Merle - Une nouvelle
Traduction anglaise par iridesenescence
Écrit par Akira
Un rêve d’enfant est en train de brûler.
— L’amour triomphe toujours à la fin.
—Le travail acharné et les bonnes intentions seront récompensés.
— Si on le désire assez ardemment, tous les rêves peuvent devenir réalité.
N’importe quel adulte sait qu’il ne s’agit que de balivernes. Le tas de papiers qui incarne les sentiments immaculés d’une jeunesse croyant en toute bonne foi en de telles sottises, de telles illusions, est jeté au feu et dévoré par les flammes.
Les restes calcinés de rêves et d’espoirs sont emportés par une colonne d’air chaud s’échappant du feu.
La suie et les cendres s’envolent, souillant de leur ignominie la beauté du ciel.
« Oh, comme c’est terrible ! »
Wataru Hibiki lève les yeux vers les cieux, frémissant d’un air jovial contrastant avec son exclamation.
Sa beauté est indéniable, avec sa longue chevelure argentée telle la lueur d’une pleine lune et un corps aux proportions calquées sur le nombre d’or.
Il porte son uniforme au design raffiné avec une désinvolture difficilement descriptible.
Son comportement et son expression sont tout aussi raffinés, au point qu’ils paraissent exagérément attrayants ; on se demanderait presque pourquoi est-ce qu’il n’était pas entouré d’une aura de lumière ou d’un nuage de poussière d’étoile scintillante.
Mais c’est cette même beauté qui lui donne l’air d’une pièce rapportée où qu’il soit.
Les passants lui adressent des regards étranges, comme s’ils venaient de voir un monstre, en s’éloignant de lui ou en fuyant tout bonnement la scène. Même s’il s’agit certes d’une réaction appropriée lors d’une rencontre avec une telle créature…
Il aurait apprécié les entendre hurler.
Ou l’insulter, lui cracher dessus, lui jeter des cailloux…
Rien n’est plus douloureux que d’être ignoré.
Comme en plein milieu d’une élocution, il fait signe d’approcher, mais seule une colombe sale répond à l’appel.
« Ah, Gilles ! Mon pauvre Gilles de Rais ! Tes plumes sont complètement souillées ! »
Déplore Wataru en pressant son visage contre la colombe perchée sur son épaule.
« Regarde-toi, tout couvert de suie. Tu ressembles plus à un corbeau qu’à une colombe ! Les corbeaux sont intelligents et feraient de parfaits accompagnateurs sur scène une fois dressés, mais les gens semblent les mépriser, alors cela pourrait s’avérer être difficile. »
Les personnes alentour s’éloignent encore plus de Wataru en le voyant parler à sa colombe.
« ... Quoique, peut-être que m’entourer de telles créatures serait plus approprié désormais. »
En réponse aux silencieux murmures de Wataru, la colombe noire de suie lui tire les cheveux avec son bec.
« Aïe aïe aïe ! Je plaisante, Gilles ! Serais-tu jaloux ? Nous sommes ensemble depuis ton éclosion, je ne pourrais jamais t’abandonner au profit d’un autre partenaire ! Je t’en prie, ne sois pas fâché… Oh? »
Quelque chose est tombé du bec de la colombe pendant sa colère.
Un bout de papier carbonisé.
Les restes d’un rêve, apportés par le vent.
« Oh, merveilleux ! J’étais justement à court d’encre ! »
Ravi, Wataru écrase le résidu de papier entre ses doigts.
Et avec ses doigts teints de noir, il signe de son nom le tas de papiers qu’il transporte avec lui.
« Et avec ceci, tout est terminé. »
Serrant les documents contre lui comme s’il s’agissait de son bien le plus précieux, Wataru est pris d’un nouveau frisson.
« Je me demande s’il en sera satisfait. »
Une guerre a eu lieu.
Une lutte misérable dans laquelle la jeunesse a blessé et tué au nom de ses rêves et idéaux ; au nom de l’amour.
