Published using Google Docs
Inventer la ville

Inventer la ville

Il y a une légende qui court à propos de cette ville. Située au coeur de montagnes et bordée par l’océan, la chaleur qui y règne fait trembler la ligne d’horizon. Le soleil dans lequel baigne la ville m’emplit de joie. Il n’y a pas trente-six mille lieux qui me sont chers et où je me sens bien.  Le vert des innombrables arbres fait écho au bleu des cours d’eau qui sillonnent la ville. Si j’avance d’un mètre, je me retrouve les pieds dans l’eau. J’y entre pour mieux laisser passer le temps. Je me contente alors de rester immobile. J’attends. Rien ni personne ne vient mais le calme règne. Je finis par relever la tête pour scruter les environs. Petites rues, nombreux commerces, marchés animés rythment la ville faite de maisons en vieilles pierres grises. Vu du ciel, c’est une grande construction naturelle, colorée et multiforme qui apparaît. Du petit matin à la tombée du jour, le silence de mort n’est troublé que par l’énergie pure et vivifiante de ses habitants, qui résonne sur les montagnes environnantes. Si des gens venus des quatre coins du monde s’y sont installés, un bon accent de ma région m’accueille.  Un visage s’impose à moi. Elle est là. A l’heure où le soleil caresse les dernières façades, le vent vient remplir nos poumons d’air salé. La nuit, la ville s’endort tard.

C’est donc une transformation d’image involontaire qui s’oppose à mon esprit. Que cette étrange sensation de se rappeler d’un jour banal en voyant cette photo ne concerne que ma petite personne et que tout autre personne sera plus impressionnée par la masse humaine qui tel un troupeau traverse à l'unisson la route. Les images encore présentes de ma pensée sont donc plutôt récentes, et peuvent éblouir certains par leur banalité. Le miroir reste la meilleure solution, la plus proche du réel, mais là encore, le reflet de soi peut apporter une représentation erronée, puisqu’on se regarde directement, et il est donc extrêmement difficile de se jeter un regard objectif ou même descriptif. L’image est très importante. J’ai toujours plutôt aimé être pris en photo avec tout de même quelques petits bémols selon mon humeur et ma disposition. Appuyé sur mon canapé, je soulève le rideau. J’ai l’habitude de regarder à travers cette fenêtre. Petit, j’adorais aider ma grand-mère à fermer les fenêtres et les lourds volets de la maison le soir et surtout cette fenêtre du salon dont je chérissais le léger grincement des gonds qu’une petite ance de graissage aurait fait immédiatement disparaître. Le verre des carreaux est fin, plutôt frêle. On ne peut quasiment rien voir. Ça me rappelle l'hôtel à Delhi, ou la fenêtre avait perdu sa fonction. Ainsi, pour observer ce qui m’entoure, je n’ai aucun autre choix que de marcher dans Paris. C’est alors plus simple de s’observer que soit même.

Depuis la grande pièce du fond, la vue est tout simplement renversante. La rue assez morne s’éveille d’une dynamique nouvelle : jusqu’alors immobile, elle grouille tout à coup de monde, tel un poumon qui se remplit d’air. Elles étaient séparées de vingt centimètres l’une de l’autre : la femme avec une enfant qu’elle tient par la main, l’autre juste à côté du grillage, les mains en l’air, s’agitent brusquement. Une nouvelle journée sous la grisaille parisienne. Entre les quatre murs de ma chambre de bonne, je me languis des mois précédents où soleil et chaleur étaient la norme. Pour me changer les idées, je me retrouve dehors et choisis la direction que je connais le moins. Est-ce Monica Belucci sur la pub Éric Bompard qui apparaît une fois sur deux, entre Agathe Paris et l’affiche du film de Driver ? Tous les cafés sont ouverts depuis le matin mais les bruits des assiettes, des verres et de conversations s’évaporent au fur et à mesure :  la rue, sanctuaire de ministères, est quadrillée de policiers et gendarmes qui semblent s’ennuyer ferme. Trois militaires marchent. Ils m’observent lorsque je tourne sur moi-même pour prendre des notes du quartier. Après 20 bonnes minutes passées dans les transports en commun, de vieilles dames sont regroupées, le dos au reste de la rue, leur cabas sous le bras, et discutent les derniers potins. Une porte s’ouvre soudainement, une femme souriante, emmitouflée dans d’antiques lainages, jette le contenu d’un seau dans la ruelle. La mousse grise coule entre les pavés, emportant sur son passage pelures de pommes de terre et entrailles de poisson.

