Russie 1910 - 1915
1910
Du 15 janvier au 5 février (02-23 janvier en Russie), Plénum du CC du PSODR au café d'Harcourt à Paris. Dernière tentative d'unité entre bolcheviks et mencheviks. La position unitaire de Trotsky l'emporte.
En août, rupture entre bolcheviks et mencheviks. Trotsky dénonce les bolcheviks comme diviseurs.
Emprunt à une profonde crise spirituelle, renonçant à sa vie matérielle en quittant sa famille et sa maison, sentant la mort, Tolstoï prend un bâton, s'enfuit de la société qu'il renie.
Le 20 novembre, Tolstoï meurt en pèlerin dans le village d'Astapovo. L’opposition s’enhardit et une foule immense suit le cortège funèbre de Tolstoï, apôtre de la liberté et de la dignité humaines.
1911
Beaucoup de nobles doivent vendre leurs terres. Les nobles possèdent au total deux fois moins d’hectares qu’en 1862.
Le 5 septembre, le premier ministre Stolypine, qui a déjà échappé à cinq attentats, est assassiné au théâtre de Kiev par un anarchiste d'origine juive entré dans la police pour y mener un combat révolutionnaire.
1912
La troisième Douma est dissoute.
La quatrième Douma reflète une situation politique très confuse.
Le mouvement ouvrier connaît une progression spectaculaire de 1912 à 1914.
Janvier 1912
Du 18 au 30 janvier (05-17/01 en Russie), VIe conférence du parti bolchevik. Lénine réunit à Prague une conférence bolchevique qui se proclame parti distinct, POSDR (bolchevique), et élit un comité central. Les mencheviks (Plekhanov) font de même. Lénine fait coopté Staline.
Janvier 1912
Trotsky dénonce le scissionisme de Lénine.
Avril 1912
Les troubles sociaux reprennent.
Les ouvriers de la mine d’or de Léna, en Sibérie, se heurtent à la troupe qui en tue plus de 200.
Campagne électorale pour la quatrième Douma.
Le 22 avril, parution du premier quotidien bolchevik légal paraît à Saint-Pétersbourg, la Pravda. Il est dirigé par Staline jusqu’à son arrestation en 1913.
Mai 1912
Le 5 mai, les bolcheviks publient à Moscou leur propre Pravda.
Juin 1912
A Vienne se tient la neuvième conférence du Bund ouvrier juif. Le parti ouvrier juif maintient son opposition irréductible aux tendances cléricales de la vie juive et poursuit sans relâche une action en faveur des écoles séculières.
Août 1912
Une révolte éclate en Sibérie orientale, dans les mines d'or au bord de la Léna. Les conditions de travail y sont si rudes que les ouvriers s'opposent violemment à la direction. Les soldats tirent sur les travailleurs et font une centaine de morts. Ce massacre provoque la protestation de la classe ouvrière des grands centres industriels. Des manifestations et des grèves spontanées éclatent dans tout l'Empire.
Du 25 août au 9 septembre, conférence du "bloc d'août" à Vienne sous la présidence de Trotsky.
Septembre 1912
Comme tous les ans, le tsar est à Spala en Pologne dans son domaine forestier où il se livre dans les forêts giboyeuses à son passe-temps favori, la chasse aux grands cervidés[1].
1913
170 millions d’habitants. Accroissement démographique (125 millions en 1897). A la différence des principaux pays d’Europe, la Russie demeure un pays moyen-âgeux. Il n’y a que 3 millions d'ouvriers sur près de 150 millions d'habitants.
Les dernières années avant-guerre, la Russie enregistre une croissance plus rapide que les Etats-Unis. L'industrialisation progresse fortement et les recettes de l’Etat augmentent. On extrait du pétrole à Bakou. Le charbon (36 millions de tonnes) vient surtout du bassin du Donetsk. Le fer est extrait lui aussi en Ukraine. L’or est les métaux non ferreux sont extraits dans l’Oural et en Sibérie.
