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Impressions IPSA
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Professeur à l’IPSA de février à mai 2024 : Mes impressions

Ma situation

J'ai quitté gentiment l’informatique pour me lancer dans un sujet qui me tient à cœur depuis mon adolescence : L’énergie. Un an plus tard, j'ai pris ma retraite en juillet 2023, et comme je ne peux rester professionnellement inactif, depuis novembre 2023, je prépare intensément des cours sur l’énergie que j'ai commencé à donner en février 2024, pendant 3 mois. Je fais travailler 195 élèves de 4ème année d'une école d'ingénieur en aéronautique (IPSA) sur 12 projets de “production d'électricité et d'hydrogène” que j'ai définis de 1 -> 9 (spécifique informatique), tandis que 10, 11 & 12 sont émis par des entreprises.

Puisque chaque projet traite de l’état de l’art ou de modélisation, une possible compilation de tous les rendus permettrait la rédaction d’un livre blanc IPSA. Cette compilation décrirait d’abord la captation des énergies du soleil et du vent pour obtenir de l’hydrogène, puis de la présentation de ses usages en puissance mécanique (incluant des simulations) et électrique, en stockage d’énergie et carburants de synthèse

Nouvelle aventure un peu stressante, certainement énergivore et chronophage qui me plaît cependant car elle est stimulante intellectuellement et je fréquente de jeunes futurs ingénieurs.

J’observe mon caractère et ma situation: Dans ma carrière, je n’ai jamais voulu être manager ni chef de projet. Je voulais maîtriser le détail technique de la réalisation, rester un “expert”, et ne pas me perdre dans l'administratif, le financier ou la direction d'équipe. Et voici que je vis ce rôle que j’avais toujours évité : Je dirige 63 équipes de projet, je suis celui qui leur permet de travailler en définissant leur ouvrage (incluant les commanditaires extérieurs) avec une vision (possible rédaction d’un livre blanc), en les suivant dans leur travail, les orientant, les stimulant, en facilitant les relations entre groupes aux mêmes projets à travers différentes classes et aussi avec les commanditaires. Le plus surprenant: cela me convient ! Je les laisse travailler pour approfondir leur sujet, et je me laisse parfois surprendre avec admiration.

Des jeunes de 4ème année sont stimulants, parfois tellement brillants qu'ils sont intimidants. A contrario, par moment je m'interroge sur la présence de certains ignorants ou fainéants ici...

Souvent les élèves ont un faible niveau de connaissance en électricité. Malgré les choix de certains en projets de production électrique, ils montrent quelquefois une incompréhension totale de l'électrotechnique : méconnaissance du triphasé, confusion entre DC & AC, ignorance du rôle d'un transformateur ou de la formule Puissance=U*I, confusion entre KW et KWh, confusion entre le stator et le rotor d'un moteur électrique, croyance qu'une pile à combustible actionne un turbopropulseur... Dommage pour des futurs ingénieurs, avec ce genre de question "Les 3 MW générés par l'éolienne sont produits en combien de temps ? 1s, 1 jour, 1 heure"

L'école

Quelques photos de réacteurs et hélices électriques exposés a l'IPSA. Une école de passionnés, et ça se voit aussi écrit sur leur vêtements ou collé (stickers) sur leur PC.

Dans les toilettes, intéressant distributeur de différents modèles de tampons hygiéniques gratuits financés par le CROUS

Les projets

Les 12 projets (70 pages) que je leur donne vivent en fonction de mes élèves et je prends du temps pour les mettre à jour 3 fois par semaine. Dans ces 12, 8 sortent de mon imagination et je les maîtrise, mais 4 projets sont en relation avec des industriels avec qui j’organise de surcroît des réunions avec les élèves. Dans ces 4 là je suis un peu perdu tant c'est compliqué. Heureusement les élèves sont bienveillants avec leur prof...

L'an prochain, si Dieu le veut, je donnerai à définir et modéliser un groupe électrogène low tech à multi-carburants. On doit pouvoir l’alimenter en combustible et le réparer avec des composants d'une déchetterie. J’y pense depuis mon adolescence. J'ai déjà les spécifications en tête dont 3 ou 5 kw puissance électrique, triphasé de préférence, à partir d'un moteur Stirling. On le chauffera en brûlant ce qu'on veut: du bois, des bouses, du papier… bref de la biomasse ou des combustibles issus de fossiles, du moment que ça brûle, pour produire de l'électricité. Le tout reposera sur la surface d'une palette, hors réserve carburants.