Un car entier de touristes japonais s’arrête, et les nippons, armés de leur nikkon mitraillent tout ce qui bouge. Beaucoup plus détendus, des gens se promènent, d’autres font les magasins. Un seul trottoir les sépare et pourtant quelle grande différence ! Question : pourquoi tous les touristes prennent-ils des photos d’eux devant les vieux monuments ? Incompréhension : un homme prend un corbeau en photo. Pourquoi ?!

Soudain, il émerge des portes à battant, sans nul signe avant-coureur, et s’engage à toute allure dans la ruelle. Amusé et intrigué par sa démarche, je décide de le suivre et, bien sûr je vois sans être vu. L’homme a la peau sombre, de couleur chocolat au lait, les cheveux très courts. Réajustant machinalement son panama avec sa main gauche, il s’engage dans un difficile slalom entre les passants, sa démarche presque trottinante. Habillé d’un vieux jean usé, de baskets démodées et d’une veste jaune criard, il est comme parachuté dans un univers qu’il lui est étranger. Il sort dans le jardin intérieur, descend les marches pour aller à la cafétéria et entre finalement dans le nouveau sous-sol. Au moment où j’arrive à sa hauteur, il me fausse brusquement compagnie pour s’engouffrer dans une bouche de métro, disparaissant derrière les portiques et dans le crissement métallique du freinage des trains. Je peux imaginer qu’il rejoindra la rue du Bac, ou qu’il poursuivra son périple jusqu’au quai Voltaire, ou jusqu’au musée d’Orsay. Mais mon imagination ne peut pas compenser ma curiosité inassouvie. Je suis condamné à l’ignorance sur sa destination Lorsqu’arrive l’heure de repartir, c’est serein et reposé que je retrouve les transports en commun.

Ce sont généralement des paysages. Chaque fois, c’est la même chose, la première impression. Une rue vide, bordée par des murs qui s’effritent et par dessus lesquels dépassent des branches touffues. Et bien sûr je voyais sans être vu. Ce fameux bruissement de verre si caractéristique, des reflets animés de la télévision projetés sur les murs, ainsi que le ciel d’un gris menaçant. L’atmosphère, au dehors comme au-dedans. Au loin le bruit de travaux dans le chemin est constant. La ville, la fenêtre de nos rires. Mais je suis sûr que j’y aurais trouvé à redire, tout à changer. La nuit le paysage est particulier. Un moment hors du temps. En un changement de direction, ou un zoom elle disparaît. Le bruit des klaxons et des marteaux piqueurs. Ce n’est pas le paysage qui change, c’est ma vision de lui qui est modifiée à chaque mètre. Le soleil. La contractuelle. Une vieille dame qui sort de la pharmacie. Le touriste japonais.  Feu piéton rouge. Foule hétéroclite. La rangée de vélibs. Le crépuscule, les arbres nus, les collants rouges. Les échafaudages des interminables travaux. L’arrêt de bus bondé. La file d’attente. Les restaurants. Le motard pressé. Les voitures immobiles. Les affiches 4 sur 4. Les couleurs chatoyantes des vitrines. Le reflet lumineux des sacs en plastique des consommateurs sans tête. Tout a laissé des traces. Mais quelque chose me manque : du détail. je n’ai aucune perspective, il reste toujours figé dans mon esprit. Alors je remplace ces détails. Capter l’intérêt de chaque détail gagne justement en valeur. Toujours avec son plan. Oui ça me représente. Nous ne sommes pas autre chose que l’image que nous donnons de nous-mêmes. En pleine lumière, c’est son seul visage qui organise l’espace. Il y a un homme qui cherche son chemin.

Un véritable ballet incessant s’organise sous mes yeux, un flot perpétuel d’entrants et de sortants : certains semblent pressés, d’autres le sont un peu moins, certains semblent enjoués, d’autres beaucoup moins. La ville. Plus on marche et plus on a cette impression de s’enfoncer dans une sorte de tunnel profond, infini. Au milieu des voitures qui paraissent dater d’une autre époque, les bus flambants neufs et aérodynamiques jurent comme un chef d’orchestre et sa queue de pie au milieu d’un élevage de bêtes indisciplinées. La ville, on y habite, mais on ne la connaît pas si bien : on n’y flâne pas, en fait. On connaît les chemins qui mènent chez les autres, ceux qu’on parcourt souvent. On vit chez soi, chez eux, à l’intérieur. Si les rues y paraissent plus grises qu’ailleurs, c’est que le ciel prend souvent la couleur de la pluie. Mais si l’on veut marcher, on fuit la ville ; on part le dimanche respirer la mer, on remplit ses poumons d’air salé, là où gris semble plus pur.