Trotsky est réfugié à Vienne.
Lénine, Notes critiques sur la question nationale. Reprenant pour l'essentiel les thèses de Lénine, Staline écrit une étude Le marxisme et la question nationale.
> Le 2 juillet 1913, Staline, directeur de la Pravda, est exilé dans le nord de la Sibérie. La Pravda est dirigée par Molotov.
1914
Les ouvriers sont 5 millions. Le total des habitants de la Sibérie a presque doublé en vingt ans. Il dépasse 12 millions. Dans le premier semestre, on compte 1.450.000 grévistes.
Une bonne partie des capitaux étrangers investis est destinée par l’Etat à l’amélioration des transports. L’Etat contrôle l’essentiel d’un réseau qui dépasse 70.000 km (contre 20.000 en 1881).
Février 1914
Parution de Borba (la Lutte) inspiré par Trotsky, organe de l'organisation inter-rayons de la capitale.
Le gouvernement songe à détourner le mécontentement par une politique de prestige. Il vise les Balkans et adopte face au raidissement germano-autrichien une attitude qui accroît le risque d’un conflit européen. Un de ses conseillers écrit au tsar : “ Si la guerre doit être victorieuse, il nous sera facile de dompter le mouvement socialiste. mais en cas de défaite, la révolution sociale sous ses formes les plus extrêmes sera inévitable.”
Juillet 1914
Le 28 juin, l’assassinat de l’archiduc François-Ferdinand à Sarajevo par un nationaliste serbe de Bosnie est l’étincelle qui met le feu aux poudres des rivalités politico-économiques des grandes pusissances européennes.
Nicolas II s’inquiète sur les visées de l’Autriche sur la Serbie, alliée de la Russie.
Juillet 1914
Du 16 au 17 juillet, conférence à Bruxelles pour la réunification du parti russe.
A la Douma, les cadets sont partisans de la guerre et de l'Union sacrée pour celle-ci. Pétrograd est en pleine ébullition révolutionnaire. La guerre fait rétrograder le processus.
Le 20 juillet, alors que la tension ne cesse de monter entre les pays d’Europe, Raymond Poincaré, président de la République française, rencontre le tsar en rade de Kronstadt. Il veut s’assurer qu’en cas d’attaque de l’Allemagne en France, le tsar ouvrira un front à l’Est.
Le 24 juillet, réagissant à l’ultimatum lancé par les Autrichiens, Nicolas II cherche à convaincre son cousin Guillaume II de dissuader l’Autriche d’envahir la Serbie.
Nicolas II décrète la mobilisation générale.
Août 1914
> Samedi 1er août 1914 (28/07 calendrier russe), l'Allemagne et la Russie se déclarent mutuellement la guerre.
> Le 3 août 1914, sous le balcon du Palais d’Hiver où le tsar apparaît, une foule immense s’agenouille et entonne l’hymne russe. En réaction à la frénésie patriotique, le tsar décide que Sankt Petersburg (nom allemand) devient Petrograd.
Manifeste du CC du parti bolchevique contre la guerre. Pour Lénine et les bolcheviks, la "faillite de la IIe Internationale" est consommée.
L’activité révolutionnaire qui avait repris est instantanément brisée par l’élan patriotique. Le mouvement ouvrier se trouve brutalement isolé, atomisé et en butte à la répression. Les éléments révolutionnaires enlevés aux usines sont jetés sur le front.
Les grèves ouvrières sont châtiées rigoureusement. La presse ouvrière est balayée. Les syndicats sont étouffés. Nul ne se risque, dans les usines, à se dire "bolchevik" de crainte d'être arrêté ou même brutalisé par d'autres ouvriers.
La Douma exprime un ardent patriotisme. A la Douma, la fraction bolchévique, dont l'effectif est faible, ne se montre pas à la hauteur de sa tâche. Pas un groupe du parti ne prend ouvertement la position défaitiste que Lénine proclame à l'étranger. Les cinq bolcheviks siégeant à la Douma votent contre la guerre et seront par la suite arrêtés.
