Dossier Torture
Dossier pédagogique Torture
Cahier d'exercice Un cahier d'exercices est également disponible ici. Décharges électriques. Passages à tabac. Viols. Humiliations. Simulacres d’exécution. Brûlures. Privation de sommeil. Torture à l’eau. Longues heures dans des postures contorsionnées. Utilisation de tenailles, de substances médicamenteuses et de chiens. Ces mots sonnent à eux seuls comme un cauchemar. Pourtant, tous les jours et dans toutes les régions du monde, ces horreurs inimaginables sont une réalité pour des milliers d’hommes, de femmes et d’enfants. La torture est une pratique odieuse. Elle est barbare et inhumaine. Rien ne saurait la justifier. C’est une pratique indéfendable, contre-productive, qui corrompt l’état de droit et le remplace par la terreur. Personne n’est en sécurité lorsque l’État autorise son usage. Il y a tout juste 30 ans, les Nations unies adoptaient la Convention contre la torture et autres peines ou traitements cruels, inhumains ou dégradants (Convention contre la torture). Les tortionnaires sont maintenant hors-la-loi presque partout dans le monde puisque la Convention contre la torture compte aujourd’hui 155 États parties. Cependant, nombreux sont les gouvernements qui ne respectent pas leurs obligations. La torture est non seulement toujours pratiquée, mais elle est même prospère. Au cours de ces cinq dernières années, Amnesty International a signalé des cas de torture et d’autres mauvais traitements dans 141 pays. Si dans certains pays il s’agissait de cas isolés et exceptionnels, dans d’autres la torture est une pratique généralisée. Nos statistiques sont bien loin de refléter l’ampleur réelle de la torture dans le monde. De même, elles ne permettent pas de rendre compte à leur juste mesure de la réalité abjecte de la torture ni de son coût en termes de vies humaines. De plus, il est extrêmement préoccupant de constater que 30 ans après l’adoption de la Convention, près de la moitié de la population mondiale ne se sent toujours pas à l’abri de cette pratique abjecte. Salil Shetty, Secrétaire général d’Amnesty International Grâce à la lecture de ce dossier, vous pourrez découvrir, avec votre classe, l’étendue de cette problématique, les enjeux, les avancées, mais aussi les reculs qu’elle a connus. Vous pourrez également découvrir qu’il existe des solutions. Grâce aux fiches d’actions et au dossier d’exercices, vous pourrez exploiter au maximum cette thématique et agir. Je vous souhaite d’ores et déjà une bonne lecture et un bon travail. |
Tous les pays du monde ont pratiqué la torture à un moment de leur histoire. Utilisée pour extirper des informations, punir un détenu, faire taire des opposants à l’État ou encore contrôler des personnes, la torture a souvent été perçue comme un moyen efficace d’arriver à ses fins. Des penseurs et des textes juridiques s’y sont opposés. Des États ont déclaré son abolition. Malgré tout, cette pratique inadmissible reste présente dans plus de trois pays sur quatre dans le monde, en 2014. De l’agora au cachot : la torture de l’Antiquité à l’époque moderne.Tortures antiques sur la place publique.Il faut remonter jusqu’à l’Antiquité (3500 – 476 ACN) pour trouver les premiers écrits historiques sur la torture. Ces traces, présentées sous forme de textes juridiques des Chinois ou encore des Égyptiens, listent les sanctions à appliquer aux criminels, dont la torture. Des chercheurs ont notamment retrouvé le verdict du procès de pilleurs de tombeaux de pharaons en Égypte en 1089 ACN, condamnés à l’empalement. Ils ne sont pas les seuls à subir de tels supplices puisque la torture est souvent pratiquée un peu partout dans le monde à cette époque. Elle est, la plupart du temps, réservée aux personnes extérieures à la communauté qu’on dit dénuées de raison telles que les esclaves ou les étrangers. Ils sont torturés pour faire face au jugement de Dieu. Comment prouver qu’un esclave dit vrai s’il n’a pas de « pensée rationnelle » ? En le torturant en public ; s’il survit, c’est qu’il ne ment pas. L’homme libre doit simplement passer par le serment purgatoire durant lequel il jure de son innocence. Seul le citoyen coupable de haute trahison du pouvoir – de lèse-majesté – sera soumis, sous l’Empire (27 – 476 PCN), à la torture. Celui-ci ne méritant pas la mort « digne » comme la décapitation, il subira une torture représentant le crime commis. Par exemple, on coupera la langue de l’opposant au pouvoir, on crucifiera un dénommé Jésus pour avoir diffusé des idées religieuses. Le but de la torture n’est plus seulement d’avouer, mais aussi de renoncer publiquement à ses idées. On appelle cela l’abjuration. Dans son ouvrage La République, Platon encourage d’ailleurs la torture publique. Elle offre selon lui « un beau spectacle » et permet à la population de se retrouver autour de valeurs communes. Le Saviez-vous?Si Dieu le dit… Certaines personnes doivent faire face au jugement de Dieu lors de l’Antiquité. On appelle cela l’ordalie. Si un homme survit à l’eau, au feu ou à d’autres tortures, cela signifie que Dieu envoie un signe de son innocence. Par exemple, l’« épreuve du chaudron » est la première mention d’ordalie qui apparaît dans la loi salique, ou loi des Francs et, remonte à 510 environ PCN. On plonge la main d’un homme dans l’eau bouillante qui doit aller y retrouver un anneau béni. S’il survit à ses terribles blessures, il est relâché. Dans le cas particulier où deux personnes sont jugées et que l’on doit décider laquelle des deux est coupable, on pratique alors l’ordalie bilatérale. Les deux accusés combattent et c’est l’issue du combat qui a une valeur de jugement. Illustration: Ordalie sous forme d’épreuve du feu, peinture de Ghirlandaio, Florence, église Santa Trinità. Déjà à l’Antiquité, des voix s’élèvent contre la torture. Les philosophes Sénèque et Tacite dénoncent cette pratique inhumaine dans leurs écrits. Sénèque dit notamment dans son ouvrage De la clémence, 56 PCN : « Les délinquants eux-mêmes, il te sera plus facile de les corriger avec une punition moins dure, car il donne meilleur soin à la conduite de sa vie celui qui a encore quelque chose à perdre ». Mais bien que leurs intentions soient bonnes, ces philosophes tolèrent malgré tout la torture quand il s’agit d’actes criminels, et donc pour de nombreux cas. Quand sorcières et hérétiques avouent à l’ombre des cachots.En 476, l’Empire romain d'Occident s’effondre, et c’est toute une époque, à savoir l’Antiquité, qui prend fin. Nous entrons dans le Moyen Âge (476-1492). Même si on lui colle une étiquette de barbarie et de violence, on constate que la torture va devenir plus rare durant cette période. Elle devient surtout un instrument de choix pour obtenir des aveux, seule preuve valide de culpabilité. Le simple fait de survivre à la torture, grâce à la main de Dieu, n’est plus suffisant pour rendre un verdict. Doucement, l’ordalie disparaît pour laisser la place à des procédures accusatoires. La seule issue pour un accusé innocent est de résister à la torture, de ne pas répondre aux questions. S’il craque et qu’il avoue des actes, même s’il ne les a pas commis, il devient coupable. Cette nouveauté de l’aveu entraîne un changement important par rapport aux pratiques antiques : le silence. Les accusés sont souvent coupés du monde extérieur. Cela permet d’assurer que l’aveu soit juste et que l’accusé s’accuse lui-même, qu’il porte plainte contre sa propre personne. Il est privé d’assistance judiciaire et ne connaît ni les raisons de son arrestation ni l’identité des accusateurs. La torture, jusqu’alors donnée en spectacle, passe donc dans les coulisses, à l’abri des regards, dans des lieux secrets. Autre nouveauté, comme la torture s’insère de plus en plus dans le processus judiciaire, on crée une fonction propre de bourreau. Durant l’Antiquité, les officiers de l’État se relayent la tâche ou laissent le « sale boulot » aux condamnés eux-mêmes. Au Moyen Âge, chaque village possède son propre bourreau qui prend en charge toutes les exécutions et les tortures. LE SAVIEZ-VOUS?Dure, dure, la vie de bourreau au Moyen Âge ! La vie de bourreau au Moyen Âge est loin d’être enviable. Tout d’abord, les supplices imposés sont souvent terribles, même pour les spectateurs. Peu de gens pourraient se réjouir de devoir écarteler quelqu’un ou encore d’écraser le crâne d’un condamné. Une fois leur besogne accomplie, les bourreaux sont souvent exclus de la société. Le peuple considère qu’ils ont du sang sur les mains et ne méritent donc pas de sacrement religieux, d’être enterrés dans un sol consacré ou même de toucher des légumes sur le marché. Le bourreau fait donc peur et inspire le mépris chez les villageois. Le seul avantage dont il dispose est d’être exonéré de certaines taxes, mais à quel prix ! Au départ, l’Église se prononce contre les aveux extorqués sous la torture. Mais celle-ci étant toujours pratiquée, elle la conseille en dernier recours, après l’application de la procédure ordinaire à savoir l’aveu de l’accusé accompagné d’indices et du témoignage de deux témoins de visu. Peu à peu, l’Église va avoir de nouvelles priorités : lutter contre la criminalité et la recherche des hérétiques. Dans les tribunaux ecclésiastiques, la procédure judiciaire devient inquisitoire et non plus accusatoire. C’est le début de l’Inquisition. En 1184, lors du Concile de Vérone, l’Église donne pour la première fois ordre aux évêques de rechercher eux-mêmes les hérétiques et les dote donc de pouvoirs extraordinaires. Les inquisiteurs sont nommés et gagnent de plus en plus de liberté concernant l’usage de la torture. Déjà pratiquée au sein des tribunaux laïques, elle est officiellement légitimée par l’Église à partir de 1254. C’est à cette date que le pape Innocent IV en autorise l’usage dans les tribunaux ecclésiastiques. On verra même apparaître des Manuels des Inquisiteurs, au XIVème siècle, véritables modes d’emploi de torture décrivant les techniques les plus efficaces pour extirper des aveux aux hérétiques. L’Inquisition s’exporte alors à travers l’Europe et même au-delà de ses frontières, en Amérique latine. La fin du Moyen Âge est aussi synonyme de contrôle de la torture. Certains magistrats en ont abusé et il faut donc réagir. Des textes, tout d’abord au sein des juridictions laïques, au XIIIème siècle, réglementent son usage, interdisant la torture sur les vieillards, les enfants, les femmes enceintes ou si les présomptions de culpabilité sont trop faibles. Du côté de l’Église, il faut attendre l’ordonnance de Blois de 1498 pour que la torture, dans le cadre de l’Inquisition, soit contrôlée. Ce texte demande notamment que tout aveu soit réitéré hors de toute contrainte, qu’une même torture ne soit pas répétée deux fois sans qu’il y ait d’éléments nouveaux dans l’enquête ou encore qu’un procès-verbal décrivant la torture, sa durée, les instruments utilisés soit rédigé pour chaque séance de torture. LE SAVIEZ-VOUS?La chasse aux sorcières.Le Moyen Âge est une période éprouvante pour les hérétiques, mais également pour les personnes accusées de sorcellerie. La véritable persécution ne commence qu’au XVème siècle. Les sorcières subissent de nombreuses formes de torture, le plus souvent données sur la place publique. On érige des « tours aux sorcières » où elles agonisent durant des années. Enfermées dans des cachots froids et humides, elles sont parfois pendues par leurs membres à l’aide de chaînes et meurent à petit feu. Pour diminuer la torture physique, on insère dans les textes juridiques une nouvelle technique plutôt « efficace » : la question préparatoire. Avant de remédier à torturer « pour de vrai », les inquisiteurs exposent les instruments de torture à l’accusé, le menacent, l’effrayent en lui faisant croire que son tour est venu. Souvent, l’accusé craque et avoue avant d’être torturé. La torture psychologique est née. À travers ces différents textes, la fin de l’Inquisition européenne et le changement progressif de mentalité, la pratique de la torture se raréfie peu à peu. Elle n’en reste pas moins légale et violente, mais le vent du changement commence tout doucement à souffler. Torture inutile... mais torture quand même !Ce serait mentir que de dire que la torture n’existe plus à l’époque moderne (1492- 1789). Elle quitte parfois l’ombre des cachots et redevient visible dans quelques cas de « spectacles de torture » en Europe. Elle reste principalement utilisée contre les crimes de lèse-majesté et est donc vue comme un moyen de maintenir l’État, de le protéger. Dès le XVIème siècle, mais encore plus durant le Siècle des Lumières (XVIIIème siècle), on repense la société, l’Homme et ses droits. La question de la torture n’y échappera pas et tiendra même à cœur à certains philosophes et penseurs. Dès le XVIIème siècle, le moraliste Jean de La Bruyère résume assez bien les pensées de ses contemporains : « La question est une invention merveilleuse et tout à fait sûre pour perdre un innocent qui a la complexion faible, et sauver un coupable qui est né robuste ». Autrement dit, un criminel qui sait résister à la torture sera libéré alors qu’un innocent avec peu de volonté craquera et sera condamné. On commence donc à remettre en question l’efficacité de la torture. À travers l’Europe, certains pays, tels que la Grande-Bretagne ou la Suède, ont déjà pris de l’avance et ne pratiquent plus la torture. Leurs voisins s’en étonnent et constatent que l’ordre public demeure, bien que l’on n’utilise plus la torture. C’est une réelle surprise pour les mentalités de l’époque qui voyaient la torture comme une protection indispensable du pouvoir souverain. Les souverains européens semblent entendre les voix qui s’élèvent dans la société et s’inspirent de leurs voisins avant-gardistes. Ils prennent des dispositions, timides au départ et catégoriques par la suite. En France, par exemple, une première constitution criminelle sera proposée en 1532. C’est donc l’État, et non plus l’Église, qui produit des lois pour protéger les accusés de bourreaux qui n’auraient pas de limites. On uniformise la torture et on répète l’interdiction de torturer enfants et femmes enceintes. En 1670, ce sera au tour de Louis XIV d’éditer une ordonnance criminelle qui règlemente la torture. Elle impose notamment que des preuves recueillies en dehors de la torture puissent être utilisées dans le procès, même si l’accusé n’a pas avoué. Peu à peu, la torture perd de son utilité. Il faut attendre 1788 pour que la torture soit abolie en France. Les autres États européens font de même pour arriver à une abolition quasi générale de la torture en Europe à la fin du XVIIIème siècle. Mais, si l’on observe le reste du monde, le tableau est moins glorieux. Et il en sera ainsi jusqu’au XIXème siècle. La plupart des pays asiatiques, pour ne citer qu’un continent, ne se posent pas la question de l’utilité de la torture et continuent à l’employer au quotidien. La Chine, par exemple, garde ses habitudes, et ce, à l’aide de supplices spectaculaires et particulièrement cruels. Des tortures telles que le démembrement ou le fait d’éplucher méthodiquement la peau du coupable sont appliquées dès les petits délits pour effrayer la population et asseoir l’Empire. Révolutions, résolutions, évolutions... La torture à l’époque contemporaine !La torture ? Ici non merci, là-bas pourquoi pas.La Révolution française éclate en 1789 et différentes révolutions lui emboîtent le pas dans les pays voisins. Une période de grands changements naît dans le monde occidental. Les vieilles monarchies sont renversées, les privilèges détenus par certains sont confisqués, les droits humains et les libertés individuelles sont brandis contre l’absolutisme qui régne. S’ensuivent des changements de régime et de nouveaux objectifs apparaissent pour les États naissants. Au-delà du simple fait de se maintenir, les pays européens vont chercher à se développer. On parle alors d’industrialisation, de modernisation. À partir du XIXème siècle, les colonisateurs partent au-delà de l’Europe, à la recherche de ressources et de main d’œuvre. Que ce soit lors de la conquête des territoires ou durant la période coloniale, les puissances européennes feront preuve de beaucoup de violence face aux populations locales. Sur le continent américain, c’est la question, notamment, de l’esclavage qui fait débat à la fin du XIXème siècle. Les esclaves venus d’Afrique subissent généralement des tortures telles que la flagellation, la privation de sommeil ou les violences sexuelles. Le calvaire vécu par ces hommes et femmes a été récemment relaté dans des films tels que 12 Years a Slave ou Django Unchained. À partir de 1820, des mouvements antiesclavagistes vont naître au nord du pays puis se développer jusqu’à marquer une fracture nette entre le nord et le sud des États-Unis. Cette opposition mène à la Guerre de Sécession. Les États du Nord en sortent vainqueurs et l’on signe le XIIIème amendement de la Constitution américaine qui abolit l’esclavage dans tout le pays en 1865. LE SAVIEZ-VOUS?Les Belges au Congo. Le Congo devient une colonie belge suite à la conférence de Berlin, en 1885. À cette époque, le pays est gouverné par Léopold II qui en fait rapidement sa propriété. C’est durant les premières années de présence belge que la terreur est la plus grande. Un exemple est celui de la récolte de caoutchouc. Les Congolais sont forcés de travailler et celui qui y renonce subit mutilations, torture et autres mauvais traitements par les agents de l’État belge. On décompte plusieurs milliers de victimes. Occupés par leurs désirs d’expansion, les États européens ne voient pas venir l’un des plus terribles conflits du XXème siècle que sera la Première Guerre mondiale. 