Des dizaines de personnes sont happées par la bouche de métro monumentale à Opéra, des bus partout.

Le bruit de la ville s’exprime ici dans toute sa splendeur. Flot continuel de voitures et scooters qui dévalent la rue des Saint-Pères vers Saint-Germain. Tintamarre d’un marteau piqueur attaquant le bitume de la rue Jacob un peu plus loin. Concerts de klaxon réguliers.

Trois hommes, costumes gris, cravates bleues, chaussures noir impeccablement cirées, entrent dans un autre restaurant. Ils jettent leurs mégots de cigarettes par terre sans un regard pour le cendrier posé sur la table ou ils se trouvent. Je ressens une nouvelle fois ce désagréable courant d’air chaud alors qu’un 63 passe.

Au croisement avec le boulevard Saint-Germain, on retombe dans une tout autre ambiance, une triple ambiance même : professionnelle tout d’abord, avec beaucoup d’hommes et de femmes d’affaires, en costume, le pas pressé. Ensuite, une ambiance étudiante évidemment, de par la proximité aussi bien de SciencesPo, que celle d’autres facultés dans le quartier. Enfin touristique, avec beaucoup de riches étrangers venus dépenser leurs sous dans les ruineuses boutiques du boulevard.

 Le parc Monceau étant le repère des sportifs matinaux, il est probablement moins de 9h.

Des masses de gens attendent patiemment l’heure du départ, les yeux rivés vers le gigantesque panneau d’affichage orange et noir, le cou blotti dans leurs écharpes pour échapper aux courants d’air. Beaucoup sont seuls, certains entre amis, quelques familles aussi ; ils patientent au milieu des pigeons, des boulangeries et des libraires. Tout à coup, une lettre s’affiche sur le panneau, et la foule s’active brusquement, dans un mouvement commun vers le train qui l’attend.

Elle, c’est l’Olympia. Et moi, j’attends pour y entrer, mon billet convulsant dans ma main gelée. J’ai délibérément délaissé gants et tout vêtement habituellement requis pour sortir dans la toundra hivernale parisienne.

Elles regardaient à droite à gauche, et leurs regards se portaient systématiquement sur les vitrines des magasins de décorations d’intérieur, de vêtements à la mode ou de nourriture traditionnelle.

Cette fenêtre, c’est ma fenêtre. La vue sur la Seine que m’offre la baie vitrée de mon appartement actuel s’apparente à une vaine tentative de rivaliser avec la fenêtre qui m’a accompagnée durant toutes ces années.

L’homme qui fume repasse. Derrière lui, trois hommes parlent une langue inconnue. Ils sont suivis d’une jeune fille au pantalon très, très rouge, puis de deux chics touristes et d’une femme enceinte.

Au kiosque, un jeune homme a un grand carton à dessin sous le bras. Il a l’air d’un étudiant en art, habillé comme il est. Un autre garçon flanqué d’un carton vert le rejoint. Un ami.

Depuis le banc sur lequel je suis assise, l'Église Saint-Sulpice est presque oppressante, tant elle paraît ancrée lourdement dans le sol, comme si les somptueuses colonnes grecques peinaient à retenir sur leurs épaules le poids des siècles.

Une Peugeot Partner bleue du corps diplomatique passe de l’autre coté du boulevard, de nombreux taxis gris métallisés, des Mercedes, parfois des Skoda pour la plupart défilent sur l’asphalte.

Je suis en terrasse et à la table à côté de moi, un couple parlant anglais boit un grand café chacun ainsi qu’un bagel poulet césar. Il n’est pas rare de croiser des touristes, en l’occurrence ici des américains à en croire leur accent. Sont-ils en mal de leur pays ? Ont-il peur de s’engouffrer dans les cafés de la rue de Huchette, rythmés à coups de casserole. Peut-être n’est il finalement pas moins stupide de rester ici que d’aller déjeuner dans le restaurant proposant cuisine typique française, sauces artificielles et légumes surgelés. Bref, ne nous égarons pas.

“Ne s'arrêterait jamais!”

