation de la Constitution Civile du Clergé et exhortation à la fidélité)

Et à propos des auteurs de la Constitution qu’il condamne :

« Quoique Nous ayons démontré tous ces points avec la dernière évidence, Nous n’avons pas néanmoins quitté les voies de la douceur, Nous avons déclaré Nous être abstenu jusqu’ici de déclarer retranchés de l’Église les auteurs de cette fatale Constitution ; mais en même temps, Nous avons dû leur répéter que s’ils ne détestaient pas les erreurs que Nous venions de dévoiler, Nous serions obligé, quoiqu’à regret, pour Nous conformer à l’usage constant du Saint-Siège, dans de pareilles occasions, de déclarer schismatiques les auteurs de cette Constitution, ceux qui auraient prêté serment de s’y conformer, ceux qu’on établirait nouveaux pasteurs, ceux qui consacreraient et ceux qui seraient consacrés, car ils ne pourraient, quels qu’ils fussent, avoir aucune mission, ni participer à la communion de l’Église. » (Lettre apostolique Caritas, 13 avril 1791 - Condamnation de la Constitution Civile du Clergé et exhortation à la fidélité)

e) Puis il conclut en donnant aux jureurs un délai de rétractation de 40 jours avant que leurs actes ministériels ne soient frappés d’irrégularité, ne les excommuniant même pas en cas de désobéissance

Pie VI dispose :

« Considérant donc combien cette longue suite de crimes établit de plus en plus le schisme dans royaume de France, qui a rendu à la religion des services si importants et qui Nous est si cher ; voyant que pour cette raison on fait chaque jour, de toutes parts, des élections de pasteurs du premier et du second ordre ; que les ministres légitimes sont arrachés et chassés de leur siège, et qu’on introduit à leur place des loups dévorants, Nous ne pouvons qu’être touché d’un spectacle aussi déplorable. Afin donc d’opposer promptement une digue aux progrès du schisme, pour rappeler au devoir ceux qui s’en sont écartés, pour confirmer les bons dans leurs dispositions, et pour conserver la religion dans un royaume aussi florissant ; d’après les conseils de Nos vénérables frères les cardinaux de la sainte Église romaine, d’après le vœu du corps entier des évêques de France et l’exemple de Nos prédécesseurs, en vertu du pouvoir apostolique dont Nous sommes revêtu ; Nous ordonnons d’abord par ces présentes, à tous cardinaux, archevêques, évêques, abbés, vicaires, chanoines, curés, prêtres, en un mot, à tous les ecclésiastiques séculiers ou réguliers, qui auraient prêté le serment civique, purement et simplement, tel qu’il a été prescrit par l’Assemblée nationale, serment qui est une source empoisonnée de toutes sortes d’erreurs, et la principale cause des maux qui affligent l’Église catholique de France, de se rétracter dans l’espace de quarante jours, à compter de la date des présentes ; autrement, qu’ils soient suspens de l’exercice de tout ordre quelconque, et soumis à l’irrégularité s’ils en exercent les fonctions. » (Lettre apostolique Caritas, 13 avril 1791 - Condamnation de la Constitution Civile du Clergé et exhortation à la fidélité)

f) A l’issue du délai les récalcitrants n’étaient même pas excommuniés mais « seulement » suspens a divinis

Il faut souligner que les récalcitrants étaient « seulement » suspens a divinis, c’est-à-dire même pas chassés hors de l’Eglise par l’excommunication. Il ne fit que menacer d’user de son pouvoir d’excommunication :

« Mais si Notre douceur, si Nos avis paternels ne produisaient aucun fruit, malheur que Nous supplions le ciel de détourner, qu’ils le sachent : notre intention n’est pas de les exempter des peines beaucoup plus graves auxquelles ils sont condamnés par les canons ; qu’ils soient bien persuadés que Nous lancerons contre eux l’anathème, et que Nous les dénoncerons à l’Église universelle comme schismatiques retranchés du sein de l’Église, et privés de Notre communion ; car « il est juste que celui qui a choisi de croupir dans la fange de sa folie, éprouve toute la rigueur des lois et subisse le sort de ceux dont il a suivi les erreurs. » C’est ainsi que s’exprime saint Léon, l’un de Nos prédécesseurs, dans sa lettre à Julien, évêque de Cos. » (Lettre apostolique Caritas, 13 avril 1791 - Condamnation de la Constitution Civile du Clergé et exhortation à la fidélité)

Cela signifie que même en adhérant à cette constitution dont il est « impossible de ne pas saisir au premier coup d’œil » qu’elle est hérétique et schismatique, même en après la première sanction de tous les évêques de france dans une déclaration, même après un jugement des Docteurs de la Sorbonne, même en ayant vu passer deux jugements pontificaux d’hérésie, et même en ayant encouru la suspens après un délai de rétractation, les concernés n’étaient toujours pas « schismatiques retranchés du sein de l’Église, et privés de [la] communion [du Pape] » !

g) L’attitude du Bienheureux Noël PINOT envers son vicaire jureur avant le jugement du Pape

L’abbé Noël PINOT était Curé de la paroisse du Louroux-Béconnais. Il était resté soumis au pouvoir civil révolutionnaire en France autant que sa conscience le lui permettait entre 1789 et 1791, jusqu'à permettre que la nouvelle législation anticatholique soit annoncée publiquement du haut de la chaire de l'église. Mais lorsqu'il fut décrété que le clergé devait jurer publiquement de respecter la nouvelle Constitution civile du clergé imposée à l'Église française par les révolutionnaires, le futur martyr résolut de ne jamais donner son consentement à un acte qu'il jugeait à juste titre inconciliable avec la foi et la communion catholiques, car il en avait vu clairement l’hérésie et le schisme. Mais le jugement de Rome n’étant pas encore tombé. En effet, toute l’ampleur de la malice de la Constitution dont il avait conscience, il exposa à ses paroissiens le 27 février 1791, où il s’exprima ainsi à ses paroissiens pour leur expliquer sa décision de ne pas jurer :

« Tant que les lois qu'a faites l'Assemblée Nationale n'ont porté que sur le temporel, j'ai été le premier à m'y soumettre. C'est en raison de cela que j'ai fait ma déclaration pour la contribution patriotique, que j'ai payé les impôts dont on m'a chargé. Mais aujourd'hui qu'elle veut mettre la main à l'encensoir, qu'elle attaque ouvertement les principes reconnus depuis tant de siècles par l'Église catholique, apostolique et romaine, mon silence serait un crime. Je dois vous avertir, tout me commande de vous instruire. Vous voulez savoir ce qui m'empêche de prêter le serment. C'est que je ne le puis en conscience, c'est qu'il contrarie la religion. Aussi tous les Évêques de France n'ont-ils pas voulu s'y soumettre. qu'ont demandé les Évêques à l'Assemblée Nationale ? Ils ont demandé une chose juste, ils ont demandé un Concile, où toute l'Église assemblée eût déterminé les bornes qui doivent exister entre le temporel et le spirituel. Cependant cette Assemblée Nationale, au mépris de tout ce qu'il y a de plus sacré, s'y est refusée. Elle a détaché la France de notre chef visible qui est le Pape, de sorte que ce dernier portera aujourd'hui le nom de chef des fidèles et n'aura aucune communication avec eux, semblables à un président que vous éliriez dans une de vos assemblées et qui, placé à la tribune, n'aurait pas la faculté de s'entretenir avec le moindre votant d'entre vous. Vous croyez donc que cela est évidemment contraire à notre religion. Dès notre plus tendre jeunesse, nous avons appris que l'Église frappait d'anathème le prêt à usure ; aujourd'hui un décret de l'Assemblée l'autorise. Nous avions toujours considéré les vœux comme ce qu'il y a de plus sacré, et quiconque les eût ci-devant violés, eût été traité d'impie et d'apostat ; cependant l'Assemblée Nationale a jugé à propos de les dissoudre ; elle a dit : « Sortez, religieux et religieuses », et les couvents, lieux où habitaient le recueillement et la sainteté, se sont ouverts et trouvés déserts. En vacance d'un Évêque c'était le chapitre qui vaquait au spirituel ; maintenant il sera confié à son premier vicaire, qui ne pourra jamais avoir aucune véritable délégation ni aucun droit sur les consciences. Pour vous convaincre davantage de tout ce que j'avance, et pour vous prouver que nous ne pouvons prêter le serment sans manquer à la religion et sans nous rendre indignes de notre saint ministère, c'est que moi qui vous parle, après avoir étudié tous les livres saints, après avoir consulté les gens les plus pieux et les plus attachés à notre religion, je verrais mon supplice préparé que je m'y refuserais. C'est ainsi que nous devons faire. […]. Croyez que si plus des deux tiers du clergé de France, et notamment celui des grandes villes où il est plus instruit qu'ailleurs, s'est refusé au serment, ce n'est pas le regret qu'il a pour les biens d'ici-bas, mais la crainte de perdre son âme. » (Explication à ses paroissiens de son refus de prêter serment, 27 février 1791)

C’est pourquoi, peu avant il avertit son vicaire, l’abbé Mathurin GARANGER, de ne pas jurer en lui disant :

« Soyez sûr qu’il [le Pape] condamnera. [...] Cette Constitution ne vise qu’à nous séparer de l’Eglise catholique en créant chez nous une soi-disant Église nationale. [...] Que vous le vouliez ou non [la Constitution] ouvre la porte au schisme. [...] De grâce, ne commettons pas le péché de désobéissance à l’Eglise » (Mgr Francis TROCHU, La vie du bienheureux Noël Pinot - Martyr 1747-1794, pages 61 et 62)

Et pourtant, dans un premier temps, il ne résista pas publiquement, jouant sur le temps, bien qu'il encouragea en privé ses confrères du clergé à ne pas consentir à ces mesures. Mais finalement, le dimanche 23 janvier 1791, les représentants du conseil révolutionnaire local se présentèrent à l'église pour exiger sa signature devant le peuple, et il refusa. Cependant, l’abbé GARANGER, qui était également présent, peu convaincu par les arguments que son Curé lui avait présentés en privé, céda et prêta le serment requis, au grand scandale des paroissiens. Malgré cela, le Bienheureux Noël PINOT continua à partager son ministère avec son vicaire, malgré les remontrances doctrinales qu’il lui avait adressées :

« A table, le midi de ce dimanche 23 janvier 1791, le vicaire assermenté se retrouva vis-à-vis de son curé insermenté. M. Pinot avait déjà réfléchi sur le cas de M. Garanger. Le jeune prêtre s'était-il vraiment rendu compte que, dans la prestation du serment, il y allait pour lui d'une faute grave ? Son curé concluait à un péché matériel et non formel, considéré une certaine bonne foi due une déviation de jugement : le vicaire avait cru pouvoir aller jusque là sans cesser d'être un bon prêtre. En tout cas, le pape ne s'étant pas prononcé encore au sujet de la Constitution civile du clergé, M. Garanger n'avait encouru, du fait de son jurement, aucune censure. Confiant que les instructions attendues de Rome lui dessilleraient les yeux, M. Pinot le laissera poursuivre comme auparavant ses activités dans la paroisse. » (Mgr Francis TROCHU, La vie du bienheureux Noël Pinot - Martyr 1747-1794, page 65)

« Malgré les menaces de la loi, et la défense portée, Noël Pinot administra sa paroisse et sa cure. Il garda dans son église, et à sa table, le vicaire « jureur » ; il n’éteignit pas la mèche prête à mourir. D’ailleurs, le Pape n’avait pas encore parlé solennellement, pour condamner la loi et appeler les coupables au repentir ou fulminer contre les endurcis la sentence qu’ils méritaient. […]

Il chanta lui-même la grand’messe, et laissa M. Garanger parler après l’Evangile, et lire des décrets après la communion. » (Mgr Alexis CROSNIER, Le Bienheureux Noël Pinot. Curé du Louroux-Béconnais. Martyr sous la Terreur. (19 décembre 1747 - 21 février 1794), Beauchesne, Paris, 1927, pages 107, 108, 110, 111)

Et cette tolérance, rappelons-le, fut accordée malgré le fait que le Curé PINOT lui-même avait déjà exposé au vicaire GARANGER aussi clairement qu'il le pouvait les raisons pour lesquelles le contenu du serment était intrinsèquement schismatique. La confiance du Curé dans la bonne foi de son confrère était donc possible en lui attribuant une « déviation de jugement », un manque de lucidité sur une question qui était en soi tout à fait claire et avait été suffisamment attirée à son attention.

Cette division du ministère entre celui qui avait refusé et celui qui avait accepté la constitution schismatique se poursuivit jusqu'au 27 février de la même année, date à laquelle le Bienheureux jugea bon d'expliquer en chaire les raisons de son refus du serment et d'avertir explicitement ses ouailles de son caractère schismatique. Il fut alors obligé de se cacher et de poursuivre son ministère en secret (jusqu'à ce qu'il soit capturé et exécuté en 1794). La condamnation romaine de la constitution civile fut finalement prononcée en mars 1791 et l’abbé GARANGER revint effectivement à la raison et rétracta son erreur. Il fut ensuite exilé. Rentré en France après le Concordat napoléonien, il exerça son sacerdoce pendant quelques années avant de devenir fou et de mourir.

4) Application a fortiori à notre époque

La situation était donc claire. La Constitution civile du clergé est en effet condamnée comme opposée aux principes catholiques et schismatique, par l'ensemble de l'épiscopat français sollicité à donner son avis par le Pape lui-même sur l'avis des Cardinaux ; les docteurs en théologie de la Sorbonne ont jugé de la même manière et le Pape Pie VI lui-même a déclaré hérétique la Constitution dans un premier jugement officiel (Quod aliquantum). Eh bien, dans la Lettre Apostolique dans laquelle il condamne solennellement la Constitution civile du clergé, le Pape ne formule aucune condamnation ni contre le Roi, ni contre le clergé qui ont signé la Constitution ! Bien plus, le Souverain Pontife donne un délai de quarante jours à ce clergé pour se rétracter et ne le menace d'être suspens (et même pas excommunié !) qu'à l'issue de ce délai !

Ce n'est donc nullement lorsque les schismatiques eurent signé la fatale constitution que les catholiques ne durent avoir rien de commun avec eux, mais bien lorsque le Pape leur en donna l'ordre. Tant que cet ordre n'est pas donné, rien n'obligeait les catholiques, et ce malgré cette affirmation du Pape Pie VI lui-même : « que les articles relatifs au clergé soient contraires au dogme, et destructifs de la discipline générale, [est une vérité] qu’il est impossible de ne pas saisir au premier coup d’œil » !

Or, selon la logique des sédévacantistes, dès la prestation du serment, il serait devenu sacrilège d’assister aux messes des jureurs ! Mais la réalité est qu’il fût parfaitement licite d’assister à leurs messes jusqu’au dernier jour du délai de rétractation !

Aussi les sédévacantistes d’aujourd’hui, nonobstant la bonne foi qui est sans doute la leur, qui n’ont pas l’ombre de l’autorité ni des docteurs en théologie de la Sorbonne, ni d’évêques ayant une juridiction ordinaire, et encore moins d’un Pape, tirent une conclusion qu’ils n’ont pas le droit de tirer et coupent injustement les âmes des sacrements !

F) La condamnation du Concile de Pistoie

Le cas de la condamnation du concile hérétique de Pistoie est lui aussi un bon exemple, similaire à celui des prêtres jureurs. Le Pape Pie VI qui est celui qui eut à gérer cette crise explique tout dans l’introduction de sa célèbre Bulle Auctorem fidei du 28 août 1794.

1) Contexte

Pie VI décrit ainsi l’origine du problème :

« Ce n'est pas aux extrémités de la terre, mais sous le ciel de l'Italie, et sous les yeux de Rome, dans le voisinage du tombeau des Apôtres, que s'est trouvé un Évêque honoré d'un double Siège (nous parlons de Scipion de Ricci ci-devant Évêque de Pistoie et de Prato) ; nous l'avions embrassé avec une charité toute paternelle quand il vint à Nous pour recevoir de nos mains la charge Pastorale ; et lui, de son côté, par un serment solennel prononcé le jour de sa consécration, avait juré fidélité et obéissance à Nous et à ce Siège Apostolique.

Eh bien ! ce même Prélat, peu de temps après avoir pris congé de Nous et avoir reçu notre baiser de paix, s'est rendu auprès des peuples qui lui avaient été confiés ; mais circonvenu par les artifices d'un amas de Docteurs d'une sagesse perverse, au lieu de soutenir, de suivre et de perfectionner, selon son devoir, la forme louable et paisible d'institution chrétienne que, d'après la règle de l'Église, les Évêques ses prédécesseurs avaient depuis longtemps introduite et, en quelque sorte, enracinée, il n'a visé, sous le prétexte d'une fausse réforme, qu'à la troubler, l'arracher et la renverser de fond en comble, en introduisant à sa place de funestes nouveautés.

Bien plus, s'étant déterminé, d'après nos exhortations, à tenir un Synode Diocésain, il en est résulté, par l'effet de l'opiniâtreté qui l'attache invariablement à son propre sens, que ce qui devait être un remède pour la guérison des plaies est devenu une source plus malheureuse de perdition. »

2) Des hérésies, elles aussi, visibles « au premier coup-d'œil »

Pie VI déclarait de manière analogue à son jugement sur la Constitution civile du clergé qu’ :

« il n'y eut personne d'animé des sentiments de la piété et de la sagesse à l'égard de notre sainte religion, qui n'ait remarqué, au premier coup-d'œil, que le but de ses auteurs avait été de réunir comme en un seul corps de doctrine toutes les semences d'enseignements pervers jusques-là éparses dans une multitude de libelles ; de ressusciter des erreurs déjà proscrites, et de détruire la confiance et l'autorité que doivent inspirer les Décrets Apostoliques qui les ont condamnées. »

3) Les grands moyens employés pour examiner l’affaire

Et pourtant il déploya de grands moyens pour examiner l’affaire :

« Comprenant que plus ces choses sont graves plus elles réclamaient impérieusement le zèle de notre sollicitude Pastorale, nous avons pensé à prendre sans délai les moyens les plus propres à guérir le mal, dès son origine, ou du moins à en arrêter les progrès.

Avant tout, nous souvenant du sage avertissement du Bienheureux Zozime, notre Prédécesseur : qu'il faut peser avec une grande maturité d'examen les choses d'une grande importance (6), nous avons confié l'examen du Synode publié par l'Évêque de Pistoie, à quatre Évêques à qui nous avons adjoint des Théologiens du Clergé Séculier. Nous avons ensuite député une Congrégation de plusieurs Cardinaux de la Sainte Église Romaine et d'autres Évêques, en les chargeant d'examiner avec soin toute la série des actes de ce Synode ; de comparer entre eux les passages séparés ; de discuter les propositions qu'ils auraient extraites. Nous avons recueilli leurs suffrages émis devant Nous de vive voix et par écrit. Ils ont été d'avis que le Synode, dans son ensemble, devait être réprouvé, et qu'un grand nombre de propositions qu'on en avait extraites, méritaient les unes par elles-mêmes, les autres eu égard à la liaison des principes avec les sentiments déjà exprimés, d'être frappées de censures plus ou moins sévères. Après avoir écouté et pesé leurs observations, Nous avons aussi eu soin de faire rédiger dans un certain ordre les principaux chefs extraits du Synode, qui renfermaient des doctrines mauvaises, auxquels plus particulièrement se rapportent, d'une manière directe ou indirecte, les sentiments condamnables qui sont répandus ça et là dans le Synode, et de faire suivre la censure particulière qui doit être appliquée à chacun d'eux.

Mais de peur que des esprits obstinés ne prissent occasion, soit de la confrontation des passages quoique faite avec le plus grand soin, soit de l'examen des sentiments, de se livrer à des incriminations injustes ; voulant prévenir un reproche calomnieux qu'ils tiennent, peut-être, déjà tout prêt, nous avons cru devoir prendre le parti fort sage qu'ont employé plusieurs de nos plus Saints Prédécesseurs ainsi que les plus graves Prélats, et même des Conciles Généraux, comme l'attestent d'illustres exemples qui nous ont tracé, dans cette conduite pleine de précaution et de prudence, la marche à suivre en pareilles circonstances. »

4) Aucun ostracisme avant la condamnation romaine

a) Pie VI espère que « ceux qui enseignent de mauvaises doctrines soient guéris dans le sein même de l'Église par les soins des Pasteurs »

Pie VI précise que ce n’est qu’après la condamnation qu’il fallait se séparer d’eux, car avant cela ils étaient toujours membres de l’Eglise puisqu’ils dit espérer que « ceux qui enseignent de mauvaises doctrines soient guéris dans le sein même de l'Église par les soins des Pasteurs, plutôt que de les en retrancher en désespérant de leur salut, si aucune nécessité ne nous contraint à prendre ce moyen extrême » :

« Cependant nous n'avons pas cru que ce fût encore assez pour la mansuétude dont notre cœur est rempli, ou, pour parler avec plus de vérité, pour la Charité qui nous presse à l'égard de notre Frère, et que nous voulons secourir par tous les moyens, si cela est encore en notre pouvoir (Pape saint Célestin, Lettre XIV au clergé et au peuple de Constantinople, n°8) : car nous ressentons les mêmes ardeurs de la Charité qui animaient notre Prédécesseur Célestin qui ne refusait pas même d'attendre les Prêtres à résipiscence, au-delà de ce qui semblait juste, ou du moins avec une patience plus grande que la justice ne paraissait le tolérer (Pape saint Célestin, Lettre XIII à Nestorius, n°9) : car, avec saint Augustin et les Pères du Concile de Milève, nous préférons et désirons que ceux qui enseignent de mauvaises doctrines soient guéris dans le sein même de l'Église par les soins des Pasteurs, plutôt que de les en retrancher en désespérant de leur salut, si aucune nécessité ne nous contraint à prendre ce moyen extrême (Saint Augustin, Lettre 92 alias 176, Cf. Opera S. Augustini, t. II, col. 927, édit. de Gaume ; col. 620, édit. de Montfaucon). »

b) Pie VI donna même la possibilité au fauteur d’erreur de présenter sa défense

« Dans ce but, et pour ne pas paraître avoir négligé tout ce que l'obligeance ou le devoir exigeait de nous pour gagner notre Frère, avant d'en venir à des mesures ultérieures, nous avons cru devoir engager ledit Évêque par des lettres très amicales, qui lui ont été remises d'après nos ordres, à se présenter devant Nous, lui promettant que nous le recevrions avec un cœur tout bienveillant, et que nous ne mettrions aucun obstacle à ce qu'il nous dévoilât librement et ouvertement tout ce qui lui semblerait de nature à le justifier : et nous n'avions pas perdu toute espérance, s'il montrait la docilité que saint Augustin exigeait surtout d'un Evêque (Saint Augustin, Du baptême, contre les donatistes, IV, 5 et V, 26), d'après l'enseignement de saint Paul, que lorsqu'on lui aurait proposé simplement, avec candeur, sans contention et sans amertume, les principaux chefs des doctrines qui avaient paru le plus dignes de censure, il ne rentrât aisément en lui-même et ne fît aucune difficulté d'expliquer dans un sens orthodoxe ce qui était exprimé d'une manière ambiguë, et de répudier ouvertement ce qui présentait un sens manifestement mauvais. Par cette conduite, nous aurions vu à la grande gloire de son nom, aux applaudissements et à la satisfaction de tous les gens de bien s'assoupir autant qu'il était possible, sans éclat, et par le plus désiré des retours, les bruits fâcheux qui s'étaient élevés dans l'Eglise. (Pape saint Célestin, Lettre XVI, n°2) »

5) Tout cela malgré la grande gravité de l’affaire

Et Pie VI témoigne qu’il eut toute cette patience et toute cette circonspection malgré la gravité de la situation qui menaçait toute l’Eglise :

« Mais maintenant qu'il a cru, sous le prétexte de sa mauvaise santé, ne devoir pas profiter du bienfait qui lui était offert, nous ne pouvons plus différer de satisfaire au devoir de la charge Apostolique. Il ne s'agit pas ici du danger d'un seul ou de deux diocèses ; c'est l'Église entière qui se trouve toujours attaquée par la nouveauté quelle qu'elle soit (Pape saint Célestin, Lettre XXI, aux évêques des Gaules). Depuis longtemps, non-seulement on attend, mais on réclame de toutes parts le jugement de la Suprême Chaire Apostolique avec des instances continuelles que l'on ne cesse de renouveler. A Dieu ne plaise que la voix de Pierre se taise jamais dans ce Siège où ce Bienheureux Apôtre vivant et présidant toujours fait connaître la vérité de la foi à ceux qui la cherchent (Saint Pierre Chrysologue, Lettre à Eutychès ; in : Lettres de saint Léon, XXV, édition Ballerini ; MANSI, t. V, col. 1250). Un trop long silence qui semblerait une connivence, n'est pas sûr dans de pareilles conjonctures ; il est aussi répréhensible alors que la prédication d'une doctrine irréligieuse (Pape saint Célestin, Lettre XII, n°2). Il faut donc extirper un mal qui ne s'attaque pas à un seul membre, mais qui menace d'infecter le corps entier de l'Eglise (Pape saint Célestin, Lettre XI à saint Cyrille d’Alexandrie, n°3) ; il faut, à l'aide de la bonté divine, pourvoir à ce que la Foi Catholique se conserve inviolable, en tarissant la source des dissensions il faut, en rappelant de l'erreur ceux qui prennent la défense des mauvaises doctrines, fortifier par notre autorité ceux dont la foi est éprouvée (Pape saint Léon le Grand, Lettre XXIII, à Flavien évêque de Constantinople, n°2). »

G) Lorsque l’hérésie et le schisme ne fit même pas réprouver le ministre par le Ciel : le cas de sainte Jeanne d’Arc qui recevait les sacrements de prêtres unis à un évêque schismatique

1) Jeanne était en permanence guidée par le Ciel

Le 22 février 1431, répondant à l’évêque Pierre CAUCHON, elle disait : « Je n’ai rien fait que par révélation ». Le 24 : « Evêque, vous dites que vous êtes mon juge, prenez garde à ce que vous faites, car, en vérité, je suis envoyée de Dieu et vous vous mettez en grand danger. Cette voix, (celle qui l’éclaire), vient de Dieu, je le crois aussi fermement que je crois à la foi chrétienne et que Notre Seigneur nous a racheté des peines de l’enfer. » Le 29 février : « Je ne suis venue que par l’ordre de Dieu. J’eusse mieux aimée être tirée à quatre chevaux que de venir en France sans la permission de Dieu. » Le 1er mars : « Je ne sais rien que par révélation ou par commandement de Dieu. » Le 17 mars : « J’aime mieux mourir que de révoquer en doute ce que Notre Seigneur m’a fait faire…Que mes réponses soient vues et examinées par les clercs ; et puis qu’on me dise s’il y a quelque chose contre la foi chrétienne. Si j’avais rien fait ou dit que les clercs puissent dire être contre la foi chrétienne que notre Sire a établie, je ne le voudrais soutenir, mais le bouterais hors. Ce que je requiers, c’est que vous me meniez devant notre Saint Père le Pape et puis je répondrais devant lui tout ce que je devrais répondre. » Le 24 mars on donne lecture du réquisitoire ; à l’article 23 disant que ses révélations et visions n’étaient qu’esprit de mensonge et d’orgueil, elle répondit : « Je le nie, ce que j’ai fait, je l’ai fait par révélation des saintes Catherine et Marguerite et je le soutiendrai jusqu’à la mort. » Ayant déclaré qu’elle se « soumettait au concile général actuellement assemblé et en appelait à son jugement » ; mais CAUCHON interdit au greffier de l’inscrire au procès verbal.