Même si l’on peut s’en souvenir comme d’un événement abject, ce n’était pas comme si les gens avaient réellement pris les armes et baigné dans le sang.
Chacun d’entre eux était une idole.
Ils vivent pour chanter, danser et répandre le bonheur depuis la scène.
Mais leur foyer en ce temps, l’école privée Yumenosaki, n’était pas un environnement dans lequel les idoles pouvaient mener la vie qui leur était destinée. Les choses s’étaient figées et putréfiées.
Puis certains ont pris les devants pour mettre fin à ce statu quo.
Et d’autres ont perdu quelque chose qui leur était cher à cause de ce mot « révolution » brandit à tout-va. Dans leur rage et leur chagrin, ils ont essayé de se défendre.
En lieu d’armes, ils se sont servi de tout ce qu’ils avaient initialement mis en œuvre pour rendre les autres heureux, en ont fait mauvais usage et ont jeté le blâme de toute leur douleur et leur misère les uns sur les autres.
En conséquence, ce monde, vaste et sans limites, changea en un instant.
Mais le prix à payer fut grand.
Chacun se complaisant dans ses regrets, ruminant la tragédie.
Une chambre d’hôpital.
Le tout nouvel hôpital au pied de Yumenosaki fut érigé pour prodiguer des soins médicaux à toute heure pour une seule et unique personne, si son état de santé le nécessitait.
Le dernier-cri de la technologie et les meilleurs docteurs ne servaient qu’à prolonger un peu plus sa vie. Même si cela revenait à le faire passer avant tous les autres patients, et même s’il fallait recourir à la force.
La personne en question est l’héritier du Conglomérat Financier Tenshouin, dont peu peuvent prétendre arriver à la cheville de sa richesse, Eichi Tenshouin.
Il est l’un des quelques protagonistes dans la lutte ayant eu lieu à Yumenosaki.
Son amour pour les idoles est sans égal.
Mais les méthodes qui lui ont été gravées dans le crâne depuis son plus jeune âge par ses tuteurs du conglomérat, l’esprit vif et brillant qu’il a cultivé, et son cœur flétri, sec de toute émotion, l’ont amené à massacrer ce qu’il aimait le plus au monde de ses propres mains.
La multitude de méfaits qu’il a accomplis, avec la tournure ironique de son destin, l’a rongé de l’intérieur jusqu’à l’en rendre malade.
« … »
Eichi Tenshouin gît sur le sol de sa chambre vide et spacieuse.
Lui aussi est un homme de toute beauté, mais sa beauté a commencé à s’éroder.
Il est frêle et fragile, comme s’il était mal nourri, et sa chevelure dorée tel l’éclat du soleil est en pagaille. Sa luxueuse tenue d’hôpital est froissée et sale.
Il ressemble à un oisillon tombé du nid.
La perfusion intraveineuse et tout le reste du matériel médical dédié à le soigner et le garder en vie ont été arrachés et piétinés jusqu’à se briser par nul autre qu’Eichi lui-même.
Même les docteurs qui s’inquiétaient pour lui ou qui voulaient le traiter, comme ils en ont le devoir, furent copieusement menacés et insultés, et l’ont laissé tranquille.
« Ce n’est pas vrai. »
Le monologue d’Eichi reçut une réponse. Alors qu’il déblatérait, à bout de forces et aux portes de la mort ; alors que personne n’était supposé l’entendre.
Depuis l’unique petite fenêtre de la chambre, si petite qu’il était normalement impossible d’y passer, même en se déboitant les articulations, le bien bâti Wataru Hibiki avait su s’infiltrer sans un son.
Comme si tout cela n’était qu’un rêve.
Comme si, d’un tour de passe-passe, il était là.
« ... Alors c’est toi. Wataru Hibiki des Cinq Excentriques. »
« Ce conte est maintenant terminé, alors pourrais-tu te référer à moi autrement ? »
Eichi parlait comme s’il était à moitié certain d’halluciner, et Wataru lui répondait avec désinvolture en se promenant dans la pièce.
Il prend garde à ne pas déranger ou marcher sur les débris jonchant le sol.