Laisser ouverts la nuit pour être réveillée en douceur par les rayons de soleil matinaux. Ciel lumineux, sol de pierres blanches et containers de couleurs éclatantes. Une terrasse en hauteur entre deux immeubles, envahie par les fleurs en pot et les plantes vertes, qui contrastent avec le gris des immeubles. Un petit kiosque à journaux autour duquel se presse la foule. Répartition des rôles sur le Boulevard... le contrat de confiance ! Luxe et raffinement... sauveurs de vies ?  C’est la guerre !  Rendez-vous : Art de rue... Rapprochement intime. Taxi ? plus vite en vélo ! Invasion de la Dance on the road. Anomalies, Mystères souterrains, fantômes chez Monde parallèle. Dommage ! Photos non photographiées. Chaud-froid, SYMÉTRIE ! Circulation Mutante, Itinéraire apprécié. Un moment de gastronomie bien original, Bon appétit ! Passion de poésie : ce qui attire l’attention, il a un visage très particulier, qu’il suffit de voir une fois pour s’en rappeler toute sa vie.

Toujours l’impression pendant les vacances les bus qui passent et s’arrêtent toutes les 5 minutes.... naturellement on ne peut  pas avoir un regard objectif de l’image que l’on renvoie dans la vie, et de se borner à une représentation simplifiée ou enjolivée par la photo. ll s’agissait d’une photo en mouvement… le même mouvement mais avec des différents acteurs.

Nous ne sommes pas autre chose que l’image que nous donnons de nous-mêmes : un pourcentage hallucinant de merveilleux sympas et spontanés génétiques artistique ! Joindre à notre déambulation !

Le crépuscule, Février...  L’occasion,  l’opportunité, très prudent de rester !

 

La promenade dans une ville inconnue est souvent un passage obligatoire pour le visiteur étranger, à l'affût d’une vieille église, d’un musée, ou encore d’une statue à photographier.

Le vieux cœur de la ville, ravagé par la Seconde guerre mondiale, n’est aujourd’hui plus qu’un îlot historique au milieu d’une agglomération qui ne cesse de croître et de s’étendre.

Les amants d’été, les groupes de jeunes qui marchent en chantant, des visiteurs extasiés sur chaque monument, nous avons lieu pour chaque photo.

Les restaurateurs parlent fort et ameutent les gens qui passent pour les inciter à entrer et tout cela dans un bruit d’assiettes jetées violemment sur le sol. Le soleil réchauffe les douces chevelures, le léger vent frais donne une note poétique à cette balade. Le voulez-vous bien servi, votre verre, dans un bar lounge à la mode qui passe de la musique d’ambiance pour ascenseurs ? Ou bien à l’ancienne, dans un bar qui remue au son d’un rock pas encore enterré, et où les tables bariolées de feutre et de tâches diverses ont chacune leur histoire ? A dîner chez un japonais qui vous fera aimer le poisson, ou bien dans un Subway / MacDo / autre / rayez-la-mention-inutile sans vous prendre la tête ? Choisissez, on trouve de tout, pour tous les goûts, en cherchant un peu dans ce dédale de ruelles aux enseignes tapageuses.

J’aime voir les autres jouir d’un lieu dont je me sens, du moins plus qu’eux, propriétaire ; et la possibilité que j’ai de pouvoir les guider, les informer, leur faire découvrir cet endroit, surenchérit mon excitation. Mais j’aime tout autant si ça n’est plus, revenir le lendemain sur cette même place, dans cette même rue, tôt le matin, et profiter du même lieu dans une ambiance tellement différente. En effet, à cette heure ci, seulement les habitants, les vrais, les vieux, remplissent les café. A côté, il y a toujours un vieux monsieur, avec son café, son journal et ses cigarettes. Mais attention, lui fume des vraies cigarettes, pas des trucs américains dégueulasses.

L’inspiration pour les écrivains se trouve ici. Un pigeon bataille avec un morceau non identifié qu’il croît être de la nourriture. Pourquoi ondule-t-il la tête chaque fois qu’il pose une patte ?

En y passant une fois, on y revient forcément. On ne se sent plus en territoire inconnu. Vous repartirez en suite par le même pont, en voyant les mêmes immeubles, les même boutiques, le même fleuve et pourtant vous n’y verrez pas de la même façon.

Quel arrondissement, quelle rue, quel metro, quel numero ?