2) Ses révélations ne lui ont jamais interdit de recevoir les sacrements de prêtres unis à un évêque schismatique

Sainte Jeanne d’Arc recevait continuellement la communion et l’absolution de prêtres unis à l’évêque schismatique Pierre CAUCHON. C’était d’ailleurs une torture pour elle lorsqu’elle en était privée. Or elle se serait abstenue de le faire si le Ciel désapprouvait cela, tant que cet évêque n’avait pas été frappé par le Pape, puisque la sainte affirmait le 22 février 1431, répondant à ce même évêque : « Je n’ai rien fait que par révélation ». Or ses révélations n’auraient pas manqué de lui interdire de recevoir les sacrements de ces prêtres si c’était vraiment mauvais.

Pour preuve : son refus d’en appeler au Pape fut une cause de nullité du procès, preuve que Jeanne avait raison et CAUCHON tort devant Dieu, et pourtant Jeanne ne refusa pas ses sacrements :

Jeanne déclara :

« Je m'en rapporte à Dieu et à notre Saint Père le pape »

Que répondirent les docteurs ?

« Cela ne suffit pas ; on ne peut aller quérir notre Saint Père si loin ; et aussi les ordinaires sont juges chacun en leur diocèse. C'est pourquoi il faut que vous vous en rapportiez à notre Mère la Sainte Église, et que vous teniez ce que les clercs et gens compétents disent et ont déterminé de vos dires et de vos faits » (Procès ordinaire, séance du 24 mai 1431)

Cette réponse était pour le moins culottée ! Sainte Jeanne est d’Arc était une jeune fille qui, à moins de 20 ans, détruisit l’absolument indestructible Traité de Troyes, remit la France sur les rails de la victoire, fit sacrer à Reims le roi de France, « fils aîné de l’Eglise », et qui faisait parler d’elle dans toutes les Cours d’Europe, et jusqu’à celle du Grand Turc ! Si son cas ne méritait pas d’être déféré au Pape, alors quel cas l’était !?

En définitive, sainte Jeanne d'Arc fut menée au bûcher à cause du gallicanisme !

Cette violation du droit d'appel motiva l'annulation du procès par la Papauté vingt-cinq ans plus tard :

« Vu les récusations, soumissions, appels et multiples requêtes par lesquels ladite Jeanne réclama que tous ses dits et ses faits fussent transmis au Saint-Siège apostolique et à notre très-saint Seigneur le souverain pontife, auquel elle se soumettait et soumettait tous ses actes [...], nous déclarons que lesdits procès et sentences sont entachés de dol, calomnie, iniquité, mensonge, erreur manifeste de droit et de fait, [...] nuls, invalides, inexistants et vains » (Jugement du procès de réhabilitation, 7 juillet 1456).

CAUCHON, en plus de refuser l’appel au Pape, il participa au « concile de Bâle » qui en plus de ses hérésies, condamna le Pape Eugène IV à mort. De plus, après la réhabilitation, l’anathème fut prononcé contre lui et Calixte III ordonna de déterrer ses restes pour les jeter à la voirie.

H) Lorsque l’hérésie et le schisme étaient évidents, que trois Papes ont parlé, mais que le recours aux ministres concernés n’en devint pas pour autant illicite : le cas de la Charte gallicane de 1682

La Déclaration des Quatre articles rédigée par Jacques-Bénigne BOSSUET, fut adoptée en 1682 par l'assemblée extraordinaire du clergé du royaume de France, convoquée par Louis XIV dans le conflit qui l'opposait au pape Innocent XI au sujet du droit de régale.

On en lira plus sur cette affaire chez Mgr Justin FÈVRE dans Histoire apologétique de la Papauté, Tome 6 : Rapports des papes avec la France, de la page 300 à la page 449 : https://philosophieduchristianisme.wordpress.com/2016/06/28/histoire-apologetique-de-la-papaute/ 

1) L’hérésie de cette charte

Chacun pourra aisément se rendre compte de l’hérésie de chacun des quatre articles de cette charte, dont voici des résumés :

  • le souverain pontife n'a qu'une autorité spirituelle ; les princes ne sont donc pas soumis à l'autorité de l'Église dans les choses temporelles ; le pape ne peut juger les rois ni les déposer ; les sujets du roi ne sauraient être déliés du serment d'obéissance ;
  • l'usage de la puissance pontificale est réglé par les canons de l'Église ; mais, à côté d'eux, les principes et les coutumes de l'Église gallicane qui existent depuis toujours doivent demeurer en vigueur ;
  • le concile général, réunion de tous les évêques de la chrétienté, prend des décisions qui ont une valeur supérieure à celles du pape dont l'autorité est donc limitée par celle des conciles généraux ;
  • en matière de dogme, le Pape n'est infaillible qu'avec le consentement de l'Église universelle.

Il s’agit d’hérésies car déjà à l’époque l’Eglise enseignait dogmatiquement :

« Si tu as cru et crois, toi et les Arméniens qui te sont soumis, que ceux qui ont été les pontifes romains, et Nous qui sommes le pontife romain, et ceux qui le seront successivement, en tant que vicaires du Christ légitimes et très pléniers de par leur pouvoir, ont reçu directement du Christ, à l'égard du corps entier et universel de l'Eglise militante, toute la juridiction liée au pouvoir que le Christ, en tant que tête ayant la même forme, détenait dans la vie humaine. » (Clément VI, Lettre Super quibusdam, à Mekhitar (Consolator), catholicos des Arméniens du 29 septembre 1351 ; DS 1054)

« De même nous définissons que le Saint-Siège apostolique et le pontife romain détiennent le primat sur tout l’univers et que le pontife romain est quant à lui le successeur du bienheureux Pierre prince des apôtres et le vrai vicaire du Christ, la tête de l’Église entière, le père et le docteur de tous les chrétiens, et que c’est à lui qu’a été transmis par notre Seigneur Jésus Christ, dans le bienheureux Pierre, le pouvoir plénier de paître, de diriger et de gouverner l’Église universelle, ainsi qu’il est contenu dans les actes des conciles œcuméniques et dans les saints canons. » (Concile de Florence, Bulle Lætentur cæli, 6 juillet 1439 - Sur l’union avec les Grecs)

2) Les condamnations romaines…

Elle fut condamnée comme il se doit par Bienheureux Innocent XI (Bref, Paternae caritati, du 11 avril 1682), Alexandre VIII (Constitution Inter multiplices du 4 août 1690 : http://catho.org/9.php?d=bwx#d5k) et Pie VI (Bulle Auctorem fidei, 24 août 1794, Observations terminales). Le désir d’éviter un schisme a retenu Rome : aucun pape ne prononce d’anathème. Mais par la suite, il y eut différents décrets du Saint-Office allant dans le même sens (la liste en est donnée par le Dictionnaire d’apologétique de la foi catholique, t. 2, col 267 : https://philosophieduchristianisme.wordpress.com/2019/06/23/lire-en-ligne-le-dictionnaire-apologetique-de-la-foi-catholique/)

Le Pape Benoît XIV critiqua vertement la Defensio cleri gallicani de BOSSUET dans un bref du 13 juillet 1748, adressé à l’inquisiteur général d’Espagne :

« Il serait difficile de trouver un ouvrage qui soit aussi contraire à la doctrine reçue partout, hors de la France, sur l’infaillibilité du souverain pontife définissant ex cathedra, et sur la supériorité au-dessus de tout concile œcuménique. Du temps de Clément XII, notre prédécesseur d’heureuse mémoire, on s’occupa de proscrire cet ouvrage »

3) … n’entraînèrent jamais d’interdiction de recourir au ministère des clercs qui y adhéraient

De même que pour sainte Jeanne d’Arc : il n’y a jamais eu de péché mortel ou d’interdiction à être « una cum un prêtre ou un évêque qui y adhérait » et d’assister à leurs messes ! En effet, tous les évêques de France y souscrire, sauf trois, ce qui fit dire à Louis XIV : « J’ai trois évêques dans mon royaume » ! Et pourtant l’« interdit », c’est-à-dire l’interdiction de dire la messe, fut déjà jeté sur tout le royaume de France en 1141, dans un conflit qui opposa Louis VII le Jeune au pape Innocent II, et en 1200 sous le règne de Philippe II Auguste alors en opposition avec le pape Innocent III. La chose n’était donc pas impossible !

Rome renonça même explicitement à condamner BOSSUET. En effet, le Bref du 13 juillet 1748, adressé à l’inquisiteur général d’Espagne, que nous avons cité plus haut se poursuit par ces mots :

« Du temps de Clément XII, notre prédécesseur d’heureuse mémoire, on s’occupa de proscrire cet ouvrage, et on finit par conclure de n’en rien faire, non seulement à cause de la réputation de l’auteur qui a bien mérité de la religion sous tant d’autres chefs, mais parce qu’on avait la crainte fondée d’exciter par-là de nouveaux troubles. »

VI) Autres exemples historiques de situations où des affaires graves et évidentes n’ont pu être réglées que par l’autorité du Pape

A) Le schisme des Corinthiens à la fin du Ier siècle

Pour des motifs qui ne nous sont pas parvenus, à l’époque du Pape saint Clément, survint à Corinthe une dissension, un schisme (Histoire ecclésiastique, III, 15-16), lors duquel les laïcs de la ville se révoltèrent leur clergé (Lettre de Clément aux Corinthiens, 47, 6). L’intervention de ce dernier pour rétablir la situation est d’ailleurs la première preuve historique de l’existence de la Papauté. Nous traitons du sujet dans son intégralité dans cet article : https://philosophieduchristianisme.wordpress.com/2017/08/28/la-primaute-romaine-des-le-ier-siecle-la-lettre-de-clement-de-rome-aux-corinthiens/ (on y trouveras entre autres les réponses à toutes les objections anti-catholiques pour nier que cet épisode soir une manifestation de la Papauté). Toutefois nous ne nous intéresserons ici qu’à ce que cet épisode nous apprend de la nécessité de recourir à Rome lorsqu’on est déjà catholique convaincu.

1) La gravité de la situation

Ce schisme était gravissime. Il « a perverti beaucoup d’âmes » et « en a jeté beaucoup dans le découragement, beaucoup dans le doute, nous tous [l’Eglise de Rome, qui est très loin] dans la tristesse » (Lettre de Clément aux Corinthiens, 46, 9), cela fut tellement grave que la chose fut même connue des païens y trouvant une occasion de blasphémer le nom de Jésus-Christ (Lettre de Clément aux Corinthiens, 47, 7).

2) L’évidence de la faute des Corinthiens

Saint Clément témoigne encore que les Corinthiens n’avaient même pas l’excuse de pouvoir penser se remettre entre les mains de saints hommes, car ils avaient agi à l’instigation d’individus misérables :

« Reprenons la lettre du bienheureux Apôtre Paul. Que vous a-t-il écrit dans les commencements de l’Évangile ? En vérité, il était inspiré par l’Esprit lorsqu’il vous a écrit au sujet de Céphas et d’Apollos, car à cette époque déjà vous formiez des partis ; mais cela vous rendait alors moins coupables, car vos partis se formaient autour d’Apôtres autorisés ou d’hommes éprouvés par eux. Mais aujourd’hui voyez quels hommes vous ont troublés et comment se sont affaiblis votre charité fraternelle et le renom de sainteté qu’elle vous donnait. C’est une honte, bien-aimés, une honte par trop grande ; c’est indigne d’une conduite soumise au Christ qu’on raconte que l’Église de Corinthe s’est révoltée contre ses presbytres à cause d’un ou deux individus. » (Lettre de Clément aux Corinthiens, 47, 1-6)

Aussi, bien que l’issue de l’affaire fût évidente et malgré les autres éléments de contexte que nous mentionnons, les Corinthiens ont quand même été cherché les ordres de Rome, et ils ne changèrent même pas d’avis lorsqu’ils apprirent que la réponse se feraient attendre.

3) Le long délai de la réponse du Pape saint Clément

Entre le moment où Rome eu prit connaissance de la situation et celui de son intervention, il s’est passé un temps relativement long. C’est saint Clément lui-même qui en témoigne :

« Ce sont les malheurs et les épreuves dont nous avons été frappés soudainement et coup sur coup qui nous ont retenus trop longtemps, à notre gré, de nous tourner vers vous, bien-aimés, et de nous occuper des affaires en litige parmi vous » (Lettre de Clément aux Corinthiens, I, 1)

Aussi, si les Corinthiens ont accepté de patienter un temps indéterminé pour avoir une réponse de l’Evêque de Rome, c’est qu’ils devaient avoir une conscience de la nécessité de sa décision et pas d’une autre. Autrement ils se seraient tournés vers deux autorités beaucoup plus proches et ayant de plus forts liens personnels avec eux.

4) Saint Jean et saint Timothée, pourtant beaucoup plus proches, ne sont pas intervenus et n’ont pas été consultés

« C’est là un fait capital. Pourquoi ce cri de détresse jeté vers Rome par une Eglise qui ne trouve pas en elle-même de quoi remédier à ses désordres ? S’il était vrai qu’au premier siècle toutes les Eglises fussent sur un pied d’égalité, quel besoin y avait-il pour les Corinthiens de passer la mer pour implorer une intervention lointaine ? Pourquoi ne pas s’adresser de préférence aux chrétiens de la même race, à l’une des communautés si florissantes de Thessalonique, de Philippes et de Bérée ? Ou bien, s’il fallait chercher plus loin le secours d’une autorité qu’ils ne trouvaient pas chez eux, sur le sol de la Grèce, pourquoi ne pas recourir à cette Asie-Mineure, d’où la foi leur était venue et dont les rivages touchaient aux leurs, ces célèbres Eglises de Smyrne et d’Ephèse, leurs ainées dans la foi ? Il y avait une raison majeure qui aurait dû, ce semble, leur faire prendre ce dernier parti. Comme l’atteste toute l’antiquité chrétienne, saint Jean vivait encore sur cette terre qui avait été le théâtre principal de son activité. Le respect de toutes les Eglises environnait le dernier survivant des apôtres du Christ. Dès lors n’était-il pas naturel que les Corinthiens eussent recours à son autorité pour éteindre leurs divisions ? Eh bien : ce n’est ni à saint Jean ni aux Eglises de l’Asie-Mineure, si rapprochées d’eux, ni aux communautés voisines de la Grèce qu’ils feront appel, mais à une Eglise lointaine, où la persécution éclatait chaque instant, où les chrétiens étaient obligés de se cacher sous terre pour échapper à la mort, à l’Eglise romaine. Je le demande à tout homme de bonne foi : Quelle pourrait être la raison de ce fait, si ce n’est que saint Pierre avait établi à Rome le centre de l’unité chrétienne ? Dans ce cas, tout s’explique. Cet appel fait au Siège de l’unité et l’intervention de ce Siège, pour extirper le schisme, deviennent une conséquence naturelle de la suprématie de l’Eglise romaine. On s’adressait à elle, parce qu’en elle résidait l’autorité suprême. Rien de plus légitime que l’induction tirée de ce fait. » (Mgr Charles-Emile FREPPEL, Les Pères apostoliques et leur époque, Paris : Bray et Retaux, 1870, Sixième leçon, pp. 136-137)

Si les Corinthiens n’avaient pas eu conscience de l’office papal de l’Evêque de Rome, pourquoi ne se seraient-ils pas tournés vers l’apôtre saint Jean ou vers saint Timothée que saint Paul avait fait son délégué pour l’Eglise de Corinthe, tous deux bien plus proches d’eux ?

L’abbé FREPPEL a déjà expliqué la chose :

« Comme l’atteste toute l’antiquité chrétienne, saint Jean vivait encore sur cette terre qui avait été le théâtre principal de son activité. Le respect de toutes les Églises environnait le dernier survivant des apôtres du Christ. Dès lors n’était-il pas naturel que les Corinthiens eussent recours à son autorité pour éteindre leurs divisions ? »

Nous ajouterons la précision que l’Église de Rome se trouvait à 1100 km de Corinthe, tandis ce qu’Ephèse, où se trouvait saint Jean, se trouvait à seulement 480 km ?!

[En lisant ces lignes certains anti-catholiques seront sans doute de donner certains arguments pour réfuter ce que nous venons de dire. Leurs objections sont réfutées dans notre article : https://philosophieduchristianisme.wordpress.com/2017/08/28/la-primaute-romaine-des-le-ier-siecle-la-lettre-de-clement-de-rome-aux-corinthiens/]

Et à Ephèse, se trouvait aussi saint Timothée vers lequel les Corinthiens se seraient tournés ! En effet, celui-ci était également à Ephèse dont il était Evêque. De plus, il était le délégué de saint Paul auprès de l’Eglise de Corinthe. En effet, Timothée a une place privilégiée dans la communauté de Corinthe, comme nous le rapportent chacune des deux Epîtres que saint Paul lui écrivit. Il rappelle que Timothée eut un rôle important dans l’œuvre d’évangélisation de Corinthe :

« le Fils de Dieu, Jésus-Christ, que nous avons prêché au milieu de vous, Silvain, Timothée et moi » (II Corinthiens I, 19)

Et lorsque de graves malentendus s’élèvent dans la communauté chrétienne, c’est Timothée qu’il y envoya :

« C’est pour cela que je vous ai envoyé Timothée, qui est mon enfant bien-aimé et fidèle dans le Seigneur ; il vous rappellera quelles sont mes voies en Jésus-Christ, de quelle manière j’enseigne partout, dans toutes les Eglises. » (I Corinthiens IV, 17)

Voir aussi I Corinthiens XVI, 10-11. Il est donc rigoureusement inenvisageable que Clément, même s’il avait été à Corinthe avec saint Paul, ait été préféré à un apôtre, ainsi qu’à un Disciple ayant connu le Christ et ayant été le principal collaborateur de saint Paul dans l’évangélisation et la fortification de l’Eglise de Corinthe, à moins qu’il n’ait détenu une autorité incontournable !

On notera qu’en plus de n’avoir recouru ni à saint Jean ni à saint Timothée au départ, ils n’y recoururent toujours pas, fut-ce de dépit, la réponse romaine tardant à arriver, et qu’aucun de ces deux saints ne prit l’initiative d’intervenir, et ce malgré leur plus grande proximité, leur rôles particuliers, et la gravité de la situation !

B) Le choix de l’évêque d’Antioche après la déportation de saint Ignace

Au tout début du IIè siècle, saint Ignace d’Antioche (vers 35-vers 110),, disciple des saints apôtres Pierre et Jean, troisième évêque d’Antioche après saint Pierre (vers 33-40) et saint Evode (40-69), fut déporté vers Rome pour y être dévoré dans l’arène.

1) Le siège d’Antioche est resté vacant

Il laissa derrière lui son siège épiscopal vacant. Il a sans doute été pris de court lors de son arrestation, et n’aura pas eu le temps de prendre des dispositions.

2) Saint Ignace d’Antioche témoigne de l’importance capitale du rôle de l’évêque…

Cette situation était très grave pour lui, étant donné l’importance qu’il donne au rôle de l’évêque. Cela est exposé dans notre article « Saint Ignace d'Antioche (107) sur la hiérarchie ecclésiastique » : https://philosophieduchristianisme.wordpress.com/2019/07/10/saint-ignace-dantioche-%e2%9c%9f107-sur-la-hierarchie-ecclesiastique/. Cela est d’autant plus grave que dans chacune de ses lettres il parle de « l’Eglise de Syrie », et non pas seulement d’Antioche, ce qui signifie que l’évêque d’Antioche devait avoir un rôle patriarcal pour toute la Syrie, qui n’était plus assuré !

3) … et confie le soin à la lointaine Eglise de Rome de pourvoir à ce manque…

Aussi, il n’a pas d’autre réflexe que de confier le soin de pourvoir au bien de l’Eglise de Syrie qu’à l’Eglise de Rome !

En effet, il demande à des Eglises auxquelles il écrit de « prier l’Eglise de Syrie ». Mais à l’Eglise de Rome seule, il écrit cette phrase qui passerait presque inaperçue :

« Souvenez-vous dans votre prière de l’Église de Syrie, qui, en ma place, à Dieu pour pasteur. Seul Jésus Christ sera son évêque, et votre charité. » (Lettre aux Romains, IX, 1)

Pourquoi l’Eglise de Syrie serait-elle confiée, en dehors du Christ, à la seule charité de l’Eglise Romaine, sinon parce que celle-ci a de droit divin un rôle universel dans l’Eglise ? En effet, Ignace demande à toutes les autres Eglises auxquelles il écrit de prier pour l’Eglise de Syrie, mais à l’Eglise de Rome seule il demande d’en prendre un soin pastoral et d’être son Evêque, avec Jésus-Christ, par sa charité.

Rappelons-nous aussi ce que nous venons de rapporter de ce que saint Ignace d’Antioche enseignait au sujet de l’épiscopat, de son institution, de son pouvoir et de l’identification Eglise-Evêque. S’il dit que seul Jésus-Christ et l’Eglise, c’est-à-dire son Evêque, seront l’Evêque de l’Eglise de Syrie, cela ne signifie pas rien, c’est l’affirmation que l’Evêque de Rome est pleinement le chef juridictionnel de l’Eglise de Syrie, c’est-à-dire de toutes les Eglises locales.

4) … sans même penser à le confier à saint Polycarpe de Smyrne !

Autrement, pourquoi demander cela à l’Eglise de Rome, très loin d’Antioche, plutôt qu’à une Eglise d’Asie mineure qui, comme nous l’avons déjà dit, l’apôtre saint Jean avait gouverné en personne jusqu’à quelques années auparavant, et peut-être même l’année immédiatement précédente ? Pourquoi spécialement ne pas demander cela à saint Polycarpe, auquel il envoya une lettre personnelle en plus de de celle envoyée à son Eglise, celle de Smyrne ? Surtout lorsqu’on sait comment saint Ignace louait saint Polycarpe :

« Accueillant avec joie les sentiments que tu as pour Dieu, fondés comme sur un roc inébranlable, je glorifie à l’extrême le Seigneur de m’avoir jugé digne de contempler ton visage irréprochable : puissé-je en jouir en Dieu » (Lettre à Polycarpe, I, 1)

« Je suis votre rançon, pour vous et pour ceux que, pour l’honneur de Dieu, vous avez envoyés à Smyrne, d’où je vous écris, rendant grâces au Seigneur, et aimant Polycarpe comme je vous aime vous aussi. » (Lettre aux Ephésiens, XXI, 1)

Et lorsqu’on sait comment saint Irénée de Lyon (vers 125-vers 202), disciple de saint Polycarpe en fait également les louanges :

« Et Polycarpe ? Non seulement, il a été instruit par les Apôtres et a vécu avec beaucoup de ceux qui ont vu Notre-Seigneur, mais c’est encore par les Apôtres que dans l’Église de Smyrne en Asie, il a été constitué évêque. Nous-même l’avons vu dans notre premier âge (car il a vécu longtemps et était tout à fait vieux lorsqu’il est sorti de cette vie par un très glorieux et illustre martyre). Or il a toujours enseigné ce qu’il avait appris des Apôtres, cette doctrine que l’Église aussi transmet et qui est la seule vraie. Toutes les Églises qui sont en Asie l’attestent, et tous ceux qui jusqu’à ce jour ont succédé à Polycarpe. Un tel homme est un témoin de la vérité autrement sûr et digne de foi que Valentin, Marcion, et tous les autres qui pensent de travers. Au cours d’un voyage à Rome sous Anicet, Polycarpe convertit à l’Église de Dieu beaucoup des hérétiques dont il vient d’être question, proclamant qu’il n’avait reçu des Apôtres qu’une seule et unique vérité, celle-là même qui est transmise par l’Église. […] Il existe encore une importante lettre de Polycarpe adressée aux Philippiens, où tous ceux qui le désirent et qui ont leur salut à cœur peuvent apprendre en même temps et la frappe de sa foi et la prédication de la Vérité. » (Contre les hérésies, III, 3, 4)

« Je me souviens, que quand j’étais encore enfant, dans l’Asie inférieure, où tu brillais alors par ton emploi à la cour, je t’ai vu près de Polycarpe, cherchant à acquérir son estime. Je me souviens mieux des choses d’alors que de ce qui est arrivé depuis, car ce que nous avons appris dans l’enfance croît dans l’âme, s’identifie avec elle : si bien que je pourrais dire l’endroit où le bienheureux Polycarpe s’asseyait pour causer, sa démarche, sa physionomie, sa façon de vivre, les traits de son corps, sa manière d’entretenir l’assistance, comment il racontait la familiarité qu’il avait eue avec Jean et les autres qui avaient vu le Seigneur. Et ce qu’il leur avait entendu dire sur le Seigneur et sur ses miracles et sur sa doctrine. Polycarpe le rapportait comme l’ayant reçu des témoins oculaires du Verbe de Vie, le tout conforme aux Écritures. » (Lettre à Florinus, citée par Eusèbe de Césarée, Histoire ecclésiastique, V, 20, 4-6)

C) l’affaire des « lapsi »

Lorsque saint Cyprien était Evêque à Carthage, eut lieu la persécution de l’empereur Dèce (250). Celui-ci fut brève et violente. Elle sévit à l’encontre des religions rompant avec la paix des dieux, surtout le christianisme. L’alternative suivante était proposée : offrir un grain d’encens à une idole afin d’obtenir un « certificat », ou la mort (mais dans les faits la mort pouvait être commuée en torture ou en bagne). De nombreux chrétiens qu’on appelle les « lapsi » (ceux qui sont tombés) sacrifièrent aux idoles pour avoir la vie sauve. Mais la plupart d’entre eux n’apostasièrent que de bouche, et demandèrent leur réintégration à l’Eglise dès la fin de la persécution. Les apostasies nombreuses désolaient saint Cyprien. Certains apostats allaient même jusqu’à exiger de ce saint d’être réadmis à la réception des sacrements sans pénitence et sur la seule présentation de billets d’absolution donnés par des chrétiens ayant résisté au bourreau.