Nicolas II, par fidélité à la promesse faite à Poincaré, décide d’attaquer l’armée allemande à la frontière nord-ouest de l’Empire alors qu’attaquer les troupes autrichiennes dans les balkans aurait pu lui valoir des victoires plus faciles..
> Fin août, les armées allemandes de Ludendorff infligent une lourde défaite à la 2e armée russe en Prusse-Orientale (70.000 morts côté russe et 100.000 prisonniers). cette première défaite sape considérablement le moral des troupes et celui du peuple. L’illusion russe d’une victoire rapide vole en éclats.
Le sentiment d’unité nationale qui a prévalu à la déclaration de guerre s’évanouit rapidement. Les paysans-soldats n’ont souvent aucune idée des raisons pour lesquelles on leur demande de combattre. Les chefs militaires sont méprisants et incompétents. Les soldats se rendent compte qu’ils ne sont que de la chair à canon.
> Invasion de l’Ukraine par les troupes austro-hongrosires. Elles doivent se replier.
Septembre 1914
Le 3 septembre, les Russes remportent une victoire en Galicie contre les troupes autrichiennes. En Galicie les Cosaques s'en prennent aux populations juives.
Lénine, arrivé en Suisse, proclame la nécessité de fonder une nouvelle Internationale.
Octobre 1914
Le 29 octobre, les navires turcs attaquent les bases navales russes en mer Noire.
Juillet 1914
Arrestation des députés bolcheviques à la Douma et des membres du bureau russe du CC.
L’armée russe n’est pas préparée à la guerre moderne. Sous-équipée, malgré 14 millions d’hommes mobilisés, elle souffre de problèmes logistiques et son artillerie et son aviation sont insuffisantes. Les armées russes reculent de plus de 500 kilomètres à l'intérieur des terres et perdent plus de deux millions d'hommes.
1915
Vocalise de Rachmaninov.
Seulement un quart des paysans ont accédé, grâce à la réforme de Stolypine, à la libre propriété individuelle.
Janvier 1915
Procès et condamnation des dirigeants bolcheviques.
Victoires de l'armée tsariste dans le Caucase.
Février 1915
Le 27 février (14-19/02), conférence des sections d'émigrés du parti bolchevique à Berne.
Mars 1915
Du 26 au 28 mars, Conférence socialiste internationale des femmes à Berne. Les positions de Lénine sont défendues par la bolchevique Inessa Armand, sans parvenir à rallier une majorité.
Avril 1915
Du 4 au 6 avril, Conférence internationale de la jeunesse socialiste à Berne.
Une nouvelle offensive allemande prend encore une fois l’armée russe au dépourvu.
Après un certain nombre de catastrophes partielles, une retraite générale de l'armée russe se déclare au printemps. Les troupes dépourvues d'armes reculent sur toute la ligne du front.
Les officiers sont largement détestés par les soldats en tant que représentants de la classe des propriétaires fonciers et méprisés pour leur corruption.
Les généraux se vengent de leur incapacité criminelle sur la population civile. D'immenses territoires sont dévastés par la violence.
Le désastre au front se complète par un désastre à l'intérieur. On accuse d'espionnage, sans exception, tous les Juifs. On met à sac les gens dont le nom de famille est allemand. Saccage de maisons allemandes à Moscou. Troubles au sujet de l'approvisionnement.
On fait appel à l'industrie pour fournir des armes à l'armée, ce qui enrichit les industriels. Jusqu'à 50 % de la production est affecté aux besoins de l'armée et de la guerre. D'immenses fortunes s'élèvent sur une écume de sang[2].
A la fin de l’été les armées allemandes contrôlent toute la Pologne, les provinces baltes et la Galicie. 23 millions de Russes vivent maintenant en territoire conquis. 4 millions de mutilés sont en Russie. La guerre est sur le sol russe. Le manque de munitions et de médicaments font douter de la capacité du tsar et son gouvernement à mener la guerre.