Parmi ces jeunes, j'entrevois certains décideurs de demain, j'imagine un peu leur futur parcours : R&D ou avant vente puis directeurs. Je me demande si l'an prochain ils mettront dans leur CV qu’ils ont travaillé sur un projet (que je leur ai donné) ? Comment dans 10 ans se souviendront-ils des quelques mois passés ensemble? Quelle influence aurais-je eu dans leur carrière ou leur souvenir ?

Des élèves

Un élève m'a dit: "Vous les anciens avez fait la fête et nous les jeunes avons la gueule de bois" sous entendu “vous avez surconsommé et endommagé la planète et son climat. Maintenant nous souffrons de votre comportement irresponsable dont nous devons corriger les excès”. Les élèves sont inconfortables avec leur vocation pour l'aéronautique et le spatial qui cohabite avec leur culpabilité de réchauffer notre monde (2.5 % CO2 mondial). Un nouveau mot suédois apparaît: flygskam = flight shame ou flight shaming en anglais ou avihonte en québécois.

Dans mes travaux dirigés, j'ai repéré un singulier indien. Je le présume troublé par un handicap genre Asperger. Il travaille seul et est très attaché au texte définissant son projet que j'ai écrit, à tel point qu'il risque de s'échapper de l'intention que j'ai voulu y mettre. Et en parallèle, j’ai l'impression qu'il n'écoute pas car il désobéit à mes demandes. A surveiller, mais hélas je le comprends à peine à cause de son accent... Je prendrai soin de lui néanmoins.

- Monsieur! Vous qui avez fait l’école d’ingénieur ESME qui est dans le même groupe que notre école d’ingénieur IPSA, selon vous quelle est la meilleure des 2 écoles ?

- Je vais te répondre : l’IPSA est meilleure, non seulement parce que vous excellez, mais aussi parce que hélas l’ESME baisse…

- Ahhhh... merci Monsieur !

Pour connaître les paramètres de fonctionnement d'un véhicule, avec "mes élèves" de l'IPSA qui ont choisit de travailler sur mon projet informatique, nous utilisons un smartphone qui embarque de multiples capteurs et récepteurs (position GPS, température, magnétisme, accélérations, luminosité…) dont nous collectons les données.

Ils sont enthousiastes et nous continuons encore de parler après 17h30, alors que les autres projets ont déserté la salle de classe.

Habituellement, je tutoie les élèves qui me vouvoient en retour. Et voila que ces informaticiens dérapent et commencent à me tutoyer. Je ne relève pas, je me sens flatté et je souris intérieurement... Signe de communion au-delà des générations !

Les soutenances s'étalent sur 1 mois

Certains rapports écrits, qui doivent précéder la soutenance orale qui en sera la synthèse, exhalent un fort parfum de chat GTP ou Copilot… Outre que je l’ai aperçue derrière leur dos en classe, je vois aussi la prose de l’IA générative par une structuration de texte ordonnée, journalistique mais hors de mes demandes, trop générale et sans pertinence. Parfois même les chapitres du rapport se contredisent, car les auteurs de sous-ensembles ne relisent pas l'intégralité de leur prose. A leur décharge, ils n’ont pas que mes cours... J’avalise l’utilisation du web, y compris l’IA, mais j'attends une réponse au besoin du projet demandé.

Lors de la présentation, de nombreux diaporamas sont de grande qualité. Remarquables !

Certaines excellentes notes: 20/20 et des recommandations d'industriels, jusqu'à ... 7/20 et je suis clément.

Souvent les élèves s’habillent mieux que d’accoutumée: des filles se maquillent, portent une robe en place du pantalon et des garçons une chemise en place du T-shirt. Je suis sensible à ces efforts qui solennisent l’événement.

Les élèves et moi vivons la frustration du temps trop court pour partager et échanger sur leurs études. Je ne peux apprécier leur travail tant je suis concentré sur leurs possibles erreurs, leur pertinence, sur mon jugement, mon équité de notation entre les protagonistes, ma surveillance des temps de paroles, mes encouragements, mes questions … Bref, je suis presque aussi stressé qu’eux ! Le stress de tous, moi inclus, se ressent, au sens propre, à l’odeur dégagée. Nous partageons la même chambre des supplices. En milieu d’après-midi, lors de l’entrée en scène d’un nouveau groupe, un des garçons entrant s’est dirigé vers la fenêtre pour l’ouvrir : « Saine » initiative !