Nous démontrons en quoi cet épisode est une preuve antique de l’existence de la Papauté dans cet article : https://philosophieduchristianisme.wordpress.com/saint-cyprien-temoigne-de-la-papaute-dans-laffaire-des-lapsi/. Aussi, à l’instar du cas présenté par le schisme de Corinthe, nous n’en traiterons qu’en tant que cet épisode nous apprend de la nécessité de recourir à Rome lorsqu’on est déjà catholique convaincu, au vu de l’inertie qu’imposa à toute l’Eglise l’absence de Pape, et ceux malgré la gravité, l’urgence et l’issue a priori évidente de la situation.

1) La gravité de l’affaire

Le sujet était d’une importance brûlante et urgente. En effet, en plus de la pression psychologique mise sur de nombreux bons catholiques, de nombreux lapsi risquaient de mourir sans avoir été absouts. Et pourtant saint Cyprien considère pouvoir et devoir prendre le temps d’écrire à Rome et d’en attendre la réponse, malgré le risque que cela ne mette en danger des lapsi repentants. Bien sûr la situation des lapsi repentants n’était pas laissée « sans issue » puisque comme le dit le clergé romain dans sa réponse, il y avait une d’ores et déjà une absolution possible à l’article de la mort :

« nous avons pensé qu’il ne fallait rien faire de nouveau avant l’élection d’un évêque. Nous avons estimé qu’il convenait de tenir à l’égard des lapsi, une ligne de conduite moyenne : en attendant que Dieu nous donne un évêque, laisser en suspens les causes de ceux qui peuvent attendre ; quant à ceux qui sont au terme de leur vie, et dont la fin prochaine ne permet pas de délai, quand ils auront manifesté leur repentir et déclaré à plusieurs reprises regretter leur conduite, donné par leurs larmes, leurs gémissements, leurs sanglots, les marques d’une âme véritablement pénitente, à l’heure où humainement il ne restera aucun espoir de salut, alors, mais alors seulement, leur venir en aide avec prudence et discrétion. » (Lettre 31 [alias 30], PL, tome IV, colonnes 307 à 315)

Nous le voyons : il faut que le pénitent soit à l’article de la mort et qu’il ait manifesté de multiples et fortes demandes de pardon, ce n’est pas rien. D’autant plus que par définition, à l’article de la mort, on est jamais sûr que le prêtre appelé arrive à temps !

2) L’impossibilité de régler la question en absence de Pape

Confronté à cette situation, c’est évidemment à Rome que saint Cyprien écrivit pour connaître la conduite qu’il devait tenir dans cette circonstance. Or à cette époque, le Saint-Siège était vacant, le Pape saint Fabien (Fabianus), martyrisé, n’ayant pu être remplacé.

Le clergé de Rome, les prêtres Moïse et Maxime et les diacres Nicostrate et Ruffin, qui administraient alors l’Eglise Romaine, répondirent ce qui suit à saint Cyprien que cette affaire ne pouvait, de droit, être tranchée que par une évêque de Rome : :

« Depuis la mort de Fabianus, de très illustre mémoire, les difficultés des circonstances nous ont empêchés d’avoir un évêque, qui dirige toutes ces affaires, et qui puisse s’occuper des lapsi avec autorité et sagesse. » (Lettre 31 [alias 30], PL, tome IV, colonnes 307 à 315)

3) Malgré le fait que l’affaire ait déjà été débattue par une foule d’autorité…

« D’ailleurs, dans une cause si importante nous aimons ce que vous avez dit, à savoir qu’il faut attendre d’abord que la paix soit rendue à l’Église et alors régler l’affaire des lapsi après en avoir délibéré en commun avec les évêques, les prêtres, les diacres, les confesseurs et les laïcs restés fidèles. […] Désirant tenir la juste balance en ces matières, il y a longtemps qu’à plusieurs, avec des évêques de régions voisines, et d’autres venus de provinces lointaines d’où la violence de la persécution les avait chassés… » (Lettre 31 [alias 30], PL, tome IV, colonnes 307 à 315)

4) … la seule conclusion est que la décision prise avec toutes ces autorités, y compris les évêques venus de loin, on ne pouvait qu’attendre

« nous avons pensé qu’il ne fallait rien faire de nouveau avant l’élection d’un évêque. Nous avons estimé qu’il convenait de tenir à l’égard des lapsi, une ligne de conduite moyenne : en attendant que Dieu nous donne un évêque, laisser en suspens les causes de ceux qui peuvent attendre ; quant à ceux qui sont au terme de leur vie, et dont la fin prochaine ne permet pas de délai, quand ils auront manifesté leur repentir et déclaré à plusieurs reprises regretter leur conduite, donné par leurs larmes, leurs gémissements, leurs sanglots, les marques d’une âme véritablement pénitente, à l’heure où humainement il ne restera aucun espoir de salut, alors, mais alors seulement, leur venir en aide avec prudence et discrétion. Dieu sait ce qu’Il doit faire de ceux qui sont dans ce cas, et comment Il les doit peser dans les balances de sa Justice. Quant à nous, en agissant ainsi, nous éviterons un double écueil : que des pervers ne louent chez nous une facilité trop grande, ou que des lapsi vraiment pénitents ne nous accusent d’une dureté cruelle. Nous souhaitons, pape bienheureux et très glorieux, que vous vous portiez toujours bien et que vous vous souveniez de nous. » (Lettre 31 [alias 30], PL, tome IV, colonnes 307 à 315)

5) Toute l’Eglise fut bloquée jusqu’à l’élection d’un nouveau Pape

Cette lettre envoyée par le clergé romain à saint Cyprien n’allait pas rester confidentielle ! Comme saint Cyprien l’écrivit lui-même :

« Ces lettres ont été envoyées dans le monde entier et portées à la connaissance de toutes les églises et de tous les frères. » (Lettre 52 [alias 55] à Antonius, chapitre 5, PL tome IV, colonnes 345 et 346)

C’est dire l’autorité doctrinale de l’Eglise de Rome, et le rôle de son Evêque sur l’Eglise universelle, puisque c’était l’Eglise universelle, touchée en toutes ses régions par l’apostasie, qui se trouvait empêchée de prendre une décision urgente avant l’élection d’un Evêque de Rome.

D) Le cas de l’évêque schismatique Marcianus d’Arles (vers 254)

Cet évêque d’Arles adhéra au schisme de Novatien suivit la rigueur de ce dernier et se conduit envers ceux qui avaient été faibles dans la persécution avec une véritable cruauté. Les choses allèrent si loin que Faustin, évêque de Lyon, de concert avec les autres évêques des Gaules, le dénonce au pape Etienne. N’ayant pas reçu de réponse, on ne sait pour quelle raison, Faustinus s’adresse à Cyprien, évêque de Carthage. Cet évêque qui jouit dans l’Église d’une grande influence, adressa au pape, une lettre concernant l’évêque arlésien. Il s’agit d’une lettre pour la défense des chrétiens repentants de la ville d’Arles après les persécutions de Dèce (250) et mentionnant donc le premier évêque historiquement connu, Marcianus appelé également Marcien, dont Cyprien demande au pape Étienne Ier, sur le rapport de saint Faustin, évêque de Lyon, la déposition pour son adhésion au schisme de Novatien. Dans cette Lettre, il demande au pape de pourvoir à la déposition et au remplacement de Marcianus. Tout cela est une preuve que les Evêques des Gaules ainsi que saint Cyprien en Afrique du Nord reconnaissaient la supériorité de l’Evêque de Rome ainsi que son pouvoir juridictionnel. Cette lettre est datée de 254, en voici des extraits :

« Faustinus, notre collègue de Lyon, m’a écrit à plusieurs reprises, frère très cher, pour me faire connaître (et je sais que la nouvelle vous a été aussi annoncée par mes autres collègues dans l’épiscopat de la même province) que Marcianus d’Arles * s’est joint à Novatien, et éloigné de la vérité de l’Église catholique et de l’unanimité de notre corps épiscopal, il a adopté les dures maximes d’une hérésie présomptueuse, qui fermant la porte de l’Église à des serviteurs de Dieu qui regrettent et pleurent leur faute, et y viennent frapper avec des gémissements et des larmes, leur refuse les consolations et les secours de la Bonté de Dieu et de sa paternelle Miséricorde, sans se soucier d’admettre des blessés à soigner leurs blessures, préférant les abandonner à la rapacité des loups et à la rage du diable. […] C’est pourquoi vous devez écrire très explicitement à vos collègues dans l’épiscopat qui sont en Gaule, afin qu’ils ne permettent pas plus longtemps à Marcianus, qui est opiniâtre et orgueilleux, ennemi de la piété et du salut de nos frères, d’insulter à notre collège. […] Envoyez aussi en Provence, aux fidèles d’Arles, une lettre en vertu de laquelle, Marcianus étant excommunié, un autre soit mis à sa place, afin que le troupeau du Christ qu’il a dispersé, et qui reste blessé et diminué, puisse se rassembler. […] Faites-nous connaître qui aura été mis à Arles à la place de Marcianus, afin que nous sachions à qui nous devons adresser nos frères et écrire nous-même. » (Lettre 68 à Etienne)

* Le nom de Marcianus ne figure pas dans les diptyques de l’église d’Arles. C’est la conséquence de son excommunication. Cf. MABILLON, Annales, t. III, P. 432.

E) L’affaire Paul Samosate

1) L’hérétique Paul de Samosate fut condamné par deux Conciles

Paul de Samosate, hérésiarque qui niait la divinité du Christ, fit l’objet, d’après Eusèbe de Césarée, de deux conciles en (264 et 268 ou 269), dont le second décida de son excommunication (Histoire ecclésiastique, VII, 29, 30, 1-18).

2) Devant son refus de quitter les locaux de l'évêché, les chrétiens recoururent à la juridiction de l’empereur…

Il n’en était pas moins resté dans les locaux de l’évêché d’Antioche dont il venait de cesser d’être l’évêque. Les catholiques eurent recours à la justice impériale et donc à l’empereur Aurélien qui eut à juger l’affaire en 272.

3) … qui jugea que seul l’évêque de Rome pouvait attribuer le bâtiment…

Il ordonna de livrer la maison à ceux à qui les évêques d’Italie et de Rome adressaient leurs lettres. Sa sentence manifeste une reconnaissance de l’ordre établit chez les chrétiens :

« l’empereur Aurélien, auquel on recourut, rendit une décision très heureuse sur ce qui devait être fait ; il ordonna que la maison fût attribuée à ceux à qui les évêques d’Italie et de la ville de Rome l’auraient adjugée. Ce fut donc ainsi que l’homme susdit fut chassé de l’église avec la dernière honte par le pouvoir séculier. » (Eusèbe de Césarée, Histoire ecclésiastique VII, 27)

4) … alors qu’il existait beaucoup d’autres critères visibles à un païen d’attribution à l’Eglise catholique

Que signifie cette formulation sinon que même les païens savaient que le critère essentiel et formel de l’appartenance à la véritable Église était la soumission à l’Evêque de Rome ? En effet, dans le cas contraire, pourquoi ne pas avoir attribué le bâtiment à ceux qui étaient en communion avec les Evêques immédiatement voisin, au motif que ces derniers gardaient le vrai christianisme (puisque Paul de Samosate était seul dans son hérésie avec quelques partisans) ? Ou à ceux qui croient en la divinité de Jésus-Christ (puisque la négation de cette dernière était l’objet de l’hérésie de Paul de Samosate) ? Ou à ceux qui acceptaient les deux conciles locaux le concernant dont le deuxième l’avaient excommuniés (Eusèbe de Césarée, Histoire ecclésiastique, VII, 29, 30, 1-18) ? Ou à ceux qui partageaient la même foi que tous les autres chrétiens répandus dans l’empire ? La réponse est simple : malgré l’évidence de qui étaient les vrais chrétiens et qui étaient les faux, les païens eux-mêmes savaient que seul un jugement du Pape pouvait régler ce genre d’affaire.

Il n’y a aucune échappatoire : la Papauté était un fait tellement notoire en 272 que même l’évidence éclatait même aux yeux des païens que le vrai christianisme se définissait par la soumission à l’Evêque de Rome !

On doit souligner que les païens ont toujours su distinguer les vrais chrétiens des hérétiques. Saint Justin Martyr (vers 100-165) écrivait :

« Mais nous le savons bien, vous n’avez ni persécuté ni fait mourir à cause de leurs opinions les disciples de Simon le magicien et de Marcion. » (Première apologie pour les chrétiens, adressés à l’empereur Antonin, n°26, dans PG, 6/370)

Et Origène (vers 185-vers 254) :

« Celse a revendiqué pour ces hérétiques, qui pourtant n’ont rien subi de pareil, ce que nous autres catholiques accomplissons, lorsque, poussées, pour ainsi dire, par une piété débordante, nous allons au-devant de toute espèce de mort et affrontons le supplice de la croix. » (Contre Celse, VII, 40, PG, 11/1478-1479)

Et lorsque le l’empereur Constance II commença à persécuter l’Eglise, à partir du moment où il prit parti pour les ariens, Ammien Marcellin, qui était pourtant païen, ne put s’empêcher de remarquer que l’empereur s’était écarté du droit chemin, puisqu’il avait abandonné la pure et simple expression de la religion chrétienne (Histoire de Rome, XXI, 16).

Aurélien nous apprend donc que la marque à laquelle les païens différenciaient les vrais des faux chrétiens était la soumission de ces premiers à l’Evêque de Rome !

F) Saint Basile le Grand et la nécessité de recourir au Pape pour pacifier l’Orient

Saint Basile écrivit au grand saint Athanase qu’il allait demander au souverain pontife d’exercer son autorité pour exterminer l’hérésie de Marcel d’Ancyre :

« Il nous a semblé bon d’écrire à l’évêque de Rome, pour qu’il prît connaissance de notre cause ; il s’avère en effet difficile de recourir à un décret conciliaire pour chasser d’ici certains perturbateurs […] qui prendraient avec elles tous les actes postérieurs au concile de Rimini, afin de réduire à néant les décisions qui ont été imposées ici par la violence. » (Lettre 69, PG, 32/431)

Pourquoi recourir à Rome pour exterminer l’erreur de celui qui fut reconnu comme proche du modalisme déjà condamné depuis des décennies ? Par ailleurs :

« La lettre de saint Basile, mentionnant cette demande d’intervention de l’évêque de Rome comme une affaire courante et ordinaire, attire à conclure qu’à cette époque c’était non seulement la conviction personnelle de Basile, mais aussi la conviction de tous, même en Orient, que l’évêque de Rome possède le pouvoir de juger souverainement, par lui-même, les questions doctrinales ». (Abbé Edmond DUBLANCHY, Dictionnaire de théologie catholique, article « Infaillibilité du pape »)

Deux causes déterminèrent saint Basile à réclamer l'intervention de tous les évêques d'Occident et du pape saint Damase : la crise extrêmement violente dans laquelle la persécution arienne de Valens avait plongé l'Orient, et le schisme d'Antioche (Voir Paul ALLARD, Saint Basile, II, 6, p. 129-146).

Saint Basile envoya d'abord à Rome le diacre Dorothée, porteur de deux lettres (Lettres 70 et 243, PG, t. XXXII, col 433 et 901), l'une destinée spécialement au Pape, l’autre pour les évêques d'Italie et de Gaule. Il le priait d'envoyer quelques délégués personnels capables de ramener les égarés et de rétablir l'union parmi les Églises. Ces délégués pourraient au moins l'éclairer sur la situation déplorable de l’Orient, lui découvrir les auteurs des troubles et lui faire connaître ceux à qui il devait accorder ou refuser sa communion. Aussi, tout en disant que les évêques de Rome sont placés sur un siège plus élevé, lorsque les ambassadeurs d’Orient viennent les trouver (Lettre 215, dans PG, 32/791), et qu’un homme dont le caractère est étranger à toute adulation servile n’a aucun intérêt à s’entremettre avec celui qui est orgueilleux et hautain, saint Basile n’en écrit pas moins au pape saint Damase dans la lettre apportée par le diacre Dorothée le besoin qu’il eut de recourir au Pape car n’avait « plus d’autre ressource que de [supplier Rome] par courrier » :

« Presque tout l’Orient, très Vénérable Père, est agité d’une tempête et d’un tourbillon considérable. En effet, Arius, l’ennemi de la vérité, vient récemment de répandre son hérésie, celle-ci se dévoile à présent sans crainte, […] et désormais elle règne. […] La seule consolation que nous nous sommes donnée est de voir venir votre miséricorde. […] Nous n’avons plus d’autre ressource que de vous supplier par courrier de vous décider à nous secourir et de nous envoyer des légats pour ramener les dissidents à de meilleurs sentiments, rétablir les églises de Dieu dans le lien de l’amitié, ou du moins vous faire connaître plus précisément quels sont ceux qui fomentent ce trouble, pour que vous puissiez par-là savoir exactement quels sont ceux avec lesquels vous pouvez garder la communion. […] Nous voyons chaque jour les propagateurs de l’hérésie rendre les âmes toujours plus captives. C’est pourquoi, si vous ne vous décidez pas maintenant à nous porter secours, vous ne trouverez bientôt plus personne à qui tendre la main, car tous seront tombés au pouvoir des hérétiques. » (Lettre 70, dans PG, 32/434-435)

Cette lettre est à rapprocher de la Lettre 69 à saint Athanase (PG, 32/430-434) et de la Lettre 263 aux occidentaux (PG, 32/975- 982).

Arrivé à Rome, Dorothée y trouva les Occidentaux réunis en concile. Il revînt l'année suivante (372) avec le diacre Sabinus, porteur d'une lettre synodale pour saint Athanase qui la fit passer à saint Basile. Elle contenait une profession de foi et des assurances de sympathie. Le résultat était faible. Basile attendait un secours plus pratique. Pour l'obtenir, il fit rédiger par le patriarche saint Mélèce, alors exilé pour la troisième fois, un appel chaleureux aux Occidentaux signé par trente-deux évêques (Lettre 92, PG, 32/481). Dans la suite de la lettre, il lance un appel à l'aide en direction de l'Occident pour que les Orientaux « renoncent enfin aux divisions qu'ils ont inventées, qu'ils se soumettent à l'autorité de l'Église, afin que le corps du Christ recouvre sa perfection et se rétablisse dans l'intégrité de tous ses membres » :

« Nous ressentons, un immense besoin de votre aide, afin que ceux qui ont été élevés dans la profession de la foi des apôtres, renoncent enfin aux divisions qu'ils ont inventées, qu'ils se soumettent à l'autorité de l'Église, afin que le corps du Christ recouvre sa perfection et se rétablisse dans l'intégrité de tous ses membres. Alors, nous ne nous contenterons plus de louer le bien qui est chez les autres ; mais nous verrons nos propres églises rétablies dans l'antique beauté de la vraie foi. Certes, il est juste d'honorer d'une louange souveraine le don que le Seigneur a conféré à Votre Piété, et qui consiste à savoir discerner ce qui est adultère d'avec ce qui est pur, et enseigner sans aucune altération la foi des Pères. C'est cette foi que nous avons reconnue formulée dans les caractères apostoliques de la lettre, et nous l'avons acceptée ainsi que tout le reste, comme il était canoniquement et légitimement formulé dans votre écrit synodal. » (Lettre 92 aux Italiens et aux Gaulois, n°3, PG, 32/482-483)

On voit ici l'Église d'Orient dans la personne d'un de ses saints et de ses plus doctes représentants, donner à l'Occident la palme de la foi, reconnaître que l'Église latine a reçu le don de discerner la vérité de l'erreur, et que la vertu des caractères apostoliques est telle, qu'elle peut secourir et sauver de la ruine les églises de ces contrées qui furent le berceau du christianisme. D'où vient cette force à ce Concile romain dont Basile a reçu avec tant de respect la lettre synodale ? est-ce des quelques évêques de l'Italie et de la Gaule que l'évêque de Rome avait réunis auprès de lui ? ou n'est-ce pas plutôt de saint Pierre, dont le martyre, comme nous le disait saint Augustin, a assuré à l'Occident, par Rome, la prépondérance dans les jugements de la foi ? Cependant saint Basile ne se priva pas d’adresser des reproches aux occidentaux. Car il se plaint « de la morgue occidentale », parce que « les occidentaux confondent la dignité et leur orgueil » (Lettre 239, n° 2 dans PG, 32/894) : or on est orgueilleux que pour une dignité mal comprise, c’est donc que cette dignité occidentale supérieure existe, saint Basile en témoigne lui-même.

On ne demandait plus maintenant à l’Occident quelques délégués, on le priait de venir sans retard, nombreux, en synode, visiter une Église prête à sombrer.

G) Les évêques schismatiques d’Egypte se réconciliant avec saint Athanase durent recourir à Rome

Saint Épiphane de Salamine (vers 315-403) relate les faits qui se sont déroulés lors du procès de saint Athanase. Il évoque la conversion des évêques ariens Ursace et Valens, qui voulurent être reçus dans la communion de l’Église et durent pour cela recourir à l’absolution de l’évêque de Rome, non à celle de saint Athanase.

« Voulant faire pénitence, Ursace et Valens présentèrent à Jules, évêque de Rome, des libelles où ils abjuraient leur erreur. “Nous avons calomnié l’évêque Athanase. Admettez-nous dans votre communion et recevez notre pénitence”. » (Panarion, pharmacie contre toutes les hérésies, 68, chapitre 9 dans PG, 42/198-199)

Le fait est également rapporté par Socrate le Scolastique (vers 380-450) :

« Mais depuis, Ursace et Valens touchés d'un sentiment de pénitence, donnèrent leur rétractation à Jules Evêque de Rome, souscrivirent à la doctrine de la Consubstantialité du Verbe, et furent admis à la communion. Mais soutenant alors de tout leur pouvoir la perfidie d'Arius, ils excitèrent des guerres très-dangereuses, comme celle qui troubla la paix de la Ville de Constantinople au sujet de Macédonius, et qui causa d'horribles désordres, et la mort de plusieurs personnes. » (Histoire ecclésiastique, Livre II, chapitre 12 dans PG, 67/207)

Et pourquoi cela puisqu’il n’y avait même plus de conflit à régler étant donné qu’Ursace et Valens étaient déjà repentants ?

H) L’attitude de saint Pierre II d’Alexandrie injustement chassé par les ariens

Les catholiques d’Alexandrie, à la mort de saint Athanase, avaient donné leurs suffrages à Pierre, le compagnon de ses exils et de ses luttes. Le parti arien, mécontent, courut à Antioche porter ses plaintes à l’empereur. Valens envoya le patriarche arien Euzoïus, ainsi que son trésorier Magnus et des troupes, avec ordre d’expulser Pierre et de le remplacer par l’arien Lucius. Le préfet Pallade devait au besoin leur prêter main-forte (Socrate de Constantinople, Histoire ecclésiastique, IV, 21, PG, 67, col. 50 ; Théodoret de Cyr, Histoire ecclésiastique, IV, 20-22, PG, 82, col. 1164).

Jeté en prison, Pierre réussit à s’échapper. Que fit-il pour que justice soit faite ? A-t-il agit comme si l’incident était de droit de nulle existence ? Arriva-t-il à Alexandrie avec une armée pour récupérer son siège ? Non ! Malgré l’injustice flagrante, il ne se fit pas justice lui-même, et il en appela à Rome ! Il fit connaître à l’Eglise universelle l’injustice dont il était victime ainsi que les atrocités commises dans Alexandrie après son arrestation, et se rendit à Rome. Saint Damase l’accueillit avec bienveillance, et, dans un concile tenu vers 374, l’admit à sa communion, confirma son élection et excommunia Lucius (MANSI, III, 485). Quoique rétabli de droit sur son siège, Pierre ne crut pas prudent de s’y rendre aussitôt. Au bout de trois ou quatre ans, quand il jugea la persécution un peu ralentie, il se présenta dans Alexandrie avec les lettres du Pape. Le peuple l’accueillit avec joie et chassa Lucius qui courut demander justice à Valens. Celui-ci était tout entier à la préparation de sa campagne contre les Goths. N’ayant ni le loisir de s’occuper de cette affaire, ni des troupes disponibles pour maîtriser le peuple turbulent d’Alexandrie, il abandonna l’hérétique à son sort.

I) L’affaire de Bostra

Il s’agit d’une dispute autour du siège métropolitain de Bostra, dont deux évêques avaient déposé le titulaire Bagadius, sans même l’entendre, et nommé à sa place Agapius. Bagadius, convaincu de l’irrégularité de sa déposition, prétendait reprendre possession de son siège, que le nouvel élu ne voulait point céder. Malgré l’injustice flagrante, de même que saint Pierre II d’Alexandrie, il ne se fit pas justice lui-même, il se soumit au jugement romain ! Pour trancher le différend, les deux compétiteurs allèrent à Rome solliciter l’arbitrage du Pape Sirice. Celui-ci les renvoya à Théophile d’Alexandrie avec des lettres. Le conflit, suivant les indications du Pape, fut tranché dans un Concile de Constantinople qui se tint en 394, présidé par les patriarches saint Nectaire de Constantinople et Théophile d’Alexandrie (Louis DUCHESNE, Annales de philosophie chrétienne, année 1885, p. 281). La déposition fut reconnue irrégulière, et les Pères déclarèrent que désormais nul évêque ne pourrait être déposé, sinon par un synode composé de tous les évêques de la province (Balsamon, P. G, t. CXXXVIII, col. 449).

