Incubateurs: Développez l’entrepreneuriat en sortant des paradoxes
Des paradoxes de la prescription du coaching par les incubateurs d'entreprise, et comment en user de manière constructive pour développer l’entrepreneuriat.
Résumé : il est paradoxal de la part des incubateurs d’entreprise de prescrire des aides aux entreprises qu’ils soutiennent car cette attitude s’oppose au développement de la capacité à entreprendre.
Ils peuvent sortir de ce paradoxe et aider le déploiement de la performance de ces entreprises, en devenant Stakeholder. Cette contractualisation au contenu bien spécifique peut être accompagnée avec succés par un coach d’équipe professionnel.
1-Incuber
Les incubateurs d’entreprises, sont ces structures qui soutiennent et accompagnent le développement d’entreprises à leurs tout débuts, généralement de l’idée, à l’acquisition des premiers clients permettant les premières levées de fonds. Les incubateurs sont donc présents aux côtés des créateurs lors de ce temps stratégique de l’ébauche de l’idée à sa formalisation et à sa “confrontation” au “marché”.[1]
Selon leur statut et leur financement, les incubateurs s’intéressent à certains projets plutôt qu’à d’autres. Les incubateurs régionaux s’intéressent au développement des territoires se trouvant dans le ressort territorial de leurs “actionnaires”, à des thèmes correspondant à un axe politique local (pôles de compétitivité, par exemple), ou susceptibles de déboucher sur un nombre d’emploi correspondant à un seuil qu’ils se sont donné[2].
Les incubateurs des écoles de management, s’intéressent à la démarche pédagogique intrinsèque à l’entrepreneuriat, et à leurs retombées financières, selon le contrat qui les lie à l’entreprise “incubée”, ainsi qu’au bénéfice pour leur notoriété.
Les incubateurs proposent différentes sortes d’accompagnement, généralement sous forme de conseils d’experts de leurs éco-système, sur des sujets précis, et de mise en réseaux avec des chefs d’entreprises plus expérimentés.
2-Conseiller
Toutes ces approches sont fondées sur une logique de transfert de savoir ou d’expérience, d’un “sachant” ou d’un “expérimenté” vers un novice. Par là même elles sont relativement circonscrites : l’expert l’est dans un domaine précis, et le chef d’entreprise est riche de son expérience, également limité - gage du plaisir des entrepreneurs de toujours apprendre -.
Les incubateurs les plus innovants commencent à recourir au coaching sans doute attirés par le caractère transversal, fondamentalement décloisonnant, et sur-mesure, de cette approche. La profession existant depuis une vingtaine d’années, il semblerait qu’ils peinent cependant à définir les contours de telles “interventions”, et l’on constate parfois que l’expert en marketing a simplement été rebaptisé “coach marketing”, par simple effet de mode. Les incubateurs perçoivent néanmoins intuitivement l’intérêt du coaching, - de grands dirigeants et sportifs n’ont ils pas recours à lui avec succés- [3] et c’est à juste titre, tant ce métier bien particulier est co-naturel à la démarche entrepreneuriale.
3-Coacher
“Le coaching, est le métier de l’accompagnement du dialogue du client centré sur le résultat qu’il souhaite atteindre”[4]. Sans entrer dans l’exégèse de cette définition[5], parmi les plus pointues de la profession en terme d’exigence de posture pour le coach, plusieurs points méritent d’être ici explicités.
Le coaching est centré sur un résultat à atteindre[6]. Le résultat n’est pas seulement le terme, la “destination” du coaching, il est à son centre, à son origine. Gage de concentration.
Le coaching est un accompagnement. C’est à dire que le coach n’est pas devant sur le chemin - quel chemin, d’ailleurs ? le sien ? celui du client ? - ou derrière, en suiveur ; le coach est à côté du client, à ses côtés. C’est une relation paritaire. Le coach ne sait pas plus là où le client “devrait” aller, ils découvrent ensemble. Gage de liberté, et d’engagement personnel du client par rapport à son avenir souhaité.
Le client réfléchit à voix haute, et c’est ce cheminement que le coach accompagne. C’est sur la manière d’entrer en “relation” avec le résultat que le client souhaite atteindre, et de “dialoguer” avec son environnement que le coach “rebondit”, de rebonds inattendus -souvent aussi du coach lui-même - et fructueux pour l’avancée du client. [7]
Le coaching est donc à la fois quelque chose de concentré et d’éminemment souple et émergent.
4-Entreprendre
La démarche entrepreneuriale, quant à elle, consiste à concentrer des ressources dans la conception et la mise en oeuvre d’un “produit” laissant supposer à l’entrepreneur, qu’il rendra son avenir meilleur que le présent. Pour cela l’entrepreneur se détermine grace à son principal outils : la décision. Entreprendre, repose en large part sur le fait de décider soi-même, au fur et à mesure de ce qui émerge en avançant. C’est là que l’on entrevoit le paradoxe de la prescription à l’égard des entrepreneurs.