Hélas parfois une partie des notes passables vient du fait ... qu'ils sont hors sujet !  Pourtant ils ont travaillé... Signe de notre époque qu'on n'écoute plus ce qui est dit ou écrit par les autres ? Mais que son acte individuel est plus important que l'énoncé de l'exercice écrit par un tiers ? On réagit par émotion ? Je me suis interrogé sur la qualité de mes instructions, mais non, certains ont bien répondu aux sujets demandés.

Une technique quelquefois utilisée par des élèves hésitants est d’ajouter des mots comme “Souvent” dans une affirmation: “Généralement la lumière éclaire”, “Fréquemment la glace est froide” …Il espère ainsi que si l’affirmation est fausse, sa prudence le sauvera. Si elle est juste, elle lui rapportera des points. Je n’aime pas ces tentatives de duperie.

Mes critères de notation

Le rapport préalable me sert à m'imprégner de leur travail et préparer mes questions pour le jour de la soutenance.

Cependant une part de la note collective correspond au respect des consignes : livraison des fichiers, leur nommage, les hors-sujet.

Pour le reste, je note les soutenances, sans attribuer une note moyenne de groupe ni précisément évaluer la contribution préalable de chacun. Je juge individuellement les participants selon ce que je vois, lis à l’écran, entends des réponses à mes questions. Le temps de parole que j'accorde à chacun dépend de plusieurs paramètres : pertinence du candidat autant que la vérification qu'il n'a pas compris.

Compte tenu du temps limité de soutenance, je demande parfois de sauter certaines diapositives que je considère comme vaines, soit qu'elles étaient en introduction - ce que j'avais banni plusieurs fois, soit qu’elles sortent du sujet, soit que j'en comprenais le contenu dès leur lecture=> frustration des 2 côtés !

Cas de conscience

Les justes notes

Un groupe de 7 élèves présente une brillante soutenance devant moi et l’entreprise commanditaire du projet. Comme toujours, je veux repérer les meilleurs afin de leur attribuer la meilleure note, et inversement…

Le groupe quitte la salle et une fois seul je me remémore difficilement les interventions individuelles. On frappe discrètement à la porte, et entrent 2 élèves du groupe, un peu gênés: ils ont quelque chose à me dire. Je les mets a l’aise. Ils m'apprennent que 2 sur les 7 n’ont rien fait, ont pris connaissance la veille des rapport et diaporama écrits par les 5 et ont choisi leur part de présentation : les généralités d’introduction. Malgré les répartitions initiales des rôles individuels par l'équipe, ces 2 écornifleurs ont refusé leur contribution, qui a dû être endossée par les 5 restants.

Mes 2 interlocuteurs sont partagés entre le besoin de justice et celui de solidarité. Je pense que c’est la providence qui me les envoie, mais je me contente de déclarer qu'ils aident mes évaluations. Nous échangeons sur la note que les profiteurs mériteraient, mais mes interlocuteurs restent vagues pour conserver leur réputation. Pour les rassurer je déclare que je tiendrai compte de notre conversation et que de mon point de vue les 5 méritent 20/20 pour leur soutenance. Sur ce ils me quittent satisfaits de nos échanges et moi heureux d’avoir été éclairé.

30 secondes plus tard, j’entends à nouveau frapper à la porte et je fais entrer … Les 2 lascars profiteurs ! Eux aussi, gênés de me suggérer que j’ai probablement eu vent de leur réputation. Je soupçonne qu'ils observaient discrètement mes 2 justiciers et attendaient qu'ils quittent le couloir pour entrer à leur tour. J’apprends qu’ils avaient initialement des groupes de projets qui se sont dissous et ont alors demandé à rejoindre des camarades connus dans un projet qu'ils n'ont pas choisi. Je réalise que 2 nains tentent de suivre 5 géants. Ils ont préféré travailler avec des connaissances que sur un sujet les attirant. Un drame profond se déroule ici: ils ont davantage préféré leur confort compréhensible, que leur tropisme pour un projet, avec cependant le risque de travailler avec des inconnus. Et ils payent le prix … possiblement d’une leçon ? Valable pour moi aussi: discernement et courage.

Les jolies filles

Je suis séduit par les étudiants brillants et …par les jolies filles, surtout lorsqu'elles s'apprêtent pour cet événement important dans leur scolarité.

Dans ce cas, mes yeux et mes oreilles sont sollicités et j’aurais envie d'attribuer une double note selon mes 2 sens... Mais à la fois ma raison et la case unique d'évaluation me poussent à détourner le regard pour me concentrer sur la parole. Au regard humain, la nature est injuste, mais tout va bien qui finit bien.