Les anti-romains se sont longtemps autorisés de cet épisode pour contredire la Papauté, arguant que le conflit avait été tranché à Constantinople et non à Rome. Mais la découverte d’un fragment inédit du concile constantinopolitain de 394, publié par Louis DUCHESNE (Annales de philosophie chrétienne, année 1885, p. 281) prouvant que si Constantinople trancha, ce ne fut que par délégation de Rome, vint renverser la valeur de l’argument.

J) Saint Jean Chrysostome et ses injustes dépositions

Saint Jean Chrysostome, chassé à deux reprises de son siège de Constantinople par les évêques courtisans, et envoyé en exil, il en appelle au jugement de l’évêque de Rome, Innocent Ier, en lui adressant deux lettres, qui figurent au troisième tome de ses œuvres. Nous suggérons de lire ce qu'en écrit Mgr Justin FÈVRE dans son Histoire apologétique de la Papauté, tome III, pages 183-189.

Dans la première, il dit qu’il faut informer l’évêque de Rome des affaires les plus graves, afin qu’il puisse au plus vite intervenir (n° 1) (PG, 52/530-531) et il ajoute que c’est son rôle d’écrire pour éviter que le jugement injuste garde sa valeur (n° 4) (PG, 52/534). En effet, condamné injustement au conciliabule du Chêne, à la veille de son second exil, saint Jean Chrysostome envoie quatre évêques et deux diacres à Rome, avec une lettre collective signée de quarante-deux évêques, une autre lettre du clergé de Constantinople, et son propre appel au Pape Innocent.

Certains objectent que la lettre n’était pas seulement adressée au Pape, mais aussi aux évêques italiens qui occupaient des sièges métropolitains, c'est-à-dire en plus de saint Innocent de Rome, saint Vénère de Milan et saint Chromace d'Aquilée. La même lettre est adressée à tous les trois. Dans cette lettre, saint Jean Chrysostome ne fait aucun appel à un tribunal supérieur : il avait déjà fait son appel à un concile œcuménique, et saint Innocent dans sa réponse reconnaît que le rassemblement d'un concile œcuménique devrait être arrangé. Il a fait de son mieux. Il a écrit aux empereurs, mais sans résultat. Tous les trois métropolitains ont assuré saint Jean Chrysostome qu'il continuait à être dans leur communion, et tous les trois ont répudié la validité des actes du pseudo-synode du Chêne. Dans l'année 406, saint Jean Chrysostome a écrit des lettres de remerciement à Innocent, Vénère et Chromace.

La réalité est que la lettre adressée par saint Jean Chrysostome au pape Innocent, en 404, soit adressée (la même) à l'évêque de Milan et à l’évêque d'Aquilée, encore que l'on y puisse faire quelque difficulté, nous le concédons. Il est même possible de conjecturer qu'elle dut être adressée à bien d'autres métropolitains d'Occident, car, en 406, en même temps qu'il écrit pour le remercier à l'évêque de Milan, nous voyons saint Jean Chrysostome remercier l'évêque de Carthage, l'évêque de Salone, d'autres encore dont nous ignorons les sièges, comme Maximus et Asellus. A s'en rapporter à l'usage, ces diverses lettres durent être transmises de Rome à leurs destinataires.

Que saint Jean Chrysostome, en écrivant en Occident, n'ait fait appel à aucun tribunal supé- rieur, puisqu'il avait fait appel à un concile œcuménique, je le concéderai encore. Il se tourne vers l'Occident, il demande le secours des évêques d'Occident. Il demande expressément que l'on tienne pour nulle (provisoirement) la sentence du concile du Chêne, qui l'a déposé. Le pape Innocent entre parfaitement dans ses vues. Il s'agissait en effet de juger si la sentence prononcée contre saint Jean Chrysostome par le concile du Chêne était ou n'était pas inique : l'évêque de Rome aurait pu en décider, comme il avait fait jadis, dans des cas analogues, pour Eustathe de Sébaste, comme il fera plus tard pour Théodoret de Cyr ou pour Eusèbe de Dorylée : mais il pouvait aussi s'en remettre à un concile par lui accepté et où il serait présent ou représente, un concile qui réunirait l'Orient et l'Occident, comme avait été (au moins dans le plan du pape Jules) le concile de Sardique appelé à juger saint Athanase, comme devait être le concile d'Italie par lequel un moment saint Léon songera à faire juger la cause de Flavien. Saint Jean Chrysostome a demandé un concile œcuménique : on ira au concile.

Revenons-en à notre affaire : Jean déclare qu'il ne suffit pas de se lamenter, qu'il faut guérir le mal et chercher le moyen d'apaiser cette tempête qui agite si violemment l'Eglise. C'est pour cela qu'il a engagé ses vénérables frères à s'exposer au danger de la mer, à entreprendre un long voyage pour informer le Pape de toutes choses et apporter ainsi au mal un prompt remède. Il expose ensuite tout ce qu'a fait Théophile d'Alexandrie contrairement à la justice et aux canons de l'Eglise. Puis il conclut :

« Maintenant que vous savez tout, vénérable et pieux Seigneur, employez tout votre courage et tout votre zèle à mettre un terme à l'iniquité qui s'est introduite dans les Eglises. Si cette coutume venait à prévaloir et s'il était loisible au premier venu de s'ingérer dans les affaires d'une Eglise si éloignée de la sienne, de chasser de leurs sièges ceux qu'il voudrait, de tout décider de sa propre autorité et selon son caprice, bientôt l'univers serait en proie à une guerre implacable. On ne verrait plus qu'évêques chassés et chassant à leur tour. Pour qu'une pareille confusion n'envahisse pas toute la terre, je vous prie d'écrire que tout ce qui s'est fait injustement en mon absence et par une seule partie sans que j'aie refusé de comparaître, est, comme de juste, de nulle valeur. Quant à nos ennemis qui ont été surpris dans de telles iniquités, qu'ils soient soumis à la sanction des lois ecclésiastiques. Pour moi, qui n'ai été ni surpris dans aucune faute, ni convaincu d'être coupable, accordez-moi de jouir de vos lettres, de votre charité et de tous les autres avantages dont je jouissais auparavant. » (PG, 52/534)

Saint Innocent reçut presque en même temps de la part de Théophile la nouvelle de la déposition de Jean avec les actes du conciliabule du Chêne. Le Pape désapprouva ce qui s'était fait contre tout droit ecclésiastique, déclara qu'il ne pouvait abandonner la communion de Jean, et pria Théophile de présenter ses accusations en un concile légitime où l'on jugerait d'après les canons de Nicée. De son côté, l'empereur Honorius écrivit, à deux reprises, à son frère Arcadius, pour lui reprocher les injustices commises et lui rappeler spécialement que les différends des évêques doivent être portés devant le siège apostolique (MANSI, t. III, col. 1123).

Ces lettres, comme celle d'Innocent, n'eurent aucun effet, et l'on apprit bientôt les pires nouvelles. Chrysostome, chassé par la force, était envoyé en exil à Cucuse par édit impérial ; tout évêque coupable de ne point communiquer avec Théophile et l'intrus Arsace encourait la déposition et la confiscation des biens ; tout laïque coupable de recevoir chez lui un clerc de la communion de Jean avait sa maison vendue.

Dans ces graves circonstances, le Pape et les évêques d'Italie, réunis en synode, prièrent l’empereur Honorius d'intervenir encore une fois. Il demanderait à son frère de convoquer les évêques orientaux sans oublier surtout Théophile, l'auteur de tous les maux, et de les envoyer à Thessalonique pour un concile général. Les délégués portaient, en outre de la lettre impériale, un mémoire des Pères occidentaux statuant que saint Jean Chrysostome ne pouvait être jugé au concile qu'après avoir été rétabli sur son siège. Malheureusement, les légats furent arrêtés en route, enfermés en prison et maltraités. On leur arracha leurs lettres, puis on les renvoya en Italie (Pallade, De vita S. Joannis Chrysostomi, P. G., t. XLVII, col. 12-16).

Chrysostome, du fond de son exil, apprit tout ce qui se faisait pour lui. Il en remercia avec effusion le Souverain Pontife :

« Plus la tempête redouble de fureur, lui dit-il, plus aussi s'accroît votre vigilance. Vous ne cessez d'imiter ces pilotes excellents qui déploient tout leur zèle quand ils voient les flots se soulever, la mer se gonfler et une nuit profonde couvrir l'océan au milieu du jour. » (CP., t. 52, col. 536)

Puis il le prie de continuer ses efforts :

« Nous vous conjurons de redoubler de zèle à mesure que s'accroît la violence de la tempête. Quoi qu'il arrive, vous recevrez du Dieu miséricordieux la couronne due à vos efforts, et la ferveur de votre charité remplira de consolations ceux qu'accable l'injustice. » (CP., t. 50, II, col. 536)

Hélas ! La lettre d'Honorius resta encore sans effet, et Jean, conduit dans un lieu d'exil plus sauvage, expirait peu après. Le Pape, toutefois, fidèle aux recommandations de la Bouche d'or, n'abandonnera pas la lutte avant d'avoir réhabilité sa mémoire dans tout l'Orient.

Dans la seconde (PG, 52/535-536), dit-il, la vigilance du pape doit se faire d’autant plus avertie que les flots s’élèvent plus haut, que les récifs cachés dans les vagues sont plus nombreux et que les tempêtes font davantage rage : tel un bon pilote, il se doit se tenir particulièrement éveillé quand il voit la mer se gonfler. Il insiste en disant que le pape Innocent doit combattre pour défendre le monde entier, pour protéger les églises ruinées et abattues, pour réunir les peuples divisés, pour soutenir le clergé persécuté, pour venir en aide aux évêques exilés, pour réagir en faveur de la constitution des pères qui a été violée. Il précise que la charité du pape a été pour lui comme un rempart, une sécurité, un port, un trésor de biens sans nombre, une source de joie et d’allégresse merveilleuse.

Il existe des contestations au sujet de la doctrine de saint Jean Chrysostome. Certains disent qu’ils ne croyait pas à la fondation de l’Église sur la personne de saint Pierre, la réponse est dans cet article et celui-ci ; d’autres disent qu’il ne reconnaissait pas la primauté romaine, la réponse détaillée est dans celui-ci.

K) Lors de la division de l’Eglise d’Antioche saint Jérôme ne reconnaît que celui que reconnaît le Pape

C’est à saint Damase que saint Jérôme demanda de trancher qui est l’évêque légitime d’Antioche : https://philosophieduchristianisme.wordpress.com/2020/04/07/saint-jerome-347-420-sur-la-chaire-de-pierre-sur-laquelle-leglise-est-batie/

L) La condamnation des pélagiens

L’hérésie des pélagiens était évidente. Et pourtant même les évêques d’Afrique du Nord, parmi lesquels saint Augustin, ne crurent pas pouvoir les condamner le leur propre chef.

1) Les Conciles de Carthage (juin 416) et de Milève (septembre 416) réclament l’approbation romaine

Saint Augustin présida les conciles de Carthage et de Milève. Les Pères de ces deux conciles et lui-même, demandèrent à l’évêque de Rome, saint Innocent Ier de confirmer leurs décisions. Voici la lettre du concile de Carthage :

« Nous avons cru, vénérable frère, devoir porter cet acte à la connaissance de votre charité, afin que vous confirmiez par l’autorité du siège apostolique les décisions de notre médiocrité pour mettre à couvert le salut d’un grand nombre, et corriger au besoin la perversité de quelques-uns.  […] Quand même donc Pélage paraîtrait à votre sainteté avoir été justement absous par certains actes qu’on dit être des évêques d’orient, son erreur et son impiété, qui compte en divers pays tant de partisans, n’en devrait pas moins être anathématisée par l’autorité du siège apostolique. » (Lettre 90 (175) au pontife romain Innocent, Opera S. Augustini, t. II, col. 923 et 925, édit. de Gaume ; col. 617 et 619, édit. de Montfaucon)

Et la lettre que les Pères du concile de Milève et lui adressèrent au même Pape :

« Puisque le Seigneur, par un bienfait signalé de sa grâce, vous a élevé sur le siège apostolique, et vous a placé dans un poste tel, qu’il y aurait négligence de notre part à ne pas déférer à votre révérence ce que les besoins de l’Eglise demandent de nous, sans que nous puissions avoir à craindre que notre démarche soit, ou dédaigneusement repoussée, ou froidement accueillie de vous ; nous vous prions d’apporter votre soin pastoral à la guérison de membres infirmes. Car une hérésie nouvelle et excessivement pernicieuse cherche à s’élever pour anéantir la grâce du Christ. » (Lettre 92 alias 176, Cf. Opera S. Augustini, t. II, col. 927, édit. de Gaume ; col. 620, édit. de Montfaucon)

2) Le Pape saint Innocent Ier approuve cette attitude en comparant l’enseignement que le siège de Rome donne au monde aux « eaux qui jaillissent de leur source originelle et qui s’écoulent dans toutes les régions du monde par de purs ruisseaux venus de la source non corrompue »

Saint Innocent Ier (mort en 417) adressa ses réponses à ces deux conciles dans deux lettres datées du même jour, le 27 janvier 417. Dans chacune d’elles, il louait l’attitude des Conciles.

Il fit d’abord la réponse suivante aux Pères du concile de Carthage, dans laquelle il assimila l’Église de la ville de Rome à une source pure de toute souillure hérétique, qui vivifiait les églises locales :

« Voilà ce que vous avez estimé dans la vigilance de votre office sacerdotal, à savoir qu’on ne doit pas fouler aux pieds les ordonnances des Pères ; car ceux-ci, dans une pensée plus divine qu’humaine, avaient décrété que n’importe quelle affaire à traiter, fût-ce des provinces les plus éloignées et les plus retirées, ne serait pas considérée comme finie avant d’avoir été portée à la connaissance de ce Siège, pour qu’il confirmât de toute son autorité les justes sentences et que les autres églises – comme les eaux qui jaillissent de leur source originelle et qui s’écoulent dans toutes les régions du monde par de purs ruisseaux venus de la source non corrompue – reçoivent de lui ce qu’elles prescriront et sachent qui elles doivent purifier et qui, souillé d’une fange ineffaçable, ne recevra pas l’eau digne des corps purs » (Lettre In requirendis du 27 janvier 417 aux évêques du concile de Carthage, chapitre I (Dz. 217) ; citée dans la lettre 181 (alias 191) de SAINT AUGUSTIN – PL, 33 / 780).

Ainsi que cette réponse à ceux du concile de Milève :

« Je loue la diligence que vous avez apportée à rendre hommage au siège apostolique, je veux dire au siège de celui qui, sans compter les embarras qui peuvent lui survenir d’ailleurs, est chargé du soin de toutes les Eglises, en nous consultant sur le parti que vous pouvez avoir à prendre dans vos doutes, vous conformant ainsi à l’antique règle que vous savez aussi bien que moi avoir toujours été observée par tout l’univers. Mais je me tais là-dessus, persuadé que vous en êtes d’avance parfaitement instruits, puisque vous l’avez reconnu par votre conduite même, sachant bien que le siège apostolique ne manque jamais de répondre aux consultations qui lui viennent de toutes les parties de l’univers. Mais surtout s’il s’agit de ce qui intéresse la foi, tous nos frères ou nos collègues dans l’épiscopat se font, comme je n’en doute pas, un devoir d’en référer à Pierre, ou à celui de qui il tient son nom et son privilège, ainsi que vous l’avez fait vous-mêmes pour obtenir une décision qui puisse, dans le monde entier, servir en commun à toutes les Eglises. Elles doivent en effet devenir plus prudentes, lorsqu’elles voient que, selon la relation du double synode, les inventeurs du mal sont séparés de la communion de par les déterminations de notre jugement. » (Lettre aux Pères du concile de Milève, Inter epistolas du 27 janvier 417, chapitre II (Dz 218), citée par saint Augustin, lettre 182 (alias 193), PL, 33 / 784 ; S. Augustini, Opera S. Augustini, t. II, col. 934, édit. de Gaume ; col. 638, édit. de Montfaucon)

3) Saint Augustin fit siens les propos du Pape

Et nous ne pouvons que constater que saint Augustin fait entièrement siennes ces deux sentences papales ! En effet, lorsque dans sa Lettre à Paulin, saint Augustin rapporte ces actes, il recommande les réponses que le pape Innocent Ier donna par écrit, en ajoutant :

« Outre les rapports des conciles, nous avons adressé au pape Innocent, de bienheureuse mémoire [Le Pape saint Innocent Ier mourut le 12 mars 417], des lettres particulières où nous avons, un peu plus à fond, traité cette question. Il a répondu à tout comme on devait l'attendre d'un pontife du Siège apostolique [Voir ses lettres 175, 176, 177, 181, 182, 183]. » (Lettre 186 (alias 106) à Alype et Paulin, § 2 – PL, 33 / 817)

Plus bas, il identifie le jugement du Siège apostolique au jugement du Sauveur :

« Celui qui enseigne autrement et ne s'en tient pas aux saines paroles de Notre-Seigneur Jésus-Christ qui a dit […]

On se trouvera ainsi en contradiction avec cette parole du Sauveur : « Vos pères ont mangé la manne dans le désert, et ils sont morts : voici le pain qui est descendu du ciel, afin que celui qui en mangera ne meure point. » Il ne parlait pas de cette mort à laquelle ne sauraient échapper ceux même qui mangent de ce pain de vie. « En vérité, en vérité, je vous le dis, ajoute-t-il, si vous ne mangez la chair du Fils de l'homme et si vous ne buvez son sang, nous n'aurez pas la vie en vous (Jean, VI, 49, 50, 54), » sans aucun doute celle aussi qui doit venir après cette mort. On est en contradiction avec l'autorité du siège apostolique qui invoque le témoignage évangélique, de peur qu'on ne croie que les enfants non baptisés puissent avoir la vie éternelle (Lettre 182, n. 5). On est enfin en contradiction avec Pélage lui-même, car en présente des évêques, il a anathématisé ceux qui soutiendraient que les enfants sans baptême ont la vie éternelle. » (Lettre 186 (alias 106) à Alype et Paulin, § 27-28 – PL, 33 / 825-826)

Puis identifie encore « l'autorité du siège apostolique » à la personne du « Maître et Seigneur des Apôtres » (saint Pierre) :

« Nous avons insisté sur ce point, parce que, si ce que nous avons entendu est vrai, il y a auprès de vous, ou plutôt dans votre ville, des gens qui défendent cette erreur avec tant d'opiniâtreté qu'il leur serait, disent-ils, plus facile de quitter et de mépriser Pélage qui l'a anathématisé, que de se séparer de son sentiment sur ce point qu'ils croient être la vérité. S'ils se rendent à l'autorité du siège apostolique, ou plutôt au Maître et Seigneur des Apôtres qui dit qu'ils n'auront pas la vie en eux s'ils ne mangent la chair du Fils de l'homme et ne boivent son sang, ce qu'ils ne peuvent faire sans avoir été baptisés, ils reconnaîtront enfin que les petits enfants non baptisés ne peuvent pas avoir la vie éternelle, et que, par conséquent, quoi qu'ils doivent endurer moins de tourments que ceux qui sont damnés pour des péchés personnels, ils sont néanmoins punis de la mort éternelle. » (Lettre 186 (alias 106) à Alype et Paulin, § 29 – PL, 33 / 826)

Et dans un célèbre sermon :

« Réfutez leurs contradictions, amenez-nous les quand ils résistent. Déjà effectivement on a envoyé sur ce sujet les actes de deux Conciles au Siège Apostolique, dont on a aussi reçu les réponses. La cause est finie; puisse ainsi finir l’erreur ! Aussi les avertissons-nous de rentrer en eux-mêmes; nous prêchons pour leur faire connaître la vérité et nous prions pour obtenir leur changement. » (Sermon 131, 10)

C'est d'ailleurs des mots "[le] Siège Apostolique, dont on a aussi reçu les réponses. La cause est finie" que fut tirée le célébrissime adage : "Roma locuta, causa finita est" : "Rome a parlé, la cause est entendue" !

4) Saint Possidius de Calame témoigne que c’est le jugement romain qui déclara efficacement hérétiques les pélagiens

Saint Possidius de Calame (vers 397-vers 437), historien, ami et biographe de saint Augustin rapporte lui aussi ce recours des conciles d’Afrique du Nord à Rome pour être confirmés :

« Comme ces hérétiques s’efforçaient, par leurs artifices, de persuader leur erreur au Saint-Siège Apostolique, les saints évêques d’Afrique, réunis en concile, résolurent de montrer, avec le plus grand soin, au saint pape de Rome, le vénérable Innocent et ensuite à saint Zozime, son successeur, combien cette secte devait être abhorrée et condamnée par la foi catholique. Ces pontifes du Siège Suprême les censurèrent à diverses reprises et les retranchèrent des membres de l’Église : par des lettres adressées aux églises d’Afrique en Occident et à celles d’Orient, ils ordonnèrent à tous les fidèles de les anathématiser et de les fuir. Ayant appris le jugement que venait de porter sur eux l’Église catholique de Dieu, le très pieux empereur Honorius, pour s’y conformer, ordonna de les ranger parmi les hérétiques condamnés par ses lois. Alors quelques-uns d’entre eux rentrèrent dans le sein de l’Église, notre mère, d’où ils étaient sortis ; d’autres y reviennent encore tous les jours, à mesure que la vérité de la vraie foi se manifeste à eux et l’emporte sur cette détestable erreur. » (Vie d’Augustin, XVIII, PL tome XXXII, colonnes 48 et 49)

M) Saint Boniface : « les Eglises des Orientaux surtout, dans les grandes affaires qui rendaient nécessaire un débat de plus grande ampleur, ont toujours consulté le Siège romain et lui ont demandé aide chaque fois que cela était nécessaire »

« Demeure au bienheureux apôtre Pierre, de par la parole du Seigneur, la sollicitude reçue de lui pour l’ensemble de l’Eglise, laquelle, comme il le sait, a été fondée sur lui selon le témoignage de l’Evangile. Et jamais une position d’honneur ne peut être exempte de soucis, puisqu’il est sûr que toutes choses dépendent de sa réflexion. … Qu’il n’arrive pas aux prêtres du Seigneur que l’un d’entre eux tombe dans la faute de tenter quelque chose par une usurpation nouvelle, et qu’il devienne l’ennemi des décisions des anciens, alors qu’il sait qu’il a pour rival en particulier celui auprès de qui notre Christ a placé le souverain sacerdoce ; et quiconque se dresse pour l’outrager ne pourra être un habitant du Royaume des cieux.  "A toi, dit-il, je donnerai les clés du Royaume des cieux » [Matthieu XVI, 19] dans lequel nul n’entrera sans la faveur du portier. Puisque le lieu l’exige, recensez s’il vous plaît les déterminations des canons, et vous trouverez quel est après l’Eglise romaine le deuxième siège, et quel est le troisième. … Jamais personne n’a levé la main avec audace contre l’éminence apostolique dont il n’est pas permis de réviser le jugement, personne ne s’est dressé contre elle s’il ne voulait pas être jugé. Les dites grandes Eglises observent les dignités par les canons : celles d’Alexandrie et d’Antioche [voir Concile de Nicée, canon 6] ; car elles ont connaissance du droit de l’Eglise. Elles observent, dis-je, les décisions des anciens, en accordant leur bonne grâce en toutes choses comme ils reçoivent cette grâce en retour : celle dont ils savent qu’ils Nous la doivent dans le Seigneur qui est notre paix. Mais puisque la chose le demande, on montrera par des documents que les Eglises des Orientaux surtout, dans les grandes affaires qui rendaient nécessaire un débat de plus grande ampleur, ont toujours consulté le Siège romain et lui ont demandé aide chaque fois que cela était nécessaire. [suivent des exemples d’appels et de requêtes dans l’affaire d’Athanase et de Pierre d’Alexandrie, de l’Eglise d’Antioche, de Nectaire de Constantinople et des Orientaux séparés au temps d’Innocent Ier] » (Lettre Manet beatum à Rufus et aux autres évêques de Macédoine, etc., 11 mars 422)

Et comme il est acquis que toutes ces affaires étaient infiniment moins graves et alambiquées que celle de l’una cum…

N) Saint Pierre Chrysologue : « nous ne pouvons pas juger des questions de doctrine sans le consentement de l'Evêque de Rome »

« Nous vous exhortons, vénérable frère, à vous soumettre en toute chose à ce qu'a écrit le bienheureux Evêque de Rome, car saint Pierre, qui vit et préside en son siège, communique la vraie foi à ceux qui la cherchent. Pour notre part, pour l'amour de la paix et le bien de la vraie foi, nous ne pouvons pas juger des questions de doctrine sans le consentement de l'Evêque de Rome. » (Lettre à Eutychès ; in : Lettres de saint Léon, XXV, édition Ballerini ; MANSI, t. V, col. 1250)

O) Théodoret de Cyr qui se considère lésé accepte sa condition si le Pape le lui ordonne, faisant un parallèle entre la subordination des évêques envers le Pape avec celle saint Paul qui était pourtant « le héraut de la vérité, la trompette de l’Esprit Saint » envers saint Pierre

Condamné comme plusieurs évêques catholiques par le conciliabule ou brigandage d'Ephèse (449) sous la conduite de Dioscore d'Alexandrie sans avoir été appelé ni jugé, l'illustre évêque de Cyr s'empressa d'en appeler au Pape. Il commence par affirmer la supériorité de saint Pierre sur saint Paul, alors même qu’il était « le héraut de la vérité, la trompette de l’Esprit Saint » , dut recourir à lui pour certaines questions, malgré son assistance divine. Puis il fait un parallèle a fortiori avec l’obligation des évêques de recourir au successeur de Pierre pour juger les affaires ecclésiastiques  :

« Si Paul, le héraut de la vérité, la trompette de l'Esprit Saint, recourut à Pierre pour répondre aux doutes des chrétiens d'Antioche sur les observances légales, c'est à bien plus juste titre que nous, les humbles et les petits, nous recourons à votre trône apostolique pour recevoir de vous le remède aux blessures des Eglises. C'est à vous, en effet, qu'il convient d'avoir la primauté en tout. Votre siège est orné de nombreuses supériorités. Les autres villes se glorifient de leur grandeur, de leur beauté, du nombre de leurs habitants ; d'autres villes, privées de ces avantages, sont ornées de certains privilèges spirituels. La vôtre a reçu de Dieu l'affluence des biens : c'est la plus grande et la plus illustre, elle préside à l'univers, elle regorge d'habitants. Mais ce qui l'orne bien plus, c'est sa foi que le divin Apôtre atteste dignement quand il s'écrie : Votre foi est annoncée dans tout le monde. Si, aussitôt après avoir reçu les semences de la prédication salutaire, elle produisit de si merveilleux fruits, quel discours pourrait célébrer comme il convient la piété qui y règne aujourd'hui ? Elle possède aussi les tombeaux des pères et maîtres communs de la vérité, Pierre et Paul, qui éclairent les âmes des fidèles. Ce couple divin et trois fois bienheureux s'est levé en Orient et a projeté partout ses rayons; mais c'est l'Occident qu'il a choisi pour le couchant de sa vie, et de là maintenant il illumine l'univers. Maintenant, de la région du coucher du soleil, où ils ont volontiers accueilli le décor de cette vie, ils illuminent le monde. Ils ont rendu votre siège très glorieux ; c'est le couronnement et l'achèvement de vos biens ; mais en ces jours, leur Dieu a orné leur trône en y plaçant votre sainteté, qui émet, comme vous, les rayons de l'orthodoxie. Je pourrais en donner de nombreuses preuves, mais il suffit de mentionner le zèle dont votre sainteté a fait preuve dernièrement contre les mal famés Manichéens, prouvant ainsi que votre piété s'attache sincèrement aux choses divines. Vos écrits récents, eux aussi, suffisent à indiquer votre caractère apostolique. En effet, nous avons pris connaissance de ce que votre sainteté a écrit sur l'incarnation de notre Dieu et Sauveur, et nous avons été émerveillés par la justesse de vos expressions. [...]