Vue du ciel, le panorama est magnifique. Presque partout, le béton a poussé sur le néant pour former une ceinture autour du centre, comme si l’on voulait l’empêcher de s’enfuir. L’architecture, naïve et primitive, n’enlève rien au charme des dédales de ruelles pleines de petits commerces et de magasins d’outils de fabrication artisanale. Désormais, peu de ses secrets me sont inconnus et je me plais à les partager avec les gens de passage. La fenêtre de ma chambre est évidemment celle que je connais le mieux, avec qui j’entretiens un contact privilégié au moins deux fois par jour, lorsqu’il s’agit d’ouvrir ou de fermer mes volets. Le verre des carreaux est fin, plutôt frêle. Cette fenêtre offre une vue plongeante sur le centre et ses immeubles au design… exceptionnel. On est ravi par la vue et l’on rit comme un gamin qui se croirait à la tête du monde. Dès l’aube, les habitants circulent, sereinement et silencieusement d’abord, dans les rues bientôt animées. Seuls quelques détails les distinguent : les intonations nord-africaines se mêlent aux accents balkaniques des immigrés yougoslaves. Klaxons en folie, c’est le gong final. Même les immeubles paraissent aussi intolérants que les gens qui discutent à leur pied. Dans le domaine du politique s’inscrit l’activisme des habitants contre le Parti de Gauche. Pas une seule affiche de Jean-Luc Mélenchon n’est intacte. Assis sur un banc, j’observe les passants. Un couple de petits vieux, anglais, traverse. Un bus 93 passe en faisant un boucan du diable. A côté de moi, on s’en plaint à haute voix, sans discrétion. Une, deux, trois, quatre, cinq poubelles alignées, de couleur verte ; une femme tout de violet vêtue passe. Puis un homme pressé, et une femme encore plus pressée. Un mec passe dans la rue. Il s’arrête, me regarde. Je regarde s’il me regarde, il arrête de me regarder. Il me dit quelque chose celui-là. Où ai-je bien pu le voir, déjà ?  Il repart.

La rue résonnent les voix des habitants de ce quartier cosmopolite mais non sans identité.

La rue est pavée. Le tumulte des voitures, le vacarme des klaxons, les crissements de pneus précipités, les voix des passants.  

File d’attente interminable de taxis à l’affût de clients boulevard Malesherbes qui gênent le passage de gros bus de tourisme blanc recouverts des drapeaux des pays européens.

Les vélibs au panier rempli à ras bord et quelques taxis peu scrupuleux côtoient les bus dans la voie qui leur est réservée.

A cinq minutes d’intervalle se succèdent deux bus à l’impériale de l’OPEN TOUR, transportant des touristes.

Un car entier de touristes japonais s’arrête, et les nippons, armés de leur Nikon mitraillent tout ce qui bouge.

Les odeurs, notamment celle du tabac.

Quatre panneaux de stationnement interdits se succèdent à moins d’un mètre de distance

Le son des accordéons des badauds postés là, reprenant avec un large sourire plus cupide qu’aimable des chansons d’Edith Piaf.

Alignement parfait d’un piéton, d’un vélo, d’une voiture devant un arrêt de bus, sur les quais de la Seine.

C’est la grande force du lieu : pouvoir procurer autant de poésie à travers sa polyvalence, sa dualité, son double visage.

Nuée de pigeons sous la porte de Saint-Denis ; enfant qui saute au milieu pour les faire décoller.

Une voiture de police, gyrophares allumés file sur le boulevard des Capucines en empruntant la voie de bus.

Son visage s’est modernisé, reléguant au rang de curiosité  touristique son cœur historique, d’où les voitures ont été chassées. Elle est belle, malgré ses rues étroites, malgré ses boyaux tortueux. Elle a connu de nombreuses transformations et a été la cible d’importantes mutations urbaines. Tout ce qui fait une ville moderne est ici. Elle  a pour particularité de permettre au promeneur de remonter le temps. Un immense marché s’étend sur plusieurs centaines de mètres, et aux cris des vendeurs s’ajoutent le brouhaha joyeux des touristes fraîchement arrivés. Face aux hordes de touristes qui déferlent chaque été dans leur ville.  Après avoir longé les arcades, on  passe dans une succession de ruelles étroites qui n’ont de cesse de rappeler qu’on est en plein cœur d’une ancienne cité médiévale. Cette ville grouille, comme une fourmilière, bruyante aussi. La ville possède une véritable qualité : son charme. Les petites rues étroites et tortueuses autour du centre ville laissent aux habitants un peu de fraîcheur, loin des grosses artères centrales, exposées toute la journée à un soleil de plomb. La nuit, la ville s’endort tard. Elle est située sur une montagne, elle même située au bord de la mer.  Au centre de la ville on trouve une grande place, au centre de laquelle se dresse une grande construction colorée et multiforme où les habitants se mêlent aux gens de passage venus prendre des photos. une ville pleine de monde et sans cesse en mouvement, des gens venus des quatre coins du monde s’y sont installés alors que d’autres viennent et vont constamment. La ville de vos rêves. Palpitante, quelques maris infidèles, beaucoup d’étudiants, encore plus de touristes. Une ville de personnes, où les immeubles et les routes paraissent secondaires avec des rencontres originales ou effrayantes. Elle est à la fois agréable et insupportable. Dans la rue résonnent les voix des habitants des quartiers cosmopolites mais non sans identité. J’aime cet endroit plus que tout au monde, c’est un lieu qui m’inspire, me redonne de l’énergie, me rend heureux, me permet de réfléchir. Sans doute, l’une des avenues les plus belles du monde si ce n’est la plus belle. Le bruit de la ville s’exprime ici dans toute sa splendeur. Chaque jour, des milliers d’images, de portraits, de gros plans, de clichés pris sur le vif défilent sous mes yeux et se bousculent dans ma tête, comme si chacun voulait y garder une place durable. Il suffit de la voir une fois pour s’en rappeler toute sa vie. Des itinéraires appréciés. De aqui no me voy ! Des façades évoquant des temples anciens, taguées autant que possible. On devine le beige de la pierre çà et là. Un petit kiosque à journaux autour duquel se presse la foule, où j’ai trop de souvenirs pour n’en raconter qu’un seul. il y a toujours quelque chose à voir.