« Allons, un peu de bonne humeur par ici ! Réjouissons-nous du succès de notre spectacle pendant que nous nous reposons et pansons nos plaies ! Il en va de notre devoir désormais, Eichi Tenshouin-kun ! »
« Pourquoi diable es-tu venu ici ? »
En fusillant du regard Wataru, Eichi marmonne comme pour évacuer sa frustration.
« Es-tu venu m’humilier pour m’être pensé vainqueur, alors que j’ai en réalité tout perdu ? »
Probablement à cause de sa fierté lui interdisant de se montrer si peu présentable, il tituba jusqu’à son lit pour s’y asseoir.
Parce que même les agents de nettoyage n’ont pas osé s’approcher, son lit souillé est désormais son trône.
« Ou veux-tu venger tes amis, les Cinq Excentriques ? »
« Oh non, pas du tout ! Même si c’était loin d’être du bon travail, tu as réussi à mener à bien ce spectacle jusqu’à la fin ! Je n’ai que des éloges pour toi, t’humilier serait impensable ! »
Wataru continue de s’exprimer comme s’il s’amusait. Il ramasse à côté du vase renversé au sol tout un éventail de pétales de fleurs colorés et les serre dans son poing fermé. Quand il rouvre sa main, les pétales se sont changés en une seule fleur parfaite.
« De plus, mes amis adorés que sont les Cinq Excentriques n’ont pas vraiment été tués. Ils ne sont pas si fragiles ; je te demanderai de ne pas les sous-estimer. »
L’espace d’un instant, ses yeux sont emplis d’animosité. Puis, comme revêtant un masque, Wataru la dissimule.
« Shu se console avec ses poupées qu’il aime et réciproquement, et regagne peu à peu sa vitalité. Kanata a aussi entamé une nouvelle vie auprès du héros sans expérience qui a sauvé son cœur. Et bien évidemment, Sa Majesté, notre roi démon Rei aussi… celui-ci ne mourrait pas même si tu venais à le tuer, en fait. »
Wataru sourit en nommant les personnalités constituant les Cinq Excentriques une à une.
« Quant à notre benjamin pour lequel nous avons tout sacrifié afin de le protéger… Natsume n’a pas la moindre égratignure. Il n’a pas tardé à trouver l’oiseau bleu que tu as relâché, et a commencé une nouvelle vie en tant qu’idole ; en tant que personne lambda, et non en tant qu’Excentrique. »
« ...Ils sont si forts. Chacun d’entre eux. Des êtres humains tellement plus forts et respectables que moi. Même Hiyori-kun et Nagisa-kun sont rapidement passés à autre chose. »
D’un air légèrement abasourdi, Eichi baisse la tête comme un enfant s’étant égaré et ne sachant pas quoi faire.
« Suis-je le seul incapable d’aller de l’avant ? Peut-être suis-je, dans la sujétion des Cinq Excentriques, ou de tout ce conte belliqueux de Yumenosaki, le seul perdant. »
« Je ne crois pas. Vois-tu, aussi honteux suis-je d’avoir à le reconnaître, je suis moi aussi incertain quant à quoi faire désormais. »
Portant la même expression sonnée qu’Eichi, Wataru joue avec la fleur entre ses doigts dont les bouts sont encore légèrement teints de noir.
« C’était une performance incroyable, et même si elle ne s’est pas terminée de la meilleure des façons, c'en était que de peu, alors je suis assez satisfait. Cependant, mes perspectives d’avenir se sont envolées en flammes, alors je suis relativement perdu. »
« Ah bon. Je te présente mes condoléances pour cela ; tu as bien joué le rôle du méchant, l’objet de la haine de tous ; un rôle soumis au mépris et à l’humiliation. »
« Effectivement. Grâce à cela, personne ne m’a approché pour me proposer quoi que ce soit, et mon emploi du temps est plutôt vide depuis. Même si je pourrais certainement écrire une pièce pour moi-même et jouer n’importe quel vieux conte… Qui a-t-il de plus solitaire que de jouer seul ? »
« Tu as toujours l’air de t’amuser sur scène, même quand tu es seul. »
« Je n’ai pas vraiment le choix. Vois-tu, un comédien se doit de plaire. Mais je n’ai aucune envie d’être sur scène par intérêt personnel ; je ne saurais pas trouver la motivation pour le faire. »
Haussant les épaules, Wataru offre sans un mot sa fleur à Eichi.