60 millions de soldats s’affrontent, la guerre s’étale dans le monde au travers des colonies. On dénombre près de neuf millions de morts. La Première Guerre mondiale est qualifiée de guerre « totale ». Au terme de celle-ci, les derniers Empires tombent, la carte de l’Europe est redessinée. Les nouveaux États se proclament Républiques démocratiques ou États communistes selon les cas. L’URSS, premier État communiste du monde, naît suite à la révolution d’octobre 1917. Cette Union doit asseoir son pouvoir. Pour ce faire, elle fait réapparaître une ancienne forme de torture. Les bolchéviques utilisent la torture psychologique pour obtenir un réel « lavage de cerveau » chez leurs détenus. Mais bientôt, la guerre fait son retour. La Seconde Guerre mondiale éclate en septembre 1939. Elle va marquer un tournant dans l’usage de la torture. La conception romaine des esclaves, considérés comme des sous-hommes qui méritent la torture fait son retour près de 2000 ans plus tard. Les nazis considèrent en effet les Juifs comme une race inférieure qu’il faut éradiquer. Les Juifs, les homosexuels, les Roms sont déportés dans les camps de concentration où ils sont forcés au travail, affamés puis souvent exécutés. Beaucoup d’entre eux sont victimes de torture. Elle n’est plus justifiée par leurs actes ou d’éventuelles informations qu’ils détiennent, mais seulement par leur origine. Les opposants politiques ou les personnes handicapées n’y échappent pas non plus. Les Allemands ont notamment recours à la torture médicale dans les laboratoires nazis pour tester la résistance du corps humain au froid, à la pression ou à certaines maladies méconnues à l’époque. Après avoir fait deux pas en avant, la lutte contre la torture en fait trois en arrière. La Seconde Guerre mondiale est un traumatisme pour tous les États qui la vivent. Après 1945, une seule phrase résonne dans les esprits : « Plus jamais ça ». Les États décident de s’unir et créent l’Organisation des Nations unies. De plus, les nombreuses violations des droits humains commises à travers le monde entre 1940 et 1945 amènent les États à signer, en 1948, la Déclaration universelle des droits de l’homme. Bien que non contraignante, elle pose des principes essentiels, et notamment que « Nul ne sera soumis à la torture, ni à des peines ou traitements cruels, inhumains ou dégradants ». Une arme de guerre contre tous les types d’ennemis.LE SAVIEZ-VOUS?Le centre S21 : au sommet de l’horreur. Au Cambodge, entre 1975 et 1979, le centre de détention de Tuol Sleng, également dénommé S21, est le théâtre des pires horreurs pendant les années de règne de Pol Pot. Le régime communiste des Khmers Rouges a pour but de transformer totalement la société et cela passe par la recherche des « ennemis intérieurs ». Tout détenu envoyé à Tuol Sleng est en effet un coupable obligé, dont il s’agit d’obtenir la confession de crimes, si besoins imaginaires, avant son exécution qui sera pratiquement systématique. La torture sévit quotidiennement pendant cinq ans sans que la communauté internationale ne le sache. Ce sont plus de 14 000 Cambodgiens qui sont torturés et exécutés dans le centre S21. Seuls 200 survivants seront identifiés. Le directeur de ce centre de torture, surnommé Duch, a été condamné à la prison à vie en 2012. Victimes cambodge de Uli et Liz Baecker, © BY-NC-2.0 Malgré la création de ces institutions internationales et les textes nouvellement signés, la torture reste présente durant tout le reste du XXème siècle. Conflits internationaux, guerres de décolonisation, répression nationale, etc., la torture devient une arme de guerre. On considère en effet qu’elle est efficace pour obtenir des informations des prisonniers de l’autre camp, pour terroriser les populations et les contrôler plus facilement ou pour « mater » les révolutions naissantes. Portraits des disparus du Chili, 1975 © Amnesty International. La Seconde Guerre mondiale laisse place à un conflit d’un autre type : la Guerre froide. Deux blocs s’opposent. Les États-Unis d’un côté, l’URSS communiste de l’autre. Chaque bloc tente de gagner de l’influence à travers le monde sans affrontement direct. Toujours dans cet esprit de Guerre froide, les États-Unis vont encourager la décolonisation, notamment en Afrique. En effet, ils aimeraient gagner de l’influence sur les colonies en les aidant à se développer en échange d’une adhésion aux valeurs de l’Occident. Cette influence américaine et la volonté grandissante d’indépendance dans les colonies entraînent une succession de décolonisations. Inde, Égypte, Maroc, Congo, Zimbabwe, etc., on fête la naissance des nouveaux États. Certains pays d'Europe sont d’un autre avis et vont tenter de résister en réprimant violemment les mouvements d’indépendance dans leurs colonies. À titre d’exemple, l’Algérie, alors colonie française, sera le théâtre de nombreux actes de torture avant d’obtenir l’indépendance en 1962. D’autres mouvements d’opposition prendront place à cette même époque. Certains pays sont dirigés par des dictatures autoritaires et la population s’organise en mouvements d’opposition pour lutter contre le pouvoir. Les dirigeants voient alors la torture comme un outil efficace pour effrayer ces groupes qui voudraient les voir tomber. En Amérique latine, c’est une opération internationale, l’opération Condor, qui est mise en place pour combattre les dissidents à coups de torture entre 1960 et 1980. Les dictatures du Chili, du Brésil, de l’Argentine et d’autres pays du cône Sud, aidés par les États-Unis, mettent au point un terrorisme organisé. Enlèvements, torture, assassinats sont pratiqués à travers tout le continent. Le reste du monde a sa part de terreur. Des techniques de répression similaires au continent latino-américain y sont pratiquées. L’exemple du Tibet réprimé par la Chine ou encore de la Tchétchénie terrifiée par la Russie sont très parlants sur ce point. Qu’ils soient entre deux États, entre une dictature et ceux qui s’y opposent, entre un État impérialiste et ses colonies, les conflits du XXème siècle utilisent systématiquement la torture. Face à cette généralisation, les États vont, d’une part, montrer une volonté d’en finir avec cette pratique barbare (la Convention contre la torture et les autres peines ou traitements cruels, inhumains ou dégradants apparaitra en 1984). D’autre part, ces même États vont l’étudier de plus près. Puisque la torture est un risque pour tout soldat engagé dans une guerre, il faut les entraîner à y résister.  LA SOA : UNE ÉCOLE DE CONTRE-INSURRECTION.« L’École militaire des Amériques », également nommée SOA est fondée en 1946 dans la zone du canal de Panama. Ce centre d’enseignement militaire est célèbre pour avoir appris aux militaires latino-américains les doctrines de contre-insurrection et inculqué une idéologie anticommuniste. Depuis son ouverture, plus de 59 000 militaires, policiers et civils provenant de 23 pays d’Amérique latine et des Caraïbes y ont été formés. Nombre d’entre eux ont par la suite fait disparaître, torturer et assassiner leurs concitoyens. Selon un éditorial du Los Angeles Times datant de 1995, « il est difficile de penser à un coup d’État ou à des violations des droits de l’homme ayant eu lieu en Amérique latine au cours des quarante dernières années dans lesquels des anciens de l’École des Amériques n’ont pas été impliqués ». Aujourd’hui, il est géré par la Défense des États-Unis et est situé en Géorgie. L’une des victimes les plus notoires des tortures perpétrées par les anciens de la SOA est sœur Dianna Ortíz, une religieuse américaine. Elle part au Guatemala en 1989 pour apprendre aux enfants à lire et à écrire. Elle est enlevée et violemment torturée. L’homme qui supervise sa torture est américain. Sœur Dianna est violée à maintes reprises, brûlée avec des cigarettes et on lui met même un couteau entre les mains, pour l’enfoncer ensuite dans le corps d’une femme. Heureusement, elle s’échappe et retourne aux États-Unis où elle œuvre à l’abolition de la torture. Le tortionnaire en chef de sœur Dianna, le général Hector Gramajo, ministre de la Défense du Guatemala, avait été formé par la SOA. En 1991, une cour aux États-Unis l’a reconnu responsable des viols et de la torture de sœur Dianna et lui a ordonné de payer 37,5 millions d’euros de dommages et intérêts. [Source : Un monde tortionnaire, rapport 2013, chapitre : former les tortionnaires : l’école des Amériques, ACAT]. La torture aujourd’hui : les victimes méconnues des attentats du 11 septembre.Le 11 septembre 2001, deux avions s’écrasent dans le Word Trade Center à New York. Au-delà des milliers de victimes, ce sont les États-Unis tout entiers qui sont touchés par cette attaque terroriste. L’angoisse gagne la population et les dirigeants qui se mettent alors en guerre contre le terrorisme. L’administration Bush va rechercher activement toutes les personnes susceptibles d’être des ennemis de la grande puissance américaine. Les services secrets de la CIA utilisent la torture, sans jamais la citer, pour faire parler leurs détenus et pour sauver leur image face au reste du monde. LE SAVIEZ-VOUS ?La torture ? Quoi de plus banal ! Les séries télévisées ou films sont parsemés de scènes de torture qui ne semblent pas déranger le public et au contraire en influence la perception. « Des séries comme “24 heures chrono” et “Homeland” ont glorifié la torture pour toute une génération ». Selon l’Action des chrétiens pour l’abolition de la torture (ACAT), de 1996 à 2001, 102 scènes de torture sont diffusées aux heures de grande écoute aux États-Unis, et pas moins de 624 de 2002 à 2005. Les bourreaux n’y sont plus les méchants, mais bien des héros qui tentent de résoudre une enquête ou de sauver le monde ou de protéger leurs citoyens. Dès lors, il ne faut pas s’étonner que les soldats américains d’Abou Ghraib pensent être de bons soldats patriotes lorsqu’ils torturent des présumés terroristes en Irak. Grâce à une équipe de juristes, le gouvernement Bush arrive à passer au-delà des lois internationales et à pratiquer des méthodes dignes de la torture au nom de la sécurité nationale. Aujourd’hui, il est impossible de réaliser une évaluation statistique exhaustive et rigoureuse de l’étendue de la torture dans le monde. En effet, cette pratique se déroule dans l’ombre. Une certitude : le nombre de pays pratiquant la torture est en augmentation. Entre 2011 et 2014, le chiffre est passé de 101 à 141. Dans certains pays, il s’agit uniquement d’actes isolés, mais dans beaucoup d’entre eux la torture reste monnaie courante. De plus, ces chiffres ne reflètent qu’une petite partie de la réalité. Il est probable que la torture et les autres mauvais traitements soient bien plus répandus. Enfants syriens tenant des bougies lors d’un moment de silence avant le deuxième anniversaire du début de la Révolution syrienne à la Citadelle, 2013 © REUTERS/Muhammad Hamed Certains pays sont même dans une situation particulièrement critique par rapport à l’usage de la torture. La Syrie, depuis la révolution pacifique de février 2011, voit se multiplier les violations des droits humains sur son sol. Le recours à la torture y est fréquent lors des arrestations. Parmi les victimes se trouvent des jeunes de moins de 18 ans. La torture ou les mauvais traitements y sont si cruels que les victimes meurent souvent en détention. Pourtant, à nouveau, des textes sont en place pour protéger la population puisque la Constitution de 2012 stipule que « Nul ne sera torturé ni traité de façon humiliante, et la loi définira le châtiment de ceux qui le feraient ».  -  LE SAVIEZ-VOUS?Le scandale d’Abou Ghraïb. Une prison irakienne du nom d’Abou Ghraïb devient un centre de détention américain durant la guerre en Irak. Les militaires américains s’y installent et y pratiquent la torture, dans le secret le plus complet. Au printemps 2004, des photos sont publiées dans les médias et font rapidement le tour du monde. On y voit des soldats américains posant à côté de détenus irakiens victimes de torture et mauvais traitements. On apprend rapidement que des viols, des exécutions et des électrocutions sont pratiqués dans la prison. Le monde découvre les pratiques des États-Unis et une polémique explose… Mais malgré cela, les peines infligées aux auteurs de torture seront jugées légères par l’opinion internationale. En agissant de la sorte, les États-Unis ont donné un caractère légitime à la torture, l’ont justifiée. La torture est banalisée et le concept de torture lite (torture légère) est depuis lors, souvent utilisé. Amnesty International retour sur 50 ans de combat. Stop Torture.Les années 60: Amnesty International lance ses premières campagnes en faveur de prisonniers politiques en 1961. Dès le début, l’ONG ne tarde pas à constater que des États recourent à la torture. Des informations faisant état d’actes de torture lui parviennent quotidiennement du monde entier. Conférence mondiale pour l’abolition de la torture © Private Les années 70 Amnesty International lance, en 1972, sa première campagne visant à « rendre la torture aussi impensable que l’esclavage ». En 1973, la Conférence mondiale pour l’abolition de la torture de l’organisation accueille 250 délégués de 40 pays à Paris. Pour l’anecdote, elle a été maintenue de justesse car l’UNESCO a refusé de l’accueillir car il était interdit de critiquer ses États membres. Depuis cette conférence, Amnesty International a télégraphié aux Nations unies plus d’un million de signatures, recueillies dans plus de 90 pays pour dénoncer la torture. En 1974, Helen Bamber, membre fondatrice d’Amnesty International, participe à la création de la Fondation pour les soins aux victimes de torture, aujourd’hui Freedom from Torture. Amnesty est la lauréate du prix Nobel de la paix en 1977 pour son action, notamment contre la torture. Des dirigeants mondiaux manifestent contre cette attribution. Les années 80Affiche de la campagne d’Amnesty International contre la torture dans les années 1980. © Amnesty International. Amnesty International se bat déjà depuis des années et décide de relancer le débat en entamant une deuxième campagne contre la torture. Suite à celle-ci, l’Assemblée générale des Nations unies adopte enfin la Convention contre la torture en 1984. Elle entre en vigueur le 26 juin 1987 après avoir été ratifiée par vingt États. C’est un grand pas en avant vers l’éradication de la torture dans le monde. Les années 90L’ONU proclame le 26 juin comme Journée internationale pour le soutien aux victimes de la torture. Amnesty International révèle alors l’identité de 100 entreprises du monde entier qui fabriquent et vendent des instruments de torture. En 1998, l’ancien président chilien Augusto Pinochet est arrêté à Londres après qu’Amnesty International ait rappelé aux États européens leur obligation de l’interpeller au titre de la Convention contre la torture. Cette initiative courageuse allait dans le sens de la justice internationale, même si Pinochet a été libéré sur base d’une expertise médicale controversée en 2000. Les années 2000:Action d’Amnesty International au Danemark pour la fermeture de Guantanamo, 2006. © Amnesty International En 2000, Amnesty International lance sa première campagne en ligne Pour un monde sans torture. En l’espace d’un an, des dizaines de milliers de gens agissent au nom de 17 personnes et groupes menacés de torture. C’est aussi le temps pour Amnesty International de combattre le recours à la torture dans la « guerre contre le terrorisme » menée par les États-Unis. S’ensuivent de nombreuses manifestations contre la torture de terroristes présumés, pour la fermeture de Guantanamo, etc. à travers le monde. En 2012, une décision historique de la Cour européenne des droits de l’homme reconnaît la Macédoine responsable de connivence avec les États-Unis, d’actes d’enlèvement et de torture commis contre des terroristes présumés. Les recherches d’Amnesty International montrent que de nombreux États européens ont fait de même. AUJOURD'HUI Le combat doit continuer. Des législations existent, mais la torture demeure.En mai 2014, Amnesty International a lancé sa campagne mondiale Stop Torture. Cette campagne se focalise sur les actes de torture perpétrés par des forces de l’État, autrement dit la police, les forces spéciales, l’armée ou les services secrets. En revanche, elle ne porte pas sur la torture commise par des acteurs non gouvernementaux ni sur les mauvais traitements infligés en dehors du contexte de la détention par des agents de l’État, comme par exemple le recours excessif à la force contre des manifestants. Mais, Amnesty International continuera par ailleurs à se battre énergiquement contre ces formes de violence. Son objectif est d’obtenir que chacun soit protégé contre la torture. Pour ce faire, Amnesty International veut obtenir l’instauration et la mise en œuvre de garanties efficaces contre la torture, car c’est le seul moyen de faire changer les choses.  À RETENIR :• la torture a toujours existé. Elle est au départ utilisée pour extirper des aveux, mais ses buts se diversifient à partir du XVIIIème siècle. Elle commence alors à servir pour faire taire des opposants ou pour effrayer et contrôler des populations;• tout au long de son histoire, la torture a toujours été vue par les États comme un moyen de maintenir leur pouvoir ;• durant l’Antiquité, ce sont principalement les esclaves et les étrangers qui subissent la torture sur la scène publique ;• peu à peu, l’usage de la torture est remis en question jusqu’à son abolition en Europe à la fin du XVIIIème siècle ;• les bouleversements des XIX et XXèmes siècles maintiennent son usage notamment dans les guerres de colonisations, dans les conflits internes ou lors des révolutions réprimées par le pouvoir ;• à partir du XXème, textes juridiques nationaux et internationaux se multiplient pour interdire la torture. En 1984, la première convention internationale contre la torture est élaborée ;• une date clé est celle des attentats du 11 septembre 2001 puisqu’à partir de cette période, la torture fut de plus en plus justifiée pour lutter contre le terrorisme, et est banalisée dans les médias ;• Depuis sa naissance et tout en long de son existence, Amnesty International a mené des campagnes contre la torture. Elle lance en 2014 sa quatrième campagne, nommée « Stop Torture ». |
Nous avons tous déjà entendu parler de la torture. C’est un terme que nous utilisons de manière récurrente lors de discussions pour décrire une situation ou un état. « Cette réunion était une torture ! » ou « Ne me torture pas avec cette glace au chocolat », etc. Voilà autant de réappropriations du mot qui pourraient lui donner un côté presque familier. Mais au fond, même si nous savons parfaitement que de réelles situations de torture existent (ongles arrachés, corps suspendu par les pieds, etc.), sommes-nous totalement conscients de la signification juridique de ce terme ? Qu’est-ce que la torture ?Dans notre quotidien, que ce soit dans nos conversations ou dans les médias, le terme de torture est couramment utilisé pour mettre l’accent sur une peine ou une douleur infligée. SynthèseSi nous voulons résumer cette définition, nous pourrions relever trois points essentiels. Selon la Convention de 1984, la torture est un acte qui: • cause une souffrance physique ou mentale aiguë infligée intentionnellement ; • est perpétré afin d’obtenir des aveux de la victime, de la punir, de l’intimider ou pour tout autre motif fondé sur une forme de discrimination quelle qu’elle soit; • est infligé par un agent de l’État, qui est directement ou indirectement impliqué. Dès 1948, la Déclaration universelle des droits de l’homme (DUDH), dans son article 5, fixe l’interdiction de la torture et des peines ou traitements cruels, inhumains ou dégradants. Cette interdiction sera souvent reprise dans d’autres textes tels que la Convention européenne des droits de l’homme (CEDH) sans pour autant en donner les caractéristiques constitutives. Il faudra attendre la Convention contre la torture et autres peines ou traitements cruels, inhumains ou dégradants (CAT) des Nations unies, de 1984, pour en avoir une définition plus précise. Selon elle, on appelle torture : « tout acte par lequel une douleur ou des souffrances aiguës, physiques ou mentales, sont intentionnellement infligées à une personne aux fins notamment d’obtenir d’elle ou d’une tierce personne des renseignements ou des aveux, de la punir d’un acte qu’elle ou une tierce personne a commis ou est soupçonnée d’avoir commis, de l’intimider ou de faire pression sur elle ou d’intimider ou de faire pression sur une tierce personne, ou pour tout autre motif fondé sur une forme de discrimination quelle qu’elle soit, lorsqu’une telle douleur ou de telles souffrances sont infligées par un agent de la fonction publique ou toute autre personne agissant à titre officiel ou à son instigation ou avec son consentement exprès ou tacite » (Article 1 de la Convention). La définition pose cependant quelques questions et possède des zones d’ombre sur lesquelles certains États se reposeront pour justifier les actes de torture commis au sein de leur pays. Les tortionnaires bénéficient ainsi d’une « brèche juridique » qu’ils peuvent facilement exploiter. A. Les « sanctions légitimes ».La définition de la Convention exclut explicitement« la douleur ou [les] souffrances résultant uniquement de sanctions légitimes, inhérentes à ces sanctions ou occasionnées par elle ». Certains États ont tenté d’utiliser une clause dite « sanctions légitimes » pour tenter de justifier le recours aux châtiments corporels. Peut-on, par exemple, être condamné par la justice de son pays à avoir la main tranchée ou à être lapidé en public sans que ça ne soit considéré comme étant de la torture ? La réponse est non. Il a été fermement établi que les châtiments corporels sont formellement interdits. Flageller, couper une main, etc. sont donc considérés comme des actes de torture au niveau international. B. Et les groupes armés dans tout ça ?D’après la Convention, pour qualifier un acte de torture celui-ci doit avoir été commis par un agent de l’État. Ainsi, un groupe paramilitaire n’étant en aucun cas reconnu ou mandaté par un organe officiel pourra-t-il tomber sous le coup d’une accusation de torture? La réponse est oui. IL Y A 5 SOLDATS DANS CETTE IMAGE: 4 LÂCHES ET 1 ENFANT.Les enfants sont les premiers à être envoyés au front. Ils sont les premiers à courir vers le danger. Les premiers à servir de bouclier sur le champ de mines. Inconscients du danger, endoctrinés et drogués, ils ont perdu tout sens de la réalité. Ils sont les premiers à mourir. Pourtant, ils devraient être les derniers concernés. Pour lutter contre l’utilisation d’enfants soldats, nous avons besoin de votre flamme. Achetez une bougie.  Des groupes armés peuvent aussi se voir demander des comptes pour des actes de torture. Dans une situation de conflit, tous les groupes armés sont tenus de respecter les Conventions de Genève qui réglementent les lois et coutumes de la guerre. Elles interdisent à toutes les parties en conflit de perpétrer des actes de torture. Les groupes armés sont donc toujours responsables de tous les actes de torture commis par leurs forces.
