ÉCRIRE LE TRAVAIL

ATELIERS D'ÉCRITURE A LA FACULTÉ DE LETTRES DE POITIERS

Un atelier d’écriture autour des ouvrages de  François Bon : "Sortie d’usine", "Temps machine" (dans une édition numérique révisée et augmentée sur Publie.net intitulée Mémoire d’usines) et Daewoo.

La beauté aujourd'hui, c'est l'absence de vie et le silence dominant. C'est de voir défiler la singularité d'un endroit et d'en interpréter les moments.

La beauté passée, c'est celle reflétée par le soleil, le ciel, la nature reprenant ses droits.

La beauté révélée, c'est celle de la nuit. Le rouge flamboyant, vif, rappelant les flammes embrasant les métaux. Le choc des couleurs mélangées au métal gris et usé des tuyaux de l'usine.

La beauté que l'on découvre, c'est celle de se voir petit parmi ces bâtiments géants. Le mouvement d'un ouvrier en marche, figé pour l'éternité dans une pellicule noir et blanc.

La beauté de les voir, c'est celle de l'instant, de pouvoir se dire que l'on n'est qu'observateur. Un panneau fléché écrit dans deux langues apparaît au premier plan d'une image, indiquant la direction -celle du paradis ou celle de l'enfer ?

La beauté des bâtiments, c'est leur grandeur, leur caractère imposant, le parallélisme de construction, c'est imaginer s'y trouver et s'y perdre, puis travailler.

L'ingéniosité, l'éclosion des flammes, la fusion des métaux, la chaleur émanée, les paroles arrêtées, le souffle et le souffre mêlés. Telle est la beauté sortant de ces images, passé, présent, futur, c'est l'environnement quotidien, la banalité qui y sont évoqués, invoqués.

Manon L.


Qu'elle était belle la nuit reflétée dans le métal usé des cheminées qui toussaient sans arrêt.

Qu'elles étaient belles les lumières parfois aveuglantes qui sortaient d'on ne sait où, qui prenaient la forme d'un fantôme et venaient effrayer les gardiens restés un peu tard.

Qu'elles étaient belles ces formes géométriques, un triangle, un carré, un rectangle, tout y est. A l'heure du tout arrondie, même les tuyaux s'élèvent comme les arrêtes d'un gigantesque carré.

Qu'il était beau l'espace vert autour de l'usine, celui où les ouvriers prenaient parfois leur pause, de l'herbe qui, comme par miracle, restait verte des années durant.

Qu'elles étaient belles ces barrières de métal déplacées mille et une fois pour toujours mieux faire le tour de ce qui était un endroit inaccessible même pour ceux qui y travaillaient.

Qu'elle était belle la précision qui se cachait derrière ces murs gigantesques. Comment imaginer que de tels murs cachent une telle finesse.

Qu'ils étaient beaux ceux qui sortaient systématiquement à la pause de 10h pour fumer leur clope, comme s'il n'y avait déjà pas assez de fumée dehors.

Qu'ils étaient beaux les mélanges de couleurs dus au soufre, au méthane à l'air et à l'eau.

Qu'elles étaient belles ces pancartes rouges et blanches qui indiquaient à ceux qui voulaient assister au spectacle que la scène n'était pas ouverte au public pour le moment, que les comédiens étaient en pleine répétition.

Qu'ils étaient beaux les rouages usés et colorés par la rouille que les ouvriers avaient parfois pour tâche de remplacer.

Qu'il était beau le temps toujours gris autour de l'usine, une gris neutre et froid dans lequel nous pouvions voir notre reflet.

Qu'elle était belle cette ligne tracée par la hauteur des cheminées. Une tour qui touche le ciel et qui ne s'effondrera sans doute jamais.

Qu'ils étaient beaux les cailloux mille fois foulés par des chaussures trouées et mal lavées.

Qu'elles étaient belles ces autres pancartes laissées devant l'usine dans un coin. Souvenir d'une guerre, d'un rassemblement. Souvenir de la seule fois où ils se sont tous vus en même temps.

Qu'elles étaient belles ces façades construites dans une régularité parfaite, qui ne laissaient voir aucun défaut, aucune malformation, aucune trace d'humanité.