Un trio chargé

Un jour en sortant de l'école, un élève m’aborde et me demande si je suis le professeur d'hydrogène. Aie, ça commence mal : cela suppose 1/ qu’il ne me reconnaît pas, par probable absence aux 16 heures de cours ensemble et 2/ qu’il ignore mes attributions qui est aussi son module d'enseignement à savoir “production électricité et hydrogène”. Il demande un report de soutenance de son groupe sur leur projet de génération d'électricité à partir de la chaleur reçue du soleil, pour cause de côte cassée d’un de ses 2 autres partenaires. il me montre les photos de la blessure du malheureux et j'apprends la cause de l'accident: son copain bourré est tombé chez lui sur la cuvette des WC…

L’affaire ne s'arrête pas là. Le jour de leur soutenance ils me font un remarquable hors sujet, dans un style journalistique et de plus truffé d'erreurs. J'apprends dans la conversation qu’un des participants avait lors d’une année précédente traité d’un sujet analogue, qu'ils ont manifestement ressorti pour leur soutenance ! Comme quoi le hasard n'existe pas: l'intempérance, la négligence et la paresse se rejoignent…

L'union fait il la force ?

Un groupe de 3 et un groupe de 4 ont choisi de travailler sur un même projet d'installation photovoltaïque monophasé dans une maison. Leur point commun: la nonchalance et des origines majoritairement du sud. Ils m’ont demandé de collaborer ensemble et de faire soutenance commune, j’ai accepté à condition qu'ils choisissent 2 systèmes de stockage différents d'électricité.

Ils pensaient qu’à 7 ils seraient plus forts, ce fut leur perte.

Pendant les 16 heures de travaux dirigés avec moi, malgré mes alertes sur leur retard, ils se sont réveillés très tardivement à la dernière séance. Comme je souhaitais leur succès, après les heures officielles avec moi, j’ai encore travaillé avec eux l'équivalent d'une journée supplémentaire. Cela n’a pas suffi pour réussir leur soutenance. Outre leur désinvolture, leur excès de confiance, leur irrespect de mes consignes, leur possible croyance que l’autre ferait le travail, leur manque de désignation d’un chef au sein du groupe, tout cela fut hélas fatal. Devant ce Waterloo, ils ont essayé de rattraper le coup avec un courriel de repentance et une demande de certains de repasser avec la promesse qu’ils s'impliqueraient à 100%.

Le sucre dans le café avait fondu, et il s’est refroidi. On ne remonte pas le temps.

En parallèle, un autre élève brillant a lui aussi choisi de travailler seul sur un projet d'installation photovoltaïque triphasé dans une maison. Il a reçu une excellente note. On a revécu la fable du lièvre et de la tortue.

Les réclamations

Au sens premier et pendant quelques mois, au choix, je suis

Qu'est ce que la justice (des notes) ? Rendre à chacun ce qui lui est dû. A qui appartient le rôle de rendre la justice? Au juge i.e. moi, pas aux parties i.e. les élèves. Autrement dit, elle prend sa source d’un autorité extérieure, dans la loi, ou Dieu pour moi, pas dans le droit des élèves qui est une justice humaine.

Quoiqu'il en soit pour limiter mes pouvoirs, j’ai “au-dessus” de moi la loi, l'école et les élèves. Certains ayant des mauvaises notes m'écrivent pour demander de les remonter parfois poliment, parfois autoritairement.

J’ai passé 3 jours à leur répondre. Certains ont vu leur note réévaluée d’un point, et de deux pour une indienne.

La directrice

J’attends devant la porte de la salle visioconférence qu’elle se libère pour commencer la soutenance avec 2 élèves et EHM, une entreprise à qui j’avais demandé un projet et qui nous a proposé de simuler son moteur thermique à hydrogène.

La salle est occupée par une réunion avec la directrice de l’école, une belle femme autour de 45 ans. Elle sort et s'enquiert rapidement de notre besoin de cette salle. Comprenant l’enjeu de l'événement, elle s'approche d’un élève pour réajuster son nœud de cravate avec la bienveillance d’une maman et demande avec gentillesse au second pourquoi il ne porte pas de cravate. Son geste m’a attendri: les élèves sont ses enfants. La façon d'assurer sa fonction dépend de son genre (car on ne peut plus prononcer sexe)…

Lettres de recommandation

Auprès des entreprises qui nous ont donné des projets, j’ai plaisir à leur demander des lettres de recommandation pour les plus méritants, qu’elle leur accorde.

Et maintenant ?

Fin mai, l'école demandera aux élèves de m'évaluer. Je suis impatient du résultat.

Vers le 20 juin l'école définira les élèves qui devront passer en rattrapage. Je serais éventuellement amené à en revoir certains…