C. La subjectivité de la torture.Selon la Convention, la torture est un « acte par lequel une douleur ou des souffrances aiguës, physiques ou mentales sont […] infligées ». Mais alors, à partir de quel moment un acte entraîne-t-il une « souffrance aiguë »? Une personne de 20 ans, devant rester debout des heures durant, ne ressentira pas les mêmes douleurs physiques qu’une personne âgée de 60 ans. Le seuil de gravité n’est pas le même pour tout le monde. C’est un concept relatif, complètement subjectif. Il est bien évident que chaque être humain a des caractéristiques uniques, avec un seuil de douleur, une originalité psychologique ou encore des influences culturelles différentes. C’est pourquoi, pour définir ce qu’est la torture, différents éléments peuvent être pris en considération. Ainsi, la durée; les effets physiques ; les effets mentaux ; le sexe ; l’âge et l’état de santé de la victime sont des considérations à prendre en compte. Torture ou mauvais traitements : deux concepts assez proches.Le concept de peines ou traitements cruels, inhumains ou dégradants reste beaucoup plus flou et discret dans les documents internationaux. La Commission des droits de l’homme opte alors pour une approche non cloisonnée, et estime que les termes « torture et autres traitements cruels, inhumains ou dégradants » doivent être pris comme un continuum, dont la torture serait l’extrême le plus inacceptable. Parler de torture, de traitements cruels, inhumains ou dégradants dépend du seuil de gravité. Comme signalée précédemment, cette notion est assez subjective et doit prendre en compte un certain nombre de critères liés à la complexité de l’être humain, à son environnement et la durée du traitement. De plus, la torture est toujours un acte délibéré et réfléchi visant à imposer une grande souffrance alors que les peines et traitements cruels, inhumains ou dégradants peuvent survenir à la suite de négligence. De par le caractère subjectif de la définition, la distinction entre un acte de torture et peines ou traitements cruels, inhumains ou dégradants peut être difficile. D’un point de vue pratique, cette distinction importe peu, car toutes les formes de mauvais traitements sont strictement interdites par le droit international. Une définition qui évolue.L’article de la Convention contre la torture est la base en droit lorsque nous cherchons à savoir si un acte doit être considéré comme de la torture ou pas. Cependant, certains pays ont été plus loin dans la définition en ajoutant des mentions spéciales dans certains textes de leurs lois régionales, nationales ou internationales. Par exemple, l’article 7 du Pacte relatif aux droits civils et politiques de 1966 montre que la torture peut être infligée par des personnes agissant aussi bien dans le cadre de leurs fonctions officielles qu’en dehors de celles-ci, ou à titre privé. Dans certaines circonstances spécifiques, les institutions internationales peuvent aller plus loin : ainsi, le Tribunal pénal international pour l’ex-Yougoslavie (TPIY) a reconnu le viol comme une arme de guerre ou de torture. Actes considérés comme un traitement cruel, inhumain ou dégradantDes coups sur un jeune homme en bonne santé peuvent être définis comme un traitement cruel, inhumain ou dégradant. Des coups infligés sur un détenu durant dix minutes par un responsable de l’application des lois pourraient être considérés comme un traitement cruel, inhumain ou dégradant Le fait pour des prisonniers de subir des conditions de détention précaires, de se voir privés de conditions sanitaires satisfaisantes, de ne pas avoir accès à des médicaments ou de ne recevoir de la nourriture qu’en quantité insuffisante constitue, dans la majorité des cas, une peine ou un traitement cruel, inhumain ou dégradant. Les agents pénitentiaires négligent de fournir aux prisonniers le minimum de conditions de détention adéquates. Actes considérés comme de la tortureLes mêmes coups infligés à un enfant, un vieil homme ou une femme enceinte peuvent être définis comme de la torture Infliger des coups pendant une longue période de temps (plusieurs heures ou jours) constituera un acte de torture. La privation de nourriture ou d’eau peut constituer un acte de torture. Si les prisonniers sont contraints de mourir de faim ou d’endurer de longues souffrances par le manque d’eau, ces actes constituent de la torture. À RETENIR :
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« Nul ne sera soumis à de la torture ni à des peines ou traitements cruels, inhumains ou dégradants » Déclaration universelle des droits de l’homme (DUDH, article 5). Illustration de Roland Topor pour Amnesty International L’interdiction de la torture fait partie des droits humains fondamentaux. Ce qui signifie qu’au même titre que les autres droits, cette prohibition est universelle et donc touche tous les êtres humains sans distinction aucune. Cependant, il existe une particularité : chaque pays applique ou restreint certains droits selon son régime politique et son cadre socioculturel. Les restrictions sont évidemment inscrites dans les lois nationales. La liberté d’expression ou le droit de manifester, par exemple, peuvent parfois être limités pour des raisons de sécurité nationale, d’ordre et de santé publique ou de bonnes mœurs. Par exemple, les ÉtatsUnis autorisent des rassemblements du Ku Klux Klan tandis que de telles manifestations sont interdites en Belgique et considérées comme une incitation à la haine raciale. Néanmoins, il existe des droits qui sont interdits partout, tout le temps et en toutes les circonstances. La torture en fait partie ainsi que l’esclavage ou le droit à la vie. En effet, comment pouvoir faire des exceptions à la torture ou à un traitement cruel, inhumain ou dégradant ? N’oublions pas que la torture est une pratique inefficace, barbare et inhumaine. Elle gangrène l’État de droit. Elle est donc considérée comme inadmissible par le droit international. Rien ne peut la justifier. Cette interdiction repose sur des principes moraux que chacun de nous reconnaît. Qui pourrait justifier le fait d’humilier une personne au point de la déshumaniser, voire de la tuer? C’est cette éthique universelle qui a amené les représentants des États à s’engager contre cette pratique reconnue par tous comme inadmissible et à l’introduire dans le droit international, régional et national. LE SAVIEZ-VOUS?En temps de guerre, tuer par légitime défense se justifie, torturer jamais. Lorsqu’un pays est en guerre, c’est aux Conventions de Genève qu’il doit se plier. On appelle cela le « droit de la guerre». Ces Conventions stipulent qu’il est interdit de tuer des innocents. Seule la légitime défense est tolérée. Par exemple, un soldat non armé qui se rend ne peut être tué, car il ne représente pas une menace. De la même manière, on ne peut tuer un prisonnier de guerre. Par contre, un soldat a le droit de riposter, et donc de tuer un ennemi si cela est conforme au droit de la guerre. On peut donc justifier légalement le fait de tuer un ennemi en temps de guerre. Mais à nouveau, la torture, elle, ne trouvera jamais de raison valable, même au milieu d’un champ de bataille. Les textes juridiques.Les textes internationaux des Nations unies.Au cours des 50 dernières années, la lutte contre la torture est devenue un sujet de préoccupation essentiel relevant des droits humains. La Déclaration universelle des droits de l’homme de 1948, dans son article 5, est le premier texte juridique international dans lequel la torture est déclarée illégale de manière spécifique. La Convention des Nations unies de 1984 contre la torture et autres peines ou traitements cruels, inhumains ou dégradants (CAT) est le premier instrument international contraignant qui porte exclusivement sur la lutte contre la Découvrons ensemble ce que contiennent ces lois et ce qui est demandé concrètement aux États. Soyez attentifs, ce sont aussi vos droits en tant qu’être humain que vous allez découvrir.
LA CONVENTION EN QUELQUES MOTS. ELLE REPREND :
Dans cette Convention, les États ont reconnu que cette pratique était inhumaine et ont déclaré devant le monde entier leur volonté de l’interdire, mais aussi de la supprimer en la rendant juridiquement illégale. Des interdictions reprises dans les régions du monde.EUROPE :
AMÉRIQUE :
AFRIQUE : PAYS ARABES : De nos jours, la plupart des grandes régions du monde ont réaffirmé l’interdiction de la torture dans quatre grands traités régionaux relatifs aux droits humains et deux conventions régionales qui concernent spécifiquement la torture. Ce qui signifie que l’Europe, par exemple, a son propre système de protection. Mais, attention, chaque région doit être attentive à ne pas contredire le contenu des normes reprises au niveau international. De manière générale, les États ne peuvent se servir d’un texte de loi pour limiter l’application d’un autre. Pour la torture, c’est encore plus important puisque personne ne peut déroger à son interdiction absolue. Par exemple, l’Union africaine ne pourra faire une convention dans laquelle la torture est interdite sauf pour les femmes. Aujourd’hui, seule l’Asie ne possède pas sa propre convention. Des traités pour protéger certains groupes de personnes.Face à la torture, mais aussi face à de nombreuses violations des droits humains, certaines populations sont plus vulnérables. On peut citer entre autres les enfants, les femmes ou encore les migrants. Pour s’assurer qu’ils sont protégés, des traités spécifiques existent. On y retrouve l’interdiction absolue de la torture et d’autres principes de la Convention contre la torture. Par exemple, la Convention internationale relative aux droits de l’enfant, dans son article 37, répète que « nul enfant ne soit soumis à la torture ni à des peines ou traitements cruels, inhumains ou dégradants ». En finir avec la torture : la responsabilité des États.Nous venons de voir la volonté des États à mettre fin à la torture. Pour pouvoir arriver à éradiquer cette pratique et redonner au monde un peu de dignité, les États doivent prendre des mesures concrètes et assumer leurs responsabilités. La ratification des traités est certes une étape importante, mais pas suffisante. Il est essentiel de mettre en place des mécanismes pour obliger les États à tenir leurs engagements.
a. Au cœur de la solution : les garanties. LES ÉTATS DOIVENT :
Une fois qu’un État a déclaré au niveau international et au niveau national que la torture était interdite, il doit refléter ses engagements par des actes. Pour ce faire, tout État parti à la Convention doit mettre en place une série de garanties. Autrement dit, toute personne qui serait arrêtée doit être protégée contre la torture du moment où un agent lui met les menottes jusqu’à après sa libération. Dès son arrestation, la personne arrêtée doit être informée des raisons de son arrestation et de ses droits. Une fois en détention, elle doit pouvoir prévenir sa famille et un avocat, ce qui empêchera la détention dans des lieux secrets. Évidemment, tous les prisonniers doivent être traités avec humanité et détenus dans des conditions dignes et propices à leur bien-être physique et mental. Dans le cas contraire, ils doivent être en mesure de porter plainte auprès d’une structure indépendante et impartiale. Durant les interrogatoires, la torture et les mauvais traitements doivent être strictement interdits. Pour s’en assurer, ils doivent être filmés ou au moins enregistrés. Un avocat doit être présent et un interprète également si le détenu parle une autre langue. La procédure judiciaire doit se dérouler dans un délai raisonnable et devant une autorité judiciaire compétente et indépendante. Durant le procès, les déclarations obtenues sous la torture ou suite à de mauvais traitements ne peuvent être utilisées. Pour certaines catégories de détenus telles que les enfants, les femmes ou les personnes handicapées, l’État doit appliquer le droit spécifique prévu à leur détention, s'il existe. Enfin, après la libération, le détenu doit être protégé face à certains risques. La libération doit toujours se faire de manière à ce que la personne puisse revendiquer ses droits si elle a été torturée ou maltraitée pendant sa détention. Cela nécessite notamment que les prisonniers libérés puissent porter plainte et soient protégés des actes de représailles ou de harcèlement contre eux ou leur famille. Les personnes libérées ne peuvent être transférées, directement ou indirectement, dans des pays où elles risquent d’être torturées ou maltraitées. Vous souhaitez en savoir plus sur le contenu juridique de la Convention et des autres textes ? Rendez-vous sur www.stoptorture.be. b. Protéger c’est aussi contrôler. Une fois que l’État a pris des dispositions pour s’assurer que l’interdiction de la torture soit bien appliquée sur son sol, il doit punir tous ceux qui violeraient ce principe. Comme nous l’avons vu dans le contenu de la Convention, les États sont tenus de mener une enquête sur toutes les allégations faisant état d’actes de torture et d’autres mauvais traitements. L’enquête doit être menée dans les meilleurs délais, doit être exhaustive, rigoureuse, indépendante, impartiale. Autrement dit, l’État doit lutter contre l’impunité. Rappelons-nous que les États ne doivent pas contrôler uniquement leur territoire. La Convention leur confère une compétence universelle. De ce fait, les États qui l’ont ratifiée ont l’obligation d’extrader ou de poursuivre en justice les personnes qui se trouvent sur leur territoire ou sur un territoire placé sous leur compétence et qui sont soupçonnées d’avoir commis un acte de torture, quel que soit l’endroit où cet acte a été commis. Les États doivent coopérer entre eux et faire en sorte qu’il n’existe pas de refuge pour les tortionnaires. Il n’y a pas que les États qui contrôlent l’interdiction de la torture. En effet, les moins scrupuleux pourraient alors ne pas respecter l’interdiction ou laisser les crimes commis impunis. Des organes internationaux et indépendants ont pour fonction de vérifier le respect et la mise en œuvre des lois internationales par les États. Le Comité contre la torture, par exemple, veille à l’application de la Convention, examine les plaintes individuelles et les rapports périodiques (tous les quatre ans) rendus par les États. D’autres organes de suivi de l’ONU peuvent également intervenir sur les questions liées à la torture en cas de mandat spécifique ou procédure spéciale. Par exemple, le Rapporteur spécial des Nations unies sur la torture effectue des visites dans les pays, répond aux plaintes individuelles et publie des rapports sur les thématiques de la torture. QUE SE PASSE-T-IL LORSQU’UN ÉTAT NE RESPECTE PAS LES RÈGLES ?TRADUIRE LES TORTIONNAIRES EN JUSTICE. L’impunité pour les tortionnaires est la règle dans beaucoup de pays, ce qui permet aux auteurs de torture d’agir sans craindre d’être arrêtés, poursuivis ou punis. Pourtant, la justice est primordiale pour mettre fin à la pratique de la torture. Sans justice, le respect des droits est tout bonnement impossible. En effet, si les auteurs font ce qu’ils veulent sans jamais être punis ; des enfants, des femmes et des hommes continueront d’être maltraités, torturés. L’impunité est souvent due à un manque de volonté politique, l’État lui-même – ou une de ses branches, comme l’armée ou la police – étant souvent directement responsable ou complice de la torture. Souvent, un État qui ne traduit pas les tortionnaires en justice refuse également d’enquêter et d’offrir réparation aux victimes. Dans ce cas, celles-ci ne bénéficieront pas de leur droit de connaître la vérité, d’obtenir justice et de recevoir des réparations pour les souffrances qu’elles ont subies, dans la mesure du possible. Il est indispensable de mettre en place des mécanismes efficaces et indépendants chargés d’enquêter sur les cas de torture et d’en poursuivre les auteurs. Tout d’abord, au niveau du droit international, des sanctions sont prévues dans le cas de violations des droits humains et notamment du recours à la torture. Les pays, reconnus coupables de violations, sont sommés de corriger leurs erreurs, de payer des amendes et s’ils ne le font pas, pourraient être victimes d’un embargo. Par exemple, en 2012, l’Italie a été condamnée par la Cour européenne des droits de l’homme, à des amendes pour avoir renvoyé en Libye des migrants interceptés en mer alors qu’ils risquaient la torture en retournant chez eux. La Cour pénale internationale ou la Cour européenne des droits de l’homme peuvent donc juger des États violant cette interdiction. Mais il n’y a pas que le fait de payer une amende qui peut être ennuyant pour un État qui torture. Montrer au monde entier qu’il y a eu de la torture dans un pays peut avoir des retombées économiques et diplomatiques négatives pour l’État. Certains utiliseront l’argument commercial pour faire respecter l’interdiction de la torture dans d’autres pays. L’Union européenne peut par exemple boycotter certains pays où les droits humains ne sont pas respectés. Pareillement, un État qui torture aura moins de poids dans les décisions internationales à cause de la réputation qu’il aura acquise. Ce n’est donc pas uniquement mauvais pour le portefeuille de torturer, mais aussi, et surtout pour l’image. Il est essentiel de pousser les pays à ratifier les conventions contre la torture, mais aussi, et surtout à s’assurer qu’ils respectent leurs engagements. L’analyse de la situation dans le monde montre des abus quotidiens d’un grand nombre d’États et notamment en ce qui concerne la torture. Mais alors, si certains États se permettent de ne pas respecter ce droit fondamental, qu’est-ce qui empêcherait les autres de se dire « s’il torture sans être jugé, je ne vois pas pourquoi moi je ne pourrais pas le faire». Pire encore, ils pourraient aussi être amenés à penser que « si on ne respecte pas l’interdiction de la torture, pourquoi ne pas aussi violer d’autres droits fondamentaux? ».  Personne ne nous empêchera de voir,Octobre 2011. Amnesty International demande à la communauté internationale d’arrêter et de poursuivre Georges W. Bush pour crime de torture. Étant donné que les autorités américaines refusent de le déférer en justice, Amnesty International, soutenue par d’autres organisations internationales, dénonce publiquement les agissements de l’ancien président durant la « guerre contre le terrorisme » menée au lendemain du 11 septembre 2001. À l’annonce d’une visite de Georges W. Bush au Canada, Amnesty International a remis donc un mémorandum de mille pages au gouvernement canadien afin de l’encourager à respecter ses engagements envers les Nations unies et les droits humains fondamentaux. Personne ne nous empêchera de voir, affiche d’Amnesty International, 2008 © AIR/AI Belgique À RETENIR :