Cédric R.


lieu de carcasses de ferrailles désertées

lieu fantôme

lieu autrefois actif, vrombissant,

lieu aujourd'hui laissés là

lieu qui rappel un passé, des métiers, des ateliers, des outils.

lieu pleins de lignes verticales, lignes de forces

lieu fait de courbes prononcées par les tuyaux

lieu qui ressemble à un parc d'attraction avec ses rails, ses chariots, ses looping vertigineux

lieu de brouhaha éteint

lieu où l'on imagine la fumée blanche épaisse sortir des cheminées, signe d'une activité interne

lieu de prise de service, de pointage, de chaînes, de répétitions

lieu de répétition des tâches, répétitions des lignes verticales et horizontales

lieu fait de circuits

lieu de fatigue

lieu couleur rouille, nuance de rouilles

lieu d'éclats

lieu d'éclats sonores

lieu d’éclats visuels

lieu difficile, où l'on imagine un travail épuisant

lieu gigantesque flamboyant

lieu de révolte

lieu de grèves

lieu parfois de toute une vie de travail

lieu anxiogène

lieu qui fait partie du « paysage » qui ne semble pas pouvoir disparaître.

Claire B.


Il y a d'abord le grillage, qui du blanc a tourné au gris, du grillage est devenu barbelé. Il y a cette image de l'usine vue de loin, vaste cité fantastique, mirage de blocs de béton éclairés au néon, décor illuminé et terrifiant, féerique et cauchemardesque. Il y a ce règne du bâtiment, imposant, écrasant, dressé fièrement et perçant le ciel, bombant le torse face à l'homme. Il y a cette vision de contre-plongée angoissante, où le fourneau nous toise, nous cache et nous efface de son ombre. Il y a cette omniprésence du lieu, le fantasme ambivalent de la répulsion et de l'attraction. Il y a la terreur face à l'incohérence de la configuration des lieux, face aux lignes droites qui s'entremêlent dans un imbroglio invraisemblable, où les tubes s'entrecroisent tels des lignes de métro balancées dans les airs. Il y a cette saturation du paysage, d'un amas de formes géométriques qui retient l'air, le capture et étouffe à petit feu l'être humain. Il y a la matière fixée du bâtiment, la tôle rouillée à l'odeur d'humidité, le béton impassible et autoritaire. Il y a la matière liquide, vivante, venimeuse et imprévisible, spectacle de l'acier en fusion, de l'étincelle qui jaillit et frôle le visage de l'homme. Il y a ce camaïeu de gris, présent partout, tacheté de-ci de-là de petits points ocres et rosés, rappelant la présence de la chair humaine mouvante et bien vivante.

Marion P.


La beauté des usines aujourd'hui c'est l'activité, le fourmillement vu de haut, la fumée qui s'échappe des cheminées (elle rappelle la poussière et le charbon qui lui appartiennent), le mouvement perpétuel des 3/8. Les gens qui vont tous dans des directions différentes pour un but commun. La vitesse, l'utilité du geste.

La beauté des usines aujourd'hui c'est le silence, le silence de l'abandon, des friches industrielles, un silence qui résonne dans les immenses bâtiments aux ouvertures béantes, le silence de la nature qui revient.

        

La beauté des usines aujourd'hui c'est graphique. Ça commence par les dessins de géomètre et ça va jusqu'aux objets entreposés. Un graphisme du rangement, tout carré pour tout ranger. Même les tuyaux sont alignés, tout est droit, et même les arrondis car tout paraît rangé. La beauté des usines aujourd'hui c'est l'image qui va si bien avec toutes ces lignes, l'usine de La Liste de Schindler, la ville industrielle de Billy Elliot, c'est surtout le drame.

        

La beauté des usines aujourd'hui c'est le noir et blanc qui passe par la couleur de la rouille et qui continue par le gris du ciment.

Alice B.


Le beau est toujours bizarre, ces villes tentaculaires, ces éruptions violentes (« et la lumière fut »), ce gigantisme démesuré.

Le beau est toujours bizarre, l’ordre, la beauté (mais pas la volupté). Les grillages encerclent l’espace surveillé, ombres menaçantes, monde vrombissant silencieux et aride, enchevêtrement de ferrailles, humaines minuscules.

Le beau est toujours bizarre, machines bouillonnantes, effrayantes, effarantes, fluorescentes, gisantes, vestige de notre histoire.

Le beau est toujours bizarre, usines abandonnées où la nature commence à reprendre ses droits. Étrangeté d’un endroit souillé.

Le beau est toujours bizarre, écho d’un temps révolu, autrefois quatre usines dans le village de mes grands parents, table rase du passé, beautés mortes.

G.Le B.


Les tours aux larges brumes ont poussé brutalement au milieu de nulle part. Leur secrète architecture d'acier ne révélait non pas une usine, mais l'antre d'un monstre de conte de fées. Le bruit qui en sortait, pareille à une symphonie fantastique, laissait deviner une scène chevaleresque. Ce ne sont pas des hauts fourneaux mais de fiers et gaillards donjons. Ce ne sont pas des vannes mais les roues abaissant le pont-levis. Et ce vacarme assourdissant n'est autre que le dragon qui hante les galeries de néons incandescents.