Nous avons admiré votre sagesse spirituelle, loué la grâce du Saint-Esprit exprimée par votre intermédiaire, et nous invoquons, supplions et implorons votre Altesse de protéger les églises de Dieu qui sont maintenant assaillies par la tempête. [...]

Mais en ce qui me concerne, j’attends la décision de votre siège apostolique, priant et attestant Votre Sainteté de me venir en aide, et faisant appel à votre tribunal pour obtenir une sentence droite et juste.  » (Lettre 113 au Pape saint Léon le Grand dans PG, 83/1311-1315)

Théodoret parle ensuite des événements d'Ephèse, de l'injustice dont il a été victime, des travaux de son apostolat :

« Il y a vingt-six ans que je suis évêque sans avoir reçu aucun reproche J'ai ramené à l'Eglise plus de mille marcionites et quantité d'ariens et d'eunoméens. Il ne reste pas un hérétique dans les huit cents paroisses que je gouverne. Dieu sait combien j'ai reçu de coups de pierres, et quels combats j'ai soutenus dans plusieurs villes d'Orient contre les païens, les Juifs et toutes sortes d'hérétiques. Et après tant de sueurs et de fatigues, j'ai été condamné sans avoir été jugé. Mais j'attends la sentence de 'votre Siège apostolique; je prie, je conjure Votre Sainteté, au juste tribunal de qui j'en appelle, de me prêter secours, de m'ordonner d'aller lui rendre compte de ma doctrine et de montrer qu'elle est conforme à celle des apôtres. » (Lettre 113 au Pape saint Léon le Grand dans PG, 83/1316)

Il énumère ses ouvrages qu'il soumit à l'examen du Saint-Siège, et, un peu plus loin, il en appelle en ces termes au pape saint Léon de la condamnation qu’il juge injuste qu’il avait subie de la part de Dioscore d’Alexandrie, en précisant que si le Pape lui demandait de se soumettre à ce jugement, il le ferait :

« Je demande avant tout à recevoir votre instruction, pour savoir si je dois ou non m’incliner devant cette injuste déposition. J’attends votre jugement. Si vous me demandez de m’en tenir à ce qui a déjà été jugé, j’en resterai là et loin de m’en prendre jamais à quiconque, j’attendrai de notre Dieu et Sauveur un jugement juste. » (Lettre 113 au Pape saint Léon le Grand dans PG, 83/1318)

Il ne paraît pas que saint Léon ait appelé Théodoret à Rome, conformément à sa demande ; mais il lui restitua certainement son siège. Nous en trouvons la preuve dans les actes de Chalcédoine. Quand il se présenta à l'ouverture du Concile il lui fut dit : « Que le très pieux Théodoret prenne part au Concile, parce que le très saint archevêque Léon lui a rendu son épiscopat ». Il dut s'y présenter comme accusateur de Dioscore (MANSI, t. VI, col. 589 et 591).

Plus tard Théodoret écrivit aussi au prêtre René (Renatus), l'un des légats de saint Léon au conciliabule ou brigandage d'Ephèse (449). Il ignorait qu'il fût mort avant d'atteindre les côtes d'Asie. Il se recommandait à ses bons offices :

« Je prie Votre Sainteté de décider le très saint archevêque d'user de sa puissance apostolique pour m'ordonner d'accourir à son synode, car ce siège très saint a la direction (ήγεμονίαν) des Églises qui sont par tout l'univers pour plusieurs raisons dont la principale est qu'il n'a jamais été infecté d'aucune hérésie. Il n'a jamais été occupé par un ennemi de la vraie foi, mais a conservé intacte la grâce apostolique. Quoi que vous décidiez, nous y acquiescerons, convaincus de votre équité. Nous demandons à être jugés d'après nos écrits, car nous avons composé plus de trente livres. » (Lettre 116, à Renatus, PG, t. 83, col. 1324)

P) L’injuste déposition de Jean Ier d'Alexandrie, dit Jean Talaïa

Jean Talaïa, élevé au siège d'Alexandrie par le clergé et le peuple à la mort de Salophaciole, n'avait pas le bonheur de plaire au vindicatif patriarche de Constantinople. Aussi Zénon, instrument docile de ce dernier, le fit-il déposer pour mettre à sa place Pierre Monge, hérétique excommunié non seulement par le Pape, mais par Acace lui-même. Ce qui valut à Monge ce retour en faveur, c'est sa complaisance à signer l’hénotique impérial, profession de foi qui, dans l'intention de ses auteurs, devait unir tous les chrétiens parce que, sans être formellement hérétique, elle ne répugnait pas aux eutychiens.

Restait à informer le Pape, et, ce qui était plus difficile, à obtenir des lettres de communion pour Pierre Monge. Acace sentait combien l'entreprise était malaisée, aussi en laissa-t-il tout le soin à l'empereur. Zénon crut y réussir en accusant Jean Talaïa, auprès du Pape, d'un prétendu parjure qui le rendait indigne de l'épiscopat. Comme Simplicius n'avait reçu d'Egypte que d'excellents témoignages sur le nouveau patriarche d'Alexandrie, il était sur le point de le confirmer quand arriva la lettre impériale.

Il manquait seulement à Talaïa, écrivit-il à Acace, de recevoir la solidité désirée par le consentement du Siège apostolique, mais, devant la lettre du prince me le montrant indigne du sacerdoce, j'ai révoqué ma sentence de confirmation (MANSI, t. VII, col. 992).

Etonné du silence d'Acace dans une si grave circonstance, le Pape le priait de le renseigner minutieusement sur toute l'affaire, mais en aucune façon il ne consentait à reconnaître Pierre Monge comme patriarche légitime.

Cependant Jean Talaïa, chassé de son siège, à l’instar de saint Pierre II d’Alexandrie et Bagadius de Bostra, malgré l’injustice flagrante, de même que saint Pierre II d’Alexandrie, il ne se fit pas justice lui-même : il se réfugia auprès du Pape et lui présentait son appel avec un libelle contre Acace. Plusieurs plaintes contre ce dernier étaient déjà parvenues à Rome, spécialement de la part des moines acémètes. Le pape Félix III, successeur de Simplicius, n'ignorait pas non plus que par sa connivence le patriarcat d'Antioche était aussi occupé par un excommunié, Pierre le Foulon. Aussi résolut-il d'agir énergiquement. Il enjoignit à Acace de venir à Rome se justifier, dans un concile, des accusations portées contre lui. Mais les légats qui portaient ses lettres, arrêtés et maltraités, communiquèrent avec Acace et trahirent leur mandat.

II n'y avait plus de ménagements à garder envers un patriarche que, d'un autre côté, Cyrille, abbé des acémètes de Constantinople, représentait comme l'auteur de tous les maux qui désolaient l'Orient. Félix III réunit un concile (MANSI, t. VII, col. 1137) (483) où Acace fut excommunié avec les légats prévaricateurs. Tutus porta la sentence à Constantinople, et comme Acace refusait de la recevoir, un moine eut l'audace de l'accrocher à ses ornements au moment où il allait commencer l'office liturgique dans Sainte-Sophie.

Le même concile reconnut l'innocence de Talaïa et le confirma sur le siège d'Alexandrie. Talaïa ne put toutefois en prendre possession et mourut en Italie. Quant à Acace, fort de la protection de Zénon, il se maintint sur son siège et inaugura un schisme qui dura trente-cinq ans.

Q) Appels relatifs au monothélisme

  1. L’hérésie monothélite

Il y avait dix ans que Sergius propageait son hérésie, et, grâce à l'empereur Héraclius, il l'avait déjà établie sur les principaux sièges, lorsque saint Sophrone, le grand adversaire de l'hérésiarque, fut appelé au trône patriarcal de Jérusalem. De toutes parts, on le pressa d'informer l'évêque de Rome. Mais il ne voulut recourir à cette extrémité qu'après avoir épuisé les ressources de son éloquence et de son zèle. En envoyant ses lettres synodiques, il joignit à sa profession de foi un exposé magistral de la doctrine catholique sur les volontés et les opérations en Jésus-Christ, puis il prépara une réfutation en règle du monothélisme à l'aide de nombreux textes pris dans les Pères.

Pendant ce temps, Sergius le prévenait en écrivant le premier au Pape. Il sentait fort bien que gagner Rome, c'était gagner la partie. Se rendre son évêque favorable et faire taire la voix importune de Sophrone, afin de profiter du terrain acquis depuis dix ans, tel était le programme de Sergius.

Pour le réaliser, il représenta saint Sophrone comme un brouillon, et la discussion sur les volontés en Jésus-Christ comme une logomachie qui troublait inutilement l'Orient. Honorius, qui entendait parler pour la première fois de ces nouvelles polémiques, se laissa prendre au langage astucieux de Sergius et recommanda instamment le silence.

II semble prodigieux qu'Honorius ne soupçonnât même pas l'existence d'une hérésie qui, depuis dix ans, divisait l'Orient. On s'en étonnera un peu moins si l'on songe que le nonce du Pape, accrédité auprès de l'empereur, ignorait ordinairement le grec. Saint Grégoire le Grand, qui occupa longtemps la nonciature, répète fréquemment dans ses lettres qu'il était lui-même dans ce cas. D'autre part, le latin, dédaigné des Byzantins, n'était guère plus en honneur à Constantinople que le grec à Rome. Dans ces conditions, il y avait bien des choses qu'il était facile de laisser ignorer au nonce.

  1. L’appel au Pape de saint Sophrone de Jérusalem

La lettre synodique de saint Sophrone, qui lui parvint peu après, ne modifia en rien sa manière de voir. Elle fut, au contraire, l'occasion d'une seconde lettre où Honorius demanda qu'on ne parlât plus d'une ou de deux volontés en Jésus-Christ, mais qu'on bannît toutes ces nouveautés dans l'exposition de la foi.

Cependant, grâce à la complicité inconsciente d'Honorius, le monothélisme gagnait du terrain. Saint Sophrone, incapable de résister davantage au courant, eut recours au moyen suprême : solliciter l'intervention personnelle du Pape.

Il prit à part Etienne, évêque de Dor, le premier de ses suffragants, le mena sur le Calvaire, le lia par des serments solennels, et lui dit :

« Sophrone avait le courage du lion, l'intrépidité du juste. Animé d'un zèle ardent pour la foi, plein de confiance en Dieu, il me conduisit, moi indigne, sur la montagne du Calvaire, au lieu où Jésus-Christ, si au-dessus de nous par sa nature divine, daigna se laisser crucifier pour nous selon la chair. D'un ton irrésistible, il me tint ce langage : C'est à Dieu qui souffrit ici selon la chair que vous aurez à répondre le jour de son avènement terrible, quand il paraîtra dans sa gloire pour juger les vivants et les morts, si vous refusez de me prêter votre concours dans ce péril de la foi. Je ne puis quitter Jérusalem, vous le savez, en présence d'une invasion des Sarrazins, déchaînés sans doute par la justice de Dieu contre nos péchés. Partez donc le plus promptement possible, traversez l'immensité de la terre et des mers, allez au Siège apostolique, là où reposent les fondements des dogmes orthodoxes. Allez-y une première fois, retournez-y une seconde et plus encore s'il est nécessaire. Faites connaître aux personnages sacrés qui y président ou y présideront, la vérité tout entière sur les faits qui se passent en Orient. Redoublez vos instances et vos supplications jusqu'à ce que, dans l'apostolique prudence qui est leur privilège divin, ils rendent un jugement solennel et foudroient canoniquement les erreurs nouvellement introduites, , de peur que, suivant la parole de l'Apôtre, ils ne gagnent comme la gangrène et ne perdent de plus en plus les âmes des simples. Telles furent ses paroles. J'étais en proie à une vive émotion, à une anxiété terrible. Le lieu sacré où nous nous trouvions, l'adjuration formidable du patriarche me faisaient trembler. Je songeais aussi aux devoirs de mon ministère épiscopal, qui m'attachaient à l'Eglise de Dor. Mais les instances de Sophrone, celles des évêques et des fidèles de la Palestine, me déterminèrent à partir. Depuis lors, pour me servir de l'expression de l'Ecriture, « Mes yeux n'ont pas connu le sommeil, mes paupières ne se sont point closes, je n'ai pas goûté de repos", jusqu'à ce qu'il me fut donné d'accomplir ma mission près du Siège apostolique. C'est la première fois que j'y reviens. Les sectaires n'épargnèrent rien pour empêcher mon voyage ; ils obtinrent que des édits impériaux fussent adressés à toutes les provinces d'Orient que je devais parcourir, avec ordre de me charger de fers et de m'envoyer à Constantinople. Mais le Seigneur a été mon auxiliaire, il m'a délivré de toutes les embûches, ma course rapide ne fut point interrompue, et je parvins au terme de mon voyage. » (LABBE, VI, 104 ; MANSI, X, 896)

Etienne, effrayé par cette conjuration, et pressé par les prières des évêques et du peuple, se mit aussitôt en route (637). Il ne parvint à Rome selon toute vraisemblance qu'après la mort d'Honorius et dut y rester assez longtemps car Héraclius empêcha pendant près de deux ans le sacre du nouveau Pape. Enfin, en 640, Sévérin ou, plus probablement, l'année suivante, Jean IV, son successeur, condamna dans un Concile de Rome l'ecthèse et le monothélisme (Théophane le Confesseur, P. G., t. CVIII, col. 681).

Cependant, de nouveaux malheurs s'étaient abattus sur l'Eglise de Jérusalem : saint Sophrone était mort, et Serge, évêque hérétique de Joppé, s'était emparé de son siège. Pour y remédier, le Pape nomma Etienne son représentant et le renvoya en Palestine avec le pouvoir de déposer les évêques ordonnés par Sergius et d'en créer d'autres dévoués à la cause catholique.

  1. L’appel au Pape de Serge de Chypre

Cet appel de saint Sophrone ne fut pas isolé. Peu de temps après, Serge, métropolite de Chypre, écrivait au pape Théodore, et le suppliait de sévir contre l'hérésie. Voici comment il débutait :

« Ο chef sacré ! le Christ notre Dieu a établi votre Siège apostolique comme un appui inébranlable fixé par Dieu même, et comme une colonne où la foi est inscrite en caractères lumineux. Vous êtes, en effet, comme la voix infaillible du Verbe divin l'a proclamé, Pierre, et sur votre fondement les colonnes de l'Eglise ont été plantées [Matthieu XVI, 18] ; c'est entre vos mains qu'il a mis les clés du royaume des cieux [Matthieu XVI, 19] ; c'est à vous qu'il a ordonné de lier et de délier avec puissance sur la terre et dans le ciel. Vous avez été établi destructeur des profanes hérésies et docteur de la foi orthodoxe et immaculée. Ne négligez pas, ô père, la foi de nos pères en péril et agitée par les flots. Dissipez la puissance des insensés par la lumière de votre science divine, ô très saint, et détruisez les blasphèmes et l'arrogance de ces docteurs récemment apparus, qui prêchent des nouveautés. » (MANSI, t. X, col. 913)

Les plaintes de Serge visaient surtout Paul, patriarche de Constantinople. Théodore le condamna, ainsi que Pyrrhus, dans un Concile romain, en 648 (Théophane le Confesseur, P. G., t. CVIII, col. 681).

A cet important Concile tenu au palais de Latran, Etienne de Dor, fidèle aux recommandations de saint Sophrone, vint présenter sa requête pour la troisième fois. Comme les patriarcats d'Antioche et de Jérusalem étaient particulièrement éprouvés, saint Martin « en vertu du pouvoir que le Seigneur lui a donné par saint Pierre, coryphée des apôtres », nomma son vicaire pour toute la Syrie, Jean, évêque de Philadelphie, et lui ordonna de pourvoir incessamment d'évêques, de prêtres et de diacres les Églises de ces pays, et de recevoir ceux des hérétiques qui voudraient se convertir (Mansi, t. X, col. 805). C'était là une mesure provisoire, en attendant que la tenue d'un Concile œcuménique vînt terrasser définitivement l'hérésie.

  1. La déposition de Pyrrhus, patriarche monothélite de Constantinople

Pyrrhus s'est montré l'un des plus durables partisans du monothélisme. Lors des émeutes qui suivent la mort de l'empereur Héraclius, il est renversé et exilé en Afrique. Pyrrhus est rappelé d'exil sous le règne d'Héraclonas et de sa mère Martine. Il est renversé une seconde fois et doit à nouveau s'enfuir en Afrique. En juillet 645, il entretient une controverse avec le théologien Maxime le Confesseur (Disputatio cum Pyrrho) à laquelle participe Grégoire, exarque byzantin de Carthage ; ces échanges le font renoncer au monothélisme.

Ayant renoncé à l'hérésie, Pyrrhus fait un voyage à Rome sur l'invitation du Pape Théodore Ier. Il revient à Constantinople où il se déclare à nouveau en faveur du monothélisme. Cette apostasie lui vaut d'être condamné par le pape à Rome, un anathème confirmé lors d’un synode au Latran en 649. Il meurt à la pentecôte 654 après avoir à nouveau porté le titre de patriarche de Constantinople pendant quelques mois.

On le voit : ce n’est qu’après un jugement du Pape, et non à la seule manifestation de l’hérésie que Pyrrhus perdit son siège !

R) Le IIIè Concile de Constantinople (680-681)

La plupart des non-catholiques usent du IIIè Concile de Constantinople (680-681) comme d’argument contre la Papauté, en raison de la condamnation qu’il porta contre le Pape Honorius. Mais en réalité, il fut l’occasion de grandioses manifestations de la foi de l’Eglise en la Papauté ! Dom John Chapman (1865-1933) put écrire à son sujet :

« Aucun concile n’a par ses actes et ses paroles plus pleinement reconnu l’autorité infaillible de Rome que le sixième concile. » (The first eight general councils and papal infaillibility, 1906, page 67)

Nous expliquons comment la condamnation d’Honorius ne porte en rien atteinte à la vérité de la Papauté et exposons « les paroles et les actes » du sixième concile par lesquels « aucun concile n’a […] plus pleinement reconnu l’autorité infaillible de Rome » que lui dans cet article : https://philosophieduchristianisme.wordpress.com/2018/03/02/linfaillibilite-du-pape-proclamee-en-681/

Nous nous arrêterons ici sur ce que ce Concile nous apprend que la position « una cum péché mortel » n’est pas justifiée. Cela tient en deux point : l’attitude de l’assemblée conciliaire, et celle de l’Empereur Constantin IV Pogonat.

1) Malgré l’évidence, l’assemblée conciliaire ne vint à bout de l’hérésie que par les lettres romaines

Le IIIè Concile de Constantinople (680-681) devait frapper l’hérésie monothélite, niant que le Christ ait eu une volonté humaine, en plus de sa volonté divine. L’erreur de cette thèse était évidente, grossière même, elle était contraire à la tradition, et disqualifiée du seul fait que ses promoteurs au début du VIIè siècle l’avaient « inventé », comme dira le Concile. Aussi le Concile a-t-il porté un jugement décisif en raison de l’évidence, de la tradition ou de la nouveauté de l’hérésie ? Matériellement oui, mais formellement non ! En effet, à l’issu du Concile, les Pères déclarèrent dans la lettre qu’ils adressèrent au Pape saint Agathon, mais qui fut reçu par le Pape saint Léon II en raison du décès de ce premier, que c’est grâce aux lettres adressées au Concile par Agathon qu’ils parvinrent à terrasser l’hérésie :

« Ainsi que tu le sais, bienheureux Père, aux grandes maladies il faut de grands secours ! Aussi le Christ, notre vrai Dieu, qui est puissance créatrice de toutes choses et qui les gouverne toutes, nous a donné un sage médecin dans la personne honorée par Dieu de Ta Sainteté. A la contagion de la peste hérétique, elle a opposé, avec force, les remèdes de l’orthodoxie, et elle a rendu la vigueur de la santé aux membres de l’Eglise. Aussi, après avoir lu avec joie les lettres de vraie confession que ta paternelle Béatitude a envoyés au très-pieux Empereur, nous te laissons à faire ce qui reste, à toi, évêque du premier siège de l’Eglise universelle, que nous nous abandonnons pour savoir ce que nous devons faire, puisque tu es établi sur le ferme rocher de la foi. Nous reconnaissons que tes lettres ont été divinement écrites par le grand Prince des Apôtres : c’est par elles que nous avons vaincu la secte hérétique, aux erreurs multiples, qui avait surgi dernièrement. […] Nous renvoyons à ta Béatitude ce qui a été traité sur chaque affaire et qui est relaté dans les notes et les présents écrits. […] C’est ainsi qu’illuminés par le Saint-Esprit et instruits par ta doctrine, nous avons détruit les dogmes funestes de l’impiété et aplani la voie très-droite de l’orthodoxie. Notre très-pieux et sérénissime empereur Constantin nous a sagement et divinement assistés et protégés. Ensuite l’un de nous, l’Evêque de cette ville de Constantinople, a été des premiers à donner son adhésion à l’écrit d’orthodoxie que tu as envoyé au très-pieux Empereur. […] Avec toi, nous avons enseigné clairement la splendide lumière de la foi orthodoxe. Nous prions ta paternelle Sainteté de la confirmer de nouveau par tes honorables rescrits. » (MANSI, XI, 683-688 ; LABBE, VI, 1073-1076)

Mais les choses ne s’arrêtent pas là ! Après avoir définitivement établi le dogme, l’assemblée conciliaire et l’Empereur laissèrent encore au Pape le soin de juger les hérétiques manifestes !

2) L’Empereur laisse les hérétiques manifestes au jugement du Pape

Comme nous l’avons déjà cité, les Pères conciliaires écrivirent dans le lettre au Pape :

« Aussi, après avoir lu avec joie les lettres de vraie confession que ta paternelle Béatitude a envoyés au très-pieux Empereur, nous te laissons à faire ce qui reste, à toi, évêque du premier siège de l’Eglise universelle, que nous nous abandonnons pour savoir ce que nous devons faire, puisque tu es établi sur le ferme rocher de la foi. » (MANSI, XI, 665-666 ; LABBE, VI, 1053-1054)

Cela signifie qu’ils ne portaient pas eux-mêmes de jugement contre les hérétiques qui niaient obstinément le dogme nouvellement défini avec force, comme ils en témoignèrent eux-mêmes, mais les laissaient au jugement du Pape. Ce fait ne saute pas aux yeux à la lecture de cette seule lettre de l’assemblée conciliaire, mais la lettre suivante de l’Empereur au Pape le fit clairement. En effet, dans la XVIIIe et dernière session, les pères du concile de Constantinople avaient fait dresser devant eux, séance tenante, cinq exemplaires du décret de foi, les avaient revêtus de leurs signatures, les avaient présentés eux-mêmes à la souscription de l'empereur, et avaient officiellement déclaré que chacun de ces exemplaires serait transmis au siège de Rome et aux quatre églises patriarcales d'Orient. Les mêmes pères avaient rédigé et adopté, séance tenante, la lettre synodique qui devait accompagner l'exem­plaire destiné au pape. Charge était laissé à l’empereur d’effectuer cette transmission à Rome. Il écrivit plusieurs lettres à cet effet. On y lit la manifestation de sa foi en l’infaillibilité romaine du fait de la promesse faite à saint Pierre :

« Des yeux de l’âme, nous avons contemplé, pour ainsi dire, Pierre, le Prince du chœur apostolique, l’Evêque du premier siège, parlant divinement de l’économie de tout le mystère et redisant au Christ par ces lettres : Tu es le Christ, le fils du Dieu vivant ! Car ces lettres sacrées, dans leurs développements nous exprimaient le Christ tout entier. Tous nous les avons reçues avec un cœur joyeux et sincère, et nous les avons accueillies comme Pierre lui-même, dans l’embrassement de nos âmes. » (Lettre I Coelorum aeternum, dans la correspondance de saint Léon II ; PL 96, 389-392 ; MANSI, XI, 715-716 ; LABBE, VI, 1101-1102)

Puis, il évoque le cas des quelques hérétiques refusant de se soumettre, commettant ainsi une folie. Or les lettres de saint Agathon, comme nous l’avons largement exposé, enseignent largement la doctrine de la Papauté, spécialement l’infaillibilité pontificale ! Voici les mots de l'empereur :

« Or seul avec ceux-là, avec qui il partit brusquement, Macaire, pas satisfait de son propre nom - lui qui fut pourtant évêque de la ville d'Antioche -, et du moins s'opposant [à nous], il se soustrait au joug du Christ et quitta pour de bon l'assemblée épiscopale ; il refusa en tout, en effet, d'assentir aux lettre du très saint Agathon, agissant ainsi en fou à l'égard de Pierre, prince et coryphée [de l'Eglise]. Il ne fut pourtant pas absent aux avertissements, et fréquemment lui furent adressés des encouragements, tous en effet, lui montrions les voies de la conversion ; que n'avons-nous pas dit ? Que n'avons-nous pas tenté ni entrepris ? A ceux-là en particulier qui se séparent du collège sacerdotal. Nous nous affligeons à son sujet, comment pas ne le ferions-nous pas ? A cause de notre compassion se déchirent nos entrailles. Avec lui se délite le troupeau de Seigneur. Mais sa face s'est faite semblable à celle de la courtisane, et il a revêtu sa personne de l'effronterie, et rejetant du même coup l'exhortation et la piété, il entendait pour ne point comprendre, et repoussa avec horreur la parole sainte. Mais pourquoi sommes-nous plus longs dans cette narration, alors que celle-ci se peut expliquer en des termes plus simples et plus soignés ? » (Lettre I Coelorum aeternum, dans la correspondance de saint Léon II ; PL 96, 391-392 ; MANSI, XI, 715-716 ; LABBE, VI, 1101-1102).