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LE SAVIEZ-VOUS?Selon le CTP (Comité européen pour la prévention de la torture et des peines ou traitements inhumains ou dégradants), il n’est pas rare de trouver des objets suspects, comme des bâtons en bois, manches à balai, battes de base-ball, tiges métalliques, morceaux de gros câble électrique, etc. dans des locaux de police en Europe. Une explication communément donnée par des policiers au sujet de ces objets est qu’il s’agit d’objets confisqués aux suspects, destinés à servir de moyens de preuve. Le fait que de tels objets soient invariablement non étiquetés et sont fréquemment retrouvés éparpillés dans des locaux (parfois derrière des rideaux ou des armoires) ne peut que rendre sceptique face à cette explication. La torture est un rapport de force entre un oppresseur et un opprimé, un bourreau et sa victime. Elle peut prendre des centaines de formes différentes. Deux grandes catégories sont à distinguer : la torture physique et la torture psychologique. La torture physique s’attaque au corps tandis que la torture psychologique détruit l’esprit. Néanmoins, la frontière entre les deux méthodes est très mince, car le corps et l’esprit sont indissociables. Le but commun est la déshumanisation du détenu et elle commence dès l’arrestation de la personne. Lorsque quelqu'un est torturé physiquement, des facteurs tels que la peur, les conditions de détention, les bruits, les odeurs jouent un rôle déterminant. Inversement, la torture psychologique ne peut être mise en place que dans la condition où les prisonniers craignent véritablement que les menaces de torture physique soient mises à exécution. Les bourreaux doivent parvenir à faire le plus mal possible, sans tuer le sujet et en laissant le moins de traces physiques possible. Pour ce faire, des règles précises sont à respecter. Les techniques de destruction mentale ont été étudiées par des scientifiques. La torture ne s’organise pas de n’importe quelle manière. La procédure à suivre par les tortionnaires nécessite un apprentissage. Les nouvelles technologies ont permis le développement et la mise en place de techniques d’interrogatoire toujours plus sophistiquées et efficaces. Néanmoins, certaines techniques, plus anciennes, sont encore couramment utilisées. La torture ne nécessite pas d’accès à une technologie particulière. Armé de ses deux mains, le bourreau peut déjà provoquer énormément de dégâts. La torture physique.TÉMOIGNAGEWaterboarding © Amnesty International. « Jusqu’à quel point la victime sera noyée dépendra du résultat qu’on souhaite obtenir […] et de son degré de résistance. Le médecin doit superviser la quantité d’eau que la victime sera appelée à ingurgiter et surveiller les effets physiologiques que la simulation de noyade produira sur le suspect : ces effets passeront d’abord par la douleur psychologique, ensuite par un sentiment horrible de suffocation, et ils pourront aller jusqu’à la mort. Pour ceux qui n’y sont pas habitués, le seul fait d’en être témoin peut s’avérer insupportable. Lorsqu’on la pratique correctement, la simulation de noyade équivaut en fait à une mort contrôlée ». [Source : témoignage de Malcolm Nance, ex-instructeur des « marines » recueilli par Small Wars Journal, 31 octobre 2007]. Les méthodes de torture, recensées par Amnesty International varient d’un pays à l’autre. Il existe tellement de moyens de faire mal qu’il est impossible de dresser une liste exhaustive, mais de grandes tendances sont à relever. Les parties visées sont toujours les plus sensibles, les tabous culturels et religieux sont régulièrement transgressés et, peu importe la méthode choisie, le sentiment d’isolement est systématiquement provoqué. [Source : Observation des violences policières, Vos questions, 2014, disponible surwww.obspol.be] — Les coups : ils sont aujourd’hui la méthode la plus répandue dans le monde. Les tortionnaires frappent partout, avec tout et de toutes les façons possibles. Ils donnent des gifles, coups de poing, coups de pied, coups de genou, coups de coude, écrasement des pieds, des mains, du visage, etc. Certaines techniques portent des noms particuliers en raison de leur efficacité. Une gifle sur l’oreille, par exemple, peut provoquer le percement des tympans. Les zones sensibles sont souvent visées et les parties intimes en particulier. — La suffocation : le « waterboarding » : la provocation volontaire de suffocation est une technique de torture datant du XVIème siècle. Un entonnoir de tissu, surnommé la toca, est placé dans la bouche de la victime allongée avec les pieds légèrement plus élevés que la tête. Les suffocations peuvent être provoquées de diverses manières. La victime peut être attachée et forcée à avaler d’énormes quantités d’eau ; elle peut être plongée de manière répétitive dans une baignoire remplie d’eau, d’excréments, de produits chimiques ou autres souillures ; un sac en plastique peut être placé sur sa tête, etc. Ici aussi, l’imagination du bourreau n’a pas de limites. Le supplicié a alors l’impression de mourir noyé. La suffocation peut créer des problèmes aux poumons et au cerveau. — Les violences sexuelles : dans la plupart des sociétés, le rapport à la nudité et les relations sexuelles sont réglementés par des valeurs. Le viol est devenu une technique de torture systématique pour les femmes et les filles. Les hommes sont généralement victimes d’actes de violence dirigés vers leur organe sexuel et se font quelquefois violer. La plupart des détenus sont mis à nu lors des séances d’interrogatoire et confrontés à des violences sexuelles. Des objets sont introduits dans leurs organes génitaux, certains sont violés individuellement ou collectivement, forcés d’accomplir des actes sexuels sur les gardes ou sur un autre détenu. Dans certains cas, le prisonnier doit s’accoupler avec un animal ou avec un de ses parents. Les organes génitaux sont mutilés ou même complètement détruits. TÉMOIGNAGE« J’ai été arrêté le 19 juin 2009. […] C’est là-bas (à Tieshanping, en Chine) qu’on a commencé à m’infliger des séances de pendaison. J’ai été frappé, pendu en l’air, durant deux ou trois mois. […] Ils m’ont suspendu en l’air, à deux mètres à peu près. Sur le mur, il y avait des clous auxquels j’ai été attaché par des menottes. Il y avait une table d’ordinateur sur laquelle je pouvais poser la pointe de mes pieds, mais pas les talons. […] Je n’étais pas pendu en permanence. Parfois, c’était durant la journée, parfois le soir. […] Ils me fourraient les restes de leurs repas dans la bouche, avec un peu d’eau qu’il me faisait boire à la bouteille. L’essentiel était que je ne meure pas de faim. […] Mes excréments et mon urine dégoulinaient le long de mes jambes et tombaient par terre. » […] Ils m’ont fait descendre et m’ont forcé à ramasser mes excréments à la main pour les porter aux W.-C. Ils m’ont fait enlever mon slip pour essuyer le sol, puis m’ont suspendu à nouveau, tout nu. Ce jour-là, le chef adjoint de la brigade criminelle passait par là. En m’apercevant par la porte ouverte, pendu et nu, il a été scandalisé et a ordonné qu’on me rhabille sur le champ. Les gens qui me battaient m’ont alors détaché et m’ont fait remettre le slip avec lequel j’avais essuyé le sol, puis ils m’ont à nouveau suspendu en l’air pour me faire avouer. Puis ils m’ont fait signer la déposition qu’ils avaient préparée au préalable ». [Source : témoignage de Gong Gangmo recueilli par son avocat Li Zhuang publié par le Courrier International, 31 juillet 2013]. — Les objets ordinaires : la tâche du tortionnaire consiste à faire le plus mal possible, le plus longtemps possible. Les séances de torture sont interrompues non pas par pitié pour la victime, mais pour lui permettre de rester en vie afin de poursuivre l’interrogatoire. Le bourreau utilise toutes sortes d’objets ordinaires, tels qu’une corde, une pince, un bâton, dans le but de frapper, immobiliser, suspendre, brûler, mutiler et violer. — Les objets conçus dans l’unique but d’infliger de la douleur physique : parfois très anciens comme le « chat à neuf queues » – fouet composé d'un manche auquel sont fixées neufs cordes, le marquage au fer et autre technique de torture médiéval, ces objets sont toujours utilisés aujourd’hui. Des technologies modernes sont également employées. Une série d’instruments, tels que la matraque électrique, le taser ou la picana, permettent d’infliger des décharges électriques au détenu. Celles-ci bloquent le système nerveux de l’individu pendant un court moment, provoquant ainsi une douleur démesurée. Nombre de ces instruments sont libres d’accès sur le marché. Certains pays interdisent l’utilisation d'instruments comme le taser. D’autres, en revanche, tolèrent l’utilisation de ces outils et vont même jusqu’à les fournir à leurs forces de l’ordre. Il est commun de voir, à Paris par exemple, des policiers se promener avec un pistolet taser accroché à leur ceinture. — Les tortures scientifiques : ce type de torture nécessite l’aide d’un médecin ou d’un scientifique. Les tortionnaires administrent des produits chimiques et des drogues aux détenus. Les médecins sont également nécessaires lors des amputations et des ablations de membres et des organes génitaux. LE SAVIEZ-VOUS?En 2008, Amnesty International a demandé aux gouvernements de limiter leur emploi du taser aux situations où des vies sont en danger, ou bien d’en suspendre l’usage. Basée notamment sur les résultats de 98 autopsies, l’étude conduite par Amnesty International montre que 90 % des personnes qui sont mortes après avoir été touchées par un pistolet Taser étaient désarmées. Beaucoup ne constituaient pas de toute évidence une menace dangereuse. Bien que la plupart des 334 décès recensés aux États-Unis aient été attribués à des facteurs comme la prise de drogue, des médecins légistes et des coroners (officiers de justice chargés de faire une enquête en cas de mort violente, subite ou suspecte) ont conclu que les décharges infligées au moyen d’un Taser avaient entraîné, directement ou indirectement, la mort dans 50 cas au moins. Taser stun gun on belt, 2002 © Oleg Volkwww.olegvolk.net La torture psychologique.TÉMOIGNAGE« J’ai pu constater les impacts neurologiques de ces conditions de détention qui m’ont fait temporairement perdre la vue. Selon différentes études, l’isolement total peut réduire la taille du cerveau. Et je ne peux qu’en témoigner ! » [Source : Robert King, torturé par 29 ans d’isolement, le Fil d’Amnesty Mai/ Juin 2014]. Surnommée la torture « blanche » ou « propre », la torture psychologique ne laisse pas de traces. Pas question de blesser ou mutiler le corps, ce qui est visé cette fois, c’est l’esprit. Ses objectifs? Détruire l’identité, la personnalité et l’humanité du détenu. Ses méthodes ? Isolement ; privation de sommeil et de repères sensoriels, positions inconfortables des heures durant, humiliation, pour n’en citer de que quelques-unes. Le résultat? Perte totale de tout repère de la part du détenu qui devient complètement dépendant de son bourreau. L’absence de traces physiques constitue un double avantage pour les tortionnaires : cette technique d’interrogation est perçue comme plus acceptable pour les gouvernements pour l’opinion publique, et les recours en justice sont plus rares en raison du manque de preuves. Les méthodes psychologiques sont nombreuses et très répandues. Mais revenons sur les techniques les plus courantes. ARRÊTEZ LA MUSIQUE !Afin de déstabiliser psychologiquement les détenus et les placer en état de vulnérabilité, ils sont maintenus éveillés pendant plusieurs jours et exposés à une musique assourdissante. Par ce bruit constant, les prisonniers sont totalement isolés du monde extérieur. Cette pratique a été banalisée pendant la guerre contre le terrorisme. Elle a été officiellement autorisée en 2003 par le Général Ricardo Sanchez commandant de l’armée américaine en Irak, afin de créer la peur et prolonger le choc de la capture. D’après le sergent Mark Hadsell, « ces gens [irakiens] n’ont jamais entendu de Heavy Metal. Ils ne le supportent pas. Si vous en mettez pendant 24 heures, votre cerveau et vos fonctions physiques commencent à se dissocier, vous n’arrivez plus à penser et votre volonté est brisée. C’est à ce moment-là qu’on arrive pour discuter avec eux ». Cette forme de torture peut provoquer des séquelles irréversibles et douloureuses aux organes sensoriels. Certaines victimes en ressortent sujettes au suicide et à la dépression chronique. Ahmed Ruhal, un ancien détenu de Guantanamo témoigne que « cette torture vous donne l’impression que vous allez devenir fou. Vous pétez les plombs à cause du bruit. Après un moment vous n’entendez plus les paroles, juste un martèlement. ». Interrogatoire © Jef Thompson/Shutterstock.com — La privation de sommeil peut avoir des conséquences désastreuses sur l’individu même. Placé dans des positions inconfortables — qu’il doit maintenir sous risque d’être puni, le détenu peut vite être sujet à des hallucinations voire à la perte de tout repère d’espace-temps. Soumis à un état de stress intense, le prisonnier est alors à la merci de ses tortionnaires et serait prêt à tout pour quelques heures de sommeil. — L’isolement permet de briser le détenu. Créature sociale, l’être humain a besoin d’interactions pour se construire. Privé de contact avec le reste du monde et de relation avec les autres détenus, le prisonnier est laissé seul avec ses bourreaux durant de longues périodes. La « cage du tigre » par exemple, permet de placer le détenu en isolement dans des conditions extrêmes. Elle est construite de manière à ce que la personne ne puisse ni s’asseoir ni s’étendre. — La peur, l’humiliation maintiennent le prisonnier dans un univers d’impuissance. Les menaces et insultes constantes s’adressent au détenu, mais également à sa famille et à ses proches. Dans des cas extrêmes, des simulacres d’exécution sont organisés afin d’accentuer les sentiments d’impuissance et d’abandon chez le prisonnier. La crainte de la prochaine séance de torture à venir a été décrite par des survivants comme plus insupportable que la souffrance elle-même. Pour accentuer cette crainte, le rythme des séances de torture est irrégulier. — Les humiliations sexuelles et culturelles graves. Les tortionnaires tentent d’humilier et de dévaloriser le plus possible les détenus en blasphémant leurs valeurs et croyances personnelles, culturelles et religieuses. Par exemple, il pourra être ordonné à un musulman d’uriner sur le Coran. Les prisonniers peuvent être déshabillés aux yeux de tous, sommés de se masturber en public ou d’imiter un animal, en se promenant avec un collier et une laisse par exemple. Certains seront contraints d’assister à des séances de viol de codétenus ou de membres de leur famille. Par ce genre d’actes, les bourreaux veulent montrer qu’ils disposent d’un contrôle absolu sur les détenus. Le but visé est la soumission et la destruction identitaire. — La privation sensorielle consiste au maintien de la victime dans un état où elle ne perçoit plus les variations acoustiques et visuelles. Un exemple assez parlant est celui de la cellule blanche. À long terme, des troubles comportementaux, émotionnels, oculaires, auditifs et psychosomatiques sont provoqués par le manque de stimuli. Les premières expériences de privation sensorielle ont été réalisées par la CIA au cours des années 1950 et 1960 aux États-Unis. L’HISTOIRE DE LA TORTURE PSYCHOLOGIQUE.En Angleterre, le premier cas connu de torture psychologique remonte au XVIIème siècle. Matthew Hopkins est devenu chasseur de sorcières après avoir entendu des femmes parler de leur rencontre avec le Diable. La torture étant illégale en Angleterre, Hopkins mit en place des techniques d’interrogation alternatives pour extirper des confessions des suspectes : privation de sommeil et de nourriture. Entre 1644 et 1646, Matthew Hopkins aurait causé la mort d’à peu près 300 femmes. Légalisée par Joseph Staline, la torture n’apparaît vraiment que dans les années 1930 en URSS. Elle est étudiée et utilisée de manière systématique par le régime. Durant la Guerre de Corée (1950-1953) la CIA commence des expériences afin de parvenir à rendre ses soldats insensibles au lavage de cerveau utilisé par les Chinois et Coréens. Elle en conclue que l’isolement, la privation de stimulation sensorielle et la soumission à un niveau de stress élevé sur une période continue permettent de briser un détenu. Ces différentes techniques d’interrogatoires seront optimisées durant la Guerre du Vietnam avant d’être enseignées aux étudiants des écoles militaires via des manuels réalisés par des institutions telles que la CIA et le KGB. Plus tard, dans le cadre de la « guerre contre le terrorisme », ces techniques « blanches » sont officiellement autorisées par l’administration de Georges W. Bush avant d’être dénoncées et interdites par le Président Barack Obama. Aujourd’hui, la torture psychologique continue d’être utilisée par de nombreux représentants de l’État. Propos racistes, intimidation, moqueries, etc. sont monnaie courante. Les interrogatoires sont en soi légitimes tant qu’ils respectent certaines règles et certains droits (l’information du détenu sur l’identité des personnes présentes; périodes de repos entre les différents interrogatoires; etc.). Meinhof, jeune journaliste vers 1964 © Private Dans les années 1970, la République fédérale d’Allemagne a étudié les effets de la privation sensorielle. Un cas emblématique est celui de Ulrike Meinhof. Cette leader d’un mouvement révolutionnaire d’extrême gauche allemand a été soumise à la privation sensorielle lors de son incarcération pénitentiaire. La cellule d’Ulrike a été isolée acoustiquement et peinte en blanc. La seule lumière provenait d’une fine fente recouverte d’un grillage. « (tu as) le sentiment que ta tête explose […]. Le sentiment que la cellule bouge […]. Tu ne peux pas savoir pourquoi tu trembles : de fièvre ou de froid. […]. Tu ne peux plus identifier le sens des mots — tu ne peux que deviner — l’usage des sifflantes : s, ss, tz, sch, est absolument insupportable […]. C’est le plus grave, la conscience claire qu’on n’a aucune chance de survivre, l’échec total, pour faire passer cela, le faire comprendre aux autres […] » [Extrait d’une lettre d’Ulrike Meinhof, morte en détention le 9 mai 1976, cité dans à propos du procès Baader-Meinhof. Bourgois Ed., p. 108]. À RETENIR :