Les tours aux larges brumes sont devenues bien immortelles lorsque le noir et le gris se mélangent. La réalité a fui pour laisser place  à un décor de cinéma. Tout est si haut, si vertigineux. Le film va commencer : les projecteurs sont installés, les acteurs prêts, l'histoire, hélas, bien rodée. C'est comme une gare sombre, si sombre que les siècles ne semblaient pas s'y être cognés. Rien n'est rénové. Mais, il y a dans cette négligence une émotion troublante. C'est un non-lieu ; l'homme de ses mains ne peut être l'auteur d'une pareille entreprise.

Les tours aux larges brumes côtoient la mer. La douceur du bleu marin se marie avec la tendresse du gris métal. Les fumées habillant d'un voile l'exquise dame d'acier. Peu de couleurs pourtant à cette noce : le rouge vif de l'alarme incendie, le jaune fluorescent des combinaisons, l'orange des casques. Et puis, vient la nuit, masquant les détails hideux de cette cathédrale païenne. Les lucioles, en habit de lampadaire, nuancent les contours d'un dessin si rectiligne.

Les tours aux larges brumes crachent avec finesse leurs poumons de dentelle. En son cœur, tout s'active et bat la chamade. C'est un feu d'artifice, un bal d'étincelles. C'est la fusion du rouge et du noir, le crépitement bouillonnant de deux forces qui craquent, en ces fourneaux bien charpentés.

Les tours aux larges brumes sont aujourd'hui bien fatiguées. Elles vieillissent, portent le poids de leurs fissures, se couvrent d'oxydation et de lézardes. Mais, un jour, l'on voit poindre un petit bout d'herbe entre deux ébréchures. C'est que la nature semble reprendre ses droits et envahir petit à petit à coups de ronces le glacé palais de fer.

François M.


L'usine est un monde vaste qui ne peut être vu dans sa totalité, une vision partielle alimente une mémoire pour essayer de réer un tout.

        

C'est partiel l'usine, les médias ne peuvent renvoyer une image globale, le contexte socio-politique vise une description partielle de l'usine.

        

C'est partiel l'usine, que doit-on prendre en compte l'ouvrier ou le bâtiment ?

        

C'est partiel l'usine, l'image ne sélectionne qu'une infime vision de l'usine.

C'est partiel l'usine, selon le contexte socio-historique, le portrait dressé différera

        

c'est partiel l'usine, quel maillon de la chaîne est pris en compte ?

        

C'est partiel l'usine, ouvriers qui font carrière et ceux de passage.

        

C'est partiel l'usine, les licenciements écoutent la carrière professionnelle.

        

C'est partiel l'usine, mot vaste pour finalement sous-tendre une pluralité des professions.

        

C'est partiel l'usine, le point de vue n'est pas le même si l'on est de l'intérieur ou de l'extérieur.

        

C'est partiel l'usine lorsque l'on voit un ouvrier qui est un maillon qui permet l'engrenage de tout un mécanisme.

        

C'est  partiel l'usine, il y a des jours avec et des jours sans, des jours où elle est omniprésente dans les médias et parfois absente.

        

C'est partiel l'usine, elle recouvre partiellement les paysages de façon concrète ou abstraite.

        

C'est partiel l'image d'une usine, son angle de vue, une usine prise de trois quart, en contre plongée, vision restreinte de l'usine, angle subjectif.

        

C'est partiel l'usine, l'image des flammes, des étincelles lorsque l'ouvrier travaille une pièce vêtu d'un tablier en cuir et d'un masque de protection.

        

C'est partiel l'usine, la mémoire des mouvements répétitifs, 286 à l'heure, visse la pièce et passe à ton voisin.

        

C'est partiel l'usine, le patron qui se tient à la balustrade pour mieux épier ses ouvriers.

        

C'est partiel l'usine, un amalgame d'escaliers métalliques qui mènent aux centrales de l'extérieur.

        

C'est partiel l'usine, le bruit est l'un des éléments qui fondent l'atmosphère de l'usine, c'est un bruit d’usine, seuls les ouvriers peuvent le reconnaître.

Manon P.


L’usine, là où commencent les choses. Dans un nuage de fumée, une gerbe d’étincelles. Naissance d’objets, de la fusion de l’homme et de la machine. Chaque ouvrier sait ce qu’il a à faire. Chaque geste est maîtrisé, répété à l’infini pareil aux pulsations d’un cœur, moteur génial, conducteur de vie. Chaque machine est autant d’organe, partie d’un tout bien plus immense, bien cachée derrière ce corps dont les os sont d’acier et la peau de tôle ou de verre.