Plus loin, parlant à nouveau de Macaire, le décrit comme un hérétique "car" il refuse la doctrine venue de la montagne apostolique (Rome), qui occupe dans l'Eglise de Dieu le rôle de la montagne de Sion (Jérusalem) dans l'Ancienne Alliance :

« Car vraiment c'est ainsi qu'il s'endurcit et qu'il raidit sa nuque comme le fer et sa face comme l'airain. C'est ainsi qu'il appesantit ses oreilles de sortent qu'elle n'écoutent pas, et qu'il dressa son cœur obstiné pour qu'il n'entende la loi ; car la loi est sortie de Sion, et la doctrine du faite de la montagne apostolique [la colline du Vatican, à Rome] : et c'est pourquoi le saint et universel Concile a dépouillé ce même insensé de Macaire avec les hérésies ses compagnes de l'habit pontifical. » (Lettre I Coelorum aeternum ; PL 96, 391-392 ; MANSI, XI, 715-716 ; LABBE, VI, 1101-1102)

Immédiatement après avoir dit cela, il annonce au Pape que sur la demande du Concile, il lui envoie tous ceux qui ont refusé de se soumettre, afin qu’il statue lui-même sur leur sort

« Tous, véritablement, par des prières écrites, supplièrent d'une seule voix notre sérénité pour que nous les envoyions à votre béatitude. Ainsi nous fîmes, et nous les envoyâmes à vous, remettant toute leur cause à votre paternel jugement. » (Lettre I Coelorum aeternum ; PL 96, 391-392 ; MANSI, XI, 715-716 ; LABBE, VI, 1101-1102)

Ce qu'il faut retenir de ce fait c'est que malgré l'évidence de l'hérésie des récalcitrants, le Concile lui-même s'interdit de les juger, et les renvoie à tribunal du Pape !

Il écrit plus bas :

« Mais il [saint Agathon] fit connaître la sainte et vénérée décision du saint Concile, à laquelle nous souscrivîmes, et que nous sanctionnâmes par nos pieux édits, encourageant tout notre peuple amant du Christ afin qu'ici fut obéi aux prescriptions de foi et pour que strictement aucune secte hérétique ne fut inventée. Gloire à Dieu, qui a fait de grandes choses et qui a conservé chez nous [ndlr : grâce aux lettres de Rome] la foi dans son intégrité ! Comment, en effet ne l’aurait-il pas fait pour cette pierre, sur laquelle il a fondé lui-même son Eglise, en prédisant que jamais les portes de l’enfer, c’est-à-dire les attaques de l’hérésie, ne prévaudraient contre elle ! C’est d’elle, comme de la voûte des Cieux, qu’est venue avec éclat la parole de la vraie confession ; elle a illuminé l’âme de ceux qui aiment le Christ et elle a ranimé l’orthodoxie prête à s’éteindre ! » (Lettre I Coelorum aeternum, dans la correspondance de saint Léon II ; PL 96, 391-392 ; MANSI, XI, 717-718 ; LABBE, VI, 1103-1104)

Nous avons donc trois éléments à retenir : 1) l’Empereur répète ce que les Pères conciliaires disaient déjà, c’est grâce à Rome que l’hérésie put être éliminée de manière définitive : « C’est d’elle, comme de la voûte des Cieux, qu’est venue avec éclat la parole de la vraie confession ; elle a illuminé l’âme de ceux qui aiment le Christ et elle a ranimé l’orthodoxie prête à s’éteindre ! » ; 2) celui qui refuse de se soumettre au jugement de l’assemblée conciliaire, le fait « agissant ainsi en fou à l'égard de Pierre, prince et coryphée [de l'Eglise] » ; 3) malgré tout cela, ceux qui ont refusé de se soumettre ne furent pas jugés par les Pères du Concile, mais au contraire ces derniers « Tous, véritablement, par des prières écrites, supplièrent d'une seule voix [l’Empereur de les envoyer au Pape], remettant toute leur cause à [son] paternel jugement. » ! Nous retrouvons exactement la même exigence du Pape saint Hormisdas qui exigeait de l’Empereur Anastase :

« Si l’on vous présente des requêtes contre des évêques catholiques, principalement contre ceux qui osent anathématiser  le concile de Chalcédoine et rejeter les lettres du Pape saint Léon, recevez ces requêtes, mais réservez la cause au jugement du Siège Apostolique, afin qu’ils aient l’espérance d’être entendus, et que vous nous réserviez l’autorité qui nous est due. » (Lettre IV à l’empereur Anastase, 8 juillet 515, PL 63, colonnes 376 à 378).

Ou encore l’attitude de l’Empereur Justinien qui déclarait qu’il n’osait rien décider sans en référer au Pape, pas même au sujet de « choses claires et certaines » ou d’ « affaires qui naissent au sujet de la religion, quoique simples et non douteuses » (Code Justinien, Livre I, titre premier, point n°8 ; PL, 66, 14-17), ce pourquoi il reçut l’approbation du Pape Jean II (Code Justinien, Livre I, titre premier, point n°8 ; PL, 66, 17-20). On comprend qu’avec une telle impossibilité de porter des jugements décisifs sans en référer au Pape, les sédévacantistes ne peuvent pas imposer leur jugement de sacrilège à l’endroit de la célébration des messes « una cum » et de l’assistance à celles-ci !

S) Appel de saint Ignace de Constantinople, injustement déposé de son siège

Saint Ignace fut déposé de son siège par l’intrusion de Photius, soutenu par l’Empereur. Une nouvelle fois, à l’instar de saint Pierre II d’Alexandrie, Bagadius de Bostra, Théodoret de Cyr ou encore Jean Talaïa, il ne se fit pas justice lui-même : il rédigea un premier appel au Pape aussitôt après l'intrusion de Photius. Il le confia au prêtre Laurent, au sous-diacre Etienne et à un autre Etienne laïc ; mais ceux-ci, malgré leur engagement par serment, ne le portèrent pas à Rome. Son second appel, dont le texte nous est parvenu, fut écrit après le Concile tenu dans l'église des Saints-Apôtres, où les légats du Pape, Rodoald et Zacharie, trahissant leur mandat, ratifièrent lâchement la déposition du patriarche et confirmèrent l'élection de Photius. Il est adressé par Ignace, dix métropolites, quinze évêques et une multitude de moines « au très bienheureux président et patriarche de tous les sièges, au successeur du coryphée, à ses évêques et à toute l'Eglise romaine ». Il résume tous les événements qui avaient précédé : l'inceste de Bardas, son excommunication, sa vengeance par l'intrusion de Photius, les brutalités inouïes exercées sur Ignace, et, plus en détail, les faits relatifs au Concile des saints apôtres.

Quand on vint prier Ignace de se présenter au Concile, il refusa en disant d'une voix élevée qu'il en appelait au Pape. Mais on ne tint pas compte de cette protestation. A la seconde citation :

« Comment ordonnez-vous que je me présente, comme condamné, en costume de moine, ou comme un évêque que l'on va juger ? »

Les envoyés répondirent au nom des légats :

« Comme vous êtes digne. »

Ignace s'avança donc avec ses habits sacrés et son cortège habituel. Mais l'empereur envoya des gens sur le chemin pour le dépouiller des ornements de sa dignité. Quand il arriva sur le seuil de la basilique, Laurent et les deux Etienne vinrent à sa rencontre pour lui dire :

« Comment, après avoir été condamné et déposé pour tant de crimes, avez-vous osé vous présenter avec vos ornements sacrés ? »

Puis ils le séparèrent violemment de sa suite et le présentèrent seul à l'empereur. Celui-ci l'accabla d'injures.

« Les injures, répondit tranquillement Ignace, sont plus douces que les coups. »

Michel III, un peu calmé, le fit asseoir sur un escabeau de bois.

Ignace salua les légats et leur demanda qui ils étaient.

« — Nous sommes les légats du pape Nicolas, envoyés pour juger ta cause.

— Alors, chassez d'abord l'adultère ; si vous ne le pouvez, vous ne devez pas être juges. »

Les légats, montrant l'empereur de la main, répliquèrent :

« Mais celui-là le veut ainsi. »

On essaya ensuite, par tous les moyens, conseils, persuasion, menaces, d'obtenir sa démission ; mais il refusa énergiquement jusqu'au bout. Toutes les tentatives subséquentes furent aussi sans résultat.

Quelques jours après, comme les légats le citaient de nouveau au Concile par l'intermédiaire des deux Etienne, il répondit :

« Je n'y vais pas, car je ne pense pas que vous, juges, vous fassiez rien de conforme à la règle ecclésiastique : non seulement vous n'avez pas chassé l'intrus, mais vous mangez à sa table, et vous avez accepté ses présents avant même d'arriver ici. Je n'accepte pas de tels juges ; mais conduisez-moi au Pape, et je subirai avec joie son jugement. »

Puis il demanda qu'on lût les lettres qu'il avait composées pour sa justification. Il s'y prévalait entre autres du décret canonique du pape Innocent dans la cause de saint Jean Chrysostome, où il était dit que Jean ne devait se présenter en jugement qu'après avoir été préalablement rétabli sur son siège, et du quatrième Canon du Concile de Sardique, portant qu'un évêque déposé, s'il croyait pouvoir encore se justifier, ne devait pas être remplacé sur son siège avant la sentence de l'évêque de Rome.

Comme les légats le pressaient encore de venir, Ignace répondit :

« A ce qu'il paraît, mes pères, vous n'avez pas lu les Canons et vous ne connaissez pas la règle de l'Eglise. Cette règle demande qu'un évêque cité au Concile soit appelé par trois fois et par deux évêques ; or, vous ne m'avez cité que deux fois et par un diacre et un laïque. Des témoins sans valeur ont juré que j'avais été élu et consacré irrégulièrement ; mais quel Canon ordonne que l'empereur produise les témoins ? Si je ne suis pas archevêque, Michel n'est pas empereur, et ceux-ci ne sont pas évêques, ni l'adultère lui-même, car tous ont été sacrés par mes indignes mains. Si l'adultère était de l'Eglise, je lui céderais volontiers. Mais puis-je donner un étranger comme pasteur aux brebis du Christ ? Beaucoup de raisons s'y opposent : tout d'abord il a été excommunié, non seulement par moi et par les autres sièges, mais par vous-mêmes ; de plus, il a été pris d'entre les laïques et établi pasteur avant d'avoir été brebis ; enfin, il a été ordonné par un excommunié, Grégoire de Syracuse. »

A cette éloquente apologie, les légats ne surent rien répondre. On insista néanmoins pour avoir sa démission, et dix jours plus tard on l'amena par force au Concile et on le déposa parce que, d'après l'attestation des nombreux témoins, son élection et son ordination n'avaient pas été légitimes.

Tel est, en abrégé, le récit que saint Ignace lui-même fit au Pape. Il termina ainsi son appel :

« Je vous ai exposé ces choses en peu de mots ; quant à vous, mon très saint maître, montrez en ma faveur des entrailles de miséricorde et dites avec le grand Apôtre : Qui est malade sans que je le sois avec lui ? Souvenez-vous des patriarches vos prédécesseurs, je veux dire de Fabien, Jules, Innocent, Léon, de ceux, en un mot, qui ont combattu pour la vérité contre l'injustice. Rivalisez avec eux et levez-vous pour la vengeance de celui qui a souffert tant d'injustices. » (MANSI, t. XVI, col. 296-301).

Photius, soutenu par l'empereur et les légats infidèles, eut beau écrire une lettre aussi habile et rampante que la première, pour extorquer du Pape une confirmation sans laquelle il ne se sentait pas vraiment patriarche, saint Nicolas démêla la vérité et accomplit son devoir : il excommunia et déposa les légats et leur protégé.

Cependant Photius, appuyé sur la cour, et se prévalant du jugement des légats du Pape, se maintint sur le trône patriarcal, jusqu'à la mort de Michel l'Ivrogne. Mais Basile le Macédonien s'empressa de l'en chasser pour y replacer saint Ignace,

L'empereur et le patriarche écrivirent aussitôt au Pape pour l'informer de cet heureux événement et le prier d'envoyer des légats pour rétablir dans un Concile général l'ordre passablement troublé. Tout en lui recommandant l'indulgence envers les prêtres et les évêques ordonnés par Photius et envers ceux qui avaient communiqué avec l'intrus, ils le consultaient sur la conduite à tenir à leur égard.

Le début de la lettre d'Ignace (MANSI t. XVI, col. 47) mérite d'être connu : nul monument ne montre mieux comment la partie la plus saine de l'Eglise orientale considérait l'Eglise romaine et son évêque au IXe siècle. Je terminerai mon travail par cette dernière citation :

« Pour guérir les blessures et les meurtrissures qui sont dans les membres de l'homme, l'art a produit de nombreux médecins […] ; pour guérir celles qui sont dans les membres du Christ notre Sauveur, la tête de l'Eglise catholique et apostolique, le Roi suprême, le Verbe très-puissant, l'Ordonnateur général, le Dieu maître absolu de l'univers n'a créé qu'un seul et unique médecin : votre fraternelle sainteté et votre paternelle bienfaisance, en disant à Pierre, le plus grand des apôtres : Tu es Pierre, et sur cette pierre je bâtirai mon Eglise, et les portes de l'enfer ne prévaudront pas contre elle [Matthieu XVI, 18]. Et encore : Je te donnerai les clés du royaume des cieux : tout ce que tu lieras sur la terre sera lié dans les cieux, et tout ce que tu délieras sur la terre sera délié dans les cieux [Matthieu XVI, 19]. Ces bienheureuses paroles, il ne les a pas circonscrites et limitées, par un privilège spécial, au seul Prince des apôtres ; mais il les a transmises par lui à tous ceux qui, comme lui et après lui, devaient être souverains pasteurs et divins pontifes de l'ancienne Rome. C'est pourquoi, dès les temps les plus anciens, chaque fois que l'hérésie et la prévarication se sont fait jour, vos prédécesseurs sur ce siège, c'est-à-dire les successeurs du Prince des apôtres et les imitateurs de son zèle pour la foi chrétienne ont arraché l'ivraie et détruit les membres corrompus ou atteints d'une façon incurable. »

En 869, le huitième Concile œcuménique tenu dans Sainte-Sophie consacra le triomphe de la justice et ramena la paix entre l'Église grecque et l'Eglise romaine.

T) Etude de John DALY : Hérésie dans l’histoire. Etude de dix-neuf leçons de l'histoire ecclésiastique pour servir à l'intelligence et à l'exercice de la foi et de la charité dans les temps actuels, dans l'espoir de remédier aux déviances sectaires de certains catholiques

 Texte légèrement retouché d’un article John S. DALY, du 1er mai 2000 (traduction non professionnelle de V. W., sous-titre de M. L.) :

Cet article a été écrit pour réfuter la position de certains sédévacantistes exclusifs, c'est-à-dire des personnes pour qui les non-sédévacantistes ne sont plus catholiques, pour qui la plupart des catholiques traditionnels, en ne concluant pas que les Papes putatifs de Vatican II ont été hérétiques, sont eux-mêmes tombés dans l'hérésie. J'ai expliqué ailleurs pourquoi cette conclusion est inacceptable en théologie et en droit. Le présent article fait appel à l'histoire de l'Église pour montrer qu'il faut être très lent à juger que quelqu'un qui prétend être soumis au magistère de l'Église catholique est en fait un hérétique ou un schismatique, et que, dans le cas extrême où ce jugement est formé par un particulier, il ne donne aucun prétexte pour condamner ou retirer de la communion les catholiques qui ne partagent pas ce jugement. Il s'oppose non pas à ceux qui accusent Jean-Paul II (aujourd'hui François) et la hiérarchie moderniste d'être des hérétiques, mais à ceux qui incluent allègrement pratiquement tout le clergé catholique traditionnel dans la même accusation.

Tous les sédévacantistes considèrent nécessairement que les particuliers peuvent parfois reconnaître une hérésie avant même que le coupable ait été condamné par les autorités de l'Église. Ils ont raison de le faire, et il en est de même pour le schisme. Mais il semble que certains poussent ce principe d'exception beaucoup trop loin, et sont prompts à condamner d'autres personnes comme hérétiques ou schismatiques lorsque le fait n'est pas suffisamment fondé.

Dans le cas de l'hérésie, il faut qu'il y ait rejet d'une vérité dont il est manifeste que le coupable sait qu'elle est certainement enseignée par l'Église comme objet de la foi divine et catholique. Dans le cas du schisme, il doit être manifeste que le coupable s'est retiré intentionnellement de ce qu'il reconnaît comme étant la communion de l'Église catholique, soit en la personne du pape, soit en la personne de la grande masse des fidèles.

Si un seul de ces éléments fait défaut, ou est sujet à un doute prudent, le jugement d'hérésie ou de schisme ne peut être porté par le particulier - le jugement autoritaire [le jugement de l'Eglise par des juges ecclésiastiques] doit intervenir.

Le but de cette étude est de rassembler un échantillon représentatif d'exemples historiques qui montrent :

(i) que les bons et savants catholiques ont traditionnellement hésité à conclure, avant le jugement de l'Église, qu'une personne donnée était tombée dans l'hérésie et ne pouvait donc plus être considérée comme catholique ;

(ii) quels sont les facteurs nécessaires pour justifier le jugement d'hérésie et comment ils ont été évalués dans la pratique,

et (iii) l'attitude traditionnellement adoptée lorsque des catholiques orthodoxes étaient en désaccord les uns avec les autres, avant l'intervention de l'autorité, sur la question de savoir si telle ou telle personne ou groupe de personnes était en fait un hérétique ou un schismatique.

 Si, d'une part, il est impératif de fuir l'hérésie, d'autre part, il n'est pas moins obligatoire de s'abstenir de juger inconsidérément son prochain comme un hérétique - l'accusation la plus horrible qui puisse être conçue contre quiconque prétend ou souhaite être catholique. La prudence s'impose donc pour éviter tout excès dans un sens comme dans l'autre. Les leçons de l'histoire de l'Église doivent être d'une grande utilité pour former sa conscience.

1) Érasme de Rotterdam

Au sujet d'Érasme de Rotterdam, saint Alphonse de Liguori nous dit qu'il qualifiait d'idolâtrie l'invocation de la Vierge et des saints, qu'il condamnait les monastères, les vœux et les règles religieuses, qu'il s'opposait au célibat du clergé, qu'il raillait les indulgences, les reliques, les fêtes, les jeûnes et même la confession auriculaire. Il alla jusqu'à prétendre que l'homme est justifié par la foi seule et à mettre en doute l'autorité des Écritures et des conciles. Saint Alphonse ajoute qu'Érasme accusait d'audace l'attribution du nom de « Dieu » au Saint-Esprit ! Il n'est donc pas étonnant de voir saint Alphonse citer le proverbe selon lequel Luther a fait éclore l'œuf qu'Érasme avait pondu. Il n'est pas non plus étonnant d'apprendre de lui que « plusieurs écrivains accusent ouvertement Érasme d'hérésie ».

Mais Érasme était-il pour autant un hérétique ? Il était estimé par plusieurs papes, dont l'un lui demanda de réfuter Luther. Il est resté un ami proche de saint Thomas MORE. Saint Alphonse conclut en son nom propre, avec Bernini, qu'Érasme est mort avec le caractère d'un catholique indocile, mais non d'un hérétique, car il a soumis tous ses écrits au jugement de l'Église (cf. Saint Alphonse de Liguori, Histoire des hérésies et de leur réfutation).

Ce qui est tout à fait certain, c'est qu'en dépit de ses doctrines, qui, même avant le Concile de Trente, ne pouvaient guère être considérées comme excusables de la censure de l'hérésie, en dépit des nombreuses plaintes et réfutations contemporaines, et en dépit de sa grande érudition, qui diminuait la possibilité d'une ignorance irréprochable, il était et il est permis de considérer Érasme comme un catholique. Si on le tenait définitivement pour hérétique, il s'ensuivrait que le Pape Paul III, saint Thomas MORE et bien d'autres excellents catholiques seraient restés en communion avec un hérétique.

L'hérésie pertinace est abondante de nos jours parmi les disciples de Vatican II, mais ceux de l'école de Martin GWYNNE ou de l'abbé Vincent-Marie ZINS [et les sectaires, laïcs ou clercs, « anti-una cum » ou « anti-non una cum »] qui détectent la pertinacité même parmi pratiquement tous les catholiques traditionnels ne pouvaient guère manquer de tenir Érasme pour un hérétique et donc de censurer tous ces bons catholiques comme hérétiques ou schismatiques pour être restés en communion avec lui. Une telle conclusion est manifestement erronée et ne peut être fondée que sur des prémisses fausses.

2) Le cardinal John Henry NEWMAN

En 1845, un ministre anglican est devenu catholique - John Henry NEWMAN. Déjà instruit en patristique, il ne s'est pas doté d'une formation adéquate en théologie catholique. Ordonné prêtre, il écrivit sur des questions théologiques, admettant des erreurs dans l'Écriture Sainte, le salut en dehors de l'Église, etc. L'une des propositions condamnées plus tard par le décret Lamentabili de saint Pie X (Prop. 25) apparaît trois fois textuellement dans différents écrits de NEWMAN. Naturellement, dans le prélude au Concile du Vatican de 1870, il s'est opposé à l'infaillibilité papale. Ses écrits furent attaqués et réfutés par les Cardinaux Jean-Baptiste FRANZELIN, Alexis LÉPICIER et Louis BILLOT, par les Pères Giovanni PERONNE, BROWNSON et Léonce LOYZEAU de GRANDMAISON (qui qualifiait en 1906, un an avant Pascendi,  NEWMAN qu’il était « le Père de l’immanence vitale » ; lire de lui sur NEWMAN son études en deux parties dans la revue Etudes : John Henry Newman considéré comme maître, Études, 20 décembre 1906, 5 janvier 1907 : 1ère partie : 20 décembre 1906 : sur Gallica ou sur archive.org, et 2è partie : 5 janvier 1907 : sur Gallica ou sur archive.org), ainsi que le laïc talentueux William George WARD. Le Cardinal Henry MANNING lui reprocha dix hérésies distinctes qui se trouvaient dans ses écrits. D'autres évêques parlent aussi de ses hérésies. Dans les années 1850, un prélat de Pie IX n’hésita pas à dire qu’il était « l’homme le plus dangereux d’Angleterre » ! Des réfutations détaillées parurent, dont il ne pouvait guère ignorer l'existence. Néanmoins, il ne s'est pas rétracté.

Était-il donc un hérétique ? Loin d'être excommunié... il est élevé au cardinalat ! Toute l'Église reste en communion avec lui. La seule explication à cela est que, malgré les apparences, ses erreurs n'étaient pas considérées comme directement et explicitement hérétiques... ou bien que les catholiques de l'époque, depuis le pape, avaient une conception de la pertinacité beaucoup plus exigeante que celle qui circule parmi les membres de cette école sédévacantiste qui lance ses anathèmes avec tant de légèreté de nos jours.

(Source : Richard SARTINO, Another Look at Newman)

3) Les évêques « appelants » jansénistes

Au cours des controverses jansénistes du XVIIIe siècle, plusieurs évêques ont fait appel des enseignements de l'Église qui a condamné infailliblement de nombreuses erreurs jansénistes, dont certaines étaient hérétiques. Ces évêques « appelants » étaient-ils donc hérétiques ? Nous pouvons être sûrs qu'ils ne l'étaient pas publiquement et définitivement, car l'Église les a maintenus dans leurs fonctions épiscopales et personne ne s'est retiré de la communion avec eux.

Le Cardinal Louis BILLOT explique le cas. Il dit que ceux qui étaient intérieurement entachés d'hérésie cachaient et voilaient délibérément leurs hérésies, de sorte qu'il était impossible d'être suffisamment sûr de leur position réelle. Il explique également qu'il était possible à cette époque qu'un élément de doute subsiste quant à savoir si l'infaillibilité des bulles rejetées était elle-même un objet de foi divine.

BILLOT montre qu'il n'était possible de savoir que ces évêques n'étaient pas catholiques qu'à partir du moment où « ils ont commencé à rejeter ouvertement, avec pertinacité et sans ambiguïté, la bulle Unigenitus après que l'Église l'eut reçue à l'unanimité comme règle de foi. » (De Ecclesia, p. 294) Et c'est seulement à partir de ce moment « qu'ils ne furent plus considérés comme des évêques véritables et légitimes. »

Alors qu'il me semble que la majorité des évêques et du clergé de Vatican II rejettent « ouvertement, avec pertinacité et sans ambiguïté » un certain nombre de dogmes, je suggère qu'il n'y a pas de trace de laxisme ou de souhait en soutenant que la majorité des traditionalistes, y compris le clergé, ne sont pas dans un état d'opposition à l'Eglise plus flagrant que les évêques « appelants » l'étaient dans la période précédant immédiatement leur rejet d'Unigenitus. Je ne crois pas qu'en général, ils rejettent « ouvertement, avec pertinacité et sans ambiguïté » les constitutions infaillibles comme le font les modernistes.

4) Le Père Alfred LOISY

Le Père Alfred LOISY, moderniste notoire pendant de nombreuses années, a été excommunié nommément comme hérétique par l'Inquisition sous Saint Pie X en 1908. Voici le texte du décret :

« Le prêtre ALFRED LOISY, séjournant actuellement dans le diocèse de Langres, a enseigné oralement et publié à maintes reprises des théories qui ruinent même les fondements principaux de la foi chrétienne ; ce fait est déjà universellement connu.