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Personne n’est en sécurité lorsque des États ont recours à la torture ou admettent son usage. Tout le monde peut en être victime, quels que soient son âge, son genre, son origine ethnique ou ses opinions politiques. Souvent, les autorités commencent par torturer avant de poser des questions. Certains sont torturés simplement parce qu’ils se trouvaient au mauvais endroit au mauvais moment, parce qu’ils ont été pris pour quelqu’un d’autre, ou parce qu’ils ont dérangé de puissants intérêts financiers ou politiques – ce qui peut être un véritable problème dans les pays où la police est corrompue.  Le 6 février 2014, Human Rights Watch publiait un rapport « No one is Safe ». Selon cette ONG, personne n’est en sécurité lorsqu’un gouvernement admet, permet la torture. Le sentiment d’insécurité face aux forces de l’ordre est largement partagé, et ce, quel que soit le pays où l’on se trouve. Mexico : Luis Adrián, 14 ans : où se trouve sa présomption d’innocence ? Luis Adrián Figueroa a été arrêté en 2012, par des agents en civil de la police judiciaire qui se sont présentés à son domicile sans mandat d’arrêt. Âgé alors de 14 ans, il a expliqué à Amnesty International qu’on lui avait mis un bandeau sur les yeux et passé des menottes. Il a été frappé à plusieurs reprises dans le dos et dans le ventre, et a été soumis à des décharges électriques. « Pourquoi est-ce que vous rackettez les gens? » lui auraient demandé les policiers. Les agents de la police judiciaire ont continué de l’interroger sur le même thème, alors que le jeune garçon avait toujours les yeux bandés. Ce dernier leur a affirmé ne rien savoir de ce qui lui était reproché. Par la suite, un médecin a brièvement ausculté Luis Adrián, sans procéder à un examen complet. Un représentant du parquet a recueilli la déposition du jeune garçon et lui a fait signer un document sans lui permettre de le lire. Il n’a appris que plus tard qu’il avait signé un document dans lequel il « avouait » avoir racketté un commerçant. En janvier 2013, Luis Adrián a été condamné à deux ans et sept mois d’emprisonnement dans un centre de détention pour mineurs. La condamnation de Luis Adrián a été annulée en appel en août 2013 et le jeune garçon a été remis en liberté. Le juge d’appel a rejeté les allégations de torture, mais il a estimé qu’il n’existait pas de preuves contre l’accusé. La police s’est vue adresser une réprimande orale pour avoir procédé à l’arrestation sans mandat, mais les choses en sont restées là. [Source : Rapport annuel, Amnesty International, 2013] Belgique : un resto qui tourne au cauchemar.« On avait passé une excellente soirée, ma femme et moi, petite sortie resto. On rentrait à la maison lorsqu’on a entendu une sirène et vu des gyrophares bleus. Je me suis arrêté à droite pour les laisser passer, et là, un inspecteur en civil sort du véhicule banalisé arme au poing dans ma direction, braquée sur moi et me criant de couper le moteur. J’ai immédiatement obtempéré, déposé mes mains sur le tableau de bord. Et là, cet inspecteur m’a agrippé à la gorge d’une main en me serrant la carotide tout en continuant à me braquer avec son arme. […] Je demande la raison de cette interpellation […]. On me dit que c’est un simple contrôle de routine […] ». [Source : témoignage repris sur le site de l’Observatoire des violences policières en Belgique, mars 2013, Bruxelles,www.obspol.be] Un sondage — réalisé auprès de 21 000 personnes dans 21 pays situés sur les cinq continents par GlobeScan pour Amnesty International — nous le confirme. Les chiffres sont clairs : près de la moitié (44 %) des personnes interrogées craignent d’être torturées en cas d’arrestation et plus de 80 % veulent des lois solides pour être protégées de la torture. Cependant, certaines personnes et certains groupes sont plus vulnérables que d’autres. Nous les étudierons dans ce chapitre. Ce qui les distingue, c’est leur impuissance à porter plainte contre leurs tortionnaires par manque de connaissances, de relations et/ou de moyens financiers. De plus, ils peuvent se heurter à des autorités peu enclines à les croire et subir,eux-mêmes comme leur entourage, de nouvelles violations pour avoir osé parler.  Les individus torturés.Torturées pour un vol ? Les victimes de droit commun.Les suspects ou prisonniers pour délits ou crimes sont les premiers visés par la torture. Dès qu’une personne est en état d’arrestation, elle peut être en danger si aucune garantie n’est prévue. BONNE NOUVELLEComédien, humoriste, poète et réalisateur birman, Zarganar a été condamné, en 2008, à 35 ans d’emprisonnement pour être venu en aide aux victimes du cyclone Nargis au Myanmar et avoir critiqué la non-assistance de la junte birmane auprès de médias étrangers. Considéré comme un prisonnier d’opinion, Zarganar a été libéré en 2011. Zarganar fait le clown devant l’objectif du photographe Jorn van Eck © Amnesty International Rappelons que les commissariats sont des lieux où, fréquemment, des personnes inculpées peuvent subir des mauvais traitements. L’enquête d’Amnesty International a révélé des cas de torture exercée sur des criminels ou des prévenus de droit commun dans plus de 130 pays depuis 1997. Dans ces pays, il est communément admis que les criminels ou suspects de crime soient passés à tabac dès leur arrivée au poste de police en vue d’obtenir des aveux ou des renseignements. Les présumés terroristes ou ceux qui menacent la sécurité nationale.Prisonniers préférés de certains États, les terroristes sont souvent considérés comme des sous-hommes à qui aucune faveur ne devrait être accordée. Aux yeux de beaucoup de gouvernements, ce ne sont ni des soldats ni des civils. En 2014, la guerre contre le terrorisme n’est malheureusement pas encore terminée. Nombreux sont ceux qui continuent à arrêter arbitrairement et à torturer tout suspect, qu’il soit innocent ou non. Démocratie : mot à bannir. Les victimes en raison de leurs convictions politiques.Par essence, les États ont la volonté de maintenir un ordre social. Mais certains utilisent la disparition forcée, l’emprisonnement, la torture et le meurtre pour anéantir toute forme d’opposition même pacifique. Amnesty International indique dans son enquête, menée en 2004, que plus de 70 pays ont fait usage de torture à l’égard de prisonniers politiques. © Amnesty International. Chrétiens, musulmans, bouddhistes, etc. Attention danger. Les victimes en raison de convictions religieuses.Si les opposants politiques sont systématiquement pourchassés par certains gouvernements, les individus aux croyances religieuses déclarées déviantes par le pouvoir sont tout autant harcelés. Sont surtout en danger, les personnes vivant dans les États qui ont fait alliance avec un pouvoir religieux. C’est par exemple le cas en Chine où les communautés musulmanes – dont les Ouïghours – sont constamment persécutées. L’origine ethnique ou l’identité nationale, une excuse en plus pour torturer.Les stéréotypes et le racisme amènent certaines populations à être plus vulnérables face, notamment, aux forces de l’ordre. C’est le cas, entre autres, des Roms vis-à-vis de la France, de l’Espagne et de la Belgique. Dans l’Union européenne, l’accueil des migrants et des réfugiés pose souvent problème : ils viennent chercher protection et sécurité et affrontent la violence et l’intimidation aux frontières. TÉMOIGNAGESDeux sœurs qui fuyaient la guerre en Syrie ont décrit à Amnesty International le traitement que des policiers grecs ont infligé au groupe d’une quarantaine de personnes dont elles faisaient partie après avoir eu franchi la frontière « Les policiers […] nous insultaient, ils nous poussaient […]. Ils nous ont remis à des gens qui portaient des cagoules noires et des uniformes noirs ou bleu foncé. Les hommes en cagoule nous ont pris notre argent et nos passeports […] ». [Source : « Grèce. Les expulsions illégales et scandaleuses de réfugiés et de migrants doivent cesser », Amnesty International, www.amnesty.fr] Expulsion forcée de Roms, Marseille, France, 2013 © Raphaël Bianchi Dans la soirée du 22 novembre 2011, la police s’est rendue dans le campement installé près de l’église de Saint Martin d’Arenc à Marseille, dans le but d’expulser de force dix familles Roms qui y vivaient. Les policiers auraient tiré des gaz lacrymogènes à l’intérieur des tentes où les enfants dormaient, avant de les détruire, ainsi que les affaires personnelles qu’elles contenaient. R. a été frappé par la police. Il a raconté : « je voulais m’enfuir, mais je ne voyais rien, j’ai juste aperçu un portail devant moi, j’ai essayé de l’atteindre, mais dès que je m’en approchais, j’avais la sensation que ma jambe se cassait ; ensuite je ne me rappelle plus de rien ». S. travailleur social rom, qui vivait dans un campement informel, a raconté : « les Roms ont vraiment peur de la police; souvent j’accompagne des enfants à l’hôpital pour recevoir des soins et ils ont peur dès qu’on croise la police sur notre chemin ».Les groupes torturés.Les enfants,des cibles faciles.TÉMOIGNAGEHossam a 13 ans. Il y a quelques mois, les forces syriennes l’arrêtent et l’enferment dans une cellule. « Ils m’ont électrocuté en me posant sur le ventre une pince pour électrocuter le bétail. Je me suis évanoui. Quand ils m’ont interrogé une deuxième fois, ils m’ont battu et électrocuté de nouveau. La troisième fois, ils avaient des pinces avec lesquelles ils m’ont arraché les ongles des pieds. Ils m’ont dit : « souviens-toi bien, nous arrêtons les adultes et les enfants, et nous les tuons tous ». [Source : « Les témoignages effrayants des enfants torturés en Syrie », Le Figaro, www.lefigaro.fr] Dans bon nombre de pays, les enfants et les adolescents ont peu de protection légale face à la violence et à la maltraitance. Ils y sont encore trop souvent considérés comme « sous-humains » ou comme « objets ». Ils sont victimes de torture dans de nombreux pays. En garde à vue, les mineurs sont particulièrement vulnérables au viol et à d’autres formes de violences sexuelles, tant de la part des policiers que des autres détenus. En état de guerre, certains pays n’hésitent pas à utiliser les enfants. Leur sécurité est alors encore plus compromise. En Syrie, le régime ne recule devant rien pour mater la révolte. Un rapport de 2014 de Human Rights Watch met en lumière les tortures subies par les enfants, dont près de 400 avaient déjà été tués par l’armée de Bachar el-Assad. Le sexe : un argument de torture.Dans de nombreux pays, une limitation des droits fondamentaux des femmes est inscrite dans la législation. L’application de ces lois discriminatoires peut avoir des conséquences sur la manière dont toute femme pourra être traitée par les agents de la force publique. Les violences sexuelles et viols, s’ils ne sont pas réservés qu’aux femmes, sont de fait souvent pratiquées contre elles. Certaines formes de torture et d’autres mauvais traitements sont spécifiques aux femmes, par exemple les avortements forcés ou à l’inverse le rejet des demandes d’avortement, les stérilisations forcées et les mutilations génitales féminines. Torturés pour l’orientation sexuelle et/ou de l’identité de genre (LGBTI).Actuellement, 78 pays prévoient des peines de prison pour motif d’homosexualité vraie ou supposée. Parmi eux, sept condamnent ces actes de la peine de mort, dont l'Iran et l'Arabie saoudite. Dans ces pays, l’homophobie ambiante est telle que l’arrestation et la détention au vu de l’orientation sexuelle et/ou de l’identité de genre sont permises, parfois même souhaitées par les familles. La dénonciation est monnaie courante et les personnes concernées subissent des violences dès leur arrestation. Les dirigeants politiques de certains pays d’Afrique s’abstiennent non seulement de protéger ces personnes, mais s’expriment ou agissent souvent d’une manière favorisant les discriminations ou les persécutions. Mais le monde occidental n’est pas en reste. Il existe de nombreux exemples montrant les menaces faites envers les personnes en raison de leur orientation sexuelle. TÉMOIGNAGEIhar Tsikhanyuk, 2013 © Laurent Hini (www.laurent-hini.fr) En Bélarus, république ex-soviétique, qui a dépénalisé l’homosexualité en 1994. En février 2013, Ihar Tsikhanyuk est frappé, menacé et injurié par des policiers en raison de son orientation sexuelle et de son engagement pour la défense des personnes LGBTI. Libéré sans qu’aucune charge ne soit retenue contre lui, Ihar porte plainte pour mauvais traitements. Mais le bureau du Procureur classe la plainte sans suite. Ihar fait appel de la décision, sans succès. [Source : « Bélarus : Ihar Tsikhanyk, militant homosexuel harcelé et battu par la police », Amnesty International, France, 2013, www.amnesty.fr].  À RETENIR :
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Chaque fois que l’on torture, on retourne 200 ans en arrière © Amnesty International. Souvent, lorsque nous parlons de bourreaux, et notamment de par leur représentation dans les films, deux images nous viennent en tête. Tout d’abord, nous avons celle du monstre sadique et pervers. Nous l’imaginons l’air mauvais, faisant peur, transpirant la cruauté. D’autre part, le « héros », celui des séries TV qui se sacrifie pour le bien de sa nation. Nous l’imaginons alors comme un homme fort et intègre. Son visage est rassurant et nous fait sentir en sécurité. Nous aimerions que le tortionnaire ait le visage de ses actes. Et pourtant, la réalité est différente de la fiction. Le bourreau est moins spectaculaire que notre imagination. Il peut être Monsieur et Madame tout le monde. Il est un homme, une femme dont il n’était pas possible de prévoir qu’ils pouvaient être capables du pire. Quel que soit leur apparence, les tortionnaires du monde entier partagent un point : tous et toutes se sont rendu-e-s coupables d’actes de torture ou de mauvais traitements. Il est très difficile de comprendre ce qui se passe dans la tête d’un homme ou d’une femme qui fait volontairement et consciencieusement mal à un autre. Les témoignages de bourreaux sont assez rares et divergent fortement les uns des autres. Néanmoins, il est essentiel de rendre aux tortionnaires leur humanité, de comprendre ce qui peut amener une personne à commettre des actes abominables. Le but n’est pas de les déculpabiliser, mais d’éviter que cela se reproduise et qu’un jour, nous en soyons les victimes. Alors, qui sont-ils? Quel est le chemin qui les a amenés à devenir tortionnaires ? Quel est le prix de ce sacrifice ? Le bourreau peut-il sortir indemne de ce genre d’expérience ? Le tortionnaire n’est pas forcément celui qu’on croit.Dans tous les pays, toutes les cultures et tous les régimes politiques ont vécu des personnes coupables de torture ou de mauvais traitements sur des citoyens. De la violence policière à l’exécution sommaire, un élément est toujours nécessaire : le consentement gouvernemental. L’État tolère et, dans certains cas, met en place des dispositifs permettant la réalisation de ces actes barbares. Certains iront même jusqu’à la formation d’hommes qui acceptent de les infliger. Pris dans un engrenage, ils se retrouvent à accomplir des actes d’une violence dont ils ne se seraient jamais crus capables. Ces personnes peuvent être : — des policiers; — des gardiens de prison; — des soldats; — des civils. Une des questions que nous pourrions tous un jour nous poser est la suivante : pourrions-nous dépasser nos limites, nos valeurs et infliger à une tierce personne des coups et blessures qui pourraient provoquer de graves séquelles? La première réponse, et la plus légitime, serait de répondre par la négation. Mais que se passe-t-il lorsqu’une autorité nous ordonne d’accomplir certains actes ? Dans les années 1960, le psychologue américain Stanley Milgram a étudié la question de la soumission à une autorité légitime, lorsqu’on réalise des actions qui vont à l’encontre de notre conscience. Il a recruté des volontaires qui pensaient participer à une expérience sur la mémoire. Sous l’autorité d’une personne supposément compétente, un participant devait poser des questions à un autre, attaché à une chaise. Si la personne attachée se trompait dans sa réponse, l’autre participant devait lui infliger des décharges électriques de plus en plus intenses. Milgram voulait observer jusqu’où un sujet peut aller dans l’administration d’une douleur à autrui pour peu qu’une autre personne faisant figure d'autorité lui en donne l’ordre. Cette expérience peut donner des pistes de réflexion sur ce qui peut amener des personnes à torturer (ici par des chocs électriques) d’autres personnes et cela, non pas du fait de leurs caractéristiques individuelles, mais du fait d’un contexte spécifique. Les résultats sont parlants : 62 % des sujets acceptent de faire du mal malgré les cris de souffrance de l’autre, pour peu qu’une autre personne en prenne la responsabilité. L’expérience porte en fait sur l’autorité, représenté par le médecin Milgram lui-même. En réalité, les décharges ne sont pas réellement envoyées, les malades ligotés sont des comédiens simulant la souffrance et l’expérience conclut que nous sommes tous dangereusement influençables. Précisément, les conclusions de Milgram furent celles-ci :— certaines personnes acceptent n’importe quel travail pourvu qu’elles soient sous l’autorité d’une personne qui en porte la responsabilité; — notre nature humaine connaît le « phénomène du premier pas » : une fois que l’on a fait quelque chose (surtout quand c’est quelque chose de stupide ou qui provoque une tension), on tend à se justifier en continuant ce que l’on a fait, voire, en l’amplifiant, surtout si on s’est impliqué. C’est le principe du petit compromis qui de fil en aiguille mène à la compromission. À l’image d’un véritable système tortionnaire, l’expérience de Milgram compte deux sortes de bourreaux : les commanditaires et les exécutants. Recrutés et formés de manières différentes, ces tortionnaires ont des