La circulation est plutôt dense

Presque enracinée dans le sol, le colosse surplombe une jolie place carrée qui passe presque inaperçue tant l’attention est captée par sa superbe voisine.

Quand je lève les yeux, j’ai devant moi des hommes d’affaires japonais en cravates, les fesses toutes rouges, qui ont du mal à joindre les deux bouts. Mais j’étais trop petit pour l’avoir compris tout seul, à l’époque. De l’autre côté, une savonnerie artisanale, la bande de grands types en shorts à fleurs, un centre commercial conçu par un architecte un peu déjanté. Johnny Depp et Liliane Bettencourt portent des poubelles plus grandes qu’eux. Une mamie à vélo freine soudain au feu, se fait alpaguer par deux jeunes (des ouvriers qui achètent leurs cigarettes), bredouille dans un français approximatif qu’elle n’a pas de cigarettes.

La musique change. Dorénavant la plainte jazzy d’un saxophone remplace l’élégante musique classique. Il me semble que la musique change de plus en plus vite.

Le cadavre d’un pigeon mort marche tranquillement, fumant un cigare. Peut-être est-ce une stratégie pour se démarquer. Je me sens agressé, je continue donc mon chemin.

Au fur et à mesure, l’atmosphère se transforme. La rue devient moins animée.

Barrack Obama reste là, passif, à attendre que de nouveaux parisiens viennent jeter des miettes aux canards affamés. Il me regarde. Je ne l’ai jamais vu. J’arrête de le regarder. Je regarde s’il me regarde, il arrête de me regarder.

Mon regard est alors attiré par cette chose étrange, grise et morte: un petit chat noir et blanc s’est perdu dans le quartier.

Trois vieilles dames sont regroupées pour se saouler avec du mauvais vin. L’homme au chapeau, quant à lui, marche d’un pas décidé, portant un gilet orange fluo.

Il pleut. J’en ai marre. Je pars. Fin de l’aventure. On n’a pas idée de faire des villes aussi grandes !

Les gens passent sans s’arrêter

Je me sens agressé, je continue donc mon chemin.

Et dire que l’eau qui passe en dessous de nous sera dans la mer dans quelques heures, elle a de la chance elle de gagner si facilement sa liberté. Et nous, sommes-nous encore loin de la mer / combien de temps encore à glisser sous les ponts citadins avant la grande noyade maritime / ô fleuves des grandes villes, seine, tage, danube, loire garonne, rêverie à nous offertes /

la ville quelquefois avale nos images / elle commande / elle affiche une blancheur qui n’est pas du néant / elle refus quelque chose que nous ignorons et elle nous offre ce à quoi on ne s’attendait pas / quelque chose se donne à notre insu et nous lui en sommes reconnaissantes

C’est la ville qui avance ou c’est moi ? Qui avance ? La ville en moi ? Ou moi dans la ville ? Les rôles s’inversent. Qui avance dans la ville, dans les rues, ce sont des méandres, j’avance et je me perds, je me perds et j’avance. C’est un décor. C’est un décor, c’est la ville mais  c’est un décor. Un pur décor. Je deviens méandre. Fibre. Fibre de la ville. Je deviens, jusqu’à la déchirure, fibre de l’usure de la ville. La ville me fait méandre de ses possibles.