Toutefois, on conservait l'espoir que, séduit peut-être par l'amour de la nouveauté plutôt qu'entraîné par la perversité d'esprit, il se conformerait aux récentes déclarations et prescriptions du Saint-Siège en cette matière; et c'est pourquoi l'on n'avait pas recouru jusqu'ici à des sanctions canoniques plus graves. Mais le contraire s'est produit : au mépris de tout, non seulement il n'a pas renoncé à ses erreurs, mais il n'a pas craint de les confirmer avec opiniâtreté dans de nouveaux écrits et dans des lettres à ses Supérieurs.

Il est donc pleinement établi qu'après les monitions canoniques formelles il s'obstine dans sa résistance; en conséquence, la Suprême Congrégation de la Sainte et Universelle Inquisition Romaine, pour ne pas manquer à sa mission et sur mandat exprès de Notre Très Saint Père le Pape Pie X, prononce la sentence de l'excommunication majeure contre le prêtre ALFRED LOISY, nommément et personnellement ; elle déclare solennellement qu'il est frappé de toutes les peines encourues par les excommuniés publics et que, par suite, il est à éviter et que tous doivent l'éviter. » (Actes de S.S. Pie X, Maison de la Bonne Presse, tome 4, pp. 258-259)

On voit donc que le Saint-Siège ne rougit pas d'avouer s'être longtemps abstenu de frapper l'hérétique d'excommunication, alors même que ses hérésies, qui « ruinent même les fondements principaux de la foi chrétienne », fait « universellement connu ». Et la justification de cette retenue, laissant les catholiques en communion avec celui qui ne croyait plus à la résurrection ou à la naissance virginale de notre Seigneur, était l'espoir qu'il ne serait égaré que par « l'amour de la nouveauté »... ce qui, pourtant, n'est guère une vertu !

Or, le fait que LOISY était vraiment un hérétique même avant ce décret est beaucoup plus certain que la notion que tous les partisans de la FSSPX de nos jours sont des hérétiques, puisque ses doctrines étaient beaucoup plus manifestement opposées à celles de l'Église, même en ce qui concerne les fondements les plus essentiels de la foi chrétienne, et sans avoir l'avantage de pouvoir offrir, en guise d'excuse, la tentative d'expliquer une situation vraiment inédite et compliquée comme celle qui prévaut aujourd'hui dans l'Église.

Or, loin de condamner ceux qui sont restés en communion avec LOISY avant son excommunication, le Saint-Siège les a sciemment autorisés à le faire, pour attendre la dernière minute avant de fulminer son excommunication !

5) Les personnes communiquant avec LOISY après sa condamnation

Le décret excommuniant l'hérétique LOISY fut promulgué le 7 mars 1908 et parut dans le numéro du 19 mars de la revue théologique française L'Ami du Clergé de la même année, accompagné d'un commentaire. Ce commentaire explique les effets des différentes excommunications en vigueur à l'époque (encore une décennie avant la promulgation du Code de droit canonique actuellement en vigueur) :

« dans le cas des excommuniés nommément par le pape [c'était le cas de Loisy], la constitution Apostolicae Sedis contient une excommunication [...] contre les clercs qui communiquent in divinis en connaissance de cause et volontairement avec eux en les admettant aux services religieux. » Note : clerici scienter et sponte communicantes in divinis cum personis a Romano Pontifice nominatim excommunicatis, et ipsos in officiis recipientes.

En d'autres termes, on encourt l'excommunication à la suite de toute communication religieuse avec un hérétique aux conditions suivantes :

(a) L'hérétique doit avoir été excommunié nommément par le Saint-Siège.

(b) Le coupable doit communiquer dans les services religieux avec lui en toute connaissance de cause et de plein gré.

(c) Le coupable doit être un clerc.

(d) Même dans ce cas, l'excommunication encourue par le communiant est une excommunication mineure, de sorte qu'il n'est pas lui-même considéré comme un hérétique ou un vitandus.

N'y a-t-il pas une légère différence entre cela et l'idée (actuellement soutenue par M. Martin GWYNNE et par le Père EGREGYI, entre autres) que l'on devient schismatique ou hérétique excommunié par le simple fait de communiquer in sacris avec un hérétique, même s'il n'a été excommunié par personne et si l'on ne sait pas du tout qu'il est hérétique, et que cela s'applique non seulement au clergé mais aussi aux laïcs ?

De toute façon, l'excommunication en question a été encore adoucie par le Pape Benoît XV lorsqu'il a promulgué notre actuel Code de droit canonique...

6) L’exclusion de l’Eglise tardive et conditionnelle des membres du Parti communiste

a) Le communisme condamné depuis toujours par les Papes comme une « peste mortelle » et « intrinsèquement pervers »

L’Eglise a condamné le communisme à de très nombreuses reprises dès 1846. Nous en dressons une liste aussi complète que possible de ces condamnations dans l’article suivant :

Condamnations pontificales du communisme

Citons seulement ici les deux sentences suivantes :

« Cette peste mortelle [le socialisme et le communisme] qui se glisse à travers les membres les plus intimes de la société humaine et qui la conduit à sa perte » (Léon XIII, Encyclique Quod apostolici Muneris du 28 décembre 1878 - Sur les erreurs modernes)

« Le communisme est intrinsèquement pervers, et l'on ne peut admettre sur aucun terrain la collaboration avec lui de la part de quiconque veut sauver la civilisation chrétienne. Si quelques-uns, induits en erreur, coopéraient à la victoire du communisme dans leur pays, ils tomberaient les premiers, victimes de leur égarement; et plus les régions où le communisme réussit à pénétrer se distinguent par l'antiquité et la grandeur de leur civilisation chrétienne, plus la haine des " sans-Dieu " se montrera dévastatrice. » (Pie XI, Encyclique Divini Redemptoris du 19 mars 1937 - Sur la condamnation du communisme athée, n°58)

Et pourtant, les communistes n’ont été chassés de l'Église qu’en… 1949 ! Et encore, sous quelles certaines ! C’est ce que nous allons voir.

b) Le Saint-Office excommunie sous condition les membres de l’« Action catholique » schismatique tchécoslovaque

Dans la Tchécoslovaquie communiste d’après-guerre, le gouvernement créa un groupe censé appartenir à l'Action catholique, mais qui était en réalité un faux pour séduire les fidèles.

Le Saint-Office publia un décret déclarant que cette organisation était « schismatique » et que toute personne, clerc ou laïc, qui y adhérerait sciemment et volontairement, encourrait (ou avait déjà encouru) l'excommunication du canon 2314 comme schismatique (Décret du Saint-Office du 20 juin 1949 ; texte latin : Acta Apostolicae Sedis, XLI, 1949, p. 333 ; traduction française : https://www.clerus.org/bibliaclerusonline/fr/ckk.htm#dt).

Cela implique clairement que quiconque adhérait à l'organisation schismatique d'une manière qui n'était pas à la fois « consciente et volontaire » n'encourait pas l'excommunication encourue automatiquement sur tous les schismatiques. Il est donc possible d'être membre d'un groupe schismatique sans être soi-même ni schismatique ni excommunié, même par présomption au for externe. Pourtant, on prétend que l'association avec l'un ou l'autre des différents groupes traditionalistes qui, de nos jours, tiennent des positions impliquant une ou plusieurs erreurs, condamne automatiquement les personnes impliquées à l'hérésie ou au schisme, au moins par présomption au for externe. NON - lorsque la personne concernée ne s'écarte pas sciemment et volontairement de la foi ou de la communion catholique, la conclusion ne s'impose pas.

c) Pie XII fulmine en 1949 l’excommunication seulement conditionnelle des communistes

Moins de deux semaines plus tard, le 1er juillet 1949, le Saint-Office a répondu à plusieurs demandes de renseignements concernant le statut des catholiques devenus membres du parti communiste. Il ressort de ces réponses, approuvées la veille, 30 juin, par Pie XII,  que tout catholique s'inscrivant consciemment comme membre du parti communiste est exclu des sacrements en tant que mal-disposé, mais que ces personnes ne sont pas exclues de l'Église en tant qu'hérétiques ou apostats, sauf si elles adhèrent expressément aux doctrines matérialistes et anti-chrétiennes des communistes (Texte latin : Acta Apostolicae Sedis, XLI, 1949, page 334 ; traduction française : https://www.clerus.org/bibliaclerusonline/fr/ckk.htm#dz).

En d'autres termes, un catholique pouvait adhérer au parti communiste sans être considéré comme ayant perdu la foi, à condition de ne pas avoir embrassé des doctrines manifestement anti-chrétiennes, ce qui pourrait se produire si le mécréant imaginait simplement que le parti communiste représentait la meilleure solution aux problèmes sociaux... (Voir Chanoine E.J. MAHONEY, Priests' Problems, p. 262).

Le Saint-Siège juge donc possible de rester catholique tout en étant membre du parti communiste. Et pourtant, certains catholiques de nos jours pensent que l'on cesse d'être catholique par le simple fait de rester en communion avec ceux qui assistent aux messes de la FSSPX ? Ces catholiques doivent reconnaître que le Saint-Siège semble ignorer le devoir supposé de présumer de la pertinacité au for externe, même dans les cas où l'erreur est beaucoup plus manifeste et difficile à excuser que les erreurs de la FSSPX de nos jours.

7) Michel De BAY

Le docteur Michel de BAY (dit Baïus), né en 1513, participa au Concile de Trente et devint un théologien célèbre à l'université de Louvain où il s'opposa aux protestants, et en particulier aux calvinistes.

« Il semble avoir été motivé par un désir sincère de défendre l'Église, mais... comme tant de champions impulsifs et mal équipés de l'Église, il est tombé dans les erreurs mêmes qu'il avait entrepris de détruire. » (Père James BRODRICK, S.J., Blessed Robert Bellarmine, Vol. II, p. 3)

Dès sa jeunesse, il avait un amour de la nouveauté déguisé en retour à des traditions plus anciennes. Il affectait de dédaigner les scolastiques, sans les connaître très bien, et d'adhérer plutôt à saint Augustin.

Un vice prononcé de son caractère était la facilité avec laquelle il qualifiait d'« hérétiques » tous ceux qui n'étaient pas d'accord avec ses idées théologiques, qu'il considérait, bien entendu, comme manifestement les seules orthodoxes. À partir de 1551, il répandit ses erreurs depuis sa chaire de professeur. En 1561, le pape Pie IV lui impose le silence, qu'il ne respecte pas. En 1567, saint Pie V rédige un décret condamnant 79 de ses thèses, mais s'abstient de le promulguer immédiatement. De BAY en reçut une copie et se défendit ; la lecture de sa défense détermina le pape à donner une confirmation publique à la condamnation, dans laquelle plusieurs des idées de de Bay étaient qualifiées d'hérétiques. La Bulle fut promulguée le 1er octobre 1567. De BAY lui-même, par charité, ne fut pas nommé, car on espérait que son opposition aux doctrines de l'Église n'était pas consciente.

De BAY se fit le modèle des futurs jansénistes (qui furent à bien des égards ses descendants spirituels), en faisant semblant de se soumettre, sans changer le moins du monde ses convictions. Il continua à répandre ses erreurs sous prétexte que le décret ne condamnait que les fausses interprétations de sa pensée.

Peu après cette condamnation, saint Robert BELLARMIN arriva à Louvain comme professeur de théologie également. De 1570 à 1576, il s'opposa publiquement aux erreurs de De BAY dans ses cours, mais sans jamais le nommer. En parlant de lui, il le considérait toujours comme un catholique érudit, très digne de respect, et l'appelait à cette époque « prudent, pieux, humble, érudit ». Néanmoins, saint Robert ne cessa d'espérer une nouvelle condamnation de ses erreurs, et celle-ci parut en 1579 (Pape Grégoire XIII).

BELLARMIN retourna à Rome et plus tard le Vénérable Léonard LESSIUS vint le remplacer à Louvain. En guise d'information préalable, Bellarmin lui dit qu'à son avis, la doctrine effectivement enseignée par De BAY et ses disciples au sujet de la prédestination était hérétique.

LESSIUS écrivit de Louvain à BELLARMIN à Rome, l'informant que De BAY continuait à répandre ses erreurs en privé, même après la nouvelle condamnation, et parfois même en public, et que ses nombreux disciples les propageaient avec un grand enthousiasme.

Soutenu par les conseils de BELLARMIN, LESSIUS continua à s'opposer à ces erreurs dans ses conférences, mais toujours sans jamais nommer ni condamner l'homme qui était la source de tant de mal, et le précurseur du jansénisme.

Or, à la lumière de ce récit, on est forcé de se demander si certains des sédévacantistes les plus extrêmes de nos jours ne sont pas beaucoup plus prompts que ne l'était saint Robert BELLARMIN à identifier la pertinacité, et plus animés par le mauvais exemple De BAY lui-même que par le bon exemple de saint Robert et du Vénérable Léonard LESSIUS. Car à la lumière des principes de ceux qui traitent tous les adeptes de la FSSPX d'hérétiques ou de schismatiques, et mettent tous les prêtres traditionnels, sauf un ou deux, dans le même sac, comment est-il possible de nier que De BAY était un hérétique ? Et cela étant dit, comment leur est-il possible de ne pas condamner St Robert BELLARMIN, docteur de l'Église, pour être resté en communion avec (et même avoir fait l'éloge de) celui dont il ne connaissait que trop bien les doctrines hérétiques et la mauvaise foi manifeste ?

Une fois de plus, si l'Église présume que tous ceux qui s'égarent dans la doctrine sont pertinaces, saint Robert BELLARMIN n'en avait manifestement pas conscience. Et si Saint Robert soutient vigoureusement qu'il peut être possible de reconnaître quelqu'un comme un hérétique pertinace même avant l'intervention du Saint-Siège, il n'en reste pas moins qu'il était plus lent à tirer cette conclusion dans la pratique, même après plusieurs condamnations romaines, que certains le sont aujourd'hui lorsqu'ils se fient uniquement à leur propre jugement de ce qui semble évident.

8) Catholiques fréquentant les services protestants, fréquentant les écoles protestantes et ayant des croyances protestantes

En 1907 (10 janvier), un Curé de paroisse demande l'avis éclairé du théologien moraliste de L'Ami du Clergé au sujet de deux ou trois familles parmi ses paroissiens. Bien que baptisés catholiques, ils envoyaient leurs enfants à l'école protestante et se rendaient de temps en temps aux offices protestants de la même secte. Ils ne fréquentaient pas du tout l'Église catholique, à en juger par le récit du prêtre lui-même, et blasphémaient la Sainte Eucharistie au Curé, en s'appuyant sur des arguments typiquement protestants. Néanmoins, ils ont refusé d'être appelés protestants eux-mêmes et ont demandé au curé de baptiser leurs enfants.

Le Curé demanda si les parents avaient encouru l'excommunication, s'ils pouvaient être enterrés comme catholiques et si, s'il parvenait à convertir l'un d'entre eux, il devrait faire une abjuration formelle.

Or, selon la position de ceux qui pensent que la plupart des « traditionalistes » sont aujourd'hui exclus de l'appartenance à l'Église catholique, une seule réponse est possible : les coupables sont des hérétiques manifestes et celui qui ose les considérer comme encore catholiques et rester en communion avec eux doit lui-même encourir l'excommunication et être évité par tous les vrais catholiques.

Cependant, L'Ami du Clergé, un périodique officiellement approuvé et encouragé à peu près à cette époque par saint Pie X. C’était une vaillante revue qui, pendant 80 ans, a fourni au clergé francophone, dont nombre de prêtres de saine doctrine était abonné, de quoi entretenir et approfondir sa science, lever ses doutes, entretenir son amour de l’Église : par des réponses à des consultations sur toutes sortes de sujets (principalement moraux, canoniques et liturgiques), des analyses de livres, la publication d’actes du Saint-Siège, des comptes-rendus propres à intéresser tous ceux qui ont le souci de la doctrine et de sa juste application. Ce n’était pas une revue de théologie, spécialisée dans des études ou des débats, c’était une revue pratique, de bon esprit et de bonne doctrine. On y trouvait des chroniques et des réponses fort bien faites, et toujours instructives.

Eh bien L'Ami du Clergé lui-même, n'était pas du tout de cet avis. Son moraliste affirmait qu'il n'y avait aucune preuve que les coupables avaient l'intention, en assistant aux cérémonies protestantes, d'apostasier de l'Église catholique - en fait, ils l'ont expressément nié en insistant sur le fait qu'ils étaient catholiques et non protestants. De même, il a estimé que leur volonté déclarée d'être catholiques permettait de comprendre que ces pauvres âmes égarées n'avaient aucune volonté de rejeter sciemment et volontairement le dogme de l'Église concernant la Sainte Eucharistie.

Ainsi, en évaluant les questions posées par le curé, L'Ami du Clergé a répondu que les coupables étaient toujours membres de l'Église catholique, qu'ils n'étaient pas excommuniés, qu'ils n'avaient pas besoin de faire une abjuration formelle de leurs erreurs, mais seulement de réparer le scandale donné, et que si, mourant sans signe de repentir, ils étaient inéligibles pour une sépulture catholique (ce qui aurait peut-être besoin d'être confirmé par l'évêque), ce serait en tant que pécheurs publics et non en tant qu'hérétiques (L'Ami du Clergé, 12 décembre 1907).

Maintenant, je ne doute pas que l'on objectera que, dans ce cas, L'Ami du Clergé n'a pas joué le rôle d'un véritable ami du clergé, mais a plutôt fait preuve de laxisme. C'est aussi mon opinion sur la question. Je n'accepte pas un instant que les individus incriminés aient pu ne pas se rendre compte qu'ils niaient la doctrine catholique de l'Eucharistie, et j'imagine que lorsqu'ils ont prétendu être encore catholiques, c'est parce qu'ils avaient complètement perdu de vue ce que signifie être catholique - s'imaginant que leurs antécédents catholiques et leur baptême faisaient d'eux des catholiques indépendamment de leurs croyances, qui étaient manifestement protestantes, alors qu'ils rejetaient sciemment la foi de l'Église.

Je n'ai donc aucune difficulté à être en désaccord avec L'Ami du Clergé. Mais ce qui est tout à fait différent et même manifestement absurde, c'est de prétendre qu'en formant son jugement laxiste sur ce cas, le moraliste de L'Ami du Clergé a lui-même encouru l'excommunication et a cessé d'être catholique avec tous ceux qui ont accepté sa solution et sont donc restés en communion avec des hérétiques publics non condamnés. En effet, une telle théorie impliquerait l'excommunication de la majeure partie du clergé de France qui continuait à rester en communion avec L'Ami du Clergé...

9) Saints Thomas MORE et John FISHER

En 1534, le roi Henri VIII d'Angleterre se sépara du pape, voulant être reconnu comme chef de l'Église dans son royaume - une attitude qui ne pouvait être plus clairement schismatique. Il insiste pour que tout le clergé du royaume ainsi que les laïcs les plus éminents prêtent serment d'accepter cette situation. La majorité le fait, mais les deux hommes les plus respectés d'Angleterre pour leur savoir et leur piété refusent : FISHER, évêque de Rochester et Sir Thomas MORE, qui avait déjà démissionné de sa charge de chancelier en prévision d'un conflit avec le roi.

Or, selon la doctrine de ceux qui pensent qu'eux seuls sont aujourd'hui catholiques, MORE et FISHER, prêts à mourir plutôt que de signer, auraient dû considérer que ceux qui avaient signé avaient abandonné l'Eglise par schisme et n'étaient plus catholiques. S'ils mouraient plutôt que de commettre un acte schismatique, ils n'auraient sûrement pas voulu mourir en communion avec ceux qui avaient déjà commis l'acte même qu'ils refusaient en donnant leur vie. Mais ce n'était pas du tout leur attitude.

Le 13 avril 1534, nous voyons MORE se fortifier pour son refus initial du serment d'Henry, prévu plus tard dans la journée, en recevant les sacrements des mains d'un prêtre qui avait déjà prêté serment ! Plus tard, au cours du procès qui a précédé son martyre, il déclare directement qu'il n'attache aucun blâme à ceux qui ont prêté le serment qu'il refuse. À plusieurs reprises pendant son séjour en prison, nous retrouvons dans ses paroles et dans ses actes la même attitude et il n'y a pas à s'y tromper. Il encourage simplement chacun à respecter sa conscience et exprime le ferme espoir qu'ils se retrouveront tous joyeusement au ciel - une expression devenue presque proverbiale. Au moment où il a refusé le serment pour la première fois, il (un mari et un père) a déclaré qu'il n'avait jamais découragé personne d'autre de prêter serment, et il a continué par la suite à se comporter de la même manière.

L'attitude et le comportement de FISHER étaient identiques et nous savons qu'il s'est également confessé immédiatement avant son martyre à un prêtre qui avait prêté serment - on suppose qu'il en a été de même pour MORE, mais cela n'a pas été confirmé par des témoins contemporains.

Tous deux sont des saints canonisés de l'Eglise et leur comportement à cet égard n'a même pas suscité d'objections de la part de l'avocat du diable.

Comment expliquer cette situation ? Ne pourrait-on pas demander à MORE : pourquoi mourir pour cette cause si ce n'était pas une question de foi ? Et si c'était une question de foi, comment pouviez-vous rester en communion avec ceux qui choisissaient le côté opposé ?

Et comment MORE aurait-il répondu à de telles questions ? Je suggère qu'une seule réponse possible a le moindre sens. Il aurait dit que, alors que les faits étaient suffisamment clairs pour lui qu'il pécherait contre la foi ou l'unité de l'Eglise en agissant autrement, ils n'étaient pas nécessairement aussi clairs pour les autres.

Et supposons que quelqu'un l'ait pressé, demandant si un catholique en Angleterre pouvait vraiment être de bonne foi en rejetant la papauté alors qu'Henri VIII lui-même l'avait défendue contre LUTHER et que l'Angleterre était célébrée dans le monde entier pour sa dévotion au Saint-Siège. La seule réponse possible aurait été, bien sûr, que les Anglais étaient à l'époque très confus - de nombreux érudits semaient la confusion, seule une petite minorité résistait, le souvenir du Grand Schisme d'Occident avec l'éclipse de la papauté était encore frais... Compte tenu de tous ces facteurs, une confusion innocente était possible et même probable et il était impossible de conclure que les séduits étaient coupables de schisme ou d'hérésie sans un jugement formel des autorités de l'Église sur la question.

Et la situation de la Sainte Église de nos jours est-elle vraiment plus claire ?

(Source : Père T. E. BRIDGETT, C.SS.R., Life and Writings of Blessed Thomas More ; R. W. Chambers : Thomas More)

10) Mgr Georges DARBOY

En 1865, Mgr DARBOY, Archevêque de Paris et membre du Sénat français, exprima dans un important discours au Sénat des idées clairement opposées à la primauté divinement instituée du Pontife romain sur toute l'Église, qui, contrairement à l'infaillibilité papale, appartenait déjà au corps de la doctrine catholique. Ce discours était un défi public au Pape et un refus de reconnaître la juridiction ordinaire et universelle du pape dans les diocèses de France.

Le Pape Pie IX, déjà au courant des idées de cet évêque dévoyé, le réprimande sévèrement dans une lettre privée dans laquelle il lui rappelle que ses idées déclarées sont comparables à celles de Febronius (déjà condamné) et opposées à l'enseignement du IVe concile du Latran. Dans la même lettre, le pape se plaint également de la présence de Mgr DARBOY aux funérailles d'un franc-maçon et d'autres scandales.

Mgr DARBOY ne répond pas au pape pendant quelques mois et, lorsqu'il le fait enfin, il adopte un ton hautain pour se justifier et pour réprimander le pape ! Il ne revient en rien sur les erreurs qui ont été rapportées dans toute la France avec jubilation par la presse anticatholique ! Il écrit au Cardinal Giacomo ANTONELLI (secrétaire d'État du Pape), pour le transmettre au pape, que la question doctrinale se résume à des nuances d'expression et que les autres accusations ne sont que des bavardages puérils et des calomnies insidieuses.

Rien n'est fait et en 1867, il rencontre le pape à Rome, mais, contrairement à l'espoir qu'il avait donné, il n'évoque pas du tout le sujet de ce conflit.

En 1868, un nouveau conflit éclate entre Mgr DARBOY et Rome, lorsque la lettre privée du pape datée de 1865 est « divulguée » et largement publiée. Rome laisse la situation perdurer et, entre-temps, le Concile du Vatican est en préparation.

Comme on pouvait s'y attendre, tant avant que pendant le concile, Darboy s'opposa au projet de promulgation du dogme de l'infaillibilité papale. Pendant plus de cinq ans, malgré les réprimandes du pape et du nonce, il ne retira jamais ses erreurs extrêmement publiques contre la foi. Et puis, lorsque le concile proclama les dogmes concernant le pape, en 1870, il n'y adhéra pas. Le 2 mars 1871 (plus de sept mois après le vote), il informa enfin le pape en privé de son adhésion à ces dogmes, et même alors il continua à tarder à accomplir son devoir de promulguer ces décrets dans son diocèse. Seulement, cette promulgation constituait enfin un retrait implicite des fausses doctrines qu'il tenait publiquement, malgré les reproches du pape, depuis 1865.

Or, Mgr DARBOY était-il, à cette époque, un hérétique public ou non ? Si l'on répond « oui », on est en désaccord manifeste avec le Pape Pie IX. Et bien sûr, ceux qui non seulement accusent les autres à la légère d'hérésie, mais soutiennent même que rester en communion avec des hérétiques non condamnés est un acte d'hérésie, de schisme ou au mieux un péché public grave entraînant l'exclusion des sacrements, doivent conclure que tous les catholiques de Paris, laïcs et clercs, sont simultanément tombés en disgrâce en continuant à reconnaître DARBOY comme leur évêque même lorsqu'ils déploraient son comportement.