responsabilités différentes. Employés de l’État, les policiers, gardiens de prison et soldats font ce qui leur est ordonné par leur hiérarchie. La question de l’obéissance aveugle se pose naturellement. À la question : tout le monde peut-il devenir un bourreau? Françoise Sironi, psychologue experte à la Cour pénale internationale, répond : « je dirais que beaucoup d’hommes et de femmes peuvent se transformer en tortionnaires. Mais, contrairement à ce que l’on dit souvent, ce n’est pas parce que nous avons en nous une part de sadisme ou des pulsions de violence et de mort. Il s’agit plutôt d’être placé dans un contexte de guerre où les lois communes ne s’appliquent plus et d’être soumis à une “ formation ”». Amnesty International a identifié des pays où il existe des écoles de torture. Le Népal, par exemple, utilise un manuel de préparation à la torture de la CIA des ÉtatsUnis. Celui-ci contient de véritables leçons de psychologie du mal. Il y a des accords de coopération militaire, des échanges de savoir-faire et de techniques entre pays. Les Français forment les services de sécurité en Afrique francophone. Officiellement, ce sont des séminaires d’enseignement des techniques de communication. En fait, il s’agit plutôt de «faire communiquer », de « faire parler ». Comment devient-on un bourreau ?LE SAVIEZ-VOUS?Cette femme, ce bourreau. À travers l’Histoire de l’Europe, la première trace d’une femme bourreau remonte au XVIIIème siècle. Maltraitée durant toute son enfance par sa belle-mère, Marguerite-Julienne le Paistour décide de s’enfuir de la maison de son père en prenant l’apparence d’un homme. Sous le nom de Henry, elle voyage et rentre au service du bourreau de Strasbourg. Elle devient le valet de son maître et apprend son travail. L’exécuteur lui enseigne son art et est surpris par l’habilité de son élève. Elle devient elle-même bourreau à Lyon, toujours sous l’apparence de son alter ego masculin. Un jour, sa servante, se languissant devant l’indifférence de son maître célibataire à son égard, l’espionne et découvre la supercherie. Elle la dénonce et Marguerite est condamnée à l’emprisonnement à vie. Elle sera libérée dix mois après lorsqu’un valet la demandera en mariage. Il est donc évident qu’on ne naît pas bourreau, mais qu’on le devient. L’environnement joue un rôle élémentaire dans le processus. Le contexte n’est pas une excuse, il permet uniquement de comprendre comment certaines personnes se sont retrouvées à accomplir d’horribles actes. Pour cerner comment un policier en vient à frapper une personne arrêtée ou un homme ordinaire à prendre une machette et à tuer son voisin, l’étude du cadre dans lequel ces actes ont pu se dérouler, est nécessaire. Il y a différentes méthodes pour transformer une personne en tortionnaire, mais toutes ont pour but de détruire chez un individu, de manière délibérée, sa capacité d’empathie. On peut fabriquer un bourreau dans l’action, de manière brutale. Françoise Sironi a rencontré des soldats russes ayant participé à la première guerre d’Afghanistan, qui avaient été exposés à ce genre de méthodes. Ce n’étaient pas des militaires de carrière, mais des appelés. Ils partaient en avion et, trois heures avant d’atterrir à Kaboul, ils apprenaient qu’ils allaient intervenir en Afghanistan. Ils n’avaient pas été entraînés à tuer et ils étaient plongés d’un coup dans une logique de guerre : « Soit tu me tues, soit je te tue ». D’après la psychologue : « c’est une des grandes “spécialités” des Russes : ils donnent très peu d’entraînement à leurs soldats pour qu’ils soient saisis, ce qui les rend féroces, complètement guidés par leur instinct. Ceux qui sont revenus étaient violents, complètement désocialisés. Beaucoup ont divorcé; ils ont eu des relations très conflictuelles avec leurs enfants ; ils sont devenus alcooliques ». Police militaire durant une manifestation à Sao Paulo en 2013. Depuis cette date, la police militaire a utilisé excessivement la force à l’encontre des protestants à différentes occasions © Mídia Ninja. Mais il existe des méthodes plus « élaborées ». L'une d'elles est l'initiation. Elle peut se baser sur deux principes : la manipulation des blessures identitaires et l’initiation traumatique. Dans le premier cas, les recrues sont choisies sur la base de leurs origines. Généralement, ce sont des jeunes provenant d’un milieu pauvre à très pauvre, sans attaches solides ni affiliations particulières et dont le niveau d’instruction est très bas. Ces personnes ont souvent subi des traumatismes durant leur enfance et ont des conditions de vie particulièrement difficiles. Ils ont parfois grandi dans la haine et le conflit envers une catégorie donnée de la société. Les cicatrices provoquées par la position sociale, le contexte familial ou socio-économique de la personne servent de conditionnement, de terreau fertile. Ces blessures sont remuées pour produire des émotions politiques collectives, une envie de vengeance. Ces pensées négatives vont résonner chez chaque personne de manière individuelle et peuvent créer un sentiment d’appartenance à un groupe ou à une communauté.  TÉMOIGNAGE« Ceux qui, à l’origine, ne sont pas paysans, hésitent à tuer. Ils ne le font pas de leurs propres mains. Mais les paysans illettrés, si on leur demande de tuer, ils le font. Ils le font de leurs propres mains. Si on leur demande d’ordonner à d’autres de tuer, ils le font. » Douch, ancien bourreau et directeur de prison sous le régime de Pol Pot au Cambodge. Dans le deuxième cas, l’affiliation au groupe se fait par un apprentissage, donné par l’État, basé sur une initiation traumatique. D’après Françoise Sironi, cette formation se découpe en trois phases : 1. Les qualités de la recrue sont mises en avant et valorisées par ses instructeurs. Son identité initiale est admirée. Elle est soumise à de nombreux entraînements et exercices physiques afin de mettre en avant sa force et son endurance. Elle ne peut contacter le monde extérieur afin de séparer la vie privée du système tortionnaire. 2. Les mêmes instructeurs changent subitement de comportement. Ils deviennent agressifs, brutaux, humiliants et imprévisibles. Ils donnent des ordres incohérents et détruisent tout lien entre la personne et le monde extérieur. Les recrues subissent des violences verbales, physiques et, dans certains cas, sexuelles. Petit à petit, l’identité initiale est déconstruite et les jeunes sont soumis à un enseignement théorique moralisateur. Ils sont alors prêts à faire tout ce que les instructeurs leur demandent, même les actes les plus sadiques. 3. Les recrues restantes sont à nouveau valorisées. Leurs bravoure, force et intelligence sont mises en avant. Un nouveau contenu idéologique a été construit et l’enseignement reçu les amène à voir le monde autrement : il y a “nous” et il y a les “ennemis”. LE SAVIEZ-VOUS?Moi, sadique ? Non Monsieur. Bien que cela soit surprenant, la majorité des bourreaux ne souffrent pas de troubles psychopathologiques. Les pervers, psychopathes et autres déséquilibrés sont écartés par les systèmes tortionnaires en raison de leur caractère incontrôlable. Un bourreau doit être méthodique et patient dans sa torture. Le but n’est pas de tuer, mais de faire souffrir. Bien entendu, certains bourreaux prennent du plaisir dans la mise en pratique de la torture. Les victimes de torture parlent toujours d’un bourreau plus sadique que les autres. The Act of Killing est un film de Joshua Oppenheimer, qui souhaitait revenir sur le massacre de plus d’un million d’opposants politiques commis en Indonésie en 1965. Lorsqu’il s’est rendu sur place, les survivants qu’il rencontra étaient toujours traumatisés, dans la crainte de s’exprimer, plus de 40 ans après les faits. À l’inverse, il rencontra des tortionnaires s’épanchant librement et proposant d’eux-mêmes de revivre leurs crimes devant la caméra. L’impunité, et même la glorification qu’ils ont connus, ne sont certainement pas étrangers à cet état de fait.  Les instructeurs sont présents tout au long de la formation et accompagnent les jeunes pendant l’entraînement. Ils inspirent, servent de modèle, d’objectif à atteindre. Les recrues qui quittent la formation en cours ne sont pas retenues. Celles qui restent seront totalement soumises à l’idéologie et à ses chefs. Ainsi, il n’y a pas eu, ou très peu, de rebellions au sein même des recrues. Le concept d’obéissance est au cœur de ce type de formation. Il faut faire ce qui est demandé et ne pas poser de questions. À travers le chef d’œuvre cinématographique « Full Metal Jacket », le réalisateur américain Stanley Kubrick illustre la perversité de l’obéissance au groupe et le conditionnement des recrues durant les formations militaires. Il illustre l’atteinte à l’intégrité et la tentative d’insensibilisation de ces jeunes afin d’en faire des machines de guerre. La formation se termine par une cérémonie officielle et rituelle. Un uniforme ou autre signe distinctif leur est remis. Ce symbole de l’appartenance au nouveau groupe est extrêmement important. Il permet de distinguer les membres du groupe des autres. Dans certaines sociétés, l’affiliation au groupe nécessite un passage à l’acte. Les jeunes recrues doivent torturer ou tuer un prisonnier afin de prouver leur réelle adhésion au groupe et de relâcher toute la frustration accumulée. Les témoignages de bourreaux ayant subi ou ayant fait subir ce genre d’endoctrinement sont assez rares. L’exemple le plus connu est Douch, ancien bourreau et directeur de prison sous le régime de Pol Pot au Cambodge. Il est responsable de la mort d’au moins 12 380 hommes, femmes et enfants. Lors de son témoignage, Douch a exprimé des regrets. Jugé pour crime contre l’humanité par un tribunal international, sa sincérité peut être remise en cause par la peur d’une condamnation trop lourde. nations, peuvent se permettre de parler plus librement. Ainsi, les témoignages récoltés montrent des tendances diverses. Que devient le bourreau ?Peu de bourreaux parlent de ce qu’ils ont fait. Leur propre famille n’est, en général, pas au courant de leurs activités même s’ils sont convaincus de la justesse de leur cause. Les anciens tortionnaires, qui ne risquent pas de jugements et de condamnations, peuvent se permettre de parler plus librement. Ainsi, les témoignages récoltés montrent des tendances diverses. Dans le cas particulier des bourreaux du génocide indonésien de 1965, les tortionnaires ne craignent pas de représailles, car le gouvernement commanditaire est toujours au pouvoir et les a mis sur un piédestal. Certains bourreaux se sont suicidés, car ils ne parvenaient pas à vivre avec les souvenirs de ce qu’ils avaient fait, d’autres vivent tourmentés, font des cauchemars et regrettent leurs actes, d’autres encore restent fidèles aux valeurs et principes qui leurs ont été inculqués et ne montrent aucun regret. TÉMOIGNAGE« Si vous ressortez de chez moi les louloutes, si vous survivez à mon instruction, vous deviendrez une arme, vous deviendrez un prêtre de la mort implorant la guerre. Mais en attendant ce momentlà, vous êtes du vomi, vous êtes le niveau zéro de la vie sur terre, vous n’êtes même pas humains bande d’enfoirés ». Extrait du film Full Metal Jacket Les militaires français ayant participé à la Guerre d’Algérie sont également à l’abri de toutes poursuites judiciaires, mais pas des critiques de l’opinion publique. Jugés sévèrement par certains et vénérés par d’autres, les anciens combattants, qui ont reconnu les faits et qui ont accepté de témoigner, rejettent le terme « torture ». Ils avouent avoir fait subir certaines formes de violences physiques aux « terroristes » afin de les faire parler et insistent sur le caractère nécessaire des souffrances infligées. Ils affirment avoir respecté un code, une éthique et que les débordements étaient rares. Le Général Massu déclare : « il fallait penser au sort des malheureuses populations algéroises condamnées à se faire écrabouiller ou amputer par la sauvagerie FLN (Front national de libération, parti indépendantiste algérien). C’était peut être un mal d’utiliser les techniques de questionnement par force, mais comme disait notre aumônier : entre deux maux il faut savoir choisir le moindre ». La plupart des militaires regrettent la situation de guerre, pas leurs actes. Ils montrent une nécessité quasi absolue de se justifier par rapport à ce qu’ils ont fait. Ils ont le sentiment de s’être sacrifiés pour le bien de la France. Un capitaine témoigne : « je ne crois pas avoir perdu mon honneur en Algérie, mais mettons que j’y ai laissé une partie de mon âme ». Le Général Aussaresses, connu pour ses actes de torture pendant cette guerre, déclare : « j’en conclus que personne n’aurait jamais le droit de nous juger et que, même si mes fonctions m’amenaient à faire des choses très désagréables, je ne devrais jamais avoir des regrets ». L’expression de la honte et de la culpabilité est très rare chez les anciens tortionnaires, car s’ils accèdent à ces sentiments, ils sont en grand danger de « décompensation psychique ». S’ils arrivent à se dire : « Quel salaud j’ai été », ils risquent de se suicider, peuvent mourir de crise cardiaque ou d’accident. D’après Françoise Sironi, « les anciens tortionnaires ont besoin d’un accompagnement psychologique, ne serait-ce que par prévention. Car ils peuvent être très violents, alcooliques, avec des problèmes relationnels importants ».  À RETENIR :• le tortionnaire est un homme, une femme dont il n’était pas possible de prévoir qu’ils pouvaient être capables du pire ;• de la violence policière à l’exécution sommaire, un élément est toujours nécessaire : le consentement gouvernemental ;• on ne naît pas bourreau, mais on le devient ;• le contexte peut jouer un rôle sur la formation des tortionnaires ;• il y a différentes méthodes pour transformer une personne en tortionnaire, mais toutes ont pour but de détruire chez un individu, de manière délibérée, sa capacité d’empathie ;• comprendre le tortionnaire ne revient pas à le déculpabiliser de ses actes, mais à faire en sorte que les atrocités commises ne se reproduisent pas.  |
Si la torture est aussi massivement répandue, c’est parce que les forces étatiques y voient un intérêt. Dans nos contrées occidentales, nos représentations de la torture sont fortement alimentées par les films et les séries que nous pouvons voir : le méchant sadique torture parce qu’il est psychopathe (donc fou), le héros pour obtenir des aveux dans un contexte d’urgence. Dans la réalité, rares sont les cas où la torture n’est utilisée que dans un but de jouissance sadique. L’utilisation de la torture ou d’autres mauvais traitements poursuit plusieurs objectifs : celui d’obtenir des informations en est un, mais n’est peut-être pas le plus important. Utiliser la torture reste aussi une manière de faire taire toute personne qu’un gouvernement entrevoit comme dérangeante. Ce qui est sûr, c’est que les intimidations ne concernent pas que l’individu torturé, mais visent, au-delà, l’ensemble de la société. Pourquoi la torture ?Lors de la Conférence internationale sur la torture, qui a eu lieu à Stockholm en 1996, Sally Sealy, une ancienne détenue et militante des droits humains en Afrique du Sud, a dégagé au moins trois raisons qui motivent l’usage de la torture. Torturer pour obtenir des éléments.Aveux, renseignements, argent, faveurs sexuelles, voilà autant de raisons qui poussent un agent de l’État à avoir recours à la torture.Dans certains pays, tels que ceux d’ex-URSS, seuls les résultats tels que les cas résolus ou les inculpations obtenues comptent. Un policier pourra donc être soumis à un quota à remplir pour pouvoir être qualifié de bon élément. Souvent, dans des pays instables, il faut avoir de bons résultats, rapidement et avec des moyens limités — notamment pour mener des enquêtes. Le Mexique, par exemple, est marqué par une violence chronique. Les autorités politiques, afin d’être élues, ont donc dû faire la promesse d’éradiquer l’insécurité existante. Elles ont besoin de chiffres pour justifier leur prise de pouvoir. Les forces de l’ordre sont donc sont prêtes à tout pour trouver des coupables « à montrer ». Il n’est pas rare de voir des citoyens arrêtés, souvent sans mandat, et torturés pour avouer un crime qu’ils n’ont pas forcément commis ou pour dénoncer d’autres personnes afin d’être relâchés. On note même que dans des pays comme le Nigéria, des agents de l’État n’hésitent pas à torturer quelqu’un sans raison pour obtenir des aveux qui permettront a posteriori de justifier l’arrestation. De plus, dans certains cas, les forces de police sont gangrénées par une corruption liée à leur faible rémunération. Cela favorise les arrestations arbitraires et les actes de torture dans la perspective de soutirer de l’argent. La torture pour punir, pour humilier.Contrairement aux idées reçues, la torture n’est pas uniquement utilisée pour obtenir ou prévenir quelque chose. Elle peut être employée uniquement par un esprit de vengeance et par la volonté de persécuter l’autre. Elle devient alors un moyen de punir ou d’humilier une personne ou un groupe. Elle prend alors la forme de châtiments corporels tels que les amputations ou les coups de fouet en public, notamment en Iran et en Arabie Saoudite. Dans certains pays, le simple fait de publier un article sur l’état de santé du Président sera considéré comme une atteinte à la sécurité et pourra entraîner des actes de torture sur le journaliste. En le torturant, on le punit d’avoir écrit l’article, mais on donne également un signal à tous les autres journalistes qui seraient tentés de critiquer le pouvoir ou de dévoiler des secrets. Punir, cela peut donc vouloir dire maltraiter physiquement un individu en prison pour se venger de lui ou du groupe auquel il appartient. Torturer pour intimider, pour maintenir l’ordre établi, pour faire taire.Dans ce cas-ci, on torture dans le but de faire naître la peur dans des communautés et des groupes sociaux déterminés tels que les minorités, les opposants, les membres de groupes sociaux défavorisés. C’est ici qu’on voit le caractère organisé et instrumentalisé de la torture. La torture fait partie d’un système qui vise à faire pression sur la population en « faisant des exemples » afin que chacun reste à sa place (peu importe qu’on tienne LE coupable, on tient un de ses « frères », et c’est pareil). On ne veut pas seulement punir, on