« De ce fait, j’ai eu l’idée de venir consulter l’organisateur de la pièce qui m’a offert la plus grande satisfaction afin de quérir un nouveau rôle. C’est pour cela que je suis là, en plus de passer te rendre une visite hospitalière tout court, entre autres. »
« Est-ce là un sarcasme ? Je vous ai humilié et déshonoré, toi et tes amis adorés. Pour satisfaire mes désirs égoïstes, je vous ai tous écrasés sous mon talon jusqu'à vous tuer. »
« Personne n’est mort, Eichi-kun. Ce n’était rien de plus qu’une histoire. »
« Veux-tu essayer de me faire croire que vous vous en êtes tous sortis indemnes ? Comme le ferait un mauvais perdant ? »
« Oh, non. Mais si je venais à t’en tenir rigueur, alors seulement là seraient déshonorés mes amis qui ont joué leur rôle de méchant avec tant de dignité. Tu vois où je veux en venir : je n’essaierai pas de les venger. »
« Je ne suis pas sûr de comprendre ton raisonnement. »
« Moi non plus. C’est la toute première fois que je vis avec le sentiment d’être réellement vivant… Je n’arrive pas à mettre un nom sur ce qui m’agite de l’intérieur. »
Wataru penche innocemment la tête en disant cela, comme un jeune enfant venant de trébucher pour la première fois de sa vie.
« Oups, nous étions en train de diverger, mais je voulais d’abord t’offrir ce cadeau. »
Wataru retrouve tout à coup son attitude habituelle et donne gracieusement la fleur qu’il avait en main à Eichi.
À la seconde où la fleur entre en contact avec les doigts d’Eichi, elle se transforme en un petit tas de documents.
Comme par magie.
« ... Bon Dieu. Comme toujours, tes tours de magie sont sans égal, Hibiki-kun. »
« Je ne crois pas que nous soyons assez proches pour que tu puisses parler comme si tu me connaissais. »
« J’ai toujours gardé un oeil sur toi. »
Eichi avoue en toute honnêteté, vraisemblablement trop épuisé pour garder la face. Il passe ensuite rapidement en revue les documents.
Sa surprise se lit sur son visage.
« C’est… »
« Fufufu. C’est le rêve d’enfant rédigé par le plus jeune de notre fratrie d’Excentriques, Natsume-kun. Il y a versé tout son cœur et son âme. »
Explique Wataru en examinant avec satisfaction la surprise sur les traits d’Eichi.
« Nous avons là un scénario dans lequel nous, les Cinq Excentriques, se saisissent de la victoire lors de la bataille finale que nous avons tous les deux livré l’autre jour. »
« Maintenant que tu en parles, je me souviens vous avoir vu discuter entre vous avant le lever de rideau. J’avais la tête à d’autres choses à ce moment-là, alors je ne vous ai pas vraiment prêté attention. »
Plongé dans sa lecture, tournant délicatement les pages du manuscrit, un sourire étire peu à peu les lèvres d’Eichi.
« Fufu, comme c’est mignon, un vrai conte de fées. “ Je ne veux pas que mes Cinq Excentriques adorés perdent. Je veux que nous ayons une fin heureuse où personne ne finit sacrifié. ” »
« En effet. Ces pages sont remplies de rêves dérisoires. »
« ... Ce n’était qu’en te vainquant sur cette scène que nous avons réussi à mettre fin à cette histoire une bonne fois pour toutes. Si vous aviez gagné ce jour-là, nous serions aujourd’hui encore jusqu’au cou dans ce conflit. »
« Précisément. Je n’en attendais pas moins, c’est pour ça que je n’ai pas pu accepter ce cadeau rempli des rêves, des espoirs et de l’amour de cet enfant, de Natsume-kun. »
« Et parce que nous avons suivi l’arrangement que nous avons passé, tout s’est déroulé comme prévu. »
« C’est vrai. Mais comme on aurait pu s’y attendre venant d’une histoire écrite par notre enfant chéri en proie au désespoir… C’est une histoire fascinante, n’est-ce pas ? L’ignorer et la jeter à la poubelle serait un tel gâchis. »
Les doigts de Wataru parcourent doucement la surface du papier, comme s’il caressait un nourrisson.