11) Bérenger de Tours

Vers 1047, Bérenger de Tours répandit le scandale par sa doctrine eucharistique, niant la véritable conversion des éléments en Corps et Sang du Christ, et réduisant le Saint Sacrement à un simple symbole. Bérenger se justifie en citant un ouvrage faussement attribué à Jean Scot Érigène, qui semble exprimer des idées similaires. Néanmoins, le célèbre Lanfranc condamne cette erreur comme hérétique. Il disait à Bérenger :

« Ainsi, vous sites : l’Évangile a été prêché dans le monde entier, le monde y a cru, l’Église s’est établie, elle s’est propagée, elle a porté ses fruits mais par la suite elle s’est trompée et elle a péri à cause de l’incompétence de ses pasteurs qui ont mal interprété la vérité ; c’est seulement chez nous et chez nos adeptes que l’Église est demeurée sainte isi- bas. Mais cette prétention vaine et sacrilège, voici que la vérité de l’Évangile, l’autorité incontestable des prophètes et des saints Pères la réduit à néant. Car dans l’Évangile, le Seigneur adresse à son Église sainte cette promesse : “Voici que je suis avec vous tous les jours jusqu’à la consommation du siècle” [Matthieu XXVIII, 20]. ce que vous croyez et affirmez à propos du corps du Christ est donc faux. » (Du corps et du sang du Seigneur, chapitre XXIII, dans PL, 150, 442)

Bérenger tente alors un stratagème qui fonctionne si bien qu'il en prend l'habitude : sa doctrine est condamnée par un concile de l'Église. Bérenger lui-même évita une condamnation personnelle en se rétractant. Puis il retourna à son vomi en répandant à nouveau sa doctrine hérétique.

Aussi difficile à croire que cela puisse paraître, Bérenger joua ce même tour trois fois de suite au cours des années suivantes, mêlant l'hérésie à l'hypocrisie, et même après cela, le Pape saint Grégoire VII accepta de lui une nouvelle rétractation et le recommanda aux évêques de Tours et d'Angers, interdisant à quiconque de lui infliger la moindre sanction ou de le traiter d'hérétique.

Il va sans dire que Bérenger ne tarda pas à attaquer le texte de la dernière rétractation qu'il avait faite et signée des mains du pape lui-même. Cependant, après le concile de Bordeaux, il fit une dernière rétractation et, cette fois, persévéra, mourant dans la communion de l'Église catholique.

Quelqu'un qui connaît de tels épisodes historiques peut-il sérieusement soutenir que de nos jours il est obligatoire de condamner comme hérétiques ou schismatiques tous les traditionalistes qui se sont égarés, ou prétendre que l'on est excommunié pour avoir hésité à accuser d'hérésie de nos jours des personnes que l'on pense être simplement confuses ?

(Source : Catholic Encyclopedia, article « Berengarius of Tours »)

12) Jean CHARLIER de GERSON

Jean CHARLIER de GERSON (1363-1429), dit Jean de GERSON, ou plus couramment Jean GERSON, était l'un des ecclésiastiques les plus érudits de son époque. Il soutenait que le pape n'a pas l'autorité universelle sur tous les fidèles, qu'il n'est pas l'évêque universel, qu'il peut enseigner l'hérésie tout en restant pape (mais, s'il le fait, il peut à juste titre être mis à mort par les fidèles !), que l'Église et le concile général ont autorité sur le pape, que les quatre premiers conciles généraux n'ont pas été convoqués par le pape, que les laïcs peuvent siéger dans un concile général ou même en assembler un ! Il fit même entendre ces théories au Concile de Constance (1415). Non seulement il tenait tous ces principes, qui donneront plus tard naissance au gallicanisme, mais il les tenait même pour des dogmes… :

« Selon lui, le souverain pontife n'est pas l'évêque universel possédant un pouvoir immédiat sur tous les fidèles ; son pouvoir n'est que subjectif et exécutif (« Opp. Gersonii », II, 259, 279). Loin d'être infaillible, il peut même parfois tomber dans l'hérésie, auquel cas, s'il reste pape, les fidèles ont le pouvoir de le lier, de l'emprisonner et même de le jeter à la mer (Ibid., 221 ; Noël Valois, IV, 84). La doctrine de Gerson concernant le concile général n'est pas plus solide. Il admet la supériorité de l'Église et du concile œcuménique sur le pape, car il ne voit pas d'autre moyen de sortir du schisme et de revenir à l'unité. Avec lui, les expédients temporaires deviennent des principes. C'est ce que l'on pourrait appeler l'opportunisme ecclésiastique. Gerson est exclusivement rationnel et pratique, et l'objet de toute son argumentation est la justification des méthodes les plus extraordinaires pour atteindre le résultat final souhaité par lui et par toute la chrétienté. C'est pourquoi, selon lui, le souverain pontife est soumis au concile qui peut le corriger et même le déposer (« Opp. Gersonii », II, 201).

En ce qui concerne la convocation et la composition de cette assemblée, il déclare, avec d'Ailly, que les quatre premiers conciles œcuméniques n'ont pas été convoqués par l'autorité du pape et que non seulement les cardinaux, mais les princes, et en fait tout chrétien, peuvent convoquer un concile pour l'élection d'un pape unique et universellement reconnu (« De auferibilitate papæ », in Opp. Gersonii, II, 209 sqq.). Il soutient également que les pasteurs puissent être convoqués à une telle assemblée et peuvent avoir une voix délibérative aussi bien que les évêques (« De potestate ecclesiastica », dans ibid., II, 249). Aucun fidèle ne doit être exclu (ibid., II, 205). [...] Il exalte à l'excès la toute-puissance du concile général et poursuit le pape Jean XXIII avec une énergie inlassable (Schwab, op. cit., 507 ; von der Hardt, II, 265). Il vota les quatre fameux articles de Constance (mars 1415) qui sont le code du gallicanisme et ouvrent la voie à toutes les décisions schismatiques de l'assemblée de 1682. En outre, il soutenait avec ardeur que ces principes révolutionnaires étaient des dogmes et voulait qu'ils soient gravés sur la pierre de toutes les églises (Opp. Gersonii, II, 275). Cependant, en 1416, il dut admettre avec tristesse que des voix s'élevaient encore pour nier la supériorité du concile sur les papes. Gerson attribue cette obstination « condamnable » à la nécessité de la flagornerie, qu'il qualifie de « poison mortel dont l'organisme de l'Église est imprégné jusqu'à la moelle » (Ibid., II, 247). C'est en raison de ces principes ouvertement erronés que Gerson, comme d'Ailly, son maître, passe pour un précurseur de la Réforme protestante. C'est aussi pour cette raison que des écrivains protestants, comme A. Jepp et Winklemann, en Allemagne, et de Bonnechose, en France, l'ont comparé à Wyclif et à Jean Hus. Ce qui précède prouve cependant que ces comparaisons sont injustes pour Gerson. » (Catholic Encyclopedia, article « Gerson, Jean Le Charlier de »)

De fait, Pierre d’AILLY, Cardinal de Saint-Marc, ainsi que le théologien Jean CHARLIER de GERSON et docteurs gallicans firent prendre par le Concile de Constance les décisions suivantes les célèbres décrets suivants. Lors de la IVè ils présentèrent et firent adopter par l'assemblée conciliaire le décret Haec sancta dont voici les deux premiers paragraphes :

« Ce saint synode de Constance, formant un concile général, pour l'extirpation du présent schisme et pour l'union et la réformation de l'Église de Dieu dans son Chef et dans ses membres, légitimement assemblé à la gloire de Dieu, au nom du Saint-Esprit, afin de réussir plus facilement, plus sûrement, plus librement et plus utilement à l'union et à la réforme générale de l'Église de Dieu, ordonne, règle, statue, décrète et déclare :

Premièrement que ce synode, légitimement assemblé dans le Saint-Esprit, formant un concile oecuménique et représentant l’Eglise militante, tient sa puissance immédiatement de Dieu, et tout le monde y compris le pape est obligé de lui obéir en ce qui concerne la foi, l’extinction du schisme, et la réforme soit des membres, soit des chefs de l’Eglise. » (MANSI, tome XXVII, colonne 585)

Ce décret est renouvelé mot pour mot dans la cinquième session, le 6 avril 1415 ; on y ajoute le suivant :

« Il déclare également que quiconque, de quelque condition, état, dignité qu'il soit, même papale, refusera opiniâtrement d'obéir aux commandements, statuts, règlements ou préceptes de ce saint synode et de tout autre concile général légitimement assemblé, sur les points susdits ou autres qui y auraient rapport, prescrits ou à prescrire, sera, s'il ne vient à résipiscence, soumis à une juste pénitence et à la peine qu'il mérite, même en recourant aux autres moyens de droit, s'il en est besoin. » (MANSI, tome XXVII, colonne 590)

Ces déclarations serviront plus tard de thème à la Déclaration du clergé gallican.

C’est pour cela que GERSON est traité par Francisco de VITORIA (entre 1483 et 1486-1546) de :

« Docteur certainement le plus hostile à l'autorité des pontifes suprêmes, qui infecta beaucoup d'autres avec son venin.  » (De potestate Papae et Concilii, Prop. V)

Ne perdons pas notre temps à discuter de l'idée que ces idées, bien que non-orthodoxes aujourd'hui, étaient encore orthodoxes et permises à son époque - ce n'est tout simplement pas vrai (voir à ce sujet l’article La Papauté depuis les apôtres, spécialement les enseignements dogmatiques à partir de saint Léon IX, à la fin).

Nous précisons aussi que l'affirmation de la non-convocation des quatre premiers Conciles par les Papes est historiquement intenable et même ridicule pour les troisième et quatrième, improbable et sans doute faux pour le premier, et vrai mais hors contexte pour le deuxième. Voici nos articles sur chacun d’eux :

La Papauté au concile de Nicée (325)

La Papauté au Ier Concile de Constantinople (381)

La Papauté au concile d’Ephèse (431)

Le 28è canon du Concile de Chalcédoine (451) est-il un argument valable contre la Papauté ?

Mais loin d'être condamné, que ce soit pendant sa vie ou après sa mort, GERSON fut au contraire pendant l’une et après l’autre très apprécié et reconnu par les bons catholiques !

« Pendant qu'il était à Lyon, il écrivit divers ouvrages, certains d'édification, d'autres de théologie mystique ou pastorale, l'un d'eux en particulier étant son traité bien connu : « De parvulis ad Christum trahendis ». Alliant l'exemple au précepte, il aime s'entourer de petits enfants dans l'église Saint-Paul et se plaît à leur enseigner les éléments de la doctrine chrétienne. Ces dix années furent les plus douces de sa vie militante, et les regrets de tous les hommes de bien l'ont suivi jusqu'à la tombe. Des miracles lui ont été attribués et au moins cinq martyrologes lui donnent le titre de bienheureux. Plus de cinquante conciles particuliers et de nombreux écrivains ecclésiastiques recommandent aux pasteurs « ce grand docteur pieux et savant, cet ardent amoureux des âmes, ce directeur incomparable, ce modèle des ministres de l'Évangile ». Des statues ont été élevées à sa mémoire à Paris et à Lyon ; dans l'église de la Sorbonne, son tableau est le compagnon de celui de Bossuet. » (Catholic Encyclopedia, article « Gerson, Jean Charlier de »)

De plus, les œuvres de spiritualité de GERSON sont des références autorisées chez les auteurs catholiques les plus compétents. A ce sujet la Catholic encyclopedia écrit :

« La théologie mystique de Gerson a son caractère propre et original ; c'est celle d'un maître éminent et presque impeccable. » (Catholic Encyclopedia, article « Gerson, Jean Le Charlier de »)

A titre d’exemples le Pape Benoît XV le cite parmis les théologiens à saluer en raison de la défense qu’ils ont prise de sainte Jeanne d’Arc (Bulle Divina disponente, 16 mai 1920 - Proclamant sainte la bienheureuse Jeanne d'Arc), saint François de Sales, Docteur de l’Église et grand défenseur de la Papauté, s’y réfère dans la préface du premier tome de son Traité de l'amour de Dieu, ainsi que saint Alphonse de Liguori, lui aussi Docteur de l’Église et grand défenseur de la Papauté, dans le premier chapitre des Gloires de Marie.  Labbé Martin BERLIOUX, dans son célèbre livre Mois des âmes du Purgatoire : ou, Méditations pratiques pour chaque jour du mois de novembre (livre d’instruction sur le Purgatoire, expliquant comment il est dans notre intérêt de prier pour elles et proposant des prières pour chaque jour du mois de novembre), put écrire :

« Gerson, chancelier de l’Université de Paris, aussi distingué par ses vertus que par son éloquence, rapporte dans un de ses ouvrages [...]. » (Septième jour)

« Le docte et pieux Gerson assure [...]. » (Dix-huitième jour)

Dans la même veine, nous pouvons aussi noter que des critiques comme saint Robert BELLARMIN, Dom Jean MABILLON ou Jean-Baptiste-Modeste GENCE lui ont attribué L’Imitation de Jésus-Christ. Cette attribution, pour être fausse, n’en est pas moins significative, car on attribue pas cette œuvre à une hérétique ou à une racaille théologique !

Quelle en est l'explication ? Tout simplement qu'il a vécu à l'époque du Grand Schisme d'Occident, où plusieurs prétendants à la papauté régnaient en même temps. S'il s'est permis d'entretenir des idées scandaleuses, et même de les considérer comme des dogmes, c'est qu'il ne voyait pas d'autre moyen de mettre fin au schisme que d'accepter ces idées. Cette explication n'est pas personnelle à l'auteur de ces lignes, elle est universellement admise : en d'autres termes, l'Église tient compte de la confusion qui peut régner en période de schisme et d'hérésie en l'absence des autorités ordinaires dont la tâche est de régler les désaccords et de décider quelles idées dépassent les limites de l'orthodoxie.

Ne devrions-nous pas agir avec au moins autant de tolérance à notre époque où la crise est plus grave et l'autorité encore plus universellement absente ? Les idées que certains prêtres ou laïcs traditionnels s'autorisent pour expliquer la crise actuelle ou pour rendre compte de la manière dont elle pourrait se terminer sont-elles vraiment plus aberrantes que celles du « bienheureux » GERSON en son temps ?... à tel point que celui qui pourrait le penser, et donc continuer à les reconnaître comme catholiques, est lui-même à considérer comme hors du bercail ? Vraiment ? Devant Dieu, quelqu'un qui connaît ces épisodes historiques peut-il honnêtement prétendre une telle chose ?

13) Martin LUTHER

En 1517, Martin LUTHER commence à attaquer très publiquement la doctrine de l'Église concernant les indulgences. TETZEL, l'inquisiteur officiel, réfute ses arguments et condamne ses doctrines comme hérétiques. LUTHER reste obstiné, mais en 1518, il écrit au pape pour défendre ses hérésies, se disant prêt à accepter le jugement du pape en la matière. Le Pape Léon X, voyant la gravité des erreurs, le convoque à Rome pour se défendre. Sous divers prétextes, LUTHER refuse de se présenter à Rome, voulant être jugé en Allemagne. Le pape envoie le célèbre Cardinal Cajetan, théologien, auprès de LUTHER, non pas pour débattre avec lui mais pour obtenir sa rétractation. Cajetan ne cache pas que les doctrines de Luther sont hérétiques, mais LUTHER reste obstiné et fait appel au pape en personne. Cajetan écrivit alors à l'électeur Frédéric que LUTHER était un hérétique. En 1521, le Pape condamna plusieurs des erreurs de LUTHER, mais lui accorda expressément deux mois pour s'amender avant d'être excommunié. Ce n'est qu'après que cette période se soit écoulée sans résultat que le moine rebelle fut finalement condamné par une sentence officielle comme hérétique.

Cette cause célèbre montre immédiatement que le pape faisait une distinction claire entre la condamnation des doctrines de LUTHER comme hérétiques, d'une part, et la condamnation de LUTHER lui-même comme hérétique, d'autre part. À la lumière de ce qui précède, il est clairement impossible de soutenir, comme certains le font, que quiconque défend une hérésie doit immédiatement être considéré automatiquement comme un hérétique par présomption de pertinacité.

En outre, quel était le statut de LUTHER entre sa rencontre avec Cajetan et sa condamnation finale ? Était-il hérétique ou non ? S'il l'était, comment le pape pouvait-il retarder la déclaration de ce fait et lui accorder un délai de grâce ? Mais s'il ne l'était pas, comment expliquer le jugement explicite de Cajetan en tant que légat du pape, formé en parfaite connaissance de cause, qu'il était hérétique ?

Pour ma part, je ne vois qu'une seule explication : LUTHER était hérétique, mais en attendant la déclaration formelle de ce fait de la part des autorités ecclésiastiques, il restait possible pour un catholique de ne pas s'en rendre compte et de rester en communion avec LUTHER sans encourir ni péché ni censure.

Mais, dans ce cas, comment peut-on prétendre que les catholiques d'aujourd'hui encourent l'excommunication par le simple fait de rester en communion avec des personnes dont les erreurs n'ont jamais été directement jugées par un légat du pape et qui sont même très loin d'avoir été formellement jugées hérétiques par le pape lui-même ?

(Source : Saint Alphonse de Liguori, Histoire des hérésies et de leur réfutation)

14) Les controverses sur la grâce et le libre arbitre

C'est vers 1600 qu'ont eu lieu les célèbres controverses sur la grâce. Chaque partie croyait que certaines des opinions de la partie adverse étaient impossibles à concilier avec les dogmes de la foi. Des accusations d'hérésie ont été lancées à tout va. Cependant, après une étude longue et minutieuse, le Saint-Siège ne condamna personne, se contentant d'interdire à chaque partie d'attacher la moindre censure théologique aux vues adverses. Malgré cela, les saints n'hésitaient pas, par la suite, en exposant leur point de vue sur la question, à dire qu'ils ne voyaient pas comment telle ou telle opinion opposée pouvait se concilier avec tel ou tel dogme. (Voir, par exemple : Saint Alphonse de Liguori, Histoire des hérésies et de leur réfutation).

Or, comment peut-on admettre de penser qu'une opinion donnée ne peut être conciliée avec un dogme et pourtant interdire d'appliquer le mot « hérésie » à cette opinion ? Je pense que la raison en est que le mot hérésie ne s'applique qu'à la négation directe et manifeste d'un dogme. (« Une proposition est qualifiée d'hérétique soit lorsqu'elle s'oppose directement, certainement et évidemment à une vérité révélée définie par l'Église, soit lorsqu'elle contredit une vérité contenue dans la Sainte Écriture, soit lorsqu'elle a été explicitement condamnée comme hérétique par l'Église. », R.P. Jean HERMANN c.ss.r., Institutiones Theologicae, vol. I, n. 33) Dans tous les autres cas, on peut s'opposer à l'opinion à laquelle on s'oppose, on peut la dénoncer comme digne de condamnation, on peut avancer un raisonnement logique pour expliquer pourquoi il semble impossible de la concilier avec un dogme... mais on ne peut pas prononcer le mot hérésie avant que le Saint-Siège ait jugé le cas.

15) Saint Jean de BRITTO

Un dogme défini de notre foi enseigne que même le fait de donner sa vie pour le Christ n'est d'aucune utilité pour le salut si l'on meurt en dehors de la communion de l'Église :

« Ils ne peuvent pas demeurer avec Dieu, ceux qui n’ont pas voulu vivre de façon unanime dans l’Église de Dieu ; et même s’ils brûlent dans les flammes, s’ils exposent leur vie au bûcher et aux bêtes, ils n’obtiendront pas la couronne de la foi, mais le châtiment de leur mauvaise foi, ni la gloire finale, mais la mort du désespoir. Un tel homme peut être mis à mort, il ne peut recevoir la couronne [du martyr]. » (Saint Pélage II, Lettre Dilictionis vestrae aux évêques schismatiques d'Istrie, année 585 ou 586 ; DS 469)

Cette vérité est aussi dans la Bulle du Concile de Florence dans une autre partie que celle que nous avons mise en évidence, celle-ci :

« Elle [la très sainte Eglise romaine] croit fermement, professe et prêche qu’« aucun de ceux qui se trouvent en dehors de l’Église catholique, non seulement païens mais encore juifs ou hérétiques et schismatiques ne peuvent devenir participants à la vie éternelle, mais iront « dans le feu éternel qui est préparé par le diable et ses anges » [Mt 25, 41] à moins qu’avant la fin de leur vie ils ne lui aient été agrégés ; elle professe aussi que l’unité du corps de l’Église a un tel pouvoir que les sacrements de l’Église n’ont d’utilité en vue du salut que pour ceux qui demeurent en elle, pour eux seuls jeûnes, aumônes et tous les autres devoirs de la piété et exercices de la milice chrétienne enfantent les récompenses éternelles, et que « personne ne peut être sauvé, si grandes que soient ses aumônes, même s’il verse son sang pour le nom du Christ, s’il n’est pas demeuré dans le sein et dans l’unité de l’Église catholique. » » (Concile de Florence, Bulle Cantate Domino du 4 février 1442 [1441 selon le comput de Florence] – Sur l’union avec les coptes et les Éthiopiens. Décret pour les jacobites)

Ce qu’en dit le futur Pape Benoît XIV : https://fsspx.news/fr/news-events/news/le-pape-francois-celebre-des-martyrs-coptes-orthodoxes-64253 

Études plus poussées :

Article « Martyrs ? » de l’abbé Jean-Michel GLEIZE, à partir de la page 10 du Courrier de Rome n°590, de juillet-août 2016 : https://www.courrierderome.org/sites/default/files/2016_CdR_Complet_INDEX.pdf 

Article « Martyre et vérité de foi » de l’abbé Daniele Di SORCO, à partir de la page 3 du Courrier de Rome n°640, d’avril 2021 : https://www.courrierderome.org/sites/default/files/CdR_04_2021.pdf

Et s'il est vrai que Louis XVI, dont le cas est décrit plus haut, devait plus tard exprimer le regret d'avoir donné un consentement au moins extérieur à la constitution révolutionnaire, saint Jean de Britto (auquel le roi était comparé) n'exprima aucun regret pour son adhésion aux rites chinois après leur condamnation explicite et véhémente sous peine d'excommunication par le Saint-Siège. Et pendant cette période de rébellion apparente contre la décision de l'autorité légitime, il avait manifesté l'habitude inquiétante de faire de fréquents miracles. L'explication est que (a) les rites approuvés par le Bienheureux Jean n'étaient pas intrinsèquement mauvais, comme l'étaient certains des rites chinois condamnés, et (b) sa désobéissance aux décrets du Saint-Siège en la matière était atténuée par l'existence d'un courant d'arguments spécieux présentant les décrets comme moins universels dans leur portée que ce qu'ils étaient en fait clairement destinés à être. Ainsi, bien que la désobéissance aux décrets était objectivement injustifiable et que les arguments contre l'authenticité des décrets étaient sans valeur (voir : Benoît XIV, Constitution Ex Quo Singulari, 11 juillet 1742), il était néanmoins parfaitement possible pour un prêtre saint et orthodoxe d'être pendant un certain temps (dix-sept ans pour être précis) trompé par ces sophismes et pourtant de vivre saintement et de mourir pour la foi, expiant par son sang toute faute qu'il aurait pu commettre dans son manque d'obéissance simple et enfantine.

16) Un cas hypothétique ?

Imaginons un évêque qui se trouve en désaccord avec le pape sur une question doctrinale d'une grande importance pratique. Le pape lui indique formellement, à plusieurs reprises, la saine doctrine à suivre en la matière, mais l'évêque s'obstine dans son opinion contraire. Fouillant dans ses archives, il prétend avoir établi l'existence d'une « tradition » dans sa région sur le sujet, contraire à la doctrine du pape. Celui-ci répond au Pape de manière hautaine, refusant d'accepter sa doctrine et affirmant, sur la base de sa « tradition » (qui en réalité n'a pas plus de cinquante ans !), que les habitants de son pays ont le droit de conserver leur propre doctrine en la matière. Il perd son sang-froid et se met en colère, adressant au pape des paroles qu'aucun chrétien ne devrait adresser à un supérieur. Le pape envisage de l'excommunier avec ses adhérents. Il leur rappelle la prééminence du Siège de Rome, mais l'un des adhérents du premier évêque accuse le pape de se vanter ! Un autre évêque de saine doctrine sur cette question encourage le pape à ne pas avoir recours à l'excommunication, avec la possibilité de perdre beaucoup d'âmes en conséquence, mais à être plus compréhensif, malgré les dangers encourus en laissant cette erreur sans condamnation formelle et infaillible.

Aurais-je tort de penser que certains lecteurs, de tendance inquisitoriale, trouveraient les conseils de ce dernier évêque très libéraux ? Ne diraient-ils pas que l'évêque errant était déjà un hérétique, puisque son erreur était objectivement opposée à la foi et que sa pertinacité était clairement démontrée par son obstination face aux réfutations publiques de ses erreurs et aux réprimandes du Pape, même si ces réprimandes n'étaient pas réellement infaillibles ? Et de toute façon, il faudrait sûrement présumer de la pertinacité au for externe... ?

Eh bien, dans le cas relaté, l'évêque fautif était saint Cyprien, avec sa doctrine de l'invalidité du baptême conféré par les hérétiques et son attitude, pour un temps, indigne envers le pape saint Étienne, dont l'anathème fut retenu par les conseils prudents et charitables de saint Denys d'Alexandrie. Et n'oublions pas que nous n'avons aucune preuve que saint Cyprien soit parvenu à accepter la vraie doctrine avant son martyre...

(Source : Révérend Alban BUTLER, La vie des saints et des martyrs)

J'invite tous les lecteurs à considérer honnêtement et sous le regard de Dieu si ces événements soutiennent la position de ceux qui refusent de considérer les traditionalistes malavisés comme des catholiques, ou la position plus douce de ceux d'entre nous qui les considèrent comme confus mais toujours membres de l'Église catholique.

Conclusion

Cette brève étude a été écrite pour réfuter ceux qui sont trop prompts à juger les autres comme hérétiques, et en particulier ceux qui jugent comme hérétiques ou schismatiques d'autres sédévacantistes qui maintiennent une certaine mesure de communion avec des traditionalistes non sédévacantistes.

Il ne s'agit pas de soutenir l'erreur de ceux qui pensent que les particuliers ne peuvent jamais conclure que quelqu'un est un hérétique avant l'intervention directe de l'Église qui le condamne. D'autres événements historiques pourraient être invoqués pour montrer que ce n'est pas le cas. Rien dans cette étude ne s'oppose à la reconnaissance de cas flagrants d'hérésie comme celui de Jorge-Maria BERGOGLIO, alias François, qui sont nombreux de nos jours.

La morale n'est pas de refuser de reconnaître l'évidence, mais d'être lent et réticent à condamner comme hérétiques ou schismatiques des personnes qui, bien que confuses, n'ont peut-être pas définitivement rejeté le devoir de soumission à l'Église.