veut faire peur « aux autres » afin qu’ils se taisent à tout jamais. C’est le cas notamment de prisonniers d’opinion défendus par Amnesty International dans les pays dictatoriaux tels que la Chine. La torture, une inefficacité prouvée.Les gouvernements qui ont recours à la torture et aux mauvais traitements prétendent obtenir ainsi de précieuses informations. Mais l’histoire a démontré que les personnes torturées sont le plus souvent prêtes à dire n’importe quoi pour que la douleur cesse – toute la vérité, une partie seulement ou son contraire. La torture ne fonctionne pas. De nombreux exemples le prouvent : la victime peut mourir sans parler, tenir indéfiniment, ne pas détenir les informations demandées, retarder la divulgation des informations jusqu’au moment où elles n’ont plus d’intérêt, ou induire ses tortionnaires en erreur par des mensonges ou des demi-vérités. En avril 2014, Barack Obama rendait publiques les notes internes sur l’usage de la torture par les services de renseignements américains, durant l’administration Bush. L’ancien vice-président Dick Cheney ne cesse depuis de justifier cette pratique par l’argument de l’efficacité : elle aurait permis de soutirer de précieux renseignements. À l’opposé, l’armée a fait savoir qu’elle avait prévenu le gouvernement Bush, dès 2002, que la torture n’apportait que des informations peu fiables. En décembre 2012, le Sénat américain a adopté un rapport, pour l’instant tenu secret, qui renverserait complètement cet argumentaire et démontrerait l’inefficacité de la torture dans le cadre des enquêtes pour terrorisme. D’ailleurs, bien que Guantanamo soit connue pour ses traitements considérés comme inhumains, dégradants, seulement 1 % des prisonniers ont été déclarés coupables par une commission militaire. Les autres prisonniers sont encore enfermés afin de punir leur présumée appartenance à des groupes terroristes. La présidente de la Commission du renseignement du Sénat a réfuté publiquement le fait que l’utilisation de techniques d’interrogatoire brutales aurait conduit à la collecte efficace de renseignements et au succès d’opérations importantes comme l’exécution d’Oussama Ben Laden. Leon Panetta, qui dirigeait la CIA au moment de l'assaut contre le chef d'Al-Qaida, avait également estimé que les éléments recueillis grâce à ces techniques n'avaient pas été cruciaux. « Je pense qu'il est difficile d'affirmer qu'ils ont été déterminants. Ils faisaient partie d'un vaste puzzle qu'il fallait assembler pour localiser Ben Laden. Et je pense que nous l'aurions trouvé, même sans cette pièce du puzzle ». Face aux révélations découlant de la prochaine déclassification de ce rapport, Barack Obama a déclaré lors d'une conférence de presse, le 1er aout 2014 : « Lorsque nous avons utilisé certaines techniques d'interrogatoire poussées, des techniques que je considère et que toute personne honnête devrait considérer comme de la torture, nous avons franchi une ligne ». Le président américain a estimé que les États-Unis avaient fait des choses « contraires » à leurs valeurs. La torture est INUTILE et rappelons-le ILLÉGALE.Le commun des mortels le pense, en tout cas dans la majorité des cas. Cependant, selon une étude réalisée par GlobeScan pour Amnesty International auprès de 21.000 personnes vivant dans 21 pays disséminés sur tous les continents, plus du tiers (36 %) estiment que la torture peut être justifiée dans certains cas, lorsque la sécurité de la population est en jeu. Regardons de plus près des exemples qui souvent mettent le doute et rendent la torture « plus acceptable » aux yeux de certains. Le « ticking bomb » scénario est une fiction hollywoodienne.« Vous êtes dans un centre commercial, vous savez qu’une bombe a été posée quelque part sans savoir où exactement, et vous détenez la personne qui est probablement à l’origine de celle-ci... acceptez-vous ou refusez-vous l’idée qu’on puisse torturer cette personne pour savoir où est la bombe? ». Vous avez probablement déjà entendu l’exposé de ce scénario de la bombe sur le point d’exploser, ou des dilemmes similaires. Les bons principes sur l’interdiction de la torture et des mauvais traitements seraient mis à mal dans ces situations où la torture d’une personne pourrait permettre de sauver des centaines de vie. L’utilisation de cet exemple justifierait ainsi l’idée qu’on puisse faire des exceptions à l’interdiction de la torture, en particulier face à des terroristes. C’est supposer que : • les tortionnaires sont sûrs qu’il y a réellement une bombe et qu’elle va exploser si elle n’est pas désamorcée; • la personne détenue sait vraiment où se trouve la bombe; qu’elle n’a pas été déplacée par d’autres terroristes; • elle fournira les renseignements nécessaires qui permettront désamorcer la bombe à temps; • il n’existe aucun autre moyen de trouver la bombe, etc. En résumé, un scénario de ce type n’existera probablement jamais dans la vraie vie. Une situation aussi improbable ne suffit pas pour justifier que les gouvernements puissent habiliter leurs fonctionnaires à utiliser la torture ou d’autres mauvais traitements. De plus, souvent, ce sont des détenus de droit commun, des opposants politiques, des personnes appartenant à une minorité qui sont les plus susceptibles d’être soumises à la torture. Pourrions-nous torturer une personne pour avoir des renseignements et donc en sauver des milliers de vies ?Il semblerait rationnel de vouloir sacrifier une vie pour protéger celle de tant d’autres. Mais rappelons-le : la torture et les autres mauvais traitements sont illégaux, immoraux et ne sont jamais justifiés. Avancer que dans certaines situations ces agissements pourraient être légitimes revient à accepter que la fin justifie les moyens. Certains ont pourtant laissé entendre que l’usage de la torture pourrait être contrôlé et limité aux situations les plus extrêmes et les plus urgentes. D’autres ont même soutenu que l’existence de la torture était inévitable et qu’il valait donc mieux qu’elle soit légalisée et réglementée plutôt que niée ou exercée clandestinement. Le gouvernement pourrait par exemple utiliser une aiguille stérilisée, en l'enfonçant sous un ongle pour obtenir des informations dans l’urgence. Mais comme nous le verrons ci-dessous, l’hypothèse selon laquelle la torture serait acceptable dans des cas extrêmes pour empêcher la mort imminente de centaines ou de milliers de personnes repose sur un scénario extrêmement improbable et hypothétique. De plus, les États qui ont recours à la torture et aux autres mauvais traitements le font largement en accompagnant ces méthodes d’autres mesures répressives. D’après les informations recueillies par Amnesty International, aucun État n’aurait utilisé la torture « juste une seule fois » ou seulement dans quelques cas extrêmes. Souvent, l’utilisation des méthodes de torture ou de mauvais traitements se généralise ; les moyens utilisés sont de plus en plus extrêmes et les situations dans lesquelles ils sont utilisés le sont de moins en moins. L’expérience d’Amnesty International montre que, si la torture n’est plus strictement interdite, l’attitude des agents de la force publique change. Au fil du temps, l’idée que la torture et les autres mauvais traitements sont parfois acceptables gagne du terrain et se répand dans l’ensemble du système. On verra même certains bourreaux torturer la famille, qu’il s’agisse de sa femme ou de ses enfants, pour atteindre son but. Enfin, si l’interdiction de la torture et des autres mauvais traitements est transgressée, quel espoir reste-t-il quant à la protection des autres droits humains ? La prohibition de la torture et des autres mauvais traitements étant absolue et inconditionnelle, l’équilibre à établir entre les droits des différentes per- sonnes ou entre les droits des personnes et le bien commun ne relèvent ni de l’acrobatie ni du tour de passe-passe. La seule manière de protéger efficacement les droits humains est de respecter le principe selon lequel chaque personne possède certains droits fondamentaux inhérents et inaliénables, ne pouvant pas être supprimés même au nom du « bien commun », de l’état d’urgence, de la sécurité nationale ou d’idéaux religieux ou autres. Sans cela, personne ne peut réellement être en sécurité. Pourquoi des pédophiles, des meurtriers, des terroristes, auraient-ils les mêmes droits que moi?Il faut rappeler qu’Amnesty International condamne les crimes tels que les attentats délibérés contre des civils. Le fait de prendre délibérément pour cible des citoyens constitue une violation grave des droits humains fondamentaux et va à l’encontre des principes de base de l’humanité. Amnesty International condamne de telles atrocités. Mais pouvons-nous pour autant laisser le gouvernement torturer des personnes qui ont commis des actes très graves ? Bien que le sentiment de vengeance et de colère soit humain, la loi, commune à tous, est mise en œuvre pour protéger les innocents et punir les coupables. De plus, rappelons que ne pas être torturé est un droit fondamental qui ne peut être restreint dans aucune circonstance. C’est en s’assurant que cette procédure s’applique correctement pour tous que chacun pourra se sentir protégé. De plus, selon un principe fondamental du droit, toute personne est présumée innocente tant que sa culpabilité n’a pas été établie de façon convaincante. Lorsque des éléments laissent à penser que des personnes ont participé à la préparation ou à la réalisation d’actes criminels, une enquête doit être menée, ces personnes doivent être inculpées et immédiatement jugées à l’issue d’un procès équitable. Si leur culpabilité est établie, elles seront condamnées. N’oublions pas que nous pourrions tous être arrêtés par erreur, ou dénoncés par un voisin malveillant qui indiquerait que nous sommes des criminels très recherchés ; cela est arrivé à certaines personnes qui ont ensuite été torturées ou maltraitées afin qu’elles livrent des informations qu’elles ne détenaient pas. Voulons-nous vraiment qu’un gouvernement exerce sur nous un tel pouvoir ? Ne ferions-nous pas tout ce qui est en notre pouvoir pour sauver notre enfant ?Que ferions-nous dans un moment de panique ou de désespoir, si un être cher était en danger ? Il est difficile de l’imaginer. Une chose est sûre : la réponse à cette question permet de mesurer l’ampleur de notre détresse, mais ne saurait guider notre comportement moral. Dans de telles circonstances, certains d’entre nous n’auraient pas recours à la torture, d’autres, peut-être. Tout le monde compatirait à l’horreur de cette situation, au désespoir qui pousserait un parent à exécuter de telles actions. Cela ne peut cependant justifier ni l’usage de la torture ni le fait de poser des bombes. Quelle que soit la réaction, si humaine et compréhensible soit-elle au niveau individuel, les émotions personnelles ne doivent en aucun cas déterminer les mesures législatives et gouvernementales. L’État a pour devoir d’appliquer les principes du droit et de protéger les droits humains de toutes les personnes qui relèvent de son ressort. ARGUMENTAIRE CONTRE LA TORTURE.
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Il est relativement facile de déterminer quand commence la torture. Savoir quand elle s’arrête est nettement plus difficile. La torture s’arrête-t-elle à la fin des supplices infligés, de l’interrogatoire ? Comment revenir à une « vie normale » lorsqu’on a été soumis à des humiliations, à des traitements cruels, inhumains ou dégradants ? Comment ne pas être haineux de l’autre, des tortionnaires ? Comment avoir confiance à nouveau ? La vie familiale sera-t-elle la même qu’avant ? La torture laisse-t-elle à tout jamais la personne torturée dans un monde d’insécurité, de peur et d’exclusion ? Quelle vie après la torture ?Une victime de torture a été traitée comme si elle n’était pas un être humain. Ses tortionnaires ont cherché à la rabaisser, à la détruire. Certains n’ont plus de dents, d’autres ont des mains mutilées, d’autres encore ne marcheront plus jamais normalement. Mais, même lorsque la torture n’a pas laissé de traces aussi manifestes, les séquelles n’en sont pas pour autant moins intenses. Qu’ils en parlent ou non, qu’ils semblent avoir retrouvé leur joie de vivre ou non, tous les torturés sans exception sont marqués au plus profond d’eux-mêmes par ce qu’ils ont enduré. Il existe plusieurs études sur les marques psychologiques dues à la torture. De nombreux chercheurs ont tenté de rassembler les différents types de maux existants, mais cela reste un exercice très difficile. Cependant, les symptômes cités ci-dessous sont courants et perdurent :
L’ensemble de ces symptômes montre qu’il est difficile pour une victime de torture de se réintégrer dans la société correctement. Les sentiments qui découlent de ce type de traumatisme peuvent être plus forts si les bourreaux ne sont pas arrêtés et jugés pour les allégations de torture. Dans ces circonstances il est difficile pour une personne de « tourner la page » et de retourner à sa vie, comme si de rien n’était. La torture permet certes une déshumanisation sans tuer un individu, mais elle garantie au long terme l’incapacité de ce dernier de se réinvestir dans une vie sociale : la peur, les troubles et le malaise le domineront toujours. La seule façon de casser cette spirale infernale est d’oser en parler. Help, quelqu’un m’écoute ?Même si la plupart de victimes ne peuvent rien dire, certaines réussissent à parler des sévices qu’ils ont subis. Mais à qui en parler ? Qui sera capable de comprendre, d’aider ? La famille ? Toutefois, celle-ci ne peut pas toujours être d’un grand secours. Comment arriver à guider cette personne si proche de soi et pourtant si différente de la personne que l’on a connue ? De plus, il se peut que les membres mêmes de la famille aient également été victimes de torture ou de mauvais traitements. Des centres de soins et d’écoute ? Après la torture, une réhabilitation est non seulement possible, elle est même nécessaire. Selon Françoise Sironi: « on ne peut traiter une victime de torture efficacement si on ne pense pas, avec le patient, l’intention des agresseurs, si on ne cherche pas, avec le patient, l’intention destructrice contenue dans les méthodes de torture. Le plus important dans la psychothérapie des victimes n’est pas de travailler sur les émotions. Le point central consiste à refaire fonctionner la pensée là où elle a été défaillante sous la torture, du fait de la relation d’emprise totale, de la douleur et de la présence de la mort ». Qui est Françoise Sironi ?Françoise Sironi est psychologue, psychothérapeute, maître de conférences en Psychologie clinique et pathologique experte auprès de la Cour d’appel de Paris et de la Cour pénale internationale à La Haye. Elle est une des fondatrices du centre Primo Levi, à Paris (spécialisé dans le soin aux victimes de la torture) et d’un centre de réhabilitation pour vétérans russes traumatisés de guerre (Afghanistan et Tchétchénie) en Russie. Son expérience clinique concerne à la fois les auteurs et les victimes de violences collectives (génocides, massacres, tortures, con its, viols de guerre, disparitions, déplacements de populations, etc.). Au Danemark, le centre international pour la réhabilitation des victimes de la torture (www.irct.org) est un centre de soins et de recherches qui se consacre aujourd’hui au processus de réhabilitation. Il accueille, tous les ans, plus de 100 000 victimes. On y fait des diagnostics précis, on examine et traite toutes les séquelles possibles. Sa fondatrice a elle-même été menacée de mort et agressée à plusieurs reprises, ainsi que ses représentants dans certains pays. Ce type de centres, il en existe un peu partout dans le monde. Citons trois exemples : le centre Primo Levi en France ou encore les centres Exil ou Ulysse en Belgique. Ils ont pour objet l’accueil et la prise en charge globale des personnes exilées, en précarité de séjour et en souffrance psychologique, quels que soient leur pays d’origine, leurs appartenances et les raisons de leur exil. Ces associations se donnent pour rôle de les prendre en charge médicalement, psychologiquement, mais aussi juridiquement et socialement. Enfin, il y a le réseau Réséda, réseau francophone de soins et d’accompagnement pour les exilés victimes de torture et de violence politique. Constatant la carence d’offre de soins dédiés aux personnes victimes de la torture de la violence politique ainsi que l’absence d’action coordonnée des divers acteurs impliqués dans cette prise en charge, les associations Mana (Bordeaux), Osiris (Marseille), Primo Levi (Paris) et Ulysse (Bruxelles) décident de réunir leurs efforts au service d’une meilleure prise en charge de ces personnes. ÉTUDE DE CASSe reconstruire après la torture ? Une jeune femme de nationalité turque, résidant en France, retourne dans son pays pour les vacances d’été. Une heure avant de devoir se rendre à l’aéroport pour son vol retour, dix policiers font irruption dans la maison familiale. Soupçonnée d’entretenir à Paris des liens avec des mi- litants de la cause kurde, elle est interrogée à propos de son travail au sein d’une organisation humanitaire en France. Cette jeune femme est privée de nourriture, d’eau, de tout repère temporel. Depuis sa cellule, elle entend les cris des suppliciés malgré une musique assourdissante, diffusée en permanence. En regardant par terre, sous son bandeau qu’elle garde à tout moment, elle voit des personnes menottées, en sang, manifestement torturées, du vomi au sol. Elle a peur. Imagine les pires scénarios. Elle a vécu en tout une garde à vue unique de trente heures avant d’être remise en liberté. De retour en France, cette jeune femme commence à avoir des problèmes de sommeil : dans la rue, elle a peur des policiers. Elle ne parvient plus à se concentrer, elle n’arrive plus à lire. Ne plus réfléchir pour ne plus être envahie par l’angoisse. Elle se replie sur elle- même et vit dans la crainte que tout cela recommence. [Source : ACAT, Un monde tortionnaire, rapport 2010, chapitre Les séquelles psychologiques de la torture, Sibel Agrali]. ÉTUDE DE CASQuand la culpabilité devient une nouvelle forme de torture. Monsieur M. est un jeune homme âgé de 22 ans. Il a été torturé a n de lui faire dénoncer les organisateurs d’une manifestation à laquelle lui et des personnes de son ethnie minoritaire ont assisté. Durant cette période, il a été emprisonné pendant sept mois, il a subi maintes formes de violences commises par des agents de l’État. Il a été suspendu par les poignets liés dans le dos, a reçu des brûlures de cigarettes, on lui a enchaîné les pieds, il a été affamé, vivait dans une cellule sans lumière, sans aucune hygiène. Il recevait des coups sur le corps, ses pieds ont été violemment écrasés, il a été violé, privé de contacts avec les autres et subi d’autres innombrables formes de violence. Monsieur M. a nalement livré des noms et a été relâché. Ses deux codétenus qu'il connaissait bien se sont donné la mort par pendaison, car ils s’étaient engagés dans une sorte de pacte que lui n’a pas respecté en choisissant de vivre. Choix qui lui est devenu très honteux. À l’époque de la prise en charge psychologique, la vie pour Monsieur M. s’était arrêtée depuis plus de six ans, au moment de la pendaison, il était un mort vivant. La mort psychique était le prix à payer pour avoir parlé sous la torture, pour avoir manqué à sa parole, il était alors dans une expérience dominée par la pulsion de mort, n’acceptant pas le fait qu’à deux reprises il ait pris parti pour lui-même. Monsieur M était envahi par la culpabilité, craignant que sa faute n’atteigne la vie des personnes restées au pays ou ne suscite des représailles pour les noms avoués sous la torture. Les sentiments de culpabilité qui font partie de l’humanité et qui sont le préalable à la réparation deviennent le terrain fertile de la mélancolie. [Source : extrait d’un témoignage repris du Service de Santé Mentale de l’association Ulysse en Belgique]. L’histoire de Madame A. Récit d’un parcours.