« Et c’est justement pour ça que j’en ai rapidement examiné et mémorisé le contenu afin d’en créer secrètement une copie. Natsume-kun vient de brûler lui-même l’original il y a quelques instants. Son rêve d’enfant devrait donc être, en théorie, effacé de la surface de la terre. »
Wataru aborde un sourire comme celui d’un enfant espiègle venant de faire une bêtise.
« Du moins, c’est ce qu’on pourrait croire ! Mais ce qu’il en reste ici, même s’il ne s’agit que d’une réplique, est on-ne-peut plus proche de l’authentique. Non, plutôt… Je l’ai ranimé et laissé derrière moi pour satisfaire mes propres désirs. »
« Hum, je vois. Mais tu réalises bien qu’on ne peut rien en faire, n’est-ce pas ? Ce n’est que le produit de fantasmes complètement détachés de la réalité ; en d’autres termes, ce n’est rien de plus qu’un gâchis de papier. Il ne s’agit que d’une réalité alternative écrite par un lecteur refusant de faire face à la réalité et préférant à la place s’imaginer la fin qu’il aurait voulu. »
Avec un rire narquois, Eichi laisse tomber le tas de papiers sur le lit défait.
« Ce genre de choses n’a aucune pertinence en ce monde. Les histoires comme celles-ci n’existent que dans l’esprit rêveur et optimiste de leurs auteurs. Ce sont des fictions vouées à ne jamais s’accomplir. »
« Certes. De ce fait, étant quelqu’un ayant les pieds sur terre, j’aimerais que tu la réécrives. »
« ... ? »
« Tu n’as rien de mieux à faire durant ton hospitalisation, non ? »
Feuille par feuille, Wataru ramasse consciencieusement les papiers éparpillés par Eichi. Il sourit.
« Alors fais bon usage de ce temps, et sers-toi de ceci pour t’inspirer. Pour une nouvelle histoire dans laquelle tes ennemis, les Cinq Excentriques, gagnent cette fois. »
« À quoi cela servirait-ce ? »
« Même si la probabilité que ce jour arrive soit excessivement maigre, tu devrais tout de même avoir un plan de secours sous la main dans l’éventualité où l’avenir ne se déroulerait pas comme tu l’as prévu. Je suis sûr que tu es celui qui en a le plus conscience, mais considérant la nature faible et maladive de ton corps depuis ta naissance, tu ne sais pas quand ta mort surviendra. »
« ... C’est vrai. Même maintenant, j’ai perdu toute volonté de vivre et refuse d’être traité. »
« Tu es le protagoniste de cette histoire. À ta mort, si tu venais à soudainement en être retiré, toute l’histoire s’effondrerait.
« … »
« J’ose présumer que tu vois où je veux en venir, Eichi-kun ? »
« Je le vois, Hibiki-kun. »
Une lueur vacillante apparaît dans les yeux d’Eichi, eux qui précédemment, étaient aussi vitreux que ceux d’un cadavre.
« En tant qu’auteur et protagoniste de ce compte, j’en suis responsable. Je dois préparer la mort de mon personnage et sa disparition de ce monde, de cette histoire. »
« Bien. Mais comme en écrire n’est pas ta spécialité, je me suis dit qu’une référence pourrait t’être utile. Même s’il ne s’agit que d’une chimère, le travail de Natsume-kun correspond exactement à ce qui est recherché aussi bien en contenu qu’en qualité. Je pense que tu seras d’accord avec moi sur ce point. »
« Oui, c’est vrai. Ce conte a été écrit par un génie en devenir, le plus jeune des Cinq Excentriques, a écrit comme si sa vie en dépendait. »
Cette fois, sans la moindre trace de mesquinerie dans son expression, Eichi réévalua sincèrement la qualité du travail de son adversaire, un sourire aux lèvres.