5-Prescrire
Prescrire, signifie ordonner. Quiconque ordonne, quoi que ce soit pour un entrepreneur, le co-détermine. Il décide d’allouer des ressources (financière, le temps de l’entrepreneur) sur ce qu’il juge important, en prétendant contribuer à “muscler” la démarche entrepreneuriale. Quelle que soit la prestation, ça peut être une forme de hold-up. Cette attitude est paradoxale. Nous verrons plus loin, comment nous pouvons l’éviter.
a) Premier paradoxe : prescrire : “ Allez…”
En effet, “incuber”[8] une entreprise revient tacitement à signifier “nous soutenons votre démarche entrepreneuriale, dont nous avons bien compris qu’elle consiste dans le fait de vous laisser vous déterminer”, tandis que prescrire clame “si vous voulez réussir, faites nous confiance, et allez voir X et Y, ils sont de bon conseil”, c’est à dire “ne vous déterminez pas”. Ce sont 2 messages contradictoires que l’on peut résumer dans une phrase un peu lapidaire “Vous étes libre de vous déterminer et nous allons vous montrer la manière que nous pensons la meilleure pour le faire”.[9]
Il est à noter que la contradiction se situe généralement entre des niveaux de nature différente. Souvent entre un discours (fond) et des actes (forme).
b) Deuxième paradoxe : “…voir un coach”
Il est saisissant, de voir que le paradoxe est redoublé, lorsque la prestation prescrite [comme solution], est une prestation qui ne prescrit pas [de solution] mais accompagne son émergence.
c) Troisième paradoxe : “…et ainsi vous allez apprendre à entreprendre.”
Tout incubateur qui se ferait mission d’apprendre à d’autres à entreprendre, risque fort de se perdre dans ce paradoxe là.
Qui croit pouvoir transmettre un apprentissage de l’entrepreneuriat, dit intrinsèquement “je sais comment aborder l’inconnu”. S’il y a une méthode qui marche, c’est qu’il n’y a pas d’inconnu.[10]
Que fait alors l’incubateur ? il conçoit des process, des parcours : 2 jours d’analyse de marché, 1 jour de finance d’entreprise, 1 jour de droit des contrats…[11]
En faisant celà, il se centre sur des moyens à défaut du résultat. Or, entreprendre, c’est se centrer sur un résultat.
6-Entreprendre ou se centrer sur un résultat
Entreprendre, c’est créer un produit pour transformer des comportements, pour un mieux, selon l’entrepreneur. C’est ce qui le met en mouvement. C’est pour cela qu’il va apprendre le droit, le marketing ou la finance, et non l’inverse. Toutes ces prestations complémentaires peuvent être utiles. Le paradoxe tient à leur pré-organisation tacitement prescriptive. Si elles ne sont pas secondaires, elles sont secondes.
7-Sortir du paradoxe
Sortir du paradoxe peut se faire de plusieurs manières. Nous en retenons schématiquement deux.
Sortie par le bas : l’entrepreneur s’ajuste sur le prescripteur et se centre sur les moyens avec lui, il lui obéit. Il n’entreprend plus.
Sortie par le haut : l’incubateur renonce à prescrire, et se centre avec l’entrepreneur sur les résultats : les siens avec ceux de l’entrepreneur.
8-Encore un paradoxe
Car il peut être encore un paradoxe : l’incubateur accompagne un entrepreneur vers un résultat qui serait “uniquement” celui de l’entrepreneur, mais qui est quelque part (tacitement) aussi celui de l’incubateur[12], mais en quels termes ? là réside le flou qui empêche les décisions, et donc d’entreprendre.[13] Le paradoxe, tient dans le fait que l’exigence de résultat de l’incubateur à l’égard de l’entrepreneur n’est pas formulée.
9-Devenir partie prenante (stakeholder) chasse le paradoxe
“Entreprendre avec”, consisterait donc à élaborer un accord (ou contrat) entre l’incubateur et l’entreprise, 1) des résultats communs à atteindre, 2) que ces résultats soient indexés sur le succés de l’entreprise 3) des moyens libres sous forme d’enveloppe globale et négociée (et non par ligne de crédit cf. notes de bas de page) 4) une rétribution pour ces résultats 5) des outils de suivi de ces indicateurs.
L’incubateur devient partie prenante : stakeholder. La définition de Wikipédia reprend d’ailleurs bien ces différents éléments: Une partie prenante est un acteur, individuel ou collectif (groupe ou organisation), activement ou passivement concerné par une décision ou un projet ; c'est-à-dire dont les intérêts peuvent être affectés positivement ou négativement à la suite de son exécution (ou de sa non-exécution)
Il n’est alors plus paradoxale qu’il contribue à déterminer le cours de la vie de l’entreprerise, lors de négociations prévues à cet effet. L’entrepreneur a une règle du jeux claire pour se déterminer et entreprendre. Ces négociations font pratiquer à l’entrepreneur ce qu’il va devoir faire toute sa carrière lors de ces conseils d’administration, tours de financement, embauches.