À l’arrivée des Khmers rouges au pouvoir, Mme A. a 17 ans : toute la famille est envoyée à la campagne pour cultiver le riz. À son arrivée au camp en compagnie de son mari et de son père, celui-ci est assassiné sous ses yeux. S’ensuivent alors des années de famine, de travail forcé, de violence arbitraire, de propagande permanente, d’exécutions sommaires; elle voit mourir nombre de ses camarades dans des conditions atroces. Elle tombe enceinte et accouche d’un premier enfant dans cet enfer. Il survit et grandit, malgré les privations. Quelque temps plus tard, elle donne naissance à une petite lle. À l’effondrement du régime, la famille de Mme A. fuit. On est en 1982 et la France accorde immédiatement le statut de réfugiée à Mme A. Une fois en France, hantés par ce qu’ils ont vécu ensemble, la violence extrême, l’exil et ses ruptures, Mme A. et son mari se séparent. Elle perd alors la garde de ses enfants placés en famille d’accueil. Elle souffre quotidiennement d’insomnies, de maux de tête et d’angoisses. Elle consulte plusieurs médecins qui, tous, lui prescrivent des traitements médicamenteux, antidépresseurs et tranquillisants pour l’aider à retrouver le sommeil. Aucun n’aura l’idée de l’orienter vers un psychologue. Très isolée, elle perd son d’emploi et le vit comme une nouvelle rupture qu’elle ne supporte pas. Sa vie est envahie, bloquée par les années de violence ; elle est en permanence habitée par les souvenirs, les cauchemars qui resurgissent, les insomnies pires que jamais. Un an après son licenciement, un travailleur social va s’apercevoir que cette femme a besoin de dire ce qu’elle a vécu dans son pays d’origine et va lui parler de la possibilité de bénéficier d’une prise en charge psychothérapeutique au Centre Primo Levi. Trente ans après son arrivée en France, elle rencontre pour la première fois un psychologue spécialisé dans le travail avec les victimes de torture et de violence politique. Son objectif aujourd’hui : essayer de ne plus se laisser envahir par les souvenirs et la souffrance, et garder un lien avec ses enfants. [Source : « Soigner les victimes de torture exilées en France », le livre blanc, centre Primo Levi, « Vivre après la torture », p. 11]. À RETENIR :
POUR ALLER PLUS LOIN"Sous la main de l’autre" de Vincent Detours & Dominique Henry, 2011. Résumé : Sous la main de l’autre suit les psychothérapies de personnes fragilisées et parfois anéanties par des actes de torture. Leur parole renaissante explore un passé indicible, parce qu’inhumain. Faire cesser la douleur, écarter la folie, protéger leurs proches d’une violence qui dort en eux, être compris et reconnus — voilà les enjeux qui les animent. Lors de ce processus, resurgit le bourreau. Mais cette fois, sa vraie nature est révélée : celle d’un être humain ordinaire façonné méthodiquement comme tortionnaire par un système politique délibérément destructeur. |
Nous l’avons vu, la torture est une pratique inhumaine qui gangrène toute une société. Dans sa campagne « Stop torture », Amnesty International demande aux gouvernements de respecter le droit et leurs propres engagements. Pour nous interposer entre le tortionnaire et la victime, nous disposons de nombreuses actions possibles. Mais quels sont les objectifs de ces actions contre la torture ? Nous voulons que :
Nous ne pourrons pas y parvenir seuls. Pour la faire cesser, nous devons nous unir aux millions de militants du monde et demander la fin de cette pratique barbare. Rejoignez-nous et préparez-vous à agir pour les gens confrontés à la torture, de l’Ouzbékistan au Mexique, du Maroc au Nigéria. Nous n’arrêterons cette campagne que lorsque chacun pourra vivre sans craindre d’être torturé. UNE MOBILISATION, DES ACTIONS, DES SOLUTIONS.VOTRE SIGNATURE A DU POUVOIR.Depuis toujours Amnesty International lutte contre l’injustice et le non-respect des droits humains via l’écriture de lettres, la signature de pétitions. Aujourd’hui, encore, nous avons besoin de vous pour faire pression contre l’utilisation de la torture. Tout au long de la campagne, Amnesty International vous proposera de soutenir des individus qui sont en danger. Participer à une Action Urgente, comment ça marche ?Cela consiste à envoyer une lettre à une autorité du monde, dans un laps de temps court, afin de lui demander de mettre fin aux violations des droits fondamentaux d’une personne. Alors qu’une seule lettre pèse peu, son poids est considérable lorsqu’elle est accompagnée de milliers d’autre. En BelgiqueLe site d’Amnesty International Belgique francophone offre plusieurs mode d'action. Chaque dossier des Individus en danger y est repris. En plus d’une description complète et détaillée de la situation, vous trouverez :
Pour avoir accès à toutes les actions de la section, rien de plus simple : allez sur le site. LA CAMPAGNE BOUGIES.Chaque année, toute notre équipe relève ses manches pour vous offrir une campagne bougies de qualité ! La vente de bougies est un projet concret de financement qui a tout son sens dans une ONG, indépendante de tout gouvernement, telle qu’Amnesty International. Pour mettre sur pied votre campagne, nous vous proposons :
Envie de participer ? C’est très simple : envoyez un email à Véronique Devillers (vdevillers@amnesty.be) en indiquant votre nom, prénom, adresse, téléphone, école. LA JOURNÉE « PAS D’ACCORD, J’ASSUME ».Simple et efficace, « Pas d’accord, j’assume » propose aux jeunes de 10 à 20 ans de se mobiliser pour les droits humains. Le temps d’une journée, d’une recréation, transformez votre école, votre classe en théâtre d’actions. Nous vous proposons chaque année une thématique particulière, tout au long d'une semaine d'action au cours du dernier trimestre de l'année. LA DISTRIBUTION DE DAZIBAOS.Tous les deux mois, Amnesty International propose une affiche traitant d’un thème qu’elle défend. Tout au long de l’année scolaire, vous pouvez, si vous le souhaitez, distribuer vous aussi les dazibaos dans votre école, ou dans une gare. Grâce à cela, vous ferez connaître des violations des droits humains à un grand public en transmettant le message d’Amnesty International autour de vous. DEVENIR UN GROUPE-ÉCOLE.Un des objectifs d’Amnesty International est de faire connaître les droits humains au plus grand nombre de personnes possible. Chacun peut contribuer à l’action d’Amnesty International, selon ses moyens, son temps et ses connaissances. En rejoignant ou en créant à un groupe-école, les élèves du secondaire peuvent aussi faire entendre leurs voix et s’impliquer dans la vie de l’association. En participant à des actions très diverses, ils poursuivront le même but : faire vivre les droits humains au sein de leur établissement scolaire. Pour en savoir plus, rendez-vous ici. UN KIT D’ACTION.Grâce à un kit pédagogique, vous pourrez aborder la problématique de la torture avec vos élèves et les inciter à agir. Le kit contient :
DES ANIMATIONS.Amnesty International se propose de venir faire une animation dans votre classe sur le thème de la torture ou plus globalement sur les droits humains. Les élèves pourront alors réfléchir sur des actions en mettre en place, mais aussi à la thématique pour laquelle ils agissent. Pour en savoir plus, cliquez ici |
Livres.L’homme qui écoutait chanter l’oiseau de Christian Merveille et Véronique Hariga, Éd. Memor, 2002. Roman dès 10 ans. Résumé : Un homme ose résister aux ordres du roi. Il refuse de se coucher à son passage, car il veut écouter l’oiseau. La po- lice a beau l’arrêter, le maltraiter, rien n’y fait : l’homme continue à croire en son oiseau. Le livre est accompagné d’un dossier pédagogique gratuit disponible sur www.amnesty. be/magasin. Le fourgon des fous, de Carlos Liscano, Éd. 10-18, 2008. Roman dès 13 ans. Résumé : Montevideo, 1972. Carlos Liscano est jeté en pri- son par le régime militaire à l’âge de vingt-trois ans. Il en sortira treize ans plus tard. la torture, les humiliations, Il aura connu la honte, les étranges relations qui lient victimes et bourreaux. Il sera aussi le témoin de la résistance envers et contre tout, de l’amitié indéfectible qui se noue entre camarades d’infortune et, par-dessus tout, du pouvoir libérateur de l’écriture. Le 14 mai 1985, avec ses derniers compagnons, Carlos Liscano est embarqué dans un fourgon qui va le mener vers la liberté. Une liberté inquiétante, douloureuse, impossible. Le colonel et l’appât 455, de Fariba Hachtroudi, Éd. Albin Michel, 2014. Roman dès 16 ans. Résumé : Avec le 11 septembre 2001 est né un nouvel ordre mondial. La guerre contre le terrorisme donne aujourd’hui lieu à une violence institutionnalisée qui s’exerce en toute impunité. Ce documentaire retrace le parcours d’individus qui ont été torturés en toute illégalité par des États démocratiques sûrs de leur bon droit. Cinéma.108 cuchillo de palo de Renate Costa, 2011. Résumé : Rodolfo Costa était différent. Il ne voulait pas être forgeron comme tous les membres de sa famille. Il voulait être danseur. Dans le Paraguay des années 80, sous la dictature de Stroessner, son nom fut mis sur la liste de « 108 homosexuels », arrêtés et torturés. Ce documentaire nous replonge dans l’horreur des dictatures latino-américaines des années 1980 et lève le voile sur les tortures qui y furent perpétrées. Do it yourself de Éric Ledune, 2002. Film animé dès 12 ans. Résumé : Face à la torture, Éric Ledune a fait le choix de l’ironie. Il s’est inspiré du manuel de la CIA reprenant des techniques de torture et nous présente un petit manuel de supplices à l’usage des familles. Ce film-opuscule vous propose le B. A.-Ba de la torture sous toutes ses formes. Amnesty International vous propose également un dossier pédagogique pour accompagner ce film. Pour le commander le dossier et le film (15 euros), envoyez un email à jeunes@ amnesty.be. Das experiment de Oliver Hirschbiegel, 2001. Résumé : À Cologne, un groupe de chercheurs recrute vingt personnes d’origines sociales diverses. Pour une coquette somme d’argent, ces « cobayes » se soumettent pendant deux semaines à une étrange expérience. Douze d’entre eux sont enfermés dans une fausse prison, filmée en permanence. Les huit autres sont chargés de jouer les matons, avec toute la panoplie afférente. Très vite, les personnalités se révèlent, et le « jeu » tourne mal, très mal. 12 years a slave de Steve Mc Queen, 2014, interdit au moins de 12 ans. Résumé : L’histoire se déroule aux États-Unis, quelques années avant la guerre de Sécession. Solomon Northup, jeune homme noir ori- ginaire de l’État de New York, est enlevé et vendu comme esclave. Il découvre le calvaire vécu par des milliers de personnes noirs dans le sud des États-Unis. Face à la cruauté d’un propriétaire de plantation de coton, Solomon se bat pour rester en vie et garder sa dignité. Douze ans plus tard, il va croiser un abolitionniste canadien et cette rencontre va changer sa vie. I comme Icare de Henri Verneuil, 1979. Résumé : Ce film policier contient la description de la célèbre expérience de Milgram évoquée dans la partie « Comment devient-on un bourreau ? ». Cet extrait peut amener à un débat sur l’expérience. The Railway Man de Jonathan Teplitzky, 2014. Résumé : Le lieutenant écossais Eric Lomax, a été fait prisonnier par les Japonais à Singapour durant la Seconde Guerre mondiale et envoyé dans un camp en Thaïlande. Là-bas, il a été forcé de contribuer à la construction du fameux pont sur la rivière Kwaï. Des années plus tard, il souffre toujours d’un stress post-traumatique. | Liens InternetSite d’Amnesty International Belgique francophone : www.amnesty.be Site d’Amnesty International pour les jeunes : www.amnesty.be/jeunes Site d’Amnesty International France: www.amnesty.fr Site d'Amnesty International France: fiches pédagogiques: http://www.amnesty.fr/Mobilisez-vous/Eduquez/Ressources/Fiches-pedagogiques Site d'Amnesty International Canada: matériel pédagogique: http://amnistie.ca/sinformer/education-droits-humains Site de l’association Actions des Chrétiens contre la torture (ACAT): www. acatfrance.fr Site du rapport «Un monde tortionnaire»de l’ACAT : www.unmondetortionnaire.com Site de l’Organisation mondiale contre la torture : www.omct.org Site de la Ligue des droits de l’Homme en Belgique : www.liguedh.be Site de Human Rights Watch : www.hrw.org Amnesty International possède une série de clips vidéos et d’affiches que vous pouvez exploiter en classe. Pour les visualiser, rendez-vous sur www.amnesty.be/jeunes (ru- brique torture). |
Vous pouvez télécharger ce cahier d'exercice ici. |
De l’agora au cachot : la torture de l’Antiquité à l’époque moderne.
Tortures antiques sur la place publique.
Quand sorcières et hérétiques avouent à l’ombre des cachots.
Torture inutile... mais torture quand même !
Révolutions, résolutions, évolutions... La torture à l’époque contemporaine !
La torture ? Ici non merci, là-bas pourquoi pas.
Une arme de guerre contre tous les types d’ennemis.
LA SOA : UNE ÉCOLE DE CONTRE-INSURRECTION.
La torture aujourd’hui : les victimes méconnues des attentats du 11 septembre.
Amnesty International retour sur 50 ans de combat. Stop Torture.
AUJOURD'HUI Le combat doit continuer. Des législations existent, mais la torture demeure.
2. La torture, un mot, une définition
A. Les « sanctions légitimes ».
B. Et les groupes armés dans tout ça ?
IL Y A 5 SOLDATS DANS CETTE IMAGE: 4 LÂCHES ET 1 ENFANT.
C. La subjectivité de la torture.
Torture ou mauvais traitements : deux concepts assez proches.
Actes considérés comme un traitement cruel, inhumain ou dégradant
Actes considérés comme de la torture
certains évènements ont permis d’étoffer ou de réduire la
3. La torture c'est inhumain et illégal aussi
Les textes internationaux des Nations unies.
Des interdictions reprises dans les régions du monde.
Des traités pour protéger certains groupes de personnes.
En finir avec la torture : la responsabilité des États.
QUE SE PASSE-T-IL LORSQU’UN ÉTAT NE RESPECTE PAS LES RÈGLES ?
Personne ne nous empêchera de voir,
4. Marteau, Fouet, Ipod, les différents types de torture ne manquent pas d'originalité
L’HISTOIRE DE LA TORTURE PSYCHOLOGIQUE.
il n’existe pas de liste exhaustive des méthodes utilisées par les bourreaux ;
il est assez difficile de dissocier la torture psychologique de la torture physique ;
pour être reconnues comme un acte torture, les blessures ne doivent pas être forcément visibles ;
la torture psychologique a des effets dévastateurs sur un individu.
Belgique : un resto qui tourne au cauchemar.
Torturées pour un vol ? Les victimes de droit commun.
Les présumés terroristes ou ceux qui menacent la sécurité nationale.
Démocratie : mot à bannir. Les victimes en raison de leurs convictions politiques.
L’origine ethnique ou l’identité nationale, une excuse en plus pour torturer.
Les enfants,des cibles faciles.
Le sexe : un argument de torture.
Torturés pour l’orientation sexuelle et/ou de l’identité de genre (LGBTI).
nombre de victimes de la torture sont issues de groupes déjà
c’est justement pour ces personnes qu’il est difficile, voire impossible, d’obtenir réparation ;
6. Mon voisin, ce tortionnaire
Le tortionnaire n’est pas forcément celui qu’on croit.
Précisément, les conclusions de Milgram furent celles-ci :
Comment devient-on un bourreau ?
• on ne naît pas bourreau, mais on le devient ;
• le contexte peut jouer un rôle sur la formation des tortionnaires ;
Torturer pour obtenir des éléments.
La torture pour punir, pour humilier.
Torturer pour intimider, pour maintenir l’ordre établi, pour faire taire.
La torture, une inefficacité prouvée.
La torture est INUTILE et rappelons-le ILLÉGALE.
Le « ticking bomb » scénario est une fiction hollywoodienne.
Pourquoi des pédophiles, des meurtriers, des terroristes, auraient-ils les mêmes droits que moi?
Ne ferions-nous pas tout ce qui est en notre pouvoir pour sauver notre enfant ?
ARGUMENTAIRE CONTRE LA TORTURE.
La torture est inefficace, inhumaine et illégale.
La torture cause des dommages physiques et psychologiques chez les personnes qui l’ont subie.
Il n’y a pas de bonne torture ni de bonnes raisons de torturer. La fin ne justifie pas les moyens.
Personne n’est à l’abri de la torture.
8. La torture, des marques pour la vie
L’histoire de Madame A. Récit d’un parcours.
la torture laisse des traces physiques et psychologiques ;
une réhabilitation est nécessaire pour les personnes ayant subi des violences aussi graves ;
l’impunité est un facteur qui peut empêcher les victimes de torture de se reconstruire ;
la torture ne touche qu’une personne, mais propage son poison dans toute une société.
9. Ensemble, nous pouvons stopper la torture: les actions
UNE MOBILISATION, DES ACTIONS, DES SOLUTIONS.
Participer à une Action Urgente, comment ça marche ?
LA JOURNÉE « PAS D’ACCORD, J’ASSUME ».