« Tu as ma reconnaissance, Hibiki-kun. Je n’aurais jamais pu demander à Keito d’écrire une histoire dont le scénario tourne autour de ma mort ; il est on-ne-peut-plus réfractaire rien qu’à l’idée que cela arrive. »
Eichi commente la voix emplie d’affection. Il écarquille ensuite les yeux, comme surpris par ses propres mots.
Peut-être s’est-il souvenu que, en dépit de penser tout avoir perdu, il lui restait quelque chose à aimer.
« Je l’écrirai moi-même, qu’elle se poursuive même après mon départ. »
S’agitant précipitamment, Eichi macule ses doigts dans la crasse sur le lit et se met à griffonner au dos des documents. Son écriture est brouillonne et en pattes de mouches, lisible seulement pour lui.
« D’abord, je serai vaincu tant que je suis en vie. Après avoir défait les Cinq Excentriques et obtenu tout ce que je veux, je deviendrai un tyran fou, et une nouvelle génération de héros se dressera pour me pourfendre. Il pourrait s’agir de Natsume-kun et des Excentriques survivants, ou quelqu’un d’autre. »
« Mhm ♪ Et après ? Que se passera-t-il ? »
« Il ne servirait à rien d’uniquement changer de détenteur du pouvoir. Il faut que les membres de la société prennent l’initiative et se mettent à l’œuvre pour rendre le monde meilleur. Donc, nous devrions viser une révolution portée par le peuple. Ensuite, euhh… Ahh… »
Dans son élan, il éparpille les documents, puis se tient la tête entre ses mains.
« Je n’arrive pas à avoir les idées nettes ! Je ne suis pas un génie, après tout ! Rahh, j’ai honte de demander, et tu n’es pas dans l’obligation d’accepter, mais… Puis-je te demander de m’aider à planifier cela, Hibiki-kun ? »
« Bien sûr, avec plaisir ♪ Je n’ai rien d’autre à faire, après tout ! »
S’asseyant sur le lit, Wataru pose son regard étincelant de joie sur Eichi en se mettant à frénétiquement écrire un nouveau conte.
« De même, j’ai hâte de découvrir quelle sera la prochaine scène sur laquelle je serai appelé à jouer. Ah, rien dans la vie ne me rend plus heureux que cela ! »
« Il me faudra plus de papier ! Et de quoi écrire ! Hibiki-kun, pourrais-tu aller m’en chercher quelque part ? »
« Bien sûr, bien sûr. Dis-moi, n’es-tu pas supposé être un de mes fans ? Pourtant, te voilà à me donner des ordres. »
Mais il sourit en admettant ne pas être dérangé, et Wataru s’agite comme un oiseau s’apprêtant à s’envoler.
« Maintenant, va ! Chante ! Conte ! Écris ton histoire ! Les tragédies se réécrivent en comédies, je suis certain que ta prochaine œuvre sera une histoire des plus amusantes !
« Il suffit, cesse de déblatérer ! Dépêche-toi ! Avant que je ne sois à court de vie ! »
»D’accord, d’accord. Bon sang, tu ne sais vraiment pas comment demander service aux gens, estimé auteur… ♪ »
Et c’est ainsi que Wataru Hibiki vint en aide à Tenshouin Eichi dans la conception de son histoire. Alors qu’ils se soutenaient l’un-l’autre et s’adonnaient à des discussions mouvementées, ils planifiaient le futur.
Leur défaite en tant que fine, les dirigeants de Yumenosaki, par les révolutionnaires Trickstar, est un évènement qui se sera déroulé après la fin d’un hiver morose.
Dans la saison où les graines que des oiseaux sales et épuisés ont ramenées fleurissent.