Pierre BENAZECH Le Piano Aphone

Lune Ecarlate Editions

Semitam Tenebris / Fantastique

Young Adult



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© 2013 Pierre BENAZECH Illustration © 2013 Alice FA- RINA . Édité par Lune-Écarlate 66 rue Gustave Flaubert 03100 Montluçon, France. Tous droits réservés dans tous pays. ISBN 978-2-36976-010-8

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Pour A.



Sommaire

Couverture

Page de titre........................................................................................

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Pour A................................................................................................4

Sommaire...........................................................................................5

Illustration de Alice FARINA

Chapitre Premier Train de nuit..........................................................7

Chapitre Deux Quai des brumes......................................................12

L’auteur............................................................................................21

Bibliographie....................................................................................22





Chapitre Premier

Train de nuit

9 h 18...

La bruine vient lécher la ville. Je traverse un rideau de perles d’eau en quasi-suspension. On dirait des mini cosmo- nautes aquatiques en exercice d’apesanteur. Je les sens pétiller doucement sur mon visage, ce qui me donne l’impression de galoper dans une bouteille de limonade cosmique.

J'aperçois la gare. Les deux grosses aiguilles de la grande horloge me signalent qu’il ne me reste plus que cinq minutes avant le départ. Il faut que je me dépêche car mon train serait capable de m’oublier et de partir sans moi.

Les deux portes automatiques du bâtiment ferroviaire m'entendent arriver et s'ouvrent timidement, comme les mâ- choires d'un monstre lors de son premier rendez-vous chez le dentiste. Je saute dans sa gueule et celui-ci m'avale tout cru.

Une fois à l’intérieur, je dois faire face à une foule im- mense et je zigzague entre les excursionnistes tant bien que mal. Précipitation mécanique, affolement temporel, emberlifi- cotement psychique ! Calmons-nous ! Où en étais-je ? Ah oui,



composter mon billet, vite ! Je cherche dans mes poches presque aussi grandes que l'univers. Clefs, portefeuille, télé- phone... Pff... Il faut vraiment que j'engage un majordome lilli- putien (et qui soit diplômé d'astrophysique des poches si pos- sible !). Ça y est, j'ai trouvé mon bonheur en papier ! « Brrtz ! » je le fais croustiller sous la dent du composteur.

Je dégringole maintenant les escaliers et m'engouffre dans les profondeurs de la gare. Après quelques pérégrinations sou- terraines endiablées, j’accoste tambour battant sur les quais. La brume nimbant la gare m’accueille d’une caresse vaporeuse. Je m’arrête un instant, mêlant la fumée de mon souffle à celle des quais. La voie presque déserte dévoile un silence reposant, comme si la brume avait ouaté tous les bruits désagréables ; même les trains semblent somnoler sur des coussins en coton de cumulonimbus.

Je remets mes jambes en marche et nage dans cette écume nuageuse en direction de ma locomotive. Je me rends compte que j'ai oublié de regarder le numéro de la voie. Une goutte de doute perle dans mon esprit. J’adresse quelques mots embués à une dame qui semble se diriger vers le même train que moi.

— Excusez-moi, ce train va bien à C. ?

Elle sourit.

— J'espère bien !

Rassuré, je monte dans le train. Ivre de fatigue, je titube dans le tube digestif du wagon à la recherche d’une place libre. De nos jours, les sièges vides sont devenus des proies de choix



pour les voyageurs. Heureusement, je suis un prédateur expéri- menté et je parviens rapidement à dénicher l’oiseau rare.

Je me laisse doucement tomber sur mon trône de voyageur, comme si c'était un nuage. Je m'enfonce de tout mon poids dans le siège et j'entends la mousse du fauteuil crisser sous mon dos. Mes paupières s’embrassent et un mistral de fatigue s’échappe de ma bouche : « Pfffff ». Qu’il est bon de s’asseoir !

Grblll... Un orage miniature se déclenche dans mon ventre, alarme me signalant que la faim est entrée par effraction. J’ouvre alors la fermeture éclair de mon sac à dos, plonge ma main dans sa gueule, farfouille dans son obscurité éparse et y retire un paquet de sucreries multicolores en forme de croco- dile.

Le rituel gourmand peut alors commencer. Je déchire, tout d'abord, le sachet sauvagement avec mon armée de dents. Puis, je le penche doucement vers ma main afin d'y déverser un bout de l'arc-en-ciel sucré qu'il contient. Je me délecte enfin des quelques rayons colorés recueillis, envoyant les crocodiles mi- niatures dévorer ce terrible monstre que l'on nomme craintive- ment « la faim ». À mon avis, ce monstre-là doit être un sacré rancunier !

Même après une raclée, il réapparaît toujours rapide- ment, à l’instar d’un phœnix1. Si la faim est vraiment un oiseau fantastique, je comprends qu'il lui arrive d'être de

1 Le phénix est un oiseau mythique qui selon la légende renaît de ses cendres. C’est un peu le Wolverine des volatiles.



mauvaise humeur car il ne doit pas y avoir beaucoup de place pour voler dans nos estomacs.

Le sifflet de départ se fait entendre et la locomotive quitte paresseusement ses starting-blocks sur mesure. Je regarde à tra- vers la vitre. La brume se fait de plus en plus clémente, emmi- touflant la gare dans son duvet dentelé de nuage. La nuit com- mence déjà à tomber ; les rares personnes encore présentes sur la voie apparaissent comme des ombres mouvantes et éphé- mères. La brume et la distance les dérobent peu à peu à mon champ de vision. Le train prend de la vitesse, faisant défiler les paysages nocturnes à la manière d’une pellicule de film. Le court métrage d’aujourd’hui présente la quiétude d'une ville s'ensommeillant peu à peu. J’aperçois quelques voitures, celles- ci prennent des allures fantomatiques, semblant flotter sur une mer de brume. On ne voit bientôt plus que leurs deux gros yeux briller à travers le brouillard. Roulant ou volant prudemment, elles se suivent scolairement les unes derrière les autres dans des rangs vaporeux.

Je détourne mes yeux du spectacle extérieur et jette un re- gard vers mes compagnons de voyage. Habituellement, lorsque je m'ennuie dans un lieu public, qu'il soit mobile ou non, un de mes passe-temps favoris consiste à observer mes comparses humains ou objets et d'imaginer quelle peut bien être leur vie ou leur histoire.

Évidemment, quand on aime s'amuser et que l'on a de l'imagination, on s'éloigne rapidement du plausible et cela plus ou moins consciemment. Ainsi, chaque cobaye de mon imagi- nation se voit doté d'un destin hors du commun qui doit assuré-