Septembre 1915
Le 4 septembre, poussé par l’impératrice Alexandra, Nicolas II prend la tête de l’Etat-major. Il limoge le chef d'État major, son oncle, le grand duc Nicolas. Mais c’est un homme indécis qui n’a aucun sens de la stratégie militaire.
Maintenant, en tant que chef de guerre, il porte la responsabilité de chaque défaite.
Il s’ensuit une vacance du pouvoir de l’empereur et la prise en main du pouvoir par la tsarine Alexandra et son conseiller occulte rusé Raspoutine qui au service de l’impératrice pour soigner son enfant hémophile.
Raspoutine
Le travail du gouvernement en est désorganisé par le carrousel des changements de ministres dictés par l’impératrice. Raspoutine la conforte dans l’idée que l’autocratie est le seul régime qui convient pour la Russie.
Après avoir fait limoger les principaux ministres du Conseil, la tsarine Alexandra renforce la surveillance policière des élus de la Douma, interdit les réunions publiques, augmente la censure de la presse et procure des fonds aux groupes de l’extrême droite antisémite qui imputent aux Juifs les défaites de l’armée.
La tsarine, allemande, est soupçonnée de comploter pour la défaite de la Russie et Raspoutine d’être un espion au service de l’Allemagne. Dans ce climat de suspicion générale, l’autorité impériale se délite à vue d’oeil.
Les Russes doivent se replier jusqu'à la Bérésina.
Environ 15 millions d'hommes sont mobilisés par des généraux russes incompétents. Le bilan l'offensive allemande est lourd pour les Russes qui ont perdu un million et demi d'hommes.
Il y a environ 5,5 millions de victimes, morts, blessés ou prisonniers. Mais les Empires centraux n'ont pu ni les anéantir ni leur imposer une paix séparée. Les soldats s'insurgent et ne veulent que la paix. Le gouvernement tsariste n'a aucun appui.
Du 5 au 8 septembre, Conférence de Zimmerwald. Elle rassemble une poignée de socialistes opposés au premier conflit mondial, alors que l’écrasante majorité des directions et des élus sociaux-démocrates ont voté les crédits de guerre, et que certains de leurs leaders participent même aux gouvernements belligérants.
38 délégués originaires de onze pays, dont 10 Allemands, 8 Russes, 5 Italiens, 4 Suisses, 3 Polonais, 2 Français, 2 Scandinaves, 1 Letton, 1 Roumain, 1 Bulgare et une Hollandaise, prennent place dans des attelages tirés par des chevaux, à destination du petit village bernois de Zimmerwald, où ils vont loger à la Villa Beau-Séjour, sous couvert d’une rencontre d’ornithologues. Lénine et ses partisans, dont le Suisse Fritz Platten, vont défendre des objectifs concrets : refus des crédits militaires, démission des socialistes des ministères bourgeois, dénonciation du caractère capitaliste de la guerre, mise en accusation du socialisme patriote, soutien des protestations populaires contre les effets de la guerre, appui aux grèves économiques, qu’il faut tenter de transformer en grèves politiques, et propagande internationaliste dans les tranchées.
Octobre 1915
Ajournement de la Douma. Défi lancé par le tsar à la bourgeoisie. Les ouvriers de Pétrograd et de Moscou répliquent par des grèves de protestation.
Décembre 1915
Le 27 décembre selon le calendrier russe (09/01/16), l'anniversaire traditionnel de la marche des ouvriers vers le Palais d'Hiver suscite une large grève.
[1] Pierre Giliard Treize années à la cour de Russie (Péterhof, septembre 1905--Ekaterinbourg, mai 1918): Le tragique destin de Nicolas II et de sa famille, Éditions Payot.
[2] Léon Trotsky, Histoire de la révolution russe.