La relation incubateur-entrepreneur modélise[14] la relation entrepreneur-stakeholder. En n’organisant pas de processus mais en avançant ses propres attentes dans un contrat, l’incubateur, “aide” l’entrepreneur à mieux devenir entrepreneur.
L’incubateur doit veiller se garder de la tentation éventuelle de vouloir soigner la relation[15] avec l’entrepreneur, amoindrir son exigence de résultat[16]. Une protection salutaire de cette posture, peut être renforcée par la transmission à sa propre hiérarchie et au suivi en temps réel, des résultats visés et obtenus par l’incubateur.
10-Pertinence du coaching
Le coaching peut être particulièrement pertinent au stade de la définition des résultats communs visés. Le coach accompagne les décisionnaires de l’incubateur et ceux de l’entreprise, comme un ensemble en tant que tel, dans des séances de travail communes.
Le coaching est ensuite pertinent dans l’accompagnement de l’entreprise elle-même ou de l’incubateur.
Jean-Emmanuel Tixier
Coach
MOTS-CLEFS : ENTREPRENDRE - ENTREPRENEURIAT - INCUBATEUR - ÉCOLE DE MANAGEMENT - DÉVELOPPEMENT DU LEADERSHIP - PARADOXE - COACHING - COACHING D’ÉQUIPE - RÉSULTATS - SOLUTIONS - PRESCRIRE - RESSOURCES HUMAINES - FORMATION - RESSOURCES - CONSEIL - CONTRAT - ÉDUCATION - PROTÉGER - STAKEHOLDER - ENGAGEMENT -
[ Jean-Emmanuel Tixier © Copyright Decami 2013 www.decamicoaching.com.]
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[1] ces termes entre guillemets, reflètent une certaine manière de percevoir les interactions. Dans leur esprit, le marché serait une entité pré-existente à eux, et susceptible de répondre à l’offre entrepreneuriale favorablement our défavorablement. C’est ignorer que l’offre transforme la demande, que nous “sommes” le marché, et que l’on reconnait le produit génial qu’à ses ventes. (cf. le succés des ipad, donnés perdants)
[2] ce qui pose la question du soutien des projets à forte valeur ajoutée, se structurant plutôt sur la base d’un contrat de projet porté par des entrepreneurs autonomes et enclins à le rester, a contrario d’une structuration sur le modèle salarial. Sans doute des approches émergentes auxquelles l’avenir répondra. L’approche “contractuelle” abordée ici, et élément fort du coaching, permet de répondre fructueusement à ces nouvelles pratiques.
[3] cf. la déclaration télévisée de Schmidt, CEO de Google, “everyone needs a coach” en ligne sur www.facebook.com/decamicoaching
[4] Alain Cardon, Master Coach Certified (MCC) par l’International Coach Federation (ICF).
[5] disponible en anglais par A. Cardon, sur le net, relayé sur notre compte Facebook.
[6] on notera au passage, la différence fondamentale avec l’expression “orienté ou centré solutions” qui sous entend qu’il faille partir du problème, plutôt que du résultat à atteindre.
[7] maintes fois il m’a été donné de laisser jaillir une question, ou une exclamation inattendue pour moi-même, et “puissante” pour le client.
[8] Il est intéressant de noter la connotation matricielle, presque utérine, du terme “incubateur’, posant une distinction entre un dedans et un dehors, celui qui entoure, celui qui est entouré. Bien souvent d'ailleurs on parle d'incubé, une manière de situer l’entrepreneur par rapport à l'incubateur, une sorte de main mise, qui sémantiquement, empêche de naître (être?). Un paradoxe supplémentaire.
[9] le lecteur aura peut être noté que cette affirmation correspond assez exactement à la démarche de l’auteur de cet article quand il écrit cet article. A lui de découvrir, la manière dont l’auteur use de ce paradoxe pour le rendre fructueux !
[10] c’est pour cela qu’un vrai coaching, n’est pas une succession de méthodes ou de process.
[11] Ce paradoxe est renforcé lorsque des budgets spécifiques sont contingentés par prestations.
[12] ne serait ce qu’en terme de satisfaction personnelle.
[13] non pas que le flou en soit, empêche d’entreprendre, mais parce qu’il est le fruit d’un double “discours” (le paradoxe)
[14] modéliser: consiste à mettre en œuvre immédiatement les attitudes qui actualise immédiatement ce que l’on dit. Modéliser est une manière de prendre au sérieux ce que dit l’interlocuteur, en agissant immédiatement dans le sens qu’il dit. Ainsi, modéliser, accompagne l’interlocuteur dans ce qu’il exprime comme un désir d’agir, et… l’aspire à agir !
[15] figure symboliquement maternelle.
[16] figure symboliquement paternelle.