la ville est un des corps miens / l’usure de la ville c’est aussi la mienne / usure bien tempéré, j’avance comme elle peut, ruelles et avenues d’arbres, petits pas plutôt que grandes enjambées / je suis le nom des rues / les murs effrités / les balcons fleuris / les rinceaux à courbes des grands bâtiments / les herbes des failles en trottoirs /

Rien qui accroche, rien qui retienne, ça défile, ça passe: les ombres, elles passent. Les affiches: elles passent. Tout file. Je ne retiens rien. Le mouvement que je ne suis pas, je ne suis pas mouvement, je n’y peux rien, le mouvement que je ne suis pas ne cesse pas. Il me dépasse. Il y a toujours un possible, évidemment, on peut toujours s’y tenir (il y a des mains courantes, c’est fait pour ça, non les mains courantes, pour ceux qui ne courent pas, ceux qui n’ont pas le rythme, ceux qui l’ont perdu) : celui de replonger dans les enfers, celui de plonger dans les enfers, les lointains, les profondeurs, tu sais ?, les gouffre les profondeurs, le métro, son souffle tiède, c’est pas la ville, c’est pas un souffle, c’est un gouffre, les enfers, les enfers sont gris, gris comme le métro, souffle tiède, ça se respire ? le souffle tiède du métro. ça ne se respire pas. C’est pas la vie. Le souffle tiède du métro, enserre, commence par les chevilles, remonte le long du corps, prend la gorge, et puis on n’y peut rien : c’est les larmes aux yeux. On n’y peut rien. S’échapper par les enfers n’est sans doute pas une idée pertinente. Je n’ai pas de stratégie bien arrêtée dans la ville héraclitéenne. On s’échappe par les enfers, et quand on ressort, ce sont encore les enfers, martelés, indéfiniment martelés de la ville. Sauf une fois. Une fois mais c’est une autre histoire. Je me suis échappée par les enfers du métro, encore plus gris qu’ils ne le sont ici, et la ville était ulysséenne, et le métro nous recrachait de ses profondeurs face à la mer ulysséenne. Mais c’est une autre histoire. Face à la mer. La mer ulysséenne en plein visage. En plein dans le cœur.

Et pourtant ça palpite, ça bruisse. Non. Ça c’est ce qu’on m’a dit. Que la ville bruissait. Bruissait comme le papier. Celui qu’on froisse. Qu’on déchire. Qu’on déchirait. Autrefois. Mais la ville ne bruisse pas. Elle hurle. Alors pourquoi la ville me déchire-t-elle ? Pourquoi, en retour, la ville me déchire-t-elle ? Me broie-t-elle ? Alors que moi je voudrais pouvoir, parfois, pouvoir hurler. Parfois hurler la ville ! Simplement ça. Pourquoi est-ce moi que la ville déchire ? Vous je ne sais  pas, mais moi, la ville me déchire. Le cœur.

j’entends les cris de la ville / elle résonne des échos de ceux qui la traversent / me parvient le bruissement des mondes / quelquefois sur les lèvres le salé de ses pleurs /

je me souviens de celui qui va de ville en ville, solitaire intempestif,  je me souviens de celui “qui peut comprendre qu’on soit dans les villes / comme en des forêts où chaque arbre vous ressemble / ou chaque mouvement est vôtre où chaque cri / chaque regard se perdent dans la touffeur de l’air /...”  / je me souviens de celui de la ville invisible

Là je l’ai embrassée pour la dernière fois. À ce croisement. Là. À ce croisement, de l’espace et du temps, elle avait des larmes dans les yeux. La ville me déchire. Elle avait des larmes dans les yeux. Je n’ai pas su quoi dire. Je voyais bien qu’elle pleurait. Mais je n’ai pas su quoi dire. Je n’ai pas retenu sa main. Je n’ai pas… rien. Non. La ville a été la plus forte. Encore une fois. Le taxi est arrivé. La porte s’en est ouverte. Le taxi est arrivé. Elle a tendu la main. Je ne l’ai pas arrêtée. Je voyais bien qu’elle pleurait. Je ne vois dans les villes que des serrements de cœur.

la ville je l’ai embrassé à l’aube d’été / oui il est des aubes navrantes et oui l’on a trop pleuré / je l’ai embrassé d’avoir offert ses avenues à la promenade nocturne et aux paroles infinies lancées au ciel / le monde était ces nuits là dans la ville / ce n’était pas l’heure des déchirures / les serrements de coeur venait avec l’aube car la ville-matin nous séparait, nous rendait à autres occupations, autres frissons, et venait l’heure de oui on a trop pleuré /