Ce corps qui rugit, qui grince, quand s’entrechoquent les métaux. L’usine est vivante, elle respire. Cette grande cheminée noire et rouge en est la preuve, longue et élancée, poumon géant, qui tousse, qui crache cette épaisse fumée qui défie les nuages.

L’usine est monde. De couleurs, de bruits, d’odeurs. L’usine parle. Elle souffle, gémit, hurle, cogne et sa voix résonne au travers des bâtiments, écho interne, rien ne sort d’ici.

La beauté de l’usine est secrète. Seuls ceux qui ont eu la chance de pénétrer ses murs de le savent. Et, même si la beauté se doit d’être réservée, l’usine s’éteint, s’affaiblit, elle exhale une dernière fois, puis s’étouffe. A jamais, l’usine fermes ses portes, évacuant les milliers d’êtres qui lui étaient pourtant vitaux, emportant avec elle dans l’oubli et l’indifférence des souvenirs qui, seuls dans son âme, résonnent.

On ne parle plus de l’usine. L’usine est un temple. Abandonné. Ce qui s’y est passé doit y rester.

Justine V.


Si belle dans son écrin de velours noir, elle semble si lointaine puis si proche. On y entre mais on pense ne jamais en sortir.

Si belle dans le délire des jours, on la voit plus souvent que n’importe qui. Et pourtant, elle reste unique.

Si belle dans sa solitude et son silence, elle est mystique. Ne pas la déranger.

Si belle dans sa stature majestueuse qui inspire et fascine. On n’ose pas vraiment parler.

Si belle dans son constant mouvement, ne s’arrêtant jamais, elle résiste.

Si belle qu’elle survit. Qu’elle s’enlise mais ne tombe jamais.

Si belle qu’elle s’efface dans la vapeur.

Si belle qu’elle se creuse et s’enfonce.

Si belle dans son gris qui semble presque éphémère.

Si belle qu’elle brille au clair de lune quand la journée se termine.

Si belle qu’elle déteint sur les vies, et même les envies...

Chloé B


Quand j'étais enfant, il y avait le grand bâtiment où papa m'emmenait jouer les week-ends. Lui il s'installait juste à côté, avec les copains et il me disait « va jouer, y a plus rien qui fonctionne ici de toute façon ! »

Detoutefasson, je trouvais que c'était un super nom ! Je me demandais même pourquoi certain l'appelait « lusinedésaffectée ».

J'étais petite, je pouvais me faufiler sans mal, hop attention le pot de peinture ! hop la chaîne ! et hop les câbles ! Il fallait être parfois agile mais c'était facile.

Detoutefasson c'était mon repaire, personne n'y venait sauf moi et quelques fleurs, de vraies

demoiselles.

Elles étaient parfois belles, parfois moches, elles poussaient dans ce coin où la fenêtre était cassée, elles venaient du dehors et envahissaient petit à petit mon chez moi. J'allais les voir et je leur parlais « attention mesdames, il ne faut pas trop venir sinon je vous prendrais pour des graines de baobabs et je devrais vous arracher ! ».

Il y avait les choses qui ne comptaient plus pour les adultes, qui étaient laissées là. Il y avait les pots de peintures qui devenaient mes flacons de sorcières, je touillais dedans avec un gros bâton et je riais comme une démente pour faire méchante. Il y avait du rose, du rouge, du bleu ! Detoutefasson me laissait repeindre ses murs, et le parterre.

Il y avait les tôles abandonnées sur le sol, personne n'en voulait mais moi elles m'allaient, je m'en faisais un joli tapis qui fait du bruit. J'aimais leur gris perle, gris souris, gris moisi.

Il y avait les chaînes, toutes rouillées et à l'odeur bizarre, qui laissaient de la couleur sur les doigts.

Il y avait les gros boutons rouges tout entourés de jaune pour le lancement de ma fusée. Il y avait les grandes pièces vides où les murs répétaient la voix. Écho ? Écho !

Il y avait les escaliers, les échelles, plein de choses pour grimper au ciel. Il y avait ce ciel barré de grands tuyaux, de grandes cheminées, ça faisait plein de lignes, de traits noirs. J'aimais me mettre là où on en voyait le plus si on levait la tête, je restais là à les regarder un long moment avant de tourner sur moi-même, tourner encore et encore et encore, jusqu'à ce que toutes les lignes se brouillent ! Il y avait le bleu, le noir, le rouge, tout se mélangeait, l'usine et le ciel n'était plus qu'un avec moi au milieu.

Il y avait du beau partout pour moi, il y avait l'usine et il y avait moi.

Lola S.