La ville est un objet du monde. Un objet de l’espace. Un objet du temps. Non pas : dans l’espace. Dans le temps. La ville est l’espace de mes pas, l’espace qui s’ouvre, m’englobe, m’engouffre, la ville m’engouffre. S’engouffre en moi. Les bruits résonnent dans ma cage thoracique. La ville s’engouffre en moi. Je sens que je respire, que j’avale la poussière, toutes les poussières de la ville. La ville est le cauchemar de ma propre pétrification. La poussière minérale se détache des façades, pénètre ma gorge, mes poumons, la pollution me respire, est un immense baiser de la ville.

La ville est le temps et le rythme de mes pas. Le temps et le rythme de ma respiration. Ne me poussez pas. J’avance. Je ne sais pas où je vais mais j’avance. On ne peut pas s’arrêter de toutes façons. On ne va pas s’asseoir sur un banc, on ne va quand même pas s’asseoir sur un banc. La ville est le rythme, je n’y peux rien, absolument rien, oui, je marche, oui, j’avance, laissez moi, je vous en prie, laissez moi monter dans le train, celui-là, ou un autre, je ne peux pas les rater tous, non ?  laissez moi partir, laissez moi, je prends le pas, je prends le rythme, ça y est, ça vient, j’ai pris le rythme, la ville est un déroulement, la ville, je prends le rythme, le rythme de la ville, mes pas sont ceux qu’elle m’impose, mes pas, trop rapides, mon cœur, trop rapide, la ville écrit les électro-cardiogrammes de ceux qui l’habitent, elle dessine leur tracé avec une précision millimétrique, accélère, elle accélère le rythme de ceux qui la parcourent. Puis les rejette. Au loin.

La ville se dessine dans les lignes de nos tracés.

Est-ce par là que l’on passerait ? Faudrait-il suivre la ligne, la croiser, la tordre, revenir au centre et, curseur, crayon, bifurquer enfin vers plus dense, plus accueillant, plus doux ? Nous serions des piétons/crayons, pointe sèche sur ciel gris. Nous nous engagerions, pourrions nous arrêter au milieu des avenues, tout nous traverserait sans dommage. La ville aimerait nos doutes, nos hésitations, nos faiblesses. Nous aurions le temps. Nous aurions le hasard pour nous. A moins que. Déjà renversés ? Ecrasés ? Perdus ? Déjà autres, déjà devenus piles de pont ? Et pourquoi verticaux, ainsi ? Penser promenade, place, pente douce, parcours et jardins, aussi. Nous aurions le temps, revenons-y. Chaque passant deviendrait aventure possible, changement de cap. Lever les yeux, misère ou fantaisie à chaque angle, oui, c’est ainsi, déjà, il suffit de regarder, tout le monde le dit (qui le fait ?). Voici la gare (la dernière ville). Voici le boulevard (cent ans d’histoires folles). Voici le recoin, l’impasse, le patio, la grille : tout s’accumule, se précise, s’estompe tandis que le feu passe au vert. Nous serions hommes, femmes, curseurs, clignotements intenses. Et la nuit tomberait. Nous n’aurions pas peur.

Une ville pour rire, peut-être, une succession d’îles, dérives et accrocs, à recomposer. Rien de cette violence qui se nomme fermer les yeux.

Nous traverserions, yeux fermés. Le camion ne nous heurterait pas. A terre, nous ? Allongés sur le passage ? Non. Déjà loin, fluides, fascinés par l’abîme, le suivant - l’appellerions clairière, pourquoi pas ? La ville comme un sous-bois, comme ce qu’on voit du train et ne s’appelle pas, trop tard, déjà passé. Tout se mélangerait. Nous ne ferions plus le tri entre l’utile, l’indispensable, l’absurde, le superflu. Plus rien ne serait superflu.

La ville contiendrait toutes les villes, et nos amours. la ville s’écrirait tout à trac / béton sur légende / paroles sur murs / chorale des voix multiples / quelquefois elle nous refuserait l’image, on accepterait sa loi, puisqu’on aurait son amour / puisque ce sont des fenêtres qu’elle ouvre sur nos vies/ open spaces à nous concédées au bords des mondes étroits que nous habitons / il arrive même qu’ulysse y vienne nous visiter

il arrive aussi que la ville lâche son